"Imbécile."

Il était rare que le brun insulte quelqu'un. En général, s'il ne se contentait pas d'ignorer, il frappait. La plupart du temps malgré tout, il snobait les gens. L'indifférence envers les autres avait une chose en plus que ne possédait pas les coups : elle faisait mal psychologiquement. Personne n'aimait être considéré comme un moins que rien.

Pourtant là, il savait que ça n'arrangerait rien. Et il ne supportait pas vraiment de voir Aoi drogué. Mais enfin qu'est-ce qui lui prenait au juste ?! Il voulait finir par être complètement accro à de la merde et aussi suicidaire que son père à ses heures ? Ca lui plaisait donc tant que ça de finir comme une larve parce que l'alcool ou la drogue aurait raison de sa résistance et de lui tout entier ?

Il était dé-ses-pé-rant. Sheikhan lui retira la clope des doigts et la jeta au loin avant de s'asseoir près de lui. Que dire ? Comme qu'il réponde, ça lui passerait au-dessus de la tête. Et puis pourquoi il se souciait de sa santé après tout ? Il l'avait mérité de finir comme une loque ! Sa conscience lui rappela la période où il ne valait guère mieux niveau drogue. C'était vrai qu'il avait eu sa période, mais c'était derrière lui, et lui, il savait à quel point arrêter c'était dur. A quel point la tentation pouvait malgré tout être forte, même quand on n'y avait pas touché depuis longtemps. Il suffisait d'une fois pour replonger, et personne n'y coupait. Il ne le souhaitait pas au blond, même si c'était un peu tard. Seulement plus tôt il cessait ses conneries, et mieux il s'en porterait. Sinon c'était son mental ou son foie qui lâcherait...

"T'appelle ça "faire face" ? Tu fuis, rien de plus."

Si Aoi se souvenait bien, agacé Sheikhan n'était pas la meilleure idée que l'on puisse avoir. Il en avait eu un exemple au réfectoire. Heureusement pour lui, le brun se contenta pour l'instant d'un regard plus glacial encore qu'à l'accoutumée. Le genre de chose qui aurait donné envie à n'importe quelle personne normale de se planquer dans un trou de souris, mais qui pour le blondinet signifiait surtout qu'il venait de réussir un exploit : mettre le voleur sérieusement sur les nerfs.

"Putain, on dirait vraiment Nihya des fois..."

Ce n'était qu'un murmure destiné essentiellement à lui-même, mais vu comme ils étaient près l'un de l'autre, Aoi avait sans doute entendu. Il y avait peu de chance que ça passe bien, mais dans le fond, le brun n'avait fait que constater.

Il le regarda se tasser sur lui-même, indécis. Il se sentait impuissant face à la tristesse d'Aoi, et d'un autre côté, un peu coupable d'en être la cause. Il n'avait jamais vraiment voulu le faire souffrir - enfin, pas comme ça tout du moins. Sheikhan se disait qu'après tout, vu comme le père et le fils se ressemblaient, il aurait du se douter de ce qu'il résulterait de son petit jeu avec Aoi. Après tout, c'était après avoir joué au chat et à la souris avec Nihya qu'ils s'étaient mis en couple.

"Aoi..."

Aoi quoi ? Il ne savait pas très bien pourquoi il avait dit ça. Que pouvait-il dire ou même faire ? Il secoua très légèrement la tête, faisant virevolter ses longs cheveux. Il sortit une nouvelle clope de son paquet, constatant quasi désespérément qu'il ne lui en restait que trois. Un jour, peut-être, il cesserait de fumer. Ca revenait cher à la longue.

Il ne pouvait pas lui donner tort, même si... Sheikhan savait différencier les deux blonds. Ils se ressemblaient sur bien des points, dont le physique, mais n'était pas non plus identiques. Le problème venait surtout du fait qu'il n'arrivait pas à faire le deuil de son amant. 3 mois, ça passait vite, mais ça n'était pas assez. Il n'était déjà pas certain d'avoir réellement surmonter la mort de ceux qui avaient précédé Nihya...

"Je ne voulais pas que tu sois à la place de Nihya. Je voulais Nihya."

Il n'avait pas voulu le dire comme ça, et certainement pas avec le ton froid, distant qu'il avait employé. Néanmoins, à retourner le couteau dans la plaie comme ça, Aoi rappelait au brun que s'il avait perdu le blond, c'est parce que celui qui était près de lui l'avait tué. Et la colère revenait, même si ça n'était que fugace.

En le voyant s'approcher si près de lui, Sheikhan sentit son cœur râté un battement avant de repartir de plus belle. On ne pouvait pourtant pas dire que le moment était bien choisi. Lui qui avait pensé qu'ils n'en reparleraient plus, il devait faire face à la réalité : quoiqu'il se passe entre eux, il y aurait au moins une chose à régler. C'était simple, si Aoi voulait avoir sa chance avec lui (et si Sheikhan voulait la lui donner, ce qu'il ne savait pas vraiment), il fallait que cette histoire soit derrière eux, et non entre eux. Mais pour ça, il faudrait déjà qu'il réussisse à surmonter la mort de son amant. C'était pas gagné, songea-t-il sans répondre au gamin.

Le silence pesant s'installa alors que leurs deux visages étaient à quelques millimètres l'un de l'autre. A cet instant pourtant, ni l'un ni l'autre ne pensait à autre chose que se défier du regard, et s'expliquer franchement... comme lors de leur première rencontre. Ce fut pourtant une phrase surprenante qui s'échappa de ses lèvres.

"Tu pleurais ?"

Curieusement, il fut un peu déçu que le blondinet s'éloigne pour s'asseoir de nouveau par terre. Il le regarda récupérer la cigarette au sol pour en tirer une latte. Le silence s'était à nouveau installé entre eux, sans pour autant devenir aussi gênant qu'un peu auparavant. Le blond était de toute évidence dans ses pensées, et Sheikhan s'interrogeait sur les larmes qu'il avait vu couler de ses yeux après leurs baisers. Il l'avait encore fait pleurer... Et il n'aimait pas plus ça qu'avec Ari.

"Tu es plus affecté par ta ressemblance avec Ni' que moi." se renfrogna-t-il un peu. Comment pouvait-il essayer de passer à autre chose si le gamin lui rappelait sans cesse qu'il était physiquement le portrait craché de son père ?

Il l'attira doucement contre lui. Pas amoureusement, pas affectueusement non plus. Il voulait juste qu'Aoi arrête de s'éloigner comme ça de lui, comme si quoi qu'il fasse, Sheikhan n'arrivait pas à l'atteindre. C'était un peu dérangeant, à la longue.

"Et non, tu n'embrasses pas comme lui."

"Qu'est-ce qui te fait penser que tu as l'air stupide et fragile ?" demanda Sheikhan, un peu amusé et le laissant voir, pour une fois.

Il fallait bien avouer que le brun n'avait rien de féminin. Il ne s'en plaignait d'ailleurs pas, car si Aoi et Nihya avaient des airs un peu effémines et s'en satisfaisaient, lui n'aurait pas aimé ça du tout. Mais a vision un peu machiste de la femme y jouait certainement pour beaucoup.

En attendant sa réponse, il passa distraitement sa main dans la nuque du blond, frôlant sa peau du bout des doigts.