La scène avait eut quelque chose de totalement abstrait, comme lorsqu'il regardait des films ... A l'exception près que le corps d'Eiji était bel et bien là, lourd sur ses genoux. Mais sa participation à la scène s'arrêtait là, sorte de spectateur silencieux qui avait laissé le brun prendre les choses en main. Après un temps de latence, Kantaro avait semblé réaliser la portée de son geste. Le coup de poing rageur avait pris bien plus d'ampleur, plongeant le kendoka dans l'inconscience. La manière étrange dont cela s'était produit, comme à retardement, n'était pas pour calmer les deux jeunes gens dans la pièce.
Loin de rester figé, il avait pris les choses en main, au grand soulagement de Hugh qui ne se serait jamais vu dans ce rôle. Appeler les secours, en bonne et due forme, et ensuite accompagner Eiji ... Les choses s'étaient déroulées comme dans un demi rêve, le seul instant conscient ayant été celui où Hugh, ainsi que Kantaro, s'étaient manifestés pour accompagner Eiji. Le trajet avait été silencieux, alors que le jeune homme allongé sur le brancard papillonnait un peu des yeux, apparemment à la limite de la conscience. Hugh avait regardé plusieurs fois Kantaro, cherchant un appui en lui. Le visage froid et fermé, celui regardait obstinément devant lui, alors que les lumières de la ville, tour à tour jaunâtres et bleutées, défilaient sur son visage avec une régularité mécanique seulement troublée par les à coups du véhicule.
Une fois à l'hôpital, le jeune homme sembla perdre de son assurance, comme une machine bien rodée arrivée au bout de ce qu'elle avait à faire. Eiji avait été mis sur un brancard de l'hôpital et vu par un médecin qui lui avait choisi un service où il avait apparemment été conduit. Les deux jeunes gens avaient suivi le mouvement, se retrouvant bientôt face à une jeune femme en tunique qui se mit à les questionner sur ce qu'il s'était passé. Kantaro était resté muet.
Après une profonde inspiration, Hugh avait pris le relais. Que s'était-il passé ? Il avait eut envie de raconter une histoire de coup pris au kendo, mais la sincérité l'avait emporté, le jeune homme se disant que le mieux à faire pour Eiji était certainement de dire la simple vérité, sans entrer dans les détails. Il avait alors fait part d'une altercation entre les deux colocataires, comptant sur son allure tranquille pour assumer la portée de ses actes. Peu soucieuse du pourquoi et du comment, la jeune femme face à lui avait noté tout cela sans mot dire, avant de leur indiquer de s'asseoir.
Sans trop savoir à quel moment cela était arrivé, ils se retrouvèrent finalement tous deux dans un couloir vide et froid, où ronronnait un distributeur de boisson dont la moitié des cases affichait "indisponible". Kantaro, figé devant le guichet, semblait tétanisé.
" ... Kanta... "
Hugh prit la main du jeune homme, le forçant à venir s'asseoir avec lui sur la lignée de chaises destinées aux visiteurs. La situation avait un petit quelque chose de surréaliste. Hugh avait l'habitude des hôpitaux ... Mais pas pour ce genre de choses. Il se demandait ce qu'il pouvait arriver à Eiji maintenant. Encore une fois, son regard revint vers Kantaro, il cherchait une accroche, un point stable auquel se raccorder. Il n'aurait jamais imaginé le voir un jour dans une telle colère, ni que celle-ci aurait de telles conséquences. Le blond se tordait les doigts, cherchant quoi dire pour tirer le jeune homme de la léthargie dans laquelle il semblait plongé.
Eiji se souvenait difficilement de son arrivée dans les lieux. A quel moment les choses étaient-elles devenues aussi floues et cotonneuses que dans un rêve ? Ou un cauchemar plus précisément, avec cette impression ignoble de ne plus être maître de soit et de regarder les évènements se dérouler autour de soi sans aucune prise dessus. Il avait vaguement repris conscience dans l'ambulance, quand la lumière braquée dans ses yeux des urgentistes s'était faite trop désagréable. Il avait bougé, repoussant l'homme d'un geste de main un peu mou. Son geste avait semblé satisfaire l'homme plus que de raison.
Les choses s'étaient solidifiées autour de lui, petit à petit, quand il était arrivé à l'hôpital. Les lumières crues et les murs trop blancs avaient été douloureux à regarder, lui faisant étroitement fermer les yeux jusqu'à ce qu'une personne en blouse blanche l'incite à les rouvrir en lui parlant doucement. A ce stade, il avait été isolé dans une sorte de box, seul sur un brancard. Peu habitué des lieux de soins, le jeune homme aurait pu facilement croire qu'il avait été oublié dans un placard.
A partir de ce moment, les choses avaient commencé à reprendre un sens. La personne à la voix douce avait été un jeune médecin qui l'avait longuement examiné, les yeux, la tête, lui faisant levé les bras et serrer ses mains dans un rituel parfaitement obscur pour l'adolescent. Et toutes ces remarques pour dire qu'il allait bien furent mises de côtés comme insignifiantes.
Le jeune homme ne voyait pas l'intérêt de se prendre la tête pour un simple mal de crâne. Certes, il avait la tête comme une pastèque, et aurait sûrement un magnifique hématome sur le côté du crâne - mais rien d'insurmontable non ? Avec plus ou moins de tact, l'infirmière qui poussait son fauteuil vers la radio - la jeune femme lui avait interdit de se lever, lui promettant quelque chose pour son mal de crâne s'il restait sage au moins jusque là - lui avait rappelé qu'il était resté étendu sur le carreau une bonne dizaine de minutes pour le compte, et qu'il avait donc gagné le droit de subir quelques examens avant qu'il puisse retourner recommencer se taper dessus avec ses petits camarades.
Cela avait suffit à faire taire Eiji - au moins le temps de la radio.
Pour quelqu'un qui semblait opposé à la violence, Fugiwara avait une bonne droite. La migraine occulté les sentiments qu'il pouvait avoir à ce sujet. La migraine, l'hôpital, et le ballet des blouses blanches qui ne se nommaient pas et dont il pouvait à peine deviner le rôle.
Tenant parole, l'infirmière lui avait finalement tendu un verre avec un comprimé en train de se dissoudre, lui promettant soulagement et paix éternel s'il le buvait. A ce stade de douleur, Eiji n'avait plus besoin d'être cajolé ou menacé pour prendre un médicament, et il but le verre cul sec à la plus grande satisfaction de sa gardienne.
Qui ne semblait pas vouloir l'abandonner, le traînant maintenant vers une autre salle d'examen, le trimballant dans les couloirs sans fin de l'hôpital. Contrairement à l'accueil, ils n'étaient pas tous trop lumineux et blanc : certains étaient sombres, voir glauque, la peinture écaillée par moment. Cette fois, ce fut le scanner lui indiqua le petit panneau sur la porte, doublé d'un pictogramme interdisant l'utilisation des portables dans la zone. Après avoir vérifié l'intégrité de son crâne, l'infirmière lui expliqua que le médecin voulait maintenant faire de même avec sa cervelle.
Eiji ferma les yeux. Le plus simple semblait de se laisser faire jusqu'à ce qu'on le laisse ensuite partir. Une fois n'est pas coutume, il n'avait pas la force de se rebeller.
Le jeune médecin qui avait examiné le kendoka finit par retrouver ses camarades dans une des salles d'attente de l'hôpital. Les gamins l'avaient accompagné avant d'être planté là, jusqu'à ce qu'il se souvienne de leur existence. Il supposait qu'ils avaient le droit d'être rassuré s'ils attendaient encore, même sans être membres de la famille. Le gamin étant pensionnaire, la famille au loin... ils avaient déjà prévenu les parents, en expliquant que ce n'était pas trop grave et qu'ils n'avaient pas besoin de se ruer au chevet de leur rejeton. C'était presque plus simple quand il n'y avait aucune famille hystérique à côté.
" Vous êtes les deux personnes qui avez accompagné Kimihiro-kun ? Il ne devrait pas tarder à sortir du scanner. Nous le gardons cette nuit en observation, et il sortira demain matin normalement. Vous pourrez le voir bientôt."Kantaro Fugiwara [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Mécanique parfaitement rôdée, Kantaro avait agi instinctivement. Appeler les secours, vérifier le pouls et la respiration d'Eiji, le jeune homme n'avait jamais vraiment songé à l'application de ses formations aux premiers secours auxquels il avait eu droit dans son précédent lycée, mais il fallait avouer que cela s'avérait bien utile. Même si le kendoka n'avait fait que perdre connaissance, au moins cette vérification était-elle un peu rassurante, ... et le temps d'attente moins long ainsi occupé.
Le trajet jusqu'à l'hôpital lui paru bien plus long à ne pouvoir rien faire. Le regard fixé sur un point imaginaire en face de lui, Kantaro prêtait une oreille attentive aux paroles des ambulanciers à un Eiji en état de semi conscience. Mentalement, il s'accrochait à ces bribes de phrases pour savoir comment allait le jeune homme. Puis un médecin le prit en charge à leur arrivée aux urgences, et Eiji disparut de son champ de vision.
Sans ce point d'encrage, son esprit vacilla un moment, cherchant désespérément quelque chose à quoi penser, refusant de revenir sur la raison de leur présence en ces lieux. Jusque là, il n'avait eu que l'état d'Eiji en tête. A présent, il était perdu. Il perçut vaguement une voix qui s'emblait s'adresser à lui, puis celle de Hugh y faisant écho, sans réussir à comprendre ce qui se disait. Les sons lui parvenaient mais il n'arrivait pas à dissocier les mots, qui perdaient alors tout sens. Une succession de syllabes sans cohérence plus tard, le silence se réinstalla, assourdissant malgré les allées venues du personnel médical.
Kantaro fut tiré de sa semi léthargie par la voix de Hugh énonçant timidement son prénom sans oser aller jusqu'au bout. Il sentit une main prendre la sienne et l'entraîner jusqu'à une chaise pour l'inciter à s'y asseoir. Docile, il s'exécuta, le regard glissant sur la main qui le tenait encore.
Lorsque l'américain le lâcha, ses yeux restèrent rivés sur sa propre main, celle-là même qui avait frappé Eiji. Son esprit sortit instantanément de sa bienheureuse léthargie, replongeant dans la réalité de façon un peu trop brusque. Les scènes du passé et celles plus récentes vinrent se mélanger dans sa tête dans un joyeux désordre. Mais, quelque soit la manière dont il essayait de rassembler les évènements, il en arrivait à ce même constat affolant : il avait frappé quelqu'un qui ne lui avait rien fait ...
Ses doigts tremblèrent et il serra le poing, le recouvrant de son autre main pour dissimuler la coupable hors de sa vue. Kantaro baissa la tête, faisant disparaître les traits de son visage derrière les mèches de cheveux châtains.
" Que... Qu'est-ce ... que j'ai fait ... "
Kantaro restait silencieux à coté de lui, le regard fixé devant lui. Le regard de Hugh, fuyant, coulait de son visage à ses mains, sans oser le poser nul part, regardant parfois alentours comme en quête lui aussi d'une chose à laquelle se raccrocher. La situation était il fallait l'avouer des plus étranges, que ce soit leur présence ici, ou le comportement inhabituel de Kantaro, ou tout simplement la réaction qu'il avait désormais. Hugh haussa un sourcil en voyant les mains tremblantes.
Le visage un peu détourné, Kantaro laissa échapper quelques paroles qui ne demandaient pas forcement réponse. Dehors, le tonnerre gronda, comme pour ponctuer ses paroles, suivi presque aussitôt du bruit de la pluie qui frappait les vitres du bâtiment. Rien qu'à la vue de la pluie, Hugh avait la sensation d'avoir froid. Purement psychosomatique, non ? Il détourna la tête, cherchant ses mots. Il avait l'impression que quoi qu'il puisse dire ... ça ne serait pas ce qu'il fallait dire.
" ... Il ne va pas si mal, ne t'inquiètes pas. Il se réveillait déjà dans l'ambulance. Ils lui font sûrement passer des examens de sécurité. Ils sont un peu paranos dans les hôpitaux. "
Le ton de sa voix avait piteusement tenté de se faire plus enjoué sur la fin, mais cela tombait à plat. Hugh se frotta la nuque, gêné. Avisant le distributeur, il se leva, fouillant dans sa poche qui contenait quelques piécettes, et bientôt deux canettes tombèrent avec un bruit sourd dans le bac. Le jeune homme tendit la main, les récupérant avant de rejoindre Kantaro, lui tendant la canette de thé chaude. Voilà bien un détail qu'il se souvenait apprécier au japon : ces distributeurs présents aux quatre coins des rues qui de plus proposaient les boissons chaudes. Un vrai bonheur. Il gardait contre lui la canette de café qu'il s'était choisi. Il n'était pas censé y avoir droit. Tant pis, une petite entorse au règlement ne faisait pas de mal.
" ... Qu'est ce qu'il s'est passé ... au téléphone ? "
C'était peut-être osé de demander cela, eut égard à la pudeur japonaise. Mais de cela, Hugh n'avait cure. Il y avait quelques temps déjà qu'il avait renoncé à se conformer à l'ambiance environnante. Il détonnerait quoi qu'il fasse, alors, autant assumer cela jusqu'au bout. Et il souhaitait véritablement savoir. Sans qu'il sache pourquoi, le courant passait entre lui et Kantaro. Il eut certainement passé de même avec Eiji si le jeune homme ne s'était pas montré si colérique, songea t'il alors.
Eiji avait-il mérité ce coup de poing ? Il n'aurait pas été jusqu'à le dire ainsi, mais ça lui semblait tout de même une suite logique des choses. A force de s'emporter aussi facilement ... Et Kantaro comme lui étaient de vrais mecs qui finissaient par résoudre les choses à la force de leurs poings. Même si, en l'occurrence, il n'y avait pas véritablement eut de conflit ouvert entre eux deux. Juste un coup de téléphone qui avait plongé le jeune homme abattu devant lui dans un état second qui l'avait momentanément désinhibé et conduit à briser la glace.
Hugh se souvenait très bien du jour où il avait intégré la chambre 6. Du regard de Kantaro sur sa joue. De la remarque qui avait suivi, et de son comportement dans les douches. La violence lui faisait horreur. Hugh avait même l'impression que quelque part, il y avait quelque chose en plus par dessus ça, sans parvenir à mettre le doigt dessus ... Kantaro était si discret, au final. Que ce soit sur ses goûts, ses activités ou sa vie privée. Ce que Hugh savait, il l'avait appris à force d'observation et de réflexion, mais jamais le jeune homme ne lui avait directement fait part de choses le concernant. Comme son attirance immodérée pour le thé, dont il lui tendait une canette en cet instant.
Kantaro Fugiwara [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Les paroles de Hugh glissèrent sur le 4ème année, comme l'eau sur les plumes d'un canard. Certes, il s'inquiétait pour Eiji - il n'avait jamais réalisé à quel point ses coups pouvaient être violents, les balles de tennis n'ayant pas pour habitude de se plaindre - mais ce n'était pas ce qui le torturait le plus en cet instant. S'il se souvenait parfaitement d'avoir frappé le jeune homme, il revoyait la scène comme il l'avait vécue : en dehors de son corps, comme s'il était spectateur et non acteur. A quel moment s'était-il dissocier ainsi de lui-même ?
L'arrivée d'une cannette dans son champ de vision interrompit Kantaro dans sa séance de torture mentale. Il s'en saisit machinalement, émettant un vague remerciement à l'adresse du blond. Un thé chaud pour un peu de réconfort ... Avec la pluie qui tapait sur les vitres, la boisson serait d'autant plus agréable. Mais au fait, depuis quand s'était-il mis à pleuvoir ? ... Kantaro esquissa un semblant de sourire. Ces petites pensées anodines et frivoles avaient des vertus étrangement apaisantes.
Cependant, la question de Hugh le ramena à des idées beaucoup plus sombres en faisant renaître la colère un moment étouffée par les évènements. Sa main trembla, serrant plus que nécessaire la cannette entre ses doigts, et son visage se crispa dans une tentative d'éteindre à nouveau ce sentiment. Le regard assombrit, il tourna la tête vers le blond, ouvrant la bouche à deux reprises avant de se détourner, avalant une gorgée de thé dans un mouvement un peu sec.
" ... Désolé que tu ais assisté à ça ..."
Oh que la tentation était grande de mettre son comportement sur le dos de ce coup de téléphone, de cette femme ... C'était bien à cause d'elle qu'il avait atteint un tel niveau de colère. A cause d'elle et de ce père irresponsable qui n'avait rien trouvé de mieux à faire que de lui donner son numéro de portable. Mais Kantaro n'était pas du genre à fuir ses responsabilités et, si sa fureur était imputable à ces deux personnes, rien ne justifiait son acte. Il avait déchargé ses sentiments sur une personne. La violence n'était excusable que dans deux cas : pour protéger quelqu'un ou pour se défendre. Et rien de cela ne justifiait son geste.
" Je l'ai frappé, Hugh ... Juste parce que j'étais en colère ... Je l'ai frappé ... Comment est-ce que j'ai pu faire une chose pareille ?! Je ... "
Kantaro fut interrompu par l'arrivée d'un jeune médecin qui débita quelques paroles d'un ton neutre au sujet d'Eiji. Il aurait aimé en savoir plus mais supposait que, n'étant pas membre de la famille, il n'aurait pas plus d'explication que ça. Pouvoir voir Eiji était déjà une bonne chose en fait. Il n'aurait pas cru que cela soit possible.
" Est-ce que je peux rester ici cette nuit ? "
" Ca ne servirait pas grand-chose et il n'y a pas de lit accompagnant pour quelqu'un qui n'est pas membre de la famille. "" Je resterais dans la salle d'attente. "
Le médecin haussa les épaules, dans une attitude qui pouvait être traduite comme un accord, avant de repartir en leur disant d'attendre qu'une infirmière vienne les chercher pour aller voir Kimihiro. Kantaro soupira, réchauffant ses mains froides à la paroi de la canette.
Même s'il l'avait voulu, Hugh aurait été bien incapable de savoir les tourments qui habitaient Kantaro, et la véritable raison de son angoisse. Comment aurait-il put le savoir ? Impossible pour un œil extérieur de relier cette cicatrice aperçue une fois, séquelle d'un accident, et ce coup de téléphone rageur. L'américain sentait bien confusément que tout cela était lié d'une façon ou d'une autre, mais de là à réussir à définir d'où provenait le dégoût de Kantaro pour la violence ... Debout devant lui, il n'osait se rasseoir, cherchant son regard. Sa question sembla émouvoir le jeune homme qui détourna la tête avant d'en revenir à lui, énonçant quelques excuses, évitant de répondre à la question.
Le reste des paroles vint, haché, rageur envers lui même. Hugh s'efforçait de garder une expression neutre, mais il ne pouvait s'empêcher de laisser filtrer son inquiétude vis à vis du garçon en face de lui. Il n'eut pas la possibilité de répondre qu'un jeune médecin les rejoignit, leur donnant quelques informations. Hugh s'était retourné à moitié pour le regarder. Il n'avait que trop l'habitude de voir ce genre de personne en blouse blanche. Kantaro demanda la permission de rester, à sa grande surprise. Il s'en voulait donc tant que ça ? Hugh resserra ses doigts sur la canette chaude qu'il n'avait pas encore ouverte. Il n'avait pas envie de passer la nuit ici ... Mais rentrer seul ne lui disait rien non plus. Hugh regarda le médecin quitter les lieux en silence. Pourquoi donc voulait-il rester ici ? Il s'assit finalement à coté du jeune homme, ouvrant sa cannette pour en boire une petite gorgée.
" Il t'a frappé toi aussi. "
Énonça t'il finalement d'une voix basse, reprenant la conversation là où elle avait été interrompue. La pluie tambourinait avec régularité aux vitres, le couloir mal éclairé n'en paraissant que plus austère. C'était marrant, dans les mangas qu'il lisait, quand un personnage était blessé et que les autres l'attendaient, les discussions ne tournaient pas de cette manière. Il fallait croire que ses lectures n'étaient pas le meilleur guide de vie qu'il ait eu.
" Moi aussi, il m'a frappé. Au final Kimihiro ne parle qu'avec ses poings. "
Plaisanta t'il. En énonçant ces propos, il souriait. L'incident était déjà vieux et édulcoré. Les choses n'étaient au final pas si grave. Et pour ce qui était de la situation présente, il en était de même, n'est ce pas ? Hugh ne pouvait que dédramatiser l'instant présent. Eiji n'allait pas si mal, il s'était réveillé dans l'ambulance, et ils pourraient bientôt le voir. Amusant, si on lui avait demandé la veille s'il serait venu au chevet de Kimihiro si celui-ci était hospitalisé, il n'aurait pas répondu oui, et là pourtant, ils étaient tous les deux présents et prêts à le rejoindre.
" Tu n'as fait que parler son langage. "
Conclu t'il avec un petit hochement de la tête.
Kantaro Fugiwara [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Bien que ses pensées et son comportement découlent de son expérience et de raisonnements logiques, Kantaro se doutait bien qu'il devait paraître obscur pour des regards extérieurs. Les efforts de Hugh pour essayer de le comprendre et de le réconforter n'en étaient que plus louables. Un sourire doux-amer répondit aux paroles du blond qui ne semblait pas réaliser que ses dires pouvaient prêter à deux interprétations diamétralement opposées : ce qui s'était passé n'était pas si grave, ou Eiji est une brute ... Pourtant, malgré la tension qui régnait entre eux deux, le jeune homme avait dû admettre, sans se l'avouer jusqu'à présent, que son aîné était juste un adolescent normal. En fait, c'était sans doute lui qui ne l'était pas ... mais il n'avait aucune envie de changer cet état de fait.
" Je refuse d'apprendre cette langue ... "
Kantaro n'avait rien d'un non-violent, aucune religion ne lui dictait sa ligne de conduite ... Il ressentait juste une profonde révulsion pour la violence gratuite, celle qui "défoulait" ou procurait un plaisir sadique.
" Kimihiro n'aurait pas du te frapper, quoique tu ais pu lui dire. Mais en ce qui concerne le coup qu'il m'a donné, c'était de la légitime défense. Ce n'est pas pareil ... "
Se défendre et protéger. Les seules situations qui autorisaient d'avoir recours à la manière forte. Il ne pouvait se retrancher derrière aucune des deux pour justifier son acte.
" Les gens trouvent peut-être ça normal les bagarres d'adolescents, mais ... Le tolérer une fois, c'est laisser une ouverture pour que ça se réitère. "
Est-ce que son geste était les prémices à cette spirale qui l'entraînerait dans une escalade de violence ? Il savait où menait ce chemin et ne voulait pas s'y engager. Il refusait de devenir comme elle. Mais il ne s'était pas contrôlé, comme hors de lui. Etait-il possible que cela se reproduise ? Qu'il devienne ce qu'il haïssait le plus ? Kantaro passa une main tremblante sur son visage. C'était un cauchemar. Comment les psychologues appelaient ça déjà ? La reproduction du schéma familial ... Quelque chose dans ce goût là ... Mais s'il refusait de reproduire ce modèle ... Est-ce que sa seule volonté suffirait ou bien était-ce gravé dans ses gènes ? Comment empêcher une telle chose de se produire ?
La tête baissée, Kantaro essayait vainement de ne pas se laisser entraîner par le flot de ses pensées. Un léger mouvement à ses côtés lui rappela la présence de Hugh. Il devait le rendre nerveux à agir ainsi ... Il tourna le regard vers le blond, son esprit se focalisant sur lui. Etonnant comme la présence d'une autre personne réussissait à la ramener à plus de calme ... Etait-il donc si faible pour ne pas réussir à se stabiliser seul ?
" Désolé ... "
L'adolescent avait l'impression de passer son temps à s'excuser auprès de Hugh. Il devait vraiment avoir l'air pathétique ...
Les mots de Kantaro, butté et douloureux, sonnaient étrangement aux oreilles de Hugh. Buvant sa canette à petite gorgée - était-ce lui ou il tachycardait un peu ? Quel breuvage redoutable -, il écoutait avec attention le jeune homme à coté lui parler, ses paroles lentes rythmées par le bruit de la pluie. Après s'être exprimé, Kantaro sembla comme perdu, passant une main hésitante sur son visage. Son regard en revint à lui, perdu. Étrangement, Hugh n'avait pas envie de se montrer encore une fois gentil et rassurant. Ou plutôt, il doutait que se montrer compatissant et compréhensif amène à quelque chose. Il posa sa canette à coté de lui.
" ... Tu n'as envie de voir que le coté négatif des choses ... "
Hugh s'était adossé de manière plus confortable à son siège, les mains dans les poches, le visage un peu plus neutre, un peu plus mature, peut-être même un peu trop pour un enfant de cet âge. Son regard était celui d'un garçon qui avait vécu de manière un peu trop détachée certaines choses et qui maintenant était capable de porter sur les évènements un regard plus neutre, détaché. Ce n'était pas forcement une bonne chose, mais c'était sa manière d'affronter la vie. Il n'avait pas le temps de s'inquiéter pour les évènements. Une complication pouvait arriver n'importe quand, et lui, il pourrait y rester. Alors, il n'avait pas envie de considérer les choses uniquement par leur coté négatif.
Peut-être que Kantaro, qui voyait une vie bien plus longue devant lui, pensait-il qu'il avait donc tout le temps de s'égarer temporairement sur ce genre de chemin ? Hugh regardait les gouttes de pluie former des rigoles irrégulières, coulant le long des vitres, tandis que la lumière bleutée du hall se reflétait sur sa peau pâle, mettant inutilement en valeur la marque pas encore véritablement estompée sur sa joue.
" Ce n'est qu'à toi de faire en sorte que ce coup ne soit qu'un dérapage, une bagarre d'adolescent, et non pas les prémices à autre chose. De toute façon, tu n'es pas quelqu'un de violent. "
Hugh avait légèrement penché la tête pour regarder Kantaro, un sourire un peu amer sur les lèvres. Ses propos étaient un peu trop professoraux à son goût. Comment faisaient-ils déjà, les adolescents, pour avoir l'air toujours si insouciants ? Ils montaient leur vie en film romantique ou d'action selon leurs envies, considérant les évènements autour d'eux avec gravité et affectation même quand ils n'en avaient pas besoin. Un grand jeu de scène pour se construire. Son jeu de scène à lui, il l'avait fait derrière une vitre, sans trop y agir. Aussi, les évènements lui arrivant maintenant à lui aussi, il n'était pas sûr du meilleur comportement à adopter. Il aurait peut-être dû se montrer plus investit dans la situation, partager ce qu'il se passait ? Mais, au final, était-il concerné ?
Néanmoins, quelque chose l'intriguait, dans la réaction de Kantaro. Qu'avait-il vécu qui expliquerait une telle abhorration de la violence, un discours déjà tout prêt sur les moments où il était nécessaire de l'utiliser, et ceux où elle ne l'était pas ? Avait-il déjà été frappé ? Comme un flash, le souvenir de ce soir où il avait été battu dans une rue revint en mémoire du blond. Evénement traumatisant, mais qui ne l'avait pas rendu comme Kantaro. Alors, était-ce quelque chose de plus ? Ou une manière différente de réagir à la violence ?
" ... Pourquoi est-ce que tu réagis comme ça ? "
A l'opposée de ses pensées, sa question était directe et sans fioriture. Le genre de question qu'on lui reprochait habituellement. Tant pis, il avait depuis longtemps renoncé à déguiser son caractère sur ce plan là. Son regard était fixe, refusant de lâcher celui du brun.
Kantaro Fugiwara [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] Le regard rivé sur son aîné, Kantaro se sentait perdu et s'accrochait comme il pouvait à la seule présence à peu près rassurante. Il n'aurait su dire ce qu'il attendait de Hugh. Une réponse ? Un sourire ? Rien ? Lui-même ne savait pas ce qu'il voulait. Il avait l'impression de tourner en rond dans les méandres de ses pensées et d'étouffer sous ses sentiments. Sans parler de sa cicatrice qui le tiraillait de plus en plus douloureusement depuis l'appel téléphonique. Sombrer dans la folie devait sans doute ressembler à ça.
Les paroles de Hugh eurent un écho douloureux. C'était la première fois qu'il avait un retour de l'image qu'il donnait. Enfin non ... Il y avait eu droit souvent avec le suivi psychologique auquel il avait été contraint. Mais c'était la première fois que cela venait de quelqu'un qui n'était pas un professionnel et, surtout, qu'il était à peu prêt disposé à écouter. Négatif, donc ... C'était fort possible. Mais qu'y avait-il donc de positif à voir dans la violence ? Et s'il était possible qu'il y ait la moindre chose de pas totalement noire dans ces actes, était-il seulement capable de le voir ? Comment faire quand les dix premières années de sa vie n'avaient été qu'une nuit sans fin habitée par la peur et la douleur ? Sept ans après, Kantaro n'avait toujours pas l'impression de voir la lumière du jour ...
Pas quelqu'un de violent ... vraiment ? C'était pourtant bien lui qui avait envoyé Eiji à l'hôpital. Et cette façon qu'il avait de frapper comme un fou sur la balle ... n'était-ce pas une façon de refouler une violence latente ? Hugh était vraiment optimiste pour affirmer une telle chose en le connaissant si peu. Pourtant, il avait envie de le croire. De croire que son geste n'avait été qu'un moment d'égarement et qu'il ne se reproduirait plus. Si seulement sa volonté pouvait être suffisamment forte pour ça. Kantaro avait pensé l'être jusqu'à présent, mais les derniers évènements avaient ébranlé ses certitudes. Si seulement ...
La question directe le coupa net dans son auto flagellation mentale. Son regard se voila de tristesse sans pour autant dévier de celui de Hugh, inquisiteur. De ce qu'il en avait découvert, le blond avait grandit dans un foyer aimant. Sa santé avait dû être à l'origine de moments particulièrement difficiles, mais il avait été entouré et soutenu. Comment parler de l'inimaginable pour quelqu'un comme lui ?
" On a tous nos fantômes ... "
Un pâle sourire douloureux étira ses lèvres, tandis que quelque chose d'humide coulait le long de sa joue. Kantaro eut un moment de surprise avant de porter une main à son visage. Il pleurait ? A quel moment avait-il commencé ? Se mordant la lèvre inférieure, le jeune homme détourna vivement la tête, dissimulant son visage derrière les mèches de ses cheveux. S'il se mettait à être émotif maintenant ... Il y avait sans doute eu trop de choses, en trop peu de temps.
" Tous les enfants ont un monstre dans leur placard. Mais ... certains ne sont pas qu'imaginaires ... "
La voix basse, Kantaro venait de concéder un morceau de terrain. Difficile d'aller plus loin cependant. Il n'avait pas pour habitude de s'épancher sur sa vie et ne voulait pas de la pitié des autres.
Ses paroles eurent plus d'impact qu'il ne l'aurait cru sur son compagnon de chambre. Sans détourner le regard, Kantaro lui répondit avec lenteur, tandis qu'une larme coulait le long de sa joue. Hugh écarquilla légèrement les yeux, surpris. Il n'avait pas voulu faire pleurer Kantaro. Il n'aurait pas imaginé le voir non plus. Mais quand on y pensait ... Il suffisait que la journée ait été difficile, que les évènements se soient enchaînés avec une méticulosité sadique, pour que les barrières sautent. Il se souvenait bien d'une certaine scène dans la salle de bain, où c'était lui qui avait pleuré. Et Kantaro qui l'avait consolé.
Lui même surpris de sa réaction physique, le jeune homme leva la main à son visage avant de détourner la tête. Il ne cherchait pas à fuir la conversation pour autant. Hugh eut un air peiné aux propos énoncés par Kantaro. Il se souvenait parfaitement, comme gravé au fer rouge, de la scène qui avait précédé l'altercation. Des propos de Kantaro, certes confus, mais tout de même limpide. Ses parents ... Les relations semblaient tendues. Le souvenir de la cicatrice ainsi que les propos de Kantaro s'additionnèrent dans la tête de Hugh. Il déglutit avec lenteur. Il n'était pas sûr de savoir quoi en déduire. Mais, plus important : savoir que Kantaro pleurait silencieusement, à cause de la situation et de ses propos, le peinait.
Hugh leva lentement la main, le bruit du frottement des vêtements prédominant dans le silence du hall, et passa le bras autour de l'épaule de Kantaro, l'incitant à venir cacher son visage dans son cou, dans une étreinte rendue plus facile par les vêtements et l'obscurité. Une étreinte franche et consolante, alors qu'il effleurait gentiment l'arrière de sa tête du bout de ses doigts.
" Tu n'es plus un enfant. "
A quel moment déchirait-on le voile qui séparait l'enfance de la vie adulte ? Certainement au moment où il était alors trop tard pour se retourner et réussir à comprendre l'enfant que l'on avait été. Certainement au moment où la scission s'était faite, et où les sentiments étaient devenus souvenirs mâtinés de regrets ou de remords, et n'étaient plus des choses capitales du quotidien, remplacées par d'autres priorité. Kantaro comme Hugh en étaient loin. Quels qu'aient été les épreuves qu'ils aient traversées, ils n'étaient encore que des enfants. Heureusement pour eux. Mais ça ne les empêchait pas - et ne devait pas les empêcher - de rêver à un après en passant au delà de cette enfance qui faisait de chaque enfant une proie aisée pour les adultes, et le monde qui l'entourait.
Ce monde pouvait être appelé fatalité, malchance, quels que soient les noms donnés, le monde était comme un gouffre prêt à absorber tout ce qui passait à portée, comme un loup prêt à refermer ses crocs sur chaque chair fraîche à disposition. Voilà pourquoi les enfants avaient peur du noir : c'était le moment où la fatalité du monde qui les entourait leur devenait comme palpable. Les adultes, eux, avaient suffisamment appris à renier cette idée et à s'accrocher à la possibilité d'un changement, ou au confort d'une place toute taillée dans la société adulte, pour encore s'inquiéter des aléas que la vie leur réservait. Parce qu'on ne pouvait pas vivre éternellement en ayant peur du noir.
Est-ce qu'au moment où il quitterait l'enfance, Kantaro serait débarrassé de ses fantômes ? Il n'en avait pas la certitude. C'était simplement l'espoir auquel bon nombre se raccrochaient.
Le regard fixé sur la vitre au travers de laquelle les réverbères de l'extérieur formaient une étrange lumière, Hugh serrait Kantaro contre lui, cherchant à apaiser sa douleur par ce biais. Il ne savait pas trop comment faire autrement. On consolait la tristesse par un câlin, non ?
" Pardon, je parle sans savoir. Tu peux m'engueuler quand je fais ça, tu sais. "
Peut-être avait-il poussé le bouchon un peu trop loin. Après tout, il ne savait rien du passé de Kantaro. Qui semblait bien difficile à énoncer, vu les détours que prenait le jeune homme pour se confier.
Kantaro Fugiwara [Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image] La tête penchée en avant pour le dissimuler en partie derrière ses cheveux, Kantaro sentait les larmes couler le long de ses joues sans qu'il n'arrive à les arrêter. Lui qui se maîtrisait toujours, ne laissant paraître qu'une partie de ses émotions, venait coup sur coup de laisser éclater sa colère puis sa douleur - comme une soupape de sécurité qui aurait céder sous la pression d'une cocotte. L'image n'était sans doute pas loin de la réalité au final. Il avait atteint le seuil de ce qu'il pouvait supporter et des réactions plus primitives prenaient le pas sur sa raison. Triste constat ...
Kantaro ne vit pas le geste de Hugh et eut une fraction de panique en sentant la pression sur son épaule, avant de réaliser qu'il s'agissait du jeune homme blond et de se laisser faire. C'est ainsi qu'il se retrouva la tête enfouie au creux du cou pâle de son colocataire, sans vraiment comprendre ce qu'il y faisait. Etrangement, alors que les contacts physiques le stressaient d'ordinaire, il ne chercha pas à fuir celui-ci. A quand remontait sa dernière étreinte ? D'ailleurs, quand avait-il pleuré pour la dernière fois ? Ses larmes s'étaient progressivement taries sous les coups et il avait fini par repousser les bras affectueux de son père. Les autres ... il n'arrivait plus à savoir à quel moment il avait dressé ce rempart entre lui et eux. Rempart que l'américain réussissait à effriter par moment, comme en cet instant où il avait franchi une brèche pour se glisser de son côté du mur. Etait-ce pour ça que Hugh attirait son attention ? Il n'aurait su dire, mais c'était la première fois qu'il éprouvait une réelle curiosité pour quelqu'un. Ils ne se connaissaient pourtant pas depuis si longtemps ...
Si proche de Hugh, il pouvait à nouveau entendre le bruit mécanique de la valve qui faisait fonctionner son cœur. Kantaro ferma les yeux, écrasant les larmes qui en sortaient, et se laissa bercer par ce son étrange mais qui lui plaisait pourtant. Sa voix lui parvenait en sourdine, et il lui fallut un moment pour décrypter ses paroles. Il remua doucement la tête en signe de négation, sans quitter sa position pour autant. C'est à voix basse qu'il répondit, comme pour se convaincre lui-même de ses paroles.
" Ca va. Il faut juste que j'apprenne à ne plus avoir peur de mes fantômes ... "
Car c'était bien ça en fait. Cette voix honnie avait fait remonter ses peurs et ses angoisses, qu'il avait aussitôt dissimulées derrière sa fureur. Il était plus facile d'admettre d'être en colère que d'avoir peur. Même le coup, il s'en souvenait à présent, l'espace d'un instant, il avait vu un autre visage et c'était ce dernier qu'il avait frappé, pas Eiji ...
Une petite toux féminine discrète se fit entendre dans son dos, le tirant brusquement de son état contemplatif. Kantaro se redressa pour constater la présence d'une infirmière. Tandis qu'il passait une main agacée sur son visage pour en faire disparaître les dernières traces d'humidité, la femme leur indiqua qu'ils pouvaient voir Kimihiro quelques minutes. Les deux garçons se levèrent pour la suivre jusqu'à la porte de la chambre où elle les abandonna en leur accordant 20 minutes.
Kantaro demanda à Hugh de l'attendre deux minutes et se précipita vers les sanitaires qu'il avait repérés au passage. Un coup d'œil rapide dans le miroir lui montra un visage défait et un peu rouge, où un bleu commençait à fleurir sur la joue gauche. Il ouvrit le robinet à fond et passa son visage dessous, peu soucieux de mouiller ses cheveux et sa chemise au passage. Il s'essuya sommairement à l'aide d'une des serviettes en papier et ressortit aussitôt pour rejoindre le blond.
Ils franchirent ensemble la porte de la chambre. Plusieurs lits séparés par des rideaux occupaient la pièce et ils trouvèrent le jeune kendoka sur celui du fond, près de la fenêtre. Assit sur les draps blancs, Eiji ne présentait pas sa tête dans meilleurs jours - ce qui était assez compréhensible. Kantaro hésita une fraction de seconde, se mordant la lèvre, avant de franchir le peu de distance qu'il restait d'un pas décidé et de s'incliner devant lui.
" Je suis désolé, Kimihiro-san. Je te prie d'accepter mes excuses pour mon geste inconsidéré. "
Était-ce son éducation américaine, on l'on embrassait facilement ? Ou simplement son caractère ? Il n'était pas difficile pour Hugh d'étreindre quelqu'un. C'était pour lui un acte naturel. Quelque chose d'un peu faible aussi selon lui, le geste que faisaient ceux qui n'arrivaient pas à appréhender une situation et à répondre avec les mots adéquats. Malgré ses propos, c'était quelque chose pour les enfants. Mais pourtant, c'était tout ce qu'il se trouvait capable de faire.
Après une légère résistance, Kantaro s'était laissé aller, pleurant dans son giron. Le temps s'était étiré, sans repères, le jeune homme ne semblant pas avoir entendu ses paroles, jusqu'à ce qu'il ne remue la tête en signe de dénégation, se confessant à demi mot. Si Hugh avait eut conscience que Kantaro écoutait son cœur, quelle aurait été sa réaction ? Peut-être n'aurait-il pas été si enclin à le rassurer de cette manière ... C'était quelque chose pour laquelle il éprouvait une sorte de gêne diffuse matinée de honte. Le regard de Hugh s'était focalisé sur la vitre, attendant que Kantaro reprenne son calme.
Ce fut en vérité le toussotement un peu gêné d'une jeune femme qui le fit se redresser, tandis qu'une infirmière venait les chercher pour rejoindre Eiji. Ah, oui. L'espace d'un instant, Hugh en avait presque oublié la raison de leur présence ici. Sans un mot, le jeune homme se releva, récupérant les canettes encore à moitié pleines qu'il répugna à jeter dans la corbeille à coté du distributeur. Elles étaient déjà refroidies, étrange.
Abandonnés à l'entrée du service avec un numéro de chambre pour toute information, les deux jeunes gens firent une halte pour permettre à Kantaro de se rendre plus présentable, tandis que Hugh se débarrassait des canettes en les vidant dans le premier lavabo venu, sans rester avec Kantaro. Il imaginait que celui-ci avait besoin de respirer. Étrange, depuis quand faisait-il attention à ce genre de détails ? Pas qu'il ait été jusqu'à présent peu soucieux des autres, mais il n'avait jamais jusque lors eu notion d'intimité ou de besoin de rester seul. Chose qu'il commençait à percevoir, confusément. Cela, c'était certainement dû à Kimihiro. Ainsi qu'à la situation présente, certainement.
Il se sentait un peu las, et le temps pluvieux ne faisait rien pour le secouer. L'hôpital était un lieu trop connu pour qu'il soit à l'aise. Ce n'était pas à proprement parler familier, mais il ne pouvait pas non plus se laisser bercer par l'étrange quiétude qui souvent intimide les gens en visite dans un hôpital, et leur donne cette sensation d'être dans une sorte "d'ailleurs". Pour lui, l'hôpital était trop présent, écrasant.
Ils rejoignirent finalement la pièce où se trouvait Eiji, en silence. Il n'était plus vêtu de sa tenue de kendo, celle-ci ayant été remplacée par une sorte de pyjama en papier vert. Il était certain que le costume de kendoka n'était pas adapté aux examens cliniques. Dommage, ça lui allait mieux. Kantaro passa devant lui d'autorité, avant de s'incliner devant Eiji. Silencieux, Hugh resta en retrait. Qu'ils règlent leurs histoires. Il espérait juste que, comme lui, Eiji ne ferait pas trop grand cas de l'affaire. Kantaro s'était assez torturé les méninges tout seul sans en rajouter.