La rentrée était passée comme dans un rêve pour laisser place à un mois de septembre bien entamé où Eiji avait pris ses marques de la même façon qu'il avait ses repères dans le dojo. D'aucun aurait trouvé ces habitudes bien casanières tant elles étaient marquées mais le jeune homme y trouvait un certain réconfort. Jogging tôt le matin avant les cours, les cours en eux-mêmes, entraînement avec le club d'athlé ou de kendo, parfois les deux quand son rôle de président l'appelait dans le club de kendo, et enfin le travail scolaire en fin de journée. Des journées lourdes et longues qui ne laissaient guère de place à l'oisiveté, mais qu'importe : la libération venait le week-end, le vendredi soir plus précisément, quand Eiji abandonnait toute velléité d'être un lycéen moyen, engouffrait quelques affaires dans son sac à dos et partait en direction de Hachioji pour rejoindre son amant dans son appartement pour le week-end.

Son amant. Le moment sonnait étrange à ses oreilles, comme sorti d'un livre un peu antique, ou d'un de ces mangas shojo qu'il n'affectionnait guère. Son petit ami alors ? Le terme était un peu plus adéquat déjà, mais il n'était pas sur de le préférer pour autant. Il n'était pas sur de vouloir l'entendre à haute voix, du moins autrement que par Hugh avec son petit sourire en coin qui signifiait qu'il en savait trop – voir plus qu'Eiji.

Le chauffeur de bus annonça son arrêt, lui laissant tout juste le temps d'attraper son sac et de sauter dehors avant que les portes ne se referment derrière lui. Comme toujours, la rue était silencieuse, habituel témoin du quartier chic où habitait Jiro, un quartier composait de maisons individuelles ou d'immeubles stylés mais non ostentatoires qui parlaient eux-même d'argent, comme l'appartement de Jiro. Détail que le jeune homme avait fini par comprendre quand il avait réussi à s'intéresser un peu moins à garder Jiro dans ses bras, et un peu plus à discuter avec lui. En apprendre un peu plus sur l'entourage familiale de son compagnon n'avait pas été difficile, et le résultat... surprenant ?
Et adorable de savoir que Jiro avait abandonné l'avenir de sa famille pour se consacrer à sa passion, l'enseignement.

Le kendoka atteignit le dernier étage de l'immeuble sans incident. Quand Jiro lui avait laissé la clé de son appartement – question de pratique et pour éviter qu'il ne croise le gardien à chaque fois – le jeune homme en était resté sans voix, la main serrée sur la petite clé sans arriver à exprimer ce qu'il ressentait. Le long baiser qui avait suivi avait du suffire à transmettre ses sentiments.

Eiji referma la porte sans bruit derrière lui et se déchaussa, cherchant à entendre les bruits qui trahiraient la présence de Jiro. Quelques éclats métalliques lui apprirent que l'homme était dans la cuisine, sans surprise à cette heure. Avec un sourire, le sportif déposa son sac sur le canapé avant de se diriger dans l'autre pièce, prenant plaisir à surprendre l'autre homme en passant ses bras autour de sa taille par derrière.

" Bonsoir. "

Un petit baiser sur la nuque vint compléter le salut alors qu'il s’enivrait de l'odeur de ses cheveux, le visage quasiment dans son cou. Il y avait certaines choses auxquelles il pouvait s'habituer.

Depuis le début des vacances, Jiro n'était pas descendu de son petit nuage rose et cotonneux de bonheur. L'été était passé comme dans un rêve et la rentrée n'avait guère été différente. Les semaines de cours précédaient les week-ends cocooning en amoureux. C'était avec une certaine fébrilité que l'enseignant vivait les dernières heures d'attente du vendredi soir et, invariablement, s'installait devant les fourneaux pour ne pas rester les yeux rivés sur l'horloge. Une conspiration des kamis faisait que les aiguilles avançaient toujours trop lentement...

Ce soir, il s'y était attelé de bonne heure. Le plat typique espagnol qu'il avait promis à Eiji demandait un temps de préparation et de cuisson plutôt long. La paëlla emplissait déjà la pièce d'une douce odeur de safran lorsque deux bras passèrent autour de sa taille. Jiro suspendit ses gestes dans un sursaut et frissonna sous les lèvres tièdes. Il reposa doucement les baguettes de cuisine sur le plan de travail, pour pouvoir enfin se retourner et offrir un sourire à celui qu'il attendait depuis bien trop longtemps à son goût.

" Bonsoir, toi. "

Prisonnier des bras du kendoka, Jiro vint chercher le premier baiser après une longue semaine d'abstinence. Il y en aurait beaucoup d'autres durant le week-end, mais celui-ci avait une saveur particulière. Comme un goût de délivrance, de "enfin"...
Tout en l'embrassant, le kyudojin glissa ses doigts dans les cheveux fins d'Eiji, tandis que ce dernier le pressait contre lui. C'était avec un certain étonnement mêlé d'une pointe de satisfaction à peine dissimulée, qu'il avait découvert son amant tactile et possessif. Si le caractère entier du jeune homme laissait présager du second, le premier était plus surprenant, surtout pour un japonais pure souche. Lui qui avait gardé quelques habitudes d'Espagne, ne pouvait qu'en être ravi.

" Tu m'as manqué. "

Le voir en cours ou le croiser au dojo n'était pas suffisant. Ils se devaient de donner le change pour garder leur relation secrète. Le mieux qu'il pouvait se permettre, était d'agir envers Eiji comme s'il s'agissait d'un élève un peu privilégié. Parce qu'ils venaient du même endroit et parce qu'il était son sensei de kyudo - même s'ils n'avaient toujours pas parlé de reprendre l'entraînement ensemble -, mais guère plus... Leur bonheur valait bien de supporter ces petits inconvénients. D'ailleurs, Jiro se découvrait des capacités insoupçonnées jusqu'à lors, depuis qu'il s'agissait de protéger Eiji et leur relation. S'il ne pouvait dissimuler son bonheur, mentir sur les raisons de ce dernier s'avérait étrangement facile.

" Alors cette semaine ? Pas trop difficile ? "

C'était agréable. Familier.
Quand Eiji s'était jeté à corps perdu dans cette relation, il savait ce qu'il voulait : Jiro. Ce qu'il ne savait pas, c'était ce qu'il obtiendrait, cette relation complexe et complice, ces discussions au chaud dans la cuisine à regarder Jiro faire la cuisine... C'était ça une relation ? Il savait bien qu'il y avait au delà d'accompagner une petite copine manger une crêpe, ou lui tenir ses sacs pendant qu'elle faisait du shopping et essayer des vêtements mais... à dire vrai, la question ne s'était jamais posé, du moins pas dans ce sens. La logique voulait qu'il se familiarise avec une fille de son âge, qu'il aurait croisé régulièrement au lycée, avec qui il aurait fait quelques sorties le week ou des soirées karaoké... et ne se préoccuper du côté solide de la relation, vivre avec l'autre, quelques années plus tard, après l'université. Il ne regrettait pas d'avoir sauté quelques étapes.

Eiji résista à l'envie de le coller contre la table de la cuisine pour lui montrer à quel point il lui avait manqué et se contenta de poser le menton sur son épaule pour regarder avec curiosité le contenu des plats sur la gazinière. Le riz d'un jaune intense semblait narquer sa méconnaissance. Le fameux plat espagnol de Jiro ? Ce qu'il ne fallait pas accepter de faire, ou de gouter, par amour de l'autre...

" Ca a été. Même si je crois que le prof d'anglais nous en veux depuis le cours de lundi, il nous a encore refilé des devoirs à faire pour lundi prochain..."

Alors que le cours du mardi avait été hautement plus sérieux que celui du lundi, et son devoir assigné rendu exactement avec 101 mots de plus – comptés avec l'aide de Hugh, ravi de participer à ce petit jeu. Le gouvernement anglais lui paraissait toujours aussi obscurs et inintéressant, et continuer à travailler autour ne réveillant aucun écho, pas même le moindre vague intérêt, chez le jeune homme. Quand à l'idée de devoir prendre un peu sur son temps avec Jiro pour réaliser ce fichu devoir qu'il n'avait pas eu le temps de faire depuis mardi lui hérissait un peu les nerfs. Cependant, la possibilité d'aller voir le prof pour lui expliquer qu'il n'avait pu faire son exercice pour cause de devoir en amoureux lui semblait hautement délicate, et ce même si l'homme en savait plus sur sa vie amoureuse que la plupart de ses camarades de classe.

Repoussant cette pensée un peu agaçante, Eiji frotta sa joue dans l'épaule de Jiro, cherchant le contact avec un plaisir d'addict en manque de sa substance favorite. Si quelqu'un lui avait dit qu'il finirait aussi câlin qu'un chat dans les bras de quelqu'un... il se serait maté et aurait proposé une petite dizaine de kilomètres de courses pour se remettre les idées en place.
En parlant de chat, Hime daigna s'approcher et lui frôler le bas de son pantalon pour rappeler sa présence avant de disparaître sans un regard de plus à son égard. Surement devait-il déjà s'estimer heureux qu'elle daigne le remarquer. L'indifférence que lui portait la chatte n'avait d'équivalent que celle que lui portait Eiji, bien trop intéressé par son maître.

" Et toi, tes élèves ont été sages, pas de surprise en salle des profs ? "

Jiro ne put retenir un léger rire au commentaire au sujet du cours d'anglais. Ca avait été le sujet de l'agacement d'Akutsu le lundi midi, à la pause déjeuner, avant de se changer en sujet de taquinerie le soir même autour d'un verre, alors qu'ils étaient sortis en ville avec Cathan. Se faire draguer en plein cours n'était pas l'évènement le plus fréquent qui soit - même s'il avait réveillé un certain écho en lui malgré la différence des deux situations - et, connaissant l'élève impliqué, ils pouvaient se permettre d'en rire plutôt que de s'en inquiéter.

" Ah, oui. Le cours d'anglais... Il parait que Sadamori-kun a encore fait des siennes. J'avoue que je ne sais pas trop comment j'aurais réagi à la place d'Akutsu. "

Le souvenir de sa rencontre avec Yahei sur le Mont Takao s'imposa à lui. Avec les bouleversements des vacances, il avait presque oublié qu'il voulait porter un peu plus d'attention aux problèmes de cet élève. Il faudrait qu'il trouve un moment pour lui parler. Après un entraînement du club, peut-être... Enfin, il verrait ça lundi. Pour le moment, celui qui le tenait dans ses bras l'intéressait bien plus.

" J'ai également appris que tu n'avais pas été des plus attentifs pendant ce cours... "

Le sourire taquin et le regard pétillant qu'il posa sur Eiji, étaient dénués de tout reproche. Rien de plus normal à ce que les élèves ne soient pas attentifs en permanence. S'il les rappelait à l'ordre en tant que professeur, il n'allait certainement pas le faire en tant que petit ami. Quant à ce fameux cours, c'était plutôt le cumul qui avait fait craquer son collègue.

" En tout cas, ça a dû vous marquer : vous avez été adorables le reste de la semaine. "

Rieur, Jiro embrassa à nouveau le kendoka, avant de se retourner pour remuer un peu la grande poêle et vérifier que son contenu n'attachait pas. Il baissa la température et couvrit, afin de pouvoir se consacrer sans arrière-pensée à son amant. Il l'entraîna donc dans le salon, abandonnant la cuisine où le plat mijotait tranquillement à présent.

" Tu as beaucoup de travail pour la semaine prochaine ? A part l'anglais, évidement. "

Eiji renifla et suivit docilement Jiro vers le salon, ou du moins avec une relative docilité qui consistait à glisser ses bras autour de la taille de l'autre homme et voir jusqu'à quel point il pouvait l’empêcher d'avancer droit en le cajolant ou en glissant des mains froides sous sa chemise. Le canapé arriva heureusement bien vite pour donner un support à ses câlineries demandeuses. La question sur les devoirs l'interrompit, le jeune homme offrant un petit sourire en coin à son amant alors qu'il calait son menton contre son épaule.
La drague un peu lourde de Sadamori lui était vite sortie de la tête : ce type faisait tout pour se faire remarquer dans la plupart des cours, et se débrouillait pour s'en sortir sans trop de dommages grâce à ses capacités intellectuelles. Un petit malin en gros. Mais pas assez bon sportif pour qu'Eiji puisse le contempler sans une once d'agacement : ce type avait l'impression de tout faire sans jamais donner de lui ou faire aucun effort !
Le jeune homme chassa l'autre troisième année de son esprit – n'essayant même pas de l'imaginer en train de faire son tour de drague avec Jiro sous peine de devoir rentrer au lycée pour lui coller un direct sans préavis – et considéra la question avec un soin tout particulier.

" J'ai quasiment tout fini, à part les maths et l'anglais. Les maths, je pourrais les faire lundi aprèm, je pense que je pourrais bosser avec Hugh et Kantaro. L'anglais par contre... "

Le kendoka s'interrompit dans ses explications pour jouer avec un bouton de la chemise de Jiro, cherchant un peu plus d'espace pour venir caresser les flans du professeur d'espagnol. Le temps de la timidité avait disparu, laissant place à un jeune adulte particulièrement curieux d'expérimenter. Et ce même s'il avait encore ses moments de gêne ou d'inquiétude, souvent noyé au milieu de l'excitation du moment. Heureusement pour lui, Jiro était extrêmement patient, même s'il n'était pas sur de toujours vouloir savoir ce que son aîné pensait de lui dans ce genre de moment.

" J'ai pas tellement envie de passer des heures à faire des recherches sur le parlement anglais ce week-end... Tu voudras bien m'aider ? "

Pour accentuer sa demande – et la raison de sa demande – une offrande fut offerte sous forme d'un petit baiser déposé derrière l'oreille du kyudojin. Il n'avait vraiment pas envie de faire des recherches en anglais. En temps normal, ce n'était déjà pas sa tasse de thé, mais s'il devait en plus le faire pendant qu'il aurait pu passer du temps avec Jiro... c'était un coup à avoir envie de balancer son shinai à la tête de Moe-san.
S'il n'était pas doué pour faire le regard de Shizuka – comme lui avait faire remarquer Hugh, ce genre de truc marchait beaucoup mieux quand on ne faisait pas 1m80 avec des muscles saillant sous la peau – Eiji y tenta quand même sa chance, tout en essayant de cacher le sourire matois qui tentait vaillamment de prendre les dessus sur son visage.

Atteindre le canapé ne fut pas une épreuve des plus faciles avec Eiji qui l'assaillait de câlins. L'arrivée sur le canapé - ou plutôt l'effondrement sans délicatesse des deux hommes sur ce malheureux sofa - fut accueillie avec soulagement et rire. Qu'il était loin le jour où, sur ce même canapé, Jiro avait finalement accepté cette relation. Les premières caresses hésitantes de son jeune amant avaient laissé place à des gestes bien plus affirmés. Et s'il restait des moments de gêne, ce n'était plus pour un simple baiser ou une main posée sur la cuisse.

D'ailleurs, après lui avoir répondu, le kendoka s'enhardit à déboutonner partiellement sa chemise. Les mains caressant ses hanches provoquèrent un frisson qu'il eu du mal à retenir. Une semaine sans contact physique alors qu'ils se voyaient tous les jours, le mettait dans un état de manque certain, le faisant réagir au moindre effleurement. Aucun doute qu'il devait en être de même pour Eiji. Cela sautait aux yeux rien qu'à la façon affamée qu'il avait de le regarder en arrivant chez lui chaque vendredi soir.

La demande qui suivit laissa Jiro estomaqué et sans voix. Non pas par le contenu de cette dernière - il ne s'agissait que d'épargner quelques heures de recherches, pas de faire le devoir à sa place -, mais par la façon dont Eiji s'y prenait. Entre le baiser sur la tempe, les caresses sur ses hanches, et le regard qui tentait de se faire suppliant malgré le sourire séducteur... le kendoka se rendait-il compte qu'il usait de séduction pour faire sa demande ? En tout cas, ça faisait son petit effet et Jiro déglutit difficilement au moment de prendre la parole.

" C'est quoi cette façon de faire ? "

Le faux ton de reproche n'aurait dupé personne. Un sourire sur les lèvres, Jiro vint chercher celles d'Eiji avec une certaine retenue. Ca allait vraiment être difficile de faire ce devoir et de manger avant de pouvoir combler leur manque. Mais, jusqu'à présent, l'enseignant avait réussi à canaliser les pulsions de son petit ami et ses propres désirs, afin qu'ils ne se sautent pas dessus dès qu'ils étaient enfin seuls dans l'appartement, alors il n'allait quand même pas craquer cette fois-ci sous prétexte qu'Eiji se montrait plus enjôleur.

" D'accord pour te donner des informations, mais pas plus. Ca ne t'aiderait pas à progresser et, de toute façon, ça se verrait. "

Eiji se redressa un peu, entre vexé et attisé par la retenue de Jiro. Même s'il comprenait la logique et tout ça... il ne voyait pas en quoi en elle avait besoin de s'appliquer maintenant. Ils se retenaient déjà toute la semaine, pourquoi encore maintenant ? Le jeune homme planta son regard dans les yeux sombres de son amant, un sourire amusé sur les lèvres. Sans se démonter, Eiji attrapa Jiro de manière à le coincer entre son corps et le canapé, pesant contre lui pour l’empêcher d'aller trop loin. Pouvoir se servir de ses capacités physiques pour le garder avec lui n'était pas encore quelque chose qu'il avait beaucoup étudié mais qu'il devinait délectable. Le kyudojin faisait à peu près sa taille, mais n'avait ni la carrure ni les muscles qu'il fallait pour l'empécher de le tenir. L'idée était... intéressante.

" Ma façon de faire ? Elle est pas pire que la tienne quand tu entraines tes élèves de Kyudo. Tu es vraiment obligé de les attraper par les hanches pour les aider à se rééquilibrer ? "

Il n'avait jamais perçu le kyudo dans cette lumière jusqu'à entrapercevoir la proximité entre Jiro et ses élèves. Entre Dojima et Sadamori, le kendoka devait se retenir de ne pas grincer des dents et de balancer malencontreusement son shinai dans leur direction. De la part du président du club, tant d'animosité aurait posé soucis, surtout entre deux clubs qui avaient la réputation de bien s'entendre. Aussi, à la place, le kendoka se contentait de faire répéter inlassablement leurs exercices à ses poulains jusqu'à ce qu'ils en tombent d'épuisement, au milieu des bruis incessants des lattes de bambou qui tapaient l'une contre l'autre. Tout, plutôt que de regarder Jiro, ses gestes doux et surs, et la manière dont ses mains venaient tendre la corde de son arc.
D'une manière qui n'était pas vraiment sa volonté propre, mais plus un instinct de propriété qu'il se découvrait à l'instant, les mains du sportif remontèrent chercher celles de Jiro pour enserrer les poignets et le retenir un peu plus contre le sofa, si par hasard le poids de son corps en lui-même n'avait pas suffit.

Prendre le dessus ? Dire qu'il n'avait pas déjà fantasmé dessus aurait été mentir, mais dans ses rêves, ses manières étaient plus suaves, plus romantiques. Il fallait croire que dans la réalité, il n'avait rien d'un grand séducteur qui faisait ployer Jiro dans sa direction. Comme toujours, sa spécialité résidait dans la force brute.

" T'as qu'à imaginer que c'est pareil pour l'anglais..."

Bizarrement, la notion de devoir d'anglais était passée au second plan, voir au troisième ou au quatrième, loin derrière ce qui était sous ces mains en cet instant et l'idée de faire l'exercice n'était plus qu'une excuse pour coincer Jiro entre lui et les moelleux coussins. S'il était oublié dans l'affaire, le jeune homme n'avait plus vraiment l'esprit aux soucis que cela pourrait poser en cours dès le lundi matin. Les hormones étaient vraiment une chose merveilleuses contre les angoisses et les responsabilités. La réaction du prof d'anglais au mot d'excuse accompagnant un tel devoir oublié serait surement magnifique.

Son cœur s'accéléra brusquement lorsqu'il se retrouva coincé entre le canapé et le corps d'Eiji. Cette façon que le jeune homme avait de se montrer de plus en plus dominant, reflet de sa prise d'assurance dans ce domaine encore nouveau pour lui, le faisait souvent fantasmer sur l'évolution de leurs rapports. Jiro leva le regard pour croiser celui de son amant, avant d'afficher une expression surprise à ses dires.

" Hein ? "

Par quel enchaînement les pensées d'Eiji en étaient-elles arrivées à ses élèves de Kyudo ? Et, surtout, que voulait-il dire au juste ? L'apprentissage du kyudo, hormis les bases et la théorie, se passait de mots. Seuls les actes amenaient à la progression. Jiro n'avait jamais vu de problème à cela et n'en voyait toujours pas, même après les paroles de son petit ami. Il y avait bien perçu la jalousie, mais ne comprenait pas d'où elle surgissait.

Cependant, la totale incompréhension fut rapidement oubliée, tout comme la question qu'il voulait prononcer, lorsqu'Eiji lui attrapa les poignets dans un geste un peu brusque et surtout possessif. Il tenta vaguement de s'en défaire, plus pour tester la fermeté de la prise que dans une réelle volonté de s'échapper. Un léger gémissement filtra sous la poigne forte du kendoka. Les dernières paroles lui échappèrent totalement, obnubilé qu'il était par les lèvres qui les prononçaient, et Jiro préféra les sceller d'un baiser enflammé. Difficile d'occulter le désir qui le tiraillait à présent. Dans un recoin de son esprit, les notions de paëlla et d'anglais s'éclipsèrent discrètement. Il y avait plus urgent dans l'immédiat.

" Eiji... prends-moi... "

Et dire qu'il ne voulait pas se laisser aller à ses instincts pour ne pas effrayer son jeune amant... Il en oubliait même de lui demander s'il se sentait prêt à franchir ce nouveau stade.

La demande de Jiro brûla dans son bas ventre comme un arc électrique, le figeant sur place, le regard rivé à celui de son aîné, avant qu'il ne se penche sur lui pour l'embrasser avec une passion qui flirtait avec la brutalité. Se voir offrir le fantasme qui le hantait tant depuis ces dernières semaines avait quelque chose d'ennivrant, même si l'espace d'un instant, le jeune homme resta perdu, incapable de faire plus que de rester contre Jiro avec la vague idée de le dévorer.
Mais bien vite le désir, et l'apprentissage passionné que lui avait prodigué son amant vinrent lui donner quelques idées sur la suite des évènements.
La chemise de Jiro ne résista pas à son enthousiasme, le tissu gémissant plaintivement avant de céder sous l'insistance du jeune homme qui ne voulait rien tant qu'enfin gouter à la peau de l'autre, sans restriction.

La douceur d'Eiji était illusoire, pleine de bonnes intentions mais masquée par une force physique mal maîtrisée devant l'impératif de sa passion. Comme toutes les fois, où, plus jeune, il avait fait mal sans le vouloir en jouant avec ses camarades, il était aujourd'hui un peu trop rude avec Jiro, l'attrapant avec plus de fermeté qu'il n'aurait du utiliser dans ce genre de jeu amoureux. Quelque part, avec un peu de honte, il ne pouvait qu'admettre que pouvoir maîtriser physiquement son amant l'excitait, un doux poison auquel il venait de gouter et qui l'enivrait.

" Jiro..."

Le sportif se redressa, s'interrompant dans ses caresses le temps d'observer son amant. Les yeux dans le vague, échevelé, le souffle court, les lèvres carmines d'avoir été trop embrassées et appelant à nouveau les baisers, la chemise déchirée ouverte sur un torse que le kendoka avait déjà constellé de baisers et de petits morsures, le sage professeur d'espagnol avait l'air parfaitement débauché. Qui plus est, il était entièrement sien à débaucher. Et si, quelque part au fond de son esprit, Eiji savait parfaitement qu'il avait du avoir d'autres personnes dans sa vie, le jeune homme était bien décidé à ce que cette image soit maintenant uniquement et entièrement à lui.

Rechignant à lacher les bras de son amant, mais conscient qu'ils risquaient de rester bloqués dans la même position s'il ne lui rendait pas une partie de sa liberté, Eiji finit par laisser glisser ses mains plus bas, cette fois-ci bien plus hésitant sur la suite des évènements, presque délicat par rapport à son comportement précédent. Ce fut avec une délicatesse qui frôlait la révérence que l'étudiant ouvrit le pantalon de son amant, lui jetant quelques regards par en dessous pour vérifier son approbation.

Pendant un instant, il avait eu peur d'avoir perturbé Eiji par sa demande directe et si osée. Peut-être ne se sentait-il pas prêt. Après tout, Jiro avait toujours mené jusqu'à présent. Pourtant, il était à peu prêt certain que son amant préférerait prendre le contrôle. C'était bien plus dans son caractère. Mais finalement, après un moment d'hésitation, Eiji lui avait répondu de la façon la plus explicite qui soit.

Le cœur battant à tout rompre, Jiro subissait les assauts du kendoka avec un plaisir croissant. La perte de sa chemise lui arracha un gémissement d'excitation. Les mains enserrant ses poignets lui faisaient l'effet d'un aphrodisiaque puissant. Il y avait dans les gestes d'Eiji une certaine brutalité qui n'avait rien de violent. Elle relevait d'un désir non contenu, d'une force mal maîtrisée et de l'expression de sa possessivité. Pour être honnête, le jeune professeur n'en était pas surpris, au contraire, et il devait avouer qu'il adorait ça. Ses gémissements auraient eu du mal à faire croire le contraire.
C'est le souffle court et les joues rouges, que Jiro posa un regard fiévreux sur son jeune amant qui semblait particulièrement satisfait de l'avoir mis dans cet état. La légère hésitation de ce dernier amena un sourire tendre sur ses lèvres. A sa manière, Eiji était réellement attentionné.

Dans un premier temps, l'enseignant aida son cadet à faire glisser son pantalon à ses pieds puis, profitant de sa liberté provisoire, s'échappa du canapé en direction du couloir. Il y fut rapidement rattrapé et plaqué contre le mur avec rudesse. Joueur, Jiro s'évertuait d'échapper à Eiji pour atteindre la chambre, tout en semant les vêtements au fil de leur progression. Lorsque le jeune homme le poussa sur le lit, il n'avait plus que son boxer sur lui, et le kyudojin sa chemise déchirée. Le brun tenta une dernière fois de s'échapper, en vint. Le jeu était fini : Jiro laissait Eiji maître de la suite.

Son souffle avait du mal à se calmer. Son corps frissonnait à intervalles réguliers. Son cœur peinait à retrouver un rythme plus lent. Contre lui, la peau d'Eiji, aussi moite que la sienne, se soulevait de façon toute aussi irrégulière. L'harassement après l'amour était agréable. D'autant que, cette fois, il y avait un plus non négligeable.

" Je t'aime, Eiji. "

Jiro alla cueillir un baiser. Le regard plongé dans celui de son amant en disait long sur ses sentiments, bien plus que les mots prononcés à l'instant. Lové au chaud entre les bras à la fois câlins et protecteurs d'Eiji, il se sentait si bien. Dommage qu'une sensation peu agréable ne finisse par le ramener à des considérations plus terre à terre...

" Il faudrait que je prenne une douche... "

Une légère rougeur marbra ses joues. Ce n'était pas une simple douche qu'il lui fallait. L'oubli d'Eiji l'obligeait à un nettoyage plus... poussé... Et c'était un peu embarrassant, sachant que le jeune homme n'avait jamais eu à faire à cette situation. Comment allait-il prendre cet aspect d'une relation sexuelle ?
Jiro esquissa un sourire devant la tournure ridicule que prenaient ses pensées. Il se redressa pour s'étirer, et étouffa de justesse un gémissement douloureux. Eiji ne s'était pas montré des plus délicats pour cette première inversion des rôles. Il ne s'en était pas plaint, au contraire, mais la légère douleur lui rappelait avec amusement l'inexpérience de son amant.

Après un dernier baiser, Jiro s'éclipsa dans la salle de bain. Tout en se demandant si Eiji l'y rejoindrait ou pas, il se glissa sous le jet d'eau chaude pour se débarrasser de la transpiration avant de passer à l'étape plus délicate.

Paresseusement, Eiji s'étira dans le lit en suivant du regard la silhouette gracieuse de Jiro, jamais rassasié à la vue de son amant. Une certaine langueur l'invitait à profitait du cocon tiède des draps, un fait nouveau pour un athlète toujours en mouvement le reste du temps. Ce ne fut que quand le bruit de l'eau se fit entendre dans la salle de bain que le jeune homme daigna jeter ses jambes hors du lit et se lever pour aller rejoindre le kyudojin, appréciant à sa juste valeur les sensations dans ses muscles de sportif entraîné.

Dans la salle de bain, la vision du corps du jeune homme à travers la vitre embuée de l'espace clos l'arréta net dans son mouvement. Il ne s'était jamais cru contemplateur. L'immobilisme ou l'esthétique étaient des notions qu'il connaissait, qu'il appréciait un minimum en fervent adepte des arts martiaux, mais comme son manque de patience pour le kyudo le laissait deviner, ce n'était pas quelque chose dans lequel il se sentait à l'aise ou adepte. C'était juste un bonus par rapport au reste. Face à Jiro par contre... il aurait pu rester des heures à le contempler sous toutes ses coutures. Un fin sourire aux lèvres, le jeune homme resta appuyé contre la douche en le regardant, appréciant les petites marques qu'il avait pu laisser sur lui, jusqu'à ce que le regard de Jiro monte vers lui, surpris.
A ce moment seulement, Eiji entra dans la douche, laissant l'eau brulante masser ses épaules tendues. Sans attendre, ses bras se refermèrent autour du corps plus fin que le sien et un baiser attérit sur sa nuque, miroir de celui offert quand il était rentré dans l'appartement un peu plus tôt dans l'après-midi.

Après l'amour, le kendoka avait toujours un moment de latence avant de se souvenir les limites de leur deux corps. Qu'il ne pouvait pas tout simplement le serrer jusqu'à ce qu'ils ne fassent qu'un. Il finit par retrouver l'usage de sa voix, quoique encore un peu rauque.

«  Désolé si je t'ai fait mal. »

L'excuse du jeune homme était ambivalente, perdue entre l'étreinte délicieuse qu'il avait vécu – et que son amant avait eu l'air d'apprécier – et la sensation d'avoir été une vraie brute sans délicatesse et pas terriblement attentif à son amant. Loin des idées de séduction amoureuse auquel il avait rêvé au fond de son lit glacé de sa chambre d'interne à Gingko Gakuen. Non qu'il en soit étonné : malgré tous ses efforts, toutes les heures de sport pour évacuer l'énergie ou la frustration, la brute était toujours à fleur de peau en lui, comme s'il était dévoré par un virus violent qui lui laissait des moments de répit avant de l'enflammer de plus belle, Jiro en étant le catalyseur.

Les muscles échauffés et tendus semblaient apprécier à sa juste valeur la chaleur relaxante de la douche. Un plaisir non négligeable après les ébats amoureux. Dans un soupir satisfait, Jiro commença à se savonner, laissant le parfum léger du gel douche l'envelopper. Un sourire rêveur se dessina sur ses lèvres alors que ses doigts effleuraient une marque de dents sur son épaule, un peu plus prononcée que les autres. Son amant aimait marquer son territoire...

La sensation d'être observé lui fit relever la tête, une expression de surprise s'affichant alors qu'il suspendait ses gestes, se demandant depuis quand le jeune homme était là. Jiro le regarda entrer dans la douche pour le rejoindre, ne se privant pas de laisser ses yeux glisser sur le corps musclé. Il y avait un moment qu'Eiji semblait s'être habitué à son regard appréciateur, voir gourmand, qu'il ne retenait donc plus à présent.

Le kyudojin ferma les yeux lorsque les bras de son amant se refermèrent sur lui, mais ne put retenir un rire à l'excuse.

" Si tu m'avais vraiment fait mal, je te l'aurais dit. Idiot. "

Après s'être retourné dans les bras d'Eiji pour lui faire face, il exécuta une petite pichenette sur son nez.

" J'ai passé un excellent moment. Et ça ne me dérange pas que tu sois un peu brusque. C'est comme ça que je t'aime. "

Jiro dessina du bout des doigts le contour des lèvres avant de les embrasser avec douceur. La délicatesse, c'était sa manière de faire, pas celle d'Eiji. Il préférait largement que le jeune homme reste lui-même plutôt que de chercher à l'imiter.

" Tout le monde marche, mais chacun a sa propre foulée. N'est-ce pas ? "

Jiro se libera de l'étreinte avec un sourire tendre, pour s'atteler au rinçage du savon qui recouvrait son corps. Cela lui laissait le temps de réfléchir à la façon de présenter les choses lorsqu'il passerait à la partie plus intime de sa toilette...

Ses joues se marbrèrent légèrement quand le moment arriva. C'était la première fois qu'il se retrouvait à devoir expliquer cette partie moins agréable d'une relation sexuelle. Eiji allait certainement être mortifié d'avoir oublié le préservatif s'il choisissait mal ses mots...
Ce fut donc avec beaucoup de prudence qu'il présenta la chose, tout en omettant les détails non indispensables.

Eiji enfouit sa tête dans l'épaule de Jiro à son explication. Avoir un partenaire plus âgé que lui - plus mur et plus assuré – avait ses avantages, surtout dans ce genre de situation où il n'arrivait pas à se sentir complètement sur de lui. D'un sourire, son amant semblait pouvoir étouffer ses incertitudes.
De la même manière qu'il guidait ses élèves ou ses étudiants au Kyudo, mais il préférait ne pas penser à cette idée. Ne pas se focaliser sur le fait, qu'à un certain point, il n'était pas tout à fait au même niveau et qu'il essayait désespérément de courir derrière lui pour le rattraper et affirmer sa position. Pas étonnant qu'il est tant besoin de marquer son appartenance dans la chaire même de son amant.

Les joues presque aussi rouges que celles de Jiro, le jeune homme suivit les explications plus délicates. O... qui aurait pu imaginer que le sexe avait des côtés aussi peu... pratique ? Heureusement pour lui, le jeune homme flottait encore dans une béatitude post-orgasmique suffisante pour ne pas en être trop horrifié, avec la vague idée au fond de son crâne qu'il avait encore pas mal de chose à apprendre.

Quand enfin ils sortirent de la douche, rassasiés de caresse et de contact pour le moment, Eiji s'enveloppa dans son yukata en jetant un coup d'oeil par la fenêtre. L'obscurité avait envahi le ciel définitivement, lui donnant plus que jamais envie de rester à l'intérieur de son cocon sans s'intéresser au monde extérieur. Lui qui d'habitude ne supportait pas de rester enfermé... Jiro était bien le premier qui l'avait fait renoncer à son jogging du matin pour un sport plus intéressant à l'intérieur.
Le yukata bleu foncé qu'il venait de nouer avait été un des premiers cadeaux de Jiro, pour porter chez lui dans ce genre de circonstance. Le jeune homme n'était plus très sur de pouvoir remettre ce genre de vêtement sans penser à quel point c'était confortable et... pratique pour glisser ses mains en dessous. Le prochain festival allait être dur à tenir.

Jiro sortit de la salle de bain juste derrière lui, cheveux humides et regard rêveur, tentant au point qu'il ne résista pas à l'envie de passer à nouveau ses bras autour de sa taille pour nicher son menton au creux de son épaule. Comment pouvait-on vivre quand on n'était jamais rassasié du contact de l'autre ? Que dès que son regard se portait sur lui montait une soif qui ne demandait qu'à être assouvi ? C'était effrayant à quel point il avait envie de lui, d'être avec lui... Qu'était le plus angoissant ? De se dire qu'il allait s'estomper avec le temps, ou qu'au contraire, il allait passer le reste de ses jours à perdre ses moyens à cause de ses pulsions devant lui ?

Joueur, le kendoka tira légèrement sur le yukata de son partenaire pour le remettre droit, lissant les plis et le nœud de sa ceinture jusqu'à lui donner un aspect irréprochable de jeune homme de bonne famille... ce qu'il était jusqu'au bout des ongles, sauf quand il avait l'air débauché comme à l'instant.

«  Tu m'aides pour mon anglais maintenant ? »

Malgré un léger malaise, Eiji semblait avoir intégré les informations sans en être trop traumatisé. Le reste de la toilette se déroula donc comme à l'accoutumée, entre savonnage, caresses sensuelles, rinçage et baisers tendres. Ce qu'il pouvait aimer les douches du week-end !
Jiro esquissa un sourire amusé lorsque, plus par jeu que par réelle nécessité, son petit ami réajusta son yukata. Par mimétisme, il glissa ses doigts le long du cou d'Eiji pour remettre son col correctement, puis glissa le long de la bordure du tissu bleu foncé pour s'arrêter sur le torse. Un baiser sur la tempe en guise de réponse et ils quittèrent la salle de bain.

" Je te propose de manger avant. La paëlla doit être prête à présent. Et puis, l'activité physique ça creuse : je meurs de faim ! Pas toi ? "

Le repas se déroula comme chaque vendredi soir, chacun racontant à l'autre sa semaine. Même s'ils se voyaient en cours et au dojo, ils ne pouvaient parler que très peu en privé. De temps en temps, ils arrivaient discrètement à se voir quelques minutes. Mais c'était très rare et la prudence ne leur permettait guère d'écart de conduite. Ce qui rendait chaque minute du week-end particulièrement précieuse...

Une fois la vaisselle faite, essuyée et rangée, les deux hommes s'installèrent sur le canapé, Jiro avec un livre, Eiji avec ses cours. L'enseignant laissa cependant son ouvrage de côté pour plus tard, puisqu'il avait promis d'aider un peu son amant en anglais. Il se pencha donc avec lui sur le sujet du devoir. Le parlement anglais... Le professeur d'espagnol se demanda un instant comment Akutsu arrivait à intéresser ses élèves avec des sujets pareils. Les deux amis avaient beau partager la même passion et la même vision de l'enseignement, leurs méthodes étaient en revanche très différentes.

" Tu as juste besoin d'informations sur le parlement, c'est ça ? Sur son fonctionnement politique, ou sur le bâtiment et son architecture ? "

Le domaine architectural lui semblait plus intéressant pour des élèves de lycée, mais connaissant le rouquin, il pouvait parfaitement lui avoir préféré le côté politique. Heureusement, dans les deux cas, il s'y connaissait suffisamment pour pouvoir fournir des bases convenables au devoir d'Eiji.

Le jeune homme attrapa la feuille de cours d'un geste las, observant le sujet avec autant le même enthousiasme qu'une vache observant l'étal d'un boucher. S'il n'avait été motivé à travailler avant, maintenant qu'il avait Jiro à portée de mains et de câlins, l'idée de redevenir sérieux pour rédiger son devoir, même aidé, ne le tentait pas le moins du monde. La question de Jiro, bien plus posé et attentif que lui, lui arracha un demi-sourire alors qu'il cherchait dans ses souvenirs la réponse. Qu'avait donc dit Moe-sensei à ce sujet ? Avait-il précisé quelque chose d'ailleurs ? Ils avaient déjà abordé la politique en cours – sujet on ne peut plus casse-bonbon d'ailleurs. Il était déjà ennuyé par le fonctionnement de la Diète, alors le parlement anglais, merci bien. Pour se donner relative bonne conscience, le kendoka haussa les épaules et replaça sa feuille sur la table basse, se redressant au passage pour donner l'illusion d'un étudiant appliqué qui allait bien travailler.
Illusion difficilement maintenue par son regard à moitié paumé et ses cheveux en bataille. Nul doute que si un de ses camarades s'était ainsi présenté à un cours de kendo, il l'aurait envoyé courir jusqu'à ce qu'il soit plus motivé pour un réel entraînement.
Néanmoins, il y avait une certaine crédibilité dans sa voix quand il parla. Ou une once d'intérêt presque crédible, à tous le moins.

" On a déjà parlé de la politique en cours... alors ouais, ça doit être ça, sur l'architecture."

Est-ce qu'on pouvait même tenir une page complète sur l'architecture ?
A priori, oui, voir même un peu plus. Patiemment, Jiro commença à lui parler des particularités de l'édifice, des dates de construction, de sa fonction première du style... le tout pendant qu'Eiji prenait patiemment des notes, corrigeant le jeune homme quand il écrivait des erreurs dans la retranscription de l'oral.
Prise de note sage qui dura bien quinze minutes, jusqu'à ce que la main gauche du sportif, éprise de liberté, ne commence à dériver sur la cuisse de Jiro, cherchant à soulever un des pans du yukata sans donner trop l'impression de se désintéresser de l'anglais.

Difficile de rester sérieux longtemps quand on a le choix entre bosser ses cours et tenter de convaincre son amant d'expérimenter un peu plus. Le jeune homme voulait bien tenter les deux... mais à Jiro de réussir à le garder motivé pour l'anglais ! Au regard en coin lancé par les yeux sombres du sportif, on pouvait déjà deviner qu'une telle résolution allait être difficile.

Le jeune kendoka n'avait pas l'air sûr de lui, mais Jiro ne pouvait guère répondre à cette question à sa place. A défaut de certitude, le sujet serait donc l'architecture. Et puis connaissant le professeur d'anglais, s'ils avaient vu l'aspect politique en cours, il y avait de bonnes chances qu'Eiji ne se trompe pas. Un petit rictus amusé se dessina sur ses lèvres tandis qu'il fouillait sa mémoire à la recherche de tout ce qu'il savait sur le palais de Westminster et la tour de l'horloge, alias Big Ben. Aider son amant ne le dérangeait pas, du moment qu'il le faisait en japonais. Après tout, que ce soit lui ou internet qui fournisse les informations, l'essentiel était la façon dont il les utiliserait.

La prise de notes dura un bon moment, Jiro n'intervenant sur ce qu'écrivait le jeune homme que pour corriger les fautes d'orthographe dans les noms propres anglais. Cependant, après ces quelques minutes studieuses, la main baladeuse rappela à l'enseignant que la concentration d'Eiji avait ses limites lorsqu'ils étaient ensemble. Les doigts sur sa peau étaient chauds et doux, mais il se devait de rester sérieux pour deux. Ce fut donc à contre cœur qu'il donna une petite tape taquine sur le dos de la main.

" Bas les pattes, jeune homme ! Le travail d'abord, le plaisir après. "

La voix était rieuse, mais la consigne n'en était pas moins sérieuse pour autant. Le côté professeur avait tendance à ressortir lorsque Eiji faisait ses devoirs chez lui. C'était relativement rare, puisqu'ils s'arrangeaient tous deux pour ne plus rien avoir à faire le week-end, mais ça arrivait parfois.

" Je pense que tu as assez de données sur le parlement pour pouvoir faire ton devoir. "

Jiro déposa un baiser tendre sur la tempe du jeune homme pour l'encourager. Il se cala ensuite au fond du canapé et ouvrit son livre, s'attelant à sa lecture tout en jetant des coups d'œil intermittents sur l'évolution du travail d'Eiji. Lui aussi avait hâte que ce soit terminé, mais il s'évertuait à ne rien montrer pour ne pas l'encourager aux digressions.

Avec une moue digne de Konata – il avait été à la meilleure école – Eiji s'attela à la tache avec une mauvaise grâce évidente, lançant des regards sombres du côté de Jiro chaque fois que son aîné levait la tête de son livre. Travailler son anglais était fastidieux au mieux... et carrément rébarbatif dans cette situation. Même Hugh avait plus pitié de lui et lui jetait à la volée des traductions quand il galérait à rédiger une phrase !

Après quelques phrases écrites, Eiji reposa son crayon sur la feuille et s'allongea sur le côté jusqu'à ce que sa tête repose sur les cuisses de Jiro. L'observer par en dessous, avec le livre qui lui barrait une partie de la vue, avait quelque chose d'extrèmement plaisant, à moins que la sensation ne soit dûe au fait qu'il venait d'abandonner son devoir d'anglais. Le jeune homme leva la main et repoussa légèrement le livre pour mieux regarder son amant, un sourire doux sur les lèvres.

" Je n'arrive plus à me concentrer. Tu es sur que tu ne veux pas m'aider pour aller plus vite ? Ca ne servira à rien que je fasse un devoir bâclé plein de faute juste pour m'en débarasser tu sais..."

Dernière idée lumineuse pour venir à bout de l'anglais, sinon, en toute honnéteté, il ne poursuivrait pas ce soir. Le sportif connaissait ses facultés de concentration et arrivait en général à s'imposer une bonne auto-discipline, forgée par de longues scéances d'entraînement sportif en solitaire. Et il savait aussi reconnaître les signes d'une mutinerie morale, chose assez rare chez lui, mais ses plus bas instincts se réveillaient face à Jiro.
Ramenant au passage certaines interrogation qu'il avait quand il n'était pas en train de révasser face à son amant. Et ensuite ? Au delà des câlins, du sexe, de la tendresse, qu'est-ce qu'il devait espérer ? Que pourraient-ils faire tous les deux, alors qu'ils n'osaient même pas sortir de l'appartement ?

La joie momentanément disparue de son regard, le kendoka attrapa la main du professeur, caressant la peau douce de ses doigts caleux, cherchant si ce n'était une réponse, au moins un réconfort dans le contact physique. Finalement, sans attendre de réponse, le jeune homme se redressa et se remit sur ses feuilles, les sourcils froncés.

" Non... je devrais peut être travailler."

Ou devait-il chercher la réponse dans une certaine autonomie sans trop se raccrocher à Jiro comme il en avait envie. Il se refusait à tomber dans ce shéma élève et professeur qui semblait planer au dessus de leur couple.

Avec une mauvaise grâce non dissimulée, Eiji se remit au travail, réussissant presque à faire culpabiliser Jiro par ses mimiques boudeuses et ses soupirs désespérés. Difficile de se concentrer sur son livre dans ces conditions. Bientôt, le jeune homme vint s'étendre sur le canapé, la tête sur ses cuisses, rendant impossible la poursuite de la lecture.

La demande ne le surprit pas tellement vu le comportement d'Eiji durant la dernière demi-heure. En revanche sa mine soudain mélancolique le perturba. Quel cheminement les pensées du kendoka étaient elles en train de prendre pour qu'il affiche un air pareil ? Jiro aurait aimé qu'il lui parle, mais cela semblait encore un peu difficile pour son amant, du moins lorsque les sujets abordaient le domaine de leur relation. Ce devait être le cas cette fois-ci, vu qu'il ne lui disait rien et préférait se redresser pour affronter de nouveau son devoir.

" Eiji... "

Jiro referma son livre qu'il posa sur l'accoudoir, et se décala pour venir tout contre Eiji. Sa main se glissa dans la chevelure châtain, caressante. Comment faisait-il pour avoir des cheveux si doux et soyeux ?

" J'aimerais t'aider plus tu sais. Mais ça se verrait, d'autant plus qu'Akutsu me connaît bien... Il est loin d'être idiot et tirerait rapidement les conclusions qui s'imposent. Je ne veux pas risquer notre relation de façon aussi stupide. "

Sa main quitta les cheveux pour venir caresser la joue boudeuse et il déposa un baiser sur l'autre. Jiro lâcha un petit soupir puis se décida à rompre le silence sur la surprise qu'il avait préparé. Si ça pouvait redonner le sourire à Eiji et le remotiver...

" Je voulais garder le secret jusqu'à demain matin mais... J'ai réservé un bungalow dans un onsen privé pour ce week-end. On y sera totalement tranquille. Et c'est suffisamment loin pour qu'on puisse jouer les touristes en ville sans craindre de croiser une connaissance du lycée. "

Ce serait la première fois qu'ils quitteraient la protection de son appartement. Un évènement qui n'était pas anodin...

" Tu comprends pourquoi j'aimerais vraiment qu'on soit débarrassé de toute obligation comme ce devoir ? "

Son regard ne quittait pas Eiji, plus inquiet de sa réaction à l'annonce qu'il venait de faire que pour le devoir. Est-ce que le jeune homme se sentait prêt à sortir en couple ? Il lui semblait que oui, mais peut-être se trompait-il.

Le jeune homme se figea aux explications, ses yeux s'agrandissant de manière presque comique quand Jiro exposa sa proposition de sortie du week-end, qui venait s'imbriquer de manière tellement étrange aux pensées qui noircissaient son esprit jusque là. Un week-end, tous les deux, en amoureux, loin de Hachioji ? Excitant autant qu'effrayant, pour bon nombre de raison qu'il n'arrivait pas toutes à identifier.
Les joues rougies d'être aussi transparent face à son amant, Eiji appuya un peu plus sa joue contre sa paume, venant chercher les câlins comme Shizuka quand il était d'humeur douce.

" Ouah... ça va être chouette. "

Il était sincère. Un peu anxieux, voir légèrement paniqué à l'idée de se balader main dans la main avec un autre homme au su et vu de tous, avec l'intime conviction que c'était une étape à franchir et à ne surtout pas rater dans une relation. On inspire, on expire. Il avait déjà couché avec un homme. A côté de ça, lui tenir la main, c'était juste un détail non ? Et au pire, s'il rencontrait des regards mauvais, il leur taperait dessus. C'était encore là où il était le meilleur.

" Je vais me dépêcher de finir. De toute façon, Moe-sensei a l'habitude de mes devoirs déjà. Et, Jiro..." Plus hésitant mais étrangement sérieux, le lycéen fixa son amant, cherchant comment trouver les mots pour ce qu'il voulait dire. "...promet moi que tu ne me considères pas comme un gamin qu'il faut consoler."

Ce ne fut que quand il reçut sa réponse qu'Eiji put se remettre au travail, de manière suffisamment efficace pour pouvoir rédiger le devoir et le reposer dans un coin, refusant que Jiro y mette son nez pour donner son avis. Il demanderait à Hugh de le relire dimanche soir pour y virer au moins une partie des fautes qu'il savait être là mais qu'il avait du mal à corriger. Avoir un collègue métis américain avait du bon, et l'aidait plus à progresser que ne comprenait Jiro dans sa manière de refuser absolument de l'aider, enfin, il préférait prendre du temps pour autre chose avec lui.

Les feuilles rangées, le week-end allait enfin pouvoir réellement débuter, pour leur plus grand plaisir à tous les deux.