La kermesse était finie. Pour lui du moins. Il était minuit passé. Il avait traîné un peu plus d'une heure en ville, sans trop savoir où aller, histoire de réfléchir. La journée avait été bien plus longue qu'il ne l'avait pensé en arrivant à l'école le matin même. Beaucoup trop longue à trop goût, et bien trop chargée en émotion. Il ne fallait pas s'y tromper, avoir des émotions fortes, il adorait ça. Se faire tremper de la tête au pied et rouler une pelle par sa frangine une heure après, ça lui plaisait nettement moins. Il n'arrivait pas à penser à autre chose. Il avait beau regarder ça sous toutes les coutures, se passer la discussion avec la rouquine en boucle, il n'arrivait pas à voir ce qu'il avait pu faire pour qu'Arianne soit amoureuse de lui.

Le brun soupira et leva la tête. Ses pieds l'avaient finalement conduits devant son immeuble, comme s'ils avaient décidés tous seuls qu'il était temps de rentrer. Parfois, il en oubliait qu'il était humain, mais lui aussi avait besoin de repos, et lui aussi avait besoin d'un chez lui. Ca faisait à peu près trois mois que l'appartement dans lequel il vivait était un "chez lui" à ses yeux. Chose curieuse, pour lui qui vivait en nomade depuis des années. L'achat du T5 correspondait presque avec la mort du blond, comme si avec celui-ci avait disparut son envie de bouger.

Quelque part, il s'en voulait. C'était idiot, parce qu'il n'aurait pas pu faire plus en étant au Japon, mais il se disait parfois que s'il n'était pas parti de l'autre côté de l'océan, Ni' ne serait pas mort. Et dans ces moments-là, ça n'était pas au rejeton qu'il en avait, mais simplement à lui.

Il se remit en marche, notant distraitement qu'il s'était arrêté à quelques mètres de l'entrée, les yeux dans la vague vers le balcon de son appartement. Un soupire s'échappa d'entre ses lèvres, puis il poussa la porte en verre. Ici rien n'avait changé. Rien ne changeait jamais. Les habitants de l'immeuble payaient pour que tout soit immuable. Lui aussi, sans doute. Du changement, il y en avait trop eu ces derniers temps. Il n'avait même pas fait le deuil de Ni' qu'il se retrouvait avec sa sœur et le fils dans les bras. Autant dire qu'il ne savait plus trop quoi penser. La seule chose qui restait en permanence dans son esprit, c'est qu'il aurait du pouvoir protéger le blond, d'une façon ou d'une autre. Et, avec plus de cynisme encore, il se disait que dans un sens, il avait eu de la chance. Lui, il ne l'avait pas vu mourir, contrairement aux deux autres avant Nihya...

Les deux autres... Depuis combien de temps ne leur avait-il pas accordé une mince pensée ? Bien sûr, chaque fois qu'il songeait au blond, il les revoyait en arrière-plan, mais ça faisait un moment qu'il ne leur avait pas accorder plus d'intérêt. Ils devaient bien comprendre, là où ils étaient, pourquoi il avait l'esprit focalisé sur autre chose. Ils avaient toujours été compréhensifs, bien plus que lui ne l'avait jamais été avec eux.

Un petit rire amer se fit entendre quand une femme du premier étage fit un pas en arrière pour rentrer chez elle "l'air de rien", alors qu'elle s'apprêtait à en sortir. La réaction normale des gens quand on le croisait, c'était ça. Comment certains avaient pu s'attacher à lui restait un mystère insoluble, et ça n'était pas en grimpant à pas lents la volée d'escaliers qui l'amènerait chez lui, deux étages plus haut, qu'il le résoudrait. Il ferma brièvement les yeux en expirant doucement, et les rouvrit en se rappelant qu'il allait tomber, s'il ne regardait pas où il allait.

Le jeune homme avança un peu plus rapidement, soudain pressé de se poser le cul sur le lit avec un livre, ou devant l'ordi. N'importe où pourvu que ça lui occupe l'esprit. Il ouvrirait les fenêtres, profiterait des courants d'air, se ferait à manger peut-être, regarderait un programme à la con qui ne demanderait pas de réflexion et irait se pieuter en espérant que toute cette journée n'ait été qu'un cauchemar. Mais avant, il faudrait qu'il se change et qu'il se douche, parce qu'il en avait marre de coller et marre de ses fringues de bourgeois de mes deux. Il ne serait pas couché avant 3 ou 4 heures du matin, mais quelle différence par rapport à d'habitude ? Quand avait-il eu des horaires normaux pour la dernière fois ? Il lui semblait qu'il n'avait jamais été se coucher avant ces heures-là, et pourtant il était bien certain qu'enfant, les deux cinglés ne l'avaient pas laissé aller dormir après 20h30, quitte à le priver de sommeil une nuit entière. Une bouffée de colère s'empara de lui. Il serra les poings et pressa encore le pas, jusqu'à ce calmer net en arrivant devant sa porte.

Il y avait quelqu'un chez lui, il le savait. Il avait regardé par automatisme les deux "alarmes" de sa porte. Une histoire de poignée volontairement défectueuse et de mine cassée. Un bout de mine avait roulé sous la porte, trainant dans le couloir. Il se pencha et la ramassa, avant d'entrer calmement. Ses yeux accrochèrent très vite le chevelure blonde qui captait la lumière des lampadaires. Il ne connaissait guère qu'une personne encore en vie à qui elle aurait pu appartenir.

"Aoi ?"

Le blond regarda son vis-à-vis entrer dans la pièce… Il le détailla des pieds à la tête avec un léger sourire en coin… Ce qu’il était beau ce mec bon sang… Et il avait bien été le seul qui lui faisait cet effet… Nihya qui avait pendant si longtemps crié son hétérosexualité, il la considérait toujours comme telle… Parce que Sheikhan était la seule exception masculine. Et pour cause, il le tenait en vie, même dans les pires moments… Même en ce moment, il n’était pas encore si bien, mais il avait dû partir. Il devait retrouver cette école, apprendre à son amant qu’il était vivant… Le retrouver, lui, Ari et tout le reste, tout ce qu’ils avaient vécu, reprendre leurs vies, parce qu’il savait pertinemment, tout comme le brun qu’ils étaient condamnés dans cette école à jamais désormais…

Seulement la réaction rapide et erronée du brun le mit quelques peu furieux. C’est qu’il avait l’habitude de croiser Aoi qu’il l’avait direct assimilé à Nihya ou quoi ? L’avait-il vu qu’une fois ? Se fréquentaient-ils régulièrement ? Le brun devrait lui apprendre la situation, qu’il le veuille ou non… Parce que le blond, mine de rien, se remplissait la tête de question… Mais comme s’il avait retrouvé ses 18 ans, il ne montrait absolument rien, et le brun ne pouvait plus percevoir ses émotions à travers ses yeux amandes… Quoi que de toute manière à contre-jour, il ne devait distinguer que sa silhouette, il fallait bien l’avouer, identique à celle de celui qu’il avait engendré…

Le blond avait apporté une bouteille de champagne dont la silhouette se dessinait elle aussi dans la lumière faible du rideau… On pouvait voir aussi deux flûtes pleines, dont les bulles faisaient toujours la course pour remonter à la surface… Il prit les deux coupes dans chacune de ses mains, et il esquissa un faible sourire que le brun ne perçut peut-être même pas…

« On est identiques à ce point-là que tu confond le fils avec son père, Sheikhan ? »

Il avait dit ça d’une vois totalement neutre, avec tout de même un soupçon d’ironie… Il trempa alors ses lèvres dans une des coupes pour vider son contenu d’une grande et unique gorgée, tandis qu’il replanta son regard intense dans celui, bleu de son vis-à-vis… Puis il serra ses doigts si fort que la seconde coupe, encore pleine céda son la pression… Il continuait de serrer, et de son poing refermé sur les morceaux de verre, coulait un liquide rouge, mélange de sang et de champagne… Le filet ruisselait jusque le long de son avant-bras, mais il s’en moquait, ce qu’il voulait, c’était la vérité…

Il rouvrit doucement sa main, et constata quelques morceaux plantés dans la paume de sa main. Mais la colère cachait la douleur, et il se moquait, il s’amusait presque même de voir ces scintillement avec la lumière qui venait jouer sur le verre… Tout en gardant la tête baissée, il releva juste le regard, et planta ses yeux dans ceux du brun…

En un bond, il se leva et colla le brun contre le mur, appuyant ses hanches contre les siennes de tout son poids. Une main sur sa gorge, et l’autre lui plantant le couteau dans les côtes, il le fixait dans les yeux, et cette fois, le brun put largement reconnaître le plus vieux des Tohishima… Le petit n’avait pas encore assez d’expérience pour avoir un regard aussi haineux que celui-ci…

« Que lui as-tu fait ? » lui adressa-t-il d’une voix sèche et nette.

Confondre... Impossible. Il pouvait pas être en vie. Aoi lui avait dit qu'il l'avait tué. Bordel, il était censé être mort ! Son cœur s'emballa alors qu'il cligna plusieurs fois des yeux. Il sentait ses mains trembler un peu. Ca le blond ne pouvait pas le deviner, mais putain il croyait quoi au juste ? Il ne l'avait pas vu pendant des mois et là... Il était là, devant lui. Sheikhan ne savait pas très bien quoi faire. S'expliquer, l'embrasser jusqu'à l'asphyxie, rester planter là comme un glandu parce qu'il devait rêver, c'était pas possible autrement.

Il détailla l'homme du regard. C'était Nihya, pour sûr. Il était bête d'avoir confondu. Aoi ressemblait à son père, mais n'avait pas tout à fait la même attitude. Putain, il était en vie ! En vie ! Un sourire commença à se dessiner sur son visage. Il réalisait à peine, mais de son côté, Nihya n'avait pas vraiment bien interprété les choses. La coupe de champagne éclata. Le brun se réveilla... Trop tard.

L'instant d'après, il ne savait pas ce qui le faisait plus souffrir. La douleur fulgurante sur son flanc ou la haine qu'il lisait dans le regard du blond. Là pas de doute, c'était bien son amant. Il n'y avait que lui pour viser systématiquement cet endroit-là, endroit de plus en plus fragile par ailleurs.

La question, par contre, lui passa largement au-dessus de la tête. Nihya aurait pu lui dire qu'il était enceinte, il n'aurait même pas prêté plus attention que ça. Il n'y avait que ses yeux. Le vert, la haine. Surtout la haine.

Il fit un pâle sourire, un peu triste. Il ne se souciait même plus qu'on lise en lui comme dans un livre ouvert. Tant pis s'il n'était plus sur ces gardes, à cet instant, on ne pouvait pas lui faire pire que la douleur que celle que lui infligeait l'autre frangin.

"Moi aussi je suis content de te revoir Ni'..."

Il avait la voix enrouée... Et une sacrée envie de pleurer, même si aucune larme ne coulerait.

Il était là contre lui, le couteau toujours là, lui aussi. Il sentait d'ici l'odeur de sa peau. Ça lui avait manqué. Ça lui avait tellement manqué. Et les cheveux blonds où sa main rêvait d'aller. Et la peau pâle qu'il aurait aimé caresser. Et les yeux verts dans lesquels il aurait voulu se noyer. Il voulait sentir leurs corps l'un contre l'autre. Il voulait le garder contre lui, sans cette maudite arme, juste eux deux, et ne plus jamais le lâcher. Ne plus le laisser partir. Pourquoi ? Pourquoi fallait-il qu'il l'interroge ?! Merde, il était en vie ! Il comprenait donc pas ce que ça voulait dire.

C'était inespéré. Un miracle ! Bordel, il était vivant ! Vivant ! C'était pas une illusion, un rêve cruel parce qu'au réveil il n'y aurait plus que lui et sa tristesse. C'était la réalité. La seule, l'unique. Celle qui l'avait tant fait souffrir ces derniers temps. Et Dieu qu'il l'aimait ce mec. Est-ce que Nihya avait la moindre idée du choc que ça pouvait être ? Est-ce qu'il arrivait seulement à imaginer à quel point Sheikhan pouvait l'aimer ? Pourquoi avoir pensé à lui, tous ces derniers mois. Et là... Et là... Juste... ça, comme si tout n'avait été qu'un mauvais rêve.

Le brun avait envie de hurler. De lui crier « Hey oh, embrasse-moi ducon au lieu de me menacer ! J'te croyais mort tu sais ! » Il n'en fit rien, restant juste silencieux. Horriblement silencieux. Un silence comme jamais il n'y en avait eu entre eux. Lourd de sens, mais incompréhensible pour le blond. Un silence, dont la seule signification était « A quoi tu joues ? ».

Le voleur tenait à Aoi, oui, mais là, face à celui qui avait été son amant si longtemps, le gosse n'était plus qu'une pensée gentiment rangée dans son tiroir, au fond de son cerveau. Il ne comprenait pas. Comment Nihya pouvait-il se pointer là, comme si de rien n'était ? Comment pouvait-il être à ce point aveugle à ce qui animait Sheikhan à cet instant ? N'avait-il pas du tout conscience de ce que ça représentait pour le brun ? Non, sans doute pas. Jamais le cambrioleur ne lui avait parlé de ses anciens amants. Jamais il ne lui avait dit qu'il en avait vu mourir un, et avait retrouver le corps sans vie de l'autre. Jamais... Alors forcément, le blond ne pouvait pas comprendre tout ce que pouvait représenter sa simple présence dans l'appartement d'un homme qui l'avait cru mort pendant des mois. D'un homme qui l'aimait et aurait tout fait pour lui. Tout. Sans hésiter.

« Je te pensais mort... Je te pensais mort Ni'... »

Peu importe si à cet instant, en levant les yeux, ledit Ni' verrait un homme désorienté, presque au bord de larmes. Il avait mal. Mal de le voir se soucier autant de ce qui avait pu se passer, comme s'il s'inquiétait pour son fils en méprisant royalement ce que le brun pouvait ressentir. Et mal, en se souvenant de la dernière fois qu'il avait vu Aoi. Il se sentait coupable, oui. Depuis le début. Depuis qu'il avait vu le gosse la première fois, il s'était senti coupable. Coupable que ce ne soit pas lui qui soit mort, et encore son amant, même si pour cette fois sa présence n'y était pour rien. Coupable d'avoir charmé Aoi, plus ou moins sans le vouloir. Coupable d'avoir céder.

« Il est en vie... A l'école. »

Sa voix était blanche, et il se retrancha enfin derrière ses dernières barrières. Pas celle de la colère. Pas celle de la fureur. Celle du vide, de l'absence. Qu'il fasse ce qu'il voulait après tout, le brun s'en moquait. Qu'il lui enfonce ce couteau de merde dans les côtes, si ça le soulageait. Sheikhan leva les yeux, regarda droit devant lui, le regard mort.

Il ouvrit les yeux en grand. La main. La main de Ni'. Le couteau. Les frissons qui revenaient comme jamais. Ni'... L'un contre l'autre, enfin ! Avec un soupir de soulagement, Sheikhan referma ses bras sur son amant, le serrant de toutes ses forces contre lui, comme pour ne plus jamais le perdre. Il en avait tellement besoin, cet instant. La présence rassurante du blond lui avait été indispensable presque depuis la première fois qu'il l'avait vu. Il ne voulait plus jamais s'en séparer. Oh il savait qu'ils ne seraient pas toujours ensemble, mais là, dans l'immédiat, seul comptait le fait que le blond soit là, avec lui. Et il dit une chose qu'il n'avait jamais, jamais réussit à lui dire avant.

« J't'aime Nihya... »

Ca n'était qu'un murmure. Presque rien. Des mots que des milliers de gens se disaient chaque jour. Pourtant là, à cet instant, ça avait plus de poids que n'importe quel autre chose. Ces mots, Sheik' avait failli les lui dire, une fois, une seule. Là, il était bien trop content de le retrouver et avait eu tellement peur de le perdre qu'exceptionnellement, il n'essaya pas de paraître être ce qu'il n'était pas. Oui, il n'était qu'un homme blessé, traumatisé trop souvent par la perte de personnes qu'il aimait. Et il se moquait qu'à ce moment-là, Nihya se rende compte de l'ampleur des dégâts. Il voulait juste l'avoir près de lui et ne plus jamais, jamais, le laisser quitter cet appartement.

Il fit tout doucement redescendre ses mains le long du tronc de son amant, les posant sur ses hanches. Il l'éloigna un peu, déposa sa bouche sur son front, ses yeux, ses pommettes, ses lèvres, ses lèvres, et juste ses lèvres. Un sourire réapparut sur son visage, faiblement au niveau des zygomatiques, mais si présent dans ses yeux que le blond risquait d'en être surpris. Puis il regarda derrière, calmement, comme s'il redécouvrait chaque centimètre carré de cette pièce qu'il connaissait pourtant si bien.

Il la vit enfin, cette bouteille de champagne qui semblait n'attendre qu'eux pour être vidée. La pensée saugrenue qu'au final, Ni' était un grand romantique lui passa bien par l'esprit. Il hésita à demander s'il devait chercher des bougies, faute de chandelles, mais trouva qu'en fin de compte, le silence avait plus sa phrase que toute autre chose. Comme on dit, la parole est d'argent et le silence est d'or.

Il préféra l'approcher de nouveau de lui, lui ravir ses lèvres une fois encore. Qu'il aimait ce goût, qu'il aimait cette sensation. Depuis combien de temps n'avait-il plus connu un tel bien-être ? C'était paisible. C'était doux, c'était bon. Il se sentait si détendu. Pour une fois que ses muscles n'étaient pas crispé, pour une fois qu'il n'était pas trop sur ses gardes. Oh, il était moins apathique. Il commençait à réaliser. Et au fur et à mesure qu'il laissait courir ses mains sur le corps du blond, qu'il dessinait du bout des lèvres les traits de son visage, son cœur se mettait à battre à une vitesse affolante. Nihya l'entendrait forcément, et il comprendrait. Il saurait enfin à quel point sa présence était vitale pour le voleur.

Les mouvements de reculs de Ni' ne lui échappait pas. Il se tut pour le premier, ne cherchant pas trop à avoir ce qui lui arrivait, mais quand il se recula franchement pour retourner au final dans ses bras, Sheikhan était complètement intrigué. Qu'est-ce qui pouvait se passer dans la tête de son amant pour qu'il agisse ainsi ?

Les mains fraîches du blond le déconcentrèrent un court instant. Il contracta ses muscles avant de se détendre sensiblement. L'instant était plaisant, mais les réactions du blond l'inquiétaient un peu. Que lui arrivait-il ? Pourquoi semblait-il si préoccupé ? Tant d'autres questions se bousculaient dans sa tête, mais il était décidé à ne pas aborder ce sujet tout de suite. Ce qu'il savait en revanche, c'est qu'il voulait profiter de la présence du blond, entendre un peu sa voix, avec autre chose qu'un ton froid ou énervé. Mettre sa vie habituelle en pause, oublier les plans d'une banque qui trainait sur le bureau dans sa chambre et sur lesquels il aurait du travailler ce soir-là. Oublier un peu qu'il n'aurait jamais une vie calme, et jouir de ce moment de tranquillité. Non pas que ça lui manquait, toute cette agitation qui était sienne en temps normal, mais ça ne lui laissait guère de temps pour profiter des gens qu'il aimait, même s'ils n'étaient qu'au nombre de deux.

Il fit un léger pas sur le côté, lâchant du même coup son amant. Le brun alla chercher une autre coupe de champagne propre, et pas cassée, avant de leur servir l'alcool à tous les deux, puis il revint vers Ni'. Les yeux rivés dans les siens, il lui tendit le verre. Le message était clair : repartons à 0. Faisons comme si le début de notre rencontre ne s'était pas mal passé.

Il trinqua alors, doucement, sans dire un mot, et but une gorgée de la boisson pétillante. Il se décida seulement à se moment à poser la question qui le torturait depuis plusieurs minutes.

"Comment ?"

Comment avait-il survécu à son fils ? Aoi avait eu l'air tellement certain de l'avoir tué ! Le voleur n'y comprenait pas grand chose, il fallait bien l'admettre.

Son cœur fit un bond dans sa poitrine, alors qu'il exauçait le souhait de Nihya. Un faible sourire, pourtant sincère, apparut sur ses lèvres, mais disparut tout aussi subitement alors qu'il but une gorgée de champagne. Il avait l'impression d'être bizarrement quelqu'un d'autres, de retrouver le petit garçon de 10 qu'il fut, des années auparavant. Celui qui se livrait trop facilement. Ça le fit froncer légèrement les sourcils, et il se détourna de la vue du blond. Il ne se reconnaissait plus depuis que son amant avait débarqué dans son appartement. C'était presque flippant de voir à quel point il pouvait être dépendant de sa simple présence.

Il regarda quelques secondes tout autour de lui, et finalement reposa ses yeux bleus sur la silhouette assise de son mec. De quoi avaient-ils l'air, là, au juste ? Il se sentait comme une jeune pucelle et le supportait très mal. Tous ses efforts pour récupérer un semblant de masque, non pas froid, mais juste plus dur que ce qu'il avait fait ces dernières minutes semblaient voués à l'échec. Lui en tout cas le ressentait comme ça. Il ne voulait pas se montrer froid ou indifférent avec Nihya, juste retrouver la protection qu'il gardait constamment en temps normal.

Le brun se retourna légèrement, s'observa dans le miroir qui ornait la pièce. Il l'avait installé un jour où il en avait eu assez de désembuer celui de la salle de bain. Il n'était pas très décoré, juste un cadre de tableau. Ça lui suffisait amplement pour y regarder son reflet. Finalement,s'il se sentait chambouler de l'intérieur, il avait l'air nettement plus lui-même, extérieurement. Et, satisfait d'avoir recouvré son sang-froid et de ne plus être aussi lisible qu'un livre ouvert, il alla s'asseoir face au blond.

« Ari... Elle sait ? »

Il en doutait. Elle en aurait probablement parler au cambrioleur si elle avait su que Nihya était toujours en vie. Sauf, peut-être, si le blond avait voulu faire la surprise au voleur. Ce dernier se disait que la rouquine était bien capable de garder un tel secret si c'était sur ordre de l'un des frangins. En tout cas, si elle ne savait pas, quand elle l'apprendrai, elle serait sans doute folle de joie. Peut-être même que ça l'aiderait à se stabiliser... Le souvenir de sa rencontre avec elle durant la kermesse lui revint en mémoire. Est-ce qu'elle avait jamais parlé de ça à son autre frangin ? Est-ce qu'elle ressentait quelque chose comme ça pour Ni' aussi ? Ça ne pouvait pas être la forme d'amour auquel elle pensait de toute façon. C'était impossible. Complètement infaisable...

Sheikhan se morigéna mentalement. Ça n'était pas vraiment le moment de repenser à tout ça. Pour le moment, il voulait et devait passer du temps avec son amant, sans trop se soucier du reste pour l'instant. Il souhaitait sincèrement que cet appartement soit, au moins le temps d'une soirée, une sorte de sanctuaire où ils seraient tranquilles.

Malheureusement pour lui, le Destin sembla ne pas en décider ainsi. Le téléphone se mit à cracher toute sa jalousie d'un son strident, qui eut pour conséquence de faire recouvrer immédiatement à Sheikhan le calme et la fraicheur qui lui était si familière. Il se releva, alla décrocher, et, après quelques secondes tout juste, raccrocha au nez de son interlocuteur, pour revenir s'asseoir.

« Ca l'a bouleversé... Ta mort... »

Enfin, sa prétendue mort, puisqu'il était toujours sur cette bonne vieille Terre, en un seul morceau sans doute un peu abîmé. Connaîtrait-il un jour un Nihya en parfaite santé ? Il en doutait. En avait-il seulement envie ? Non, parce que ça voulait dire qu'il avait renoncé à la vie qu'il aimait tant, et il ne tenait pas à le voir malheureux.

Nihya le regardait vaguement… Ce sourire sur les lèvres de Sheikhan lui fit en esquisser un léger, qui s’effaça lui aussi rapidement, mais sans raison particulière… Lui aussi se sentait vulnérable face au brun, mais il savait qu’ils ne se jugeraient pas l’un et l’autre… Dieu ce qu’il avait traversé pour revoir ce visage… Ce qu’il en avait bavé… Mais quand il regarda le brun de nouveau, il se dit que ça valait le coup, finalement… Ce qu’il avait l’air heureux de le retrouver…

Il savait à quel point c’était difficile de croire à la mort de l’être que l’on aime… Et toute sa vie il garderait le souvenir de cette dernière étreinte que lui avait offert Akemi, même si la pauvre était déjà partie parmi les anges… Il savait ce qu’était d’être confronté à un corps sans vie… De se sentir vide, tellement inutile… Sheikhan avait dû ressentir cela, et il fallait bien avouer que Nihya avait été bête de réagir comme s’il revenait d’il y a dix minutes…

Seulement il ne savait pas quoi faire à part lui faire don de sa présence pour le moment… Il le regardait vaguement, à moitié plongé dans ses pensées… Il ne faisait que cela en ce moment, et il faudrait bien avouer que l’habitude serait difficile à perdre… Il ne fit pas attention à sa première question, seulement ne bruit du téléphone le fit presque sursauter… Il n’eut qu’un frissonnement, mais celui-ci le contraria fortement… Il détestait ces engins, fruit du développement de la technologie ou je ne sais quelle autre connerie encore…

Après avoir raccroché, sa deuxième phrase parvint aux oreilles du blond, et il savait très bien de qui parlait le brun… Il s’en doutait bien qu’elle avait été bouleversée, il se doutait bien qu’elle n’avait pas supporté… Et c’était pour eux qu’il avait voulu revenir… Pur ne pas les laisser tomber… Et ils n’avaient pas le droit de le blâmer pur ne pas avoir donné de nouvelles… Il était revenu vivant, c’était déjà ça…

« Je sais. » lui adressa d’une voix un peu plus ferme qu’auparavant, accompagnée d’un regard légèrement sur la défensive…