Yuya s'était levé en même temps que le soleil ce matin la. Dès quatre heure et demie du matin, sa journée de travail avait commencé. Tout s'était déroulé normalement, de la réception des livraisons à la gestion des premières commandes, jusqu'au nettoyage de la salle. A midi, son repas avait été léger, puis il quitta son employeur pour retourner à sa chambre. On était samedi, et l'étudiant comptait mettre à profit le reste de sa journée pour réviser, seul. Ce n'est que plusieurs heures plus tard, lorsque le soleil se couchait et que ses colocataires rejoignirent leur chambre qu'il se décida enfin à ressortir. Le dojo serait sûrement vide,ou tout du moins il l'espérait.

C'était un bel endroit, l'un de ceux de l'école qui l'attirait le plus. Jusqu'ici, l'étudiant avait réussit à s'arranger pour n'y aller que lorsque l'endroit était vide de toute vie. Durant les cours, quand toute la marmaille étudiait, ou alors tard le soir, juste avant le couvre feu. Sans doute était-ce prendre un risque que d'y aller pour une fois un tout petit peu plus tôt, mais la fatigue serait trop intense pour y aller plus tard. Son sac sous le bras, le rônin rejoint les vestiaires, et s'y changea rapidement. Une fois son hakama d’entraînement enfilé, celui-ci étant aussi noir qu'une bonne moitié de sa garde robe, le jeune homme récupéra son katana dans son sac. Une belle pièce, offerte lors de son seizième anniversaire. Régulièrement, il l'entretenait, l'aiguisait, mais lors de ses entraînements, le fourreau était toujours fermement scellé, accroché au pommeau par une lanière.

Enfin, Yuya pénétra la salle, et se figea presque instantanément. Une autre personne était déjà la. La silhouette, en tenue traditionnelle, lui rappelait furieusement quelque chose...Ces longs cheveux...D'un pas, il décala pour mieux l’apercevoir et...

Avant même que le rônin ne puisse s'en rendre compte, ses pas le menèrent près de plus jeune. D'une main ferme, il se saisit de son col et le plaqua avec force contre le mur le plus proche, l'y maintenant ensuite. Ryosuke. Son cousin. Le simple fait de le voir le plongeait dans un mélange d'émotions confuses et contradictoires. Pendant un instant, Yuya hésita, voulu le prendre dans ses bras, puis se retint, pour le coller plus fermement au mur. Son regard, fixe, ne quittait plus Ryo. Un peu plus et il aurait sans doute fait un trou à travers lui.

Un léger frisson lui causa la chair de poule. Un frisson de peur et de colère en même temps. L'ex-délinquant appréciait vraiment son cousin, seulement voilà, il faisait partie des rares personnes à connaître son secret...Et à lui rappeler son passé. Mais ce n'était peut-être même pas le pire. Non, le pire, c'est que l'autre garçon gardait sans doute des contacts avec leur famille. En une discussion, sa belle cachette aurait pu être détruite, et sa famille aurait pu en profiter pour cracher à nouveau sur le peu d'honneur qu'il n'avait pas déjà perdu.

« Avec tout le respect que j'te dois, qu'est-ce que tu fout ici, Ryosuke-kun ? »

Le ton était tendu, pour un peu, une légère touche d'hystérie se serait presque fait entendre. Mais au lieu de se laisser aller encore plus, il inspira, expira, profondément, à plusieurs reprises. Son très cher cousin ne devait pas parler...Et Yuya connaissait très bien un ou deux sujet tabou pour l'autre jeune homme, qui suffiraient sans doute à garantir son silence. Pourquoi entrer directement dans un rapport de force ? Pourquoi ne pas baisser pour une fois les armes pour tenter de rabibocher avec le kendoka ? Un orgueil très mal placé l'en empêchait, de même que la crainte d'être rejeté, à laquelle il ne préférait pas penser.

[Voilà, désolé pour l'attente, l'inspiration me fuyait ><]

Ses yeux ne quittaient plus le visage de son cousin. Il le scrutait, intensément, peut-être pour essayer de deviner ce qu'il se passait dans sa tête. Lui même ne savait pas trop comment réagir face au jeune homme, trop de choses entre eux, de souvenirs, de non dits...Au final, Ryosuke ne l'avait pas vu changer, ne pouvait se rappeler que de la brute épaisse que le ronin avait été autrefois, et Yuya n'était pas vraiment sur d'avoir envie de lui montrer son évolution. Question d'orgueil, la encore. Et malgré le fait que les mouvements répétés de l'autre pour se libérer l'agaçaient, le serveur ne fit rien pour l'arrêter. Faire du mal à son cousin ? Pas question, le rudoyer un peu était déjà plus que suffisant. Le fait de ne pas savoir comment réagir face à son antagoniste le perturbait un peu, mais l'agitation et le trouble qu'il avait réussit à provoquer chez le plus jeune suffit à le rasséréné. Allez savoir pourquoi, mais ne pas laisser les gens indifférents et réussir à troubler les personnes le plus calmes et maîtresses d'elles mêmes avait toujours ajouté une légère dose de satisfaction personnelle chez l'ex-délinquant. Face à lui, les masques tombaient.

Puis ce fut à son tour d'être perturbé, en entendant la réponse qu'il attendait. Le serveur s'en était douté en le voyant au dojo, et pourtant cela ne facilitait pas le fait de l'entendre clairement. L'étudiant relâcha son cousin puis remis son col en place. Les bras croisés, l'air froid, bien plus calme qu'avant, son attitude était aussi plus fermée. Du fait de ce que le ronin pensait savoir, c'était assez logique au final que Ryosuke ait voulu s’éloigner un peu, d'avoir un autre cadre. Les choses étaient-elles difficiles pour lui dans la famille ? Sans doute. Une partie de lui aurait voulu lui dire une parole d'encouragement. Mais comme toujours, il la fit taire.

« Quelle ironie... »

Un léger soupire s'échappa de ses lèvres, et il secoua un peu la tête.

« Je suis inscrit aux cours du soir, ici, et je... »

Je quoi ? Je t'interdit ? Je vais te péter la gueule si tu en parles ? Je vais te pourrir ton année scolaire si tu mentionne ne serait-ce que mon existence à quelqu'un de la famille, ou mon passé à quelqu'un de l'école? Non, Yuya le savait, menacer et tempêter aurait pu être efficace pour qu'il se taise, mais voulait-il qu'il se contente de se taire ? A défaut de vouloir absolument se rapprocher du plus jeune, le serveur ne voulait pas non plus que celui-ci se balade avec la hantise de le croiser dans l'école. Et la situation n'était-elle pas excellente pour s'entraîner à se comporter comme quelqu'un de civilisé ?

« ...Et j'aimerai que tu gardes ça pour toi. »

Voilà. Par les kamis, ça lui avait presque arraché la gueule de demander si poliment, si...gentiment. Toujours sans s'écarter, coinçant encore plus ou moins Ryosuke contre le mur, il craqua et finit par ajouter une phrase qu'il aurait sans doute du retenir d'un point de vue diplomatique.

« Sinon, il se pourrait bien que les gens ici en apprennent plus sur toi qu'ils ne le veulent vraiment. »

Et merde. Déjà Yuya regrettait sa dernière phrase. Se sortir de ce cercle vicieux qu'était la menace et la domination était difficile...Et lorsque le stress ajoutait à son manque total d'expérience en matière de tact et de diplomatie, il finissait souvent ainsi, à menacer et à demander en même temps, s'embrouillant tout seul et embrouillant ses vis-à-vis par la même.

Depuis très longtemps, Yuya avait beaucoup de peine à faire confiance. Peu importait que la personne ne l'ait jamais trahit, ou soit discrète et sache garder un secret. Dans sa tête, tant qu'il existait la moindre probabilité qu'on puisse trahir sa confiance, et quel qu'était le motif, l'étudiant préférait ne pas l'accorder. Les peut-être et les si continuaient de tourner indéfiniment dans son esprit, et le doute l'assaillait en permanence. Certains auraient dit que c'était une solution de facilité, et même Yuya n'aurait pas eu assez de mauvaise foi pour les contredire. Ainsi, rares étaient les gens sur qui il se reposait, de qui il ne doutait pas. Ryosuke était pourtant un type bien, le rônin le savait. Et par bien, on ne parlait pas simplement de correct, mais de profondément bon. Dans un film, son cousin aurait eu le rôle du héros brillant, sauvant la veuve et l'orphelin sans rien demander en échange. Une part de lui le croyait et voulait continuer de le faire, tandis que sa conscience lui intimait de rester très prudent. Il soutint son regard, moins durement que ce que à quoi l'autre étudiant aurait pu être habitué avant, puis se laissa repousser sans broncher, reculant de lui même pour libérer l'espace de l'autre.

Durant un moment, le serveur l'observa. Inconsciemment, son attention se portait sur quelques détails. La pâleur de sa peau, son poids apparent, la présence de cernes ou non. Son regard se radoucit un peu. Apparemment, il semblait en bonne santé, mais Yuya savait aussi que se fier aux apparences n'était pas une bonne idée. Et même si c'était très loin d'être une habitude pour lui de montrer qu'il se souciait des gens, il était pour une fois décidé à faire des exceptions. Ryosuke n'était pas n'importe qui, après tout. L'ex-délinquant n'avait rien de superstitieux, seulement voilà, les voir réunir ainsi...Alors qu'ils auraient très bien ne jamais se recroiser...N'était-ce pas un signe ? Le doute s'insinua dans son esprit, le doute et l'envie de savoir ou en était l'autre garçon dans sa vie, comment il allait. Ça ne tenait qu'à lui de s'arranger pour pas tout foirer, cette fois, et ça l'étudiant en avait bien conscience. Aussi, après un énième soupir, le jeune homme pris la parole, faisant une chose parfaitement inédite pour lui, ou presque.

« Excuse moi pour la menace. La surprise m'a fait parler sans réfléchir. »

Voilà qui était mieux. Rien n'obligeait le plus jeune à accepter ses excuses, car ne devait-il pas en avoir marre du caractère de cochon et des réactions à chaud de son cousin ? Mais au moins, c'était dit., et c'était sincère. Cette énième réflexion fit prendre conscience au rônin que la plupart du temps, lorsqu'ils étaient face à face, Ryosuke était de loin le plus mature. Au final, ne semblait-il pas être une personne idéale pour recommencer à sortir de sa coquille ? Si tant était que l'autre veuille avoir quoi que ce soit à faire avec lui, évidemment.

« ...Être un criminel n'a jamais été une de mes ambitions. J'ai cherché un moyen de faire autrement et de tourner la page, et on a bien voulu me laisser une nouvelle chance. Je travaille en ville, et j'étudie ici...Donc non, il ne s'agit d'une nouvelle combine. »

Un vague sourire passa sur ses lèvres, et Yuya se passa une main sur la nuque, fermant les yeux un moment. Ce n'était pas si compliqué, finalement, de ne pas sauter à la gorge du premier venu sans raison. Posant à nouveau son regard sur son cousin, il s'étira un peu, pour faire s'évacuer la tension qui subsistait encore dans ses muscles.

«Et toi? Comment ça se passe à la maison ? Tu...Enfin, je me doute que si tu es ici, c'est pour être un peu tranquille. Et ici...ça se passe bien? »

Les questions étaient posées du bout des lèvres, le jeune homme parlant plutôt bas. Principalement pour n'être entendu que de Ryosuke, qu'il s'était remis à fixer, bien plus calme et serein que le plus jeune ne l'avait sans doute jamais vu.