La fête du sport avait mobilisé toutes les énergies. Vivante avant même d'avoir lieu, présente dans les esprits de chacun, pas un jour ne s'était écoulé depuis fin septembre sans qu'on en entende parler. Le Conseil des élèves subissait la pression d'une organisation qui devait être parfaite et lui, en temps que chef du Comité de discipline devait veiller à ce que tous se tiennent à carreaux durant cette période d'intenses activités. Sans compter, évidemment, qu'il s’entraînait pour les épreuves de sa classe, au club de kyudo et travaillait toujours autant pour essayer de surpasser le premier de la classe.

Au final la veille au soir il avait décidé de se reposer autant que possible et c'était suite à une bonne nuit qu'il avait débuté la journée, participant aux épreuves du matin avec un enthousiasme tout relatif, puis à l'initiation de kyudo. La jeune fille à qui il apprenait à tenir son arc pour viser correctement s'éclipsa par ailleurs lorsque son tour fut passé et le jeune homme se tourna vers la file de ceux qui patientaient, croisant le regard d'un camarade de classe qu'il ne s'attendait pas à voir ici.

« Scott-san, c'est à ton tour. »

Il se borna à signaler à son camarade de s'avancer, la voix aussi minérale qu'à l'accoutumée tout en ne faisant pas un geste en sa direction.

Qu’est ce qui lui avait prit ? Non mais vraiment, qu’est-ce qui lui avait prit de s’inscrire à la séance d’initiation au Kyudo ? La curiosité ? L’envie de nouveauté ? Certes, Nathan était avare de nouvelles découvertes … mais le Kyudo ? Pourquoi ne pas plutôt avoir choisi la séance d’initiation au kendo ? Au moins il aurait pu se défouler un peu. Mais là, à observer tout les archets, le silence remplissant le dojo, Nathan se sentait quelque peu mal à l’aise. Il avait l’impression que tous les yeux étaient rivés sur les petits nouveaux. Aussi avait-il l’impression que les nouveaux n’était pas aussi débutant que lui, ce qui n’eu pas pour effet de le rassurer.

Enfin soit. Alors qu’il était entrain de se maudire d’avoir voulut tenter ce sport là, il vit que la jeune fille venait se partir, tout sourire et que celui qui s’occupait de la file était en fait Bunta Yoshitsu, un camarade de sa classe. Ce dernier le regardait et lui fit comprendre d’un ton assez froid que s’était à son tour. Voilà, il ne pouvait plus faire marche arrière s’il ne voulait pas passer pour un lâche au près de son camarade et de tout ceux qui le fixait. Déglutissant discrètement et prenant son courage à deux main, Nathan s’avança, esquissa un sourire et s’inclina légèrement devant son camarade et fixa tour à tour l’arc puis Bunta puis à nouveau l’arc avant de bloquer son attention sur le jeune homme. Soupirant doucement, notre tennisman baissa le regard.

« Pour tout t’avouer, je n’ai aucune base, je n’ai jamais tenu un arc en main et … voilà. » Haussant doucement les épaules, Nathan afficha une mine innocente et désolé avant de lancer un coup d’œil vers les autres Kyudojin et tenta de copier à peu près leur posture avant de reporter sa concentration sur Yoshitsu « enfin, je suis là maintenant et va bien falloir faire quelque chose. Tu m’expliques un peu ? »

Le sourire de notre jeune homme s’agrandit un peu plus, tandis qu’il espérait que son camarade soit assez compréhensif pour ne pas trop se moquer de lui.

[Hors jeu : Toutes mes excuses pour le retard, j'ai été pris cette semaine.]

Son camarade de classe était mal à l'aise. Bunta resta à l'attendre sans broncher, impassible comme toujours, le visage refermé en une expression froide qui à la longue n'avait plus de signification. Était-ce ça ou l'arc qui impressionnait tellement Scott ? Difficile de comprendre pourquoi quelqu'un qui prenait la peine de s'inscrire et d'attendre pour essayer le kyudo prenait peur au dernier moment...

« Prend l'arc. »

La phrase lancée résonna faiblement alors que le kyudojin lui tendait l'arc en question. Il était à peu près adapté à sa taille et le jeune homme savait que l'autre faisait du tennis. Il devait avoir de la force dans les bras, ça irait donc. Et de toute façon, pour un meilleur arc il faudrait qu'il se débrouille pour le payer. Bunta doutait néanmoins que l'autre brun s'y mette sérieusement.

« C'est le concept de l'initiation Scott. Si tu savais te servir d'un arc, tu ne serais pas ici. »

Son ton monocorde cassa brièvement le silence entre eux alors qu'il replaçait Nathan correctement tout en commentant pour qu'il retienne ses indications.

« Mets toi plus de profil et tiens-toi droit. Regarde comment les autres tiennent leur arc et leurs flèches, ça t'aidera. »

Quand il s'estima presque satisfait, Bunta reprit.

« Tu tireras trois flèches, ensuite ce sera à quelqu'un d'autre. Ne te presse pas pour tirer, le kyudo ne consiste pas seulement à viser juste. »

Bunta était gentil, compréhensif et avait le don de mettre Nathan à l’aise. FAUX ! Son camarade était impassible. Son visage ne montrait aucun sentiment et le ton sur lequel il ordonnait à Nathan de ‘prendre l’arc’ était froid. Tentant tant bien que mal à ravaler son malaise, notre francophone attrapa le fameux arc –qui n’était pas franchement adapté à sa taille- et baissa le regard quand Bunta reprit la parole. Se renfrognant légèrement, Nathan réussi avec quelques difficultés à maintenir le barrage qui coupait la route à la colère qui montait en lui. Franchement, si ça faisait tellement chier le 3-A de s’occuper des autres, pourquoi avait-il décidé de le faire ?

Mais la colère de Nathan n’avait pas le temps de se propager car Bunta reprit la parole. Sans scrupule, il posa ses mains sur différentes partie du corps de notre francophone pour le mettre correctement en place, tout en lui expliquant ce qu’il devra faire. Alors, une fois en place –de profil, le dos droit, les jambes légèrement écartés, bien en équilibre sur ses pieds, le regard fixé sur la cible- Nathan attrapa son arc et observa un peu comment faisait les autres. Il tenta de reporter ce qu’il y voyait, sur lui … en vain. Le plus simple aurait été que Bunta lui fasse, lui-même, une démonstration, mais Nathan n’allait pas oser l’interpellé là-dessus.

Prenant donc sur lui, notre jeune tennisman haussa les épaules et tenta de se remémorer le cours de tir à l’arc auquel il avait assisté une fois. N’étai-ce pas à peu près la même chose ? Si. Le kyudo c’était comme le tir à l’arc en plus Japonais et plus lent. Du moins, tel en fut la conclusion de Nathan, lorsqu’il prit le temps de se mettre en place, viser, arrêter sa respiration le temps de tirer puis lâcher la corde et voir comment la flèche alla se planter dans la cible. Certes, elle avait raté le milieu mais au moins elle n’avait raté la cible. Hochant une fois la tête, Nathan se tourna et observa Bunta puis l’interrogea du regard.

« Je dois savoir autre chose ? » demanda-t-il sur un ton plus neutre, presque aussi sec que celui qu’avait utilisé son camarade, tout en attrapant la deuxième flèche.

Ben ouais, pourquoi se montrer gentil avec quelqu’un qui ne faisait pas cet effort de son côté ?

Froid ? Oui bien sûr. Comme toujours. Objectivement n'importe lequel de ses camarades oud es élèves ayant croisé la route l'aurait qualifier ainsi. Froid et renfermé. Le troisième année se tenait à l'écart de tous autant que possible bien qu'il n'envoie que rarement paître les autres lorsqu'ils avaient besoin de lui. On ne pouvait guère le qualifier d'injuste puisqu'il se montrait aussi pondéré que possible. Simplement, Bunta était quasiment inabordable sorti de ces quelques situations.

Pour l'heure il ne parut pas s'émouvoir outre mesure du ton neutre à la limite de la sécheresse de son vis-à-vis. Le long arc était bien plus grand que le garçon mais quoi qu'en pense l'étranger, à peu près il était adapté à sa taille comme à sa morphologie. L'objectif n'était pas de compliquer la vie à ceux qu'il initiait. Et ainsi la première flèche partie, l'arc vibrant plus qu'il ne l'aurait fallu. Le pointe s'était fichée dans la cible et un semblant de sourire ou amusé ou narquois étira les lèvres du Chef de comité.

« Bien joué, Scott. »

Si c'était presque encourageant – même si le ton restait assez peu enthousiaste – cela ne l'empêcha pas de venir corriger la position du brun. Une fois satisfait, il entreprit de lui expliquer ce qui manquait à son savoir.

« Comme je te le disais plus tôt, le kyudo ne consiste pas uniquement à tirer des flèches. Viser juste est moins important que l'harmonie que tu dois atteindre, mais je t'éviterais le discours là-dessus. Tu risques de t'embrouiller l'esprit sans comprendre. »

Il marqua une brève pause, détaillant les traits de son vis-à-vis.

« Retiens simplement qu'il y a plusieurs étapes à suivre avant de tirer la flèche. Tu as réussi ton tir d'un point de vue matériel tout à l'heure, mais dans l'esprit du kyudo, c'était un peu... rapide. »

La phrase de Bunta avait quelque chose d’encourageant. Et pourtant, Nathan ne pouvait s’empêcher de se demander, s’il était sincère dans ses propos. Il est vrai que, suite au ton neutre, à la limite du je-m-en-fou-de-ce-que-tu-fais, notre francophone avait du mal à distinguer le sincère de la comédie dans le ton de son camarade. Enfin soit.

Nathan l’observa, esquissa un sourire en coin puis senti à nouveau ses mains sur lui, afin de corriger sa position. Il se laissa faire sans réticences et retrouva ainsi, rapidement, la position adéquate pour tirer la deuxième flèche. Après avoir écouté attentivement le reste de l’explication de l’initiateur, Nathan attrapa la flèche qu’il lui tendit et se concentra sur sa cible. Faisant abstraction de tous les bruits et gestes extérieur, susceptible de déranger sa concentration, il s’efforça à calmer sa respiration. Prenant plusieurs grandes inspirations, il senti un calme intérieur s’emparer de lui. Très vite, il n’y avait plus que lui, son arc, la flèche et la cible. Bunta et les autres avaient disparu. Les yeux légèrement plissés, le regard rivé sur la cible, Nathan reprit une grande inspiration, tandis qu’il mit sa flèche en place et banda son arc, puis retint son souffle, le temps de lâcher la corde. La flèche rata de peu sa cible et Nathan afficha un sourire silencieux. Même si son deuxième essaie n’avait pas atteint sa cible, notre jeune homme avait comme l’impression d’avoir tapé juste, au niveau de « l’esprit du kyudo », comme l’avait dit Bunta.

Se redressant un peu, notre apprenti Kyudojin se tourna vers le jeune homme à ses côtés et sourit doucement, haussant les épaules.

« Ce n’est pas encore tout à fait ça, je présume » dit-il doucement, oubliant d’utiliser le ton neutre et sec d’avant. Son sourire s’étira quelques peu, tandis que son regard glissa vers la flèche qui se trouvait à deux mètres de la cible « On sent dans ce sport, tout l’esprit zen du Japon. Esprit qui aura toujours le don de m’étonner » remarqua-t-il en secouant doucement la tête.

Il est vrai que Nathan ne vivait que depuis 3 ans au Japon. Bien qu’il se fut acclimaté sans problèmes à ce pays si différent que la France, il n’avait pas encore découverts tous les secrets qui se cachaient au Japon …

Le kyudo réduit à un sport eut le don de crisper Bunta qui prit sur lui pour rester aussi zen qu'il le pouvait. Autant le brun s'en était bien sorti s'il en jugeait par ce qu'il avait pu observer de son comportement, autant malgré ses capacités d'abstraction de ce qui l'entourait, il ne saisissait pas l'essence même de la pratique. Qu'importe. A choisir Bunta préférait encore qu'il ne s'y intéresse pas de trop près : il aurait été bien ennuyé de le voir comme nouveau membre du club. D'ailleurs il ne savait même pas dans lesquels Scott était déjà.

« Le Japon ne se limite pas au zen, mais c'est une bonne chose si tu commences à appréhender ce qui fait notre force. »

Tout en retenue, tout en contrariété masquée. Son ton frisait avec la neutralité absolue et son visage lui-même n'exprimait rien de véritablement définissable. Le leader du comité de discipline s'obligea tout de même à un peu moins de passivité pour contenter l'enthousiasme – relatif mais il semblait sincère – de l'étranger.

« Je suis surpris que tu t'en sortes aussi bien en si peu de temps. Ta prise en main n'est pas trop mauvaise pour un débutant et tu sembles réceptif à ce que je te dis. »

Il ne bougea pas cette fois, ni ne corrigea sa position. Son regard quitta rapidement le visage de son camarade de classe pour aller se poser sur les flèches de l'autre côté du terrain. A côté d'eux, en ligne, d'autres débutants s'essayaient au kyudo. Il lui suffit d'une brève vérification pour voir que la file des volontaires s'épuisait doucement. Puis il en revint à celui dont le nom lui évoquait les Américains, bien qu'il ne se rappelât pas que Nathan soit originaire de là-bas.

« Tu as fait du tir à l'arc dans ton pays ? »

Et les mots tir à l'arc étaient teintés d'un sain mépris envers ce qu'il considérait comme une discipline sans âme.

Bunta semblait un peu plus détendu. Ne montrait-il pas aussi un peu plus de compréhension et d’enthousiasme ? Du moins, plus qu’en début de séance. Fait est que Nathan commençait à se sentir un peu plus à l’aise en compagnie de son camarade. D’autant que ce dernier commençait tout doucement à s’intéresser de plus près à notre jeune français. Affichant un petit sourire, notre jeune homme secoua la tête

« Je n’ai suivis qu’une seule fois un cours de tir à l’arc » dit-il en haussant doucement les épaules « Disons que ce n’est pas un sport très répandu en France » continua-t-il en attrapant la troisième et dernière flèche qu’il avait le droit de tirer.

Se concentrant et s’efforçant à faire abstraction de ce qui l’entourait, Nathan reporta son attention sur la cible, la fixant. Il prit plusieurs grandes et longues inspirations, se laissa à nouveau submerger par le calme intérieur et tira la flèche. Celle-ci alla se figer dans la cible, ce qui arracha un plus grand sourire à notre jeune homme. Sourire qui diminua légèrement en rendant l’arc à Bunta.

« Merci Yoshitsu-kun, pour ta patience » dit-il d’un ton enjoué, sans pour autant réussir à cacher le semblant d’ironie qui s’y mêlait. « C’était fort intéressant de découvrir ce sp … cet art »

Bunta se garda de toute réponse supplémentaire quant au tir à l’arc, aidé en cela par la troisième flèche que Nathan récupérait déjà. Etait-il pressé d’en finir ? Le kyudojin le retint toutefois pour laisser le temps aux autres archers de tirer leur propre flèche, puis se plaça en retrait alors que Nathan tirait. Son regard s’attarda sur la silhouette détendue malgré l’effort. Il était vrai que l’autre était tennisman, ça expliquait certainement ses facilités pour maintenant l’arc bander sans trop peiner.

La flèche atteint la cible, à moitié à l’étonnement de Bunta. Il y avait du potentiel chez le Français, mais il ne le souligna pas. Au mieux s’abstint-il de toute remarque négative et récupéra l’arc alors que l’autre le remerciait de sa patience. Si l’ironie fut entendue, rien ne le laissait voir.

« C’est moi qui te remercie de ton intérêt, Scott-san. » fit-il avec les formes requises. « Passe une bonne journée. »