Week end. Une des seules soirées pendant lesquelles les étudiants de Ginkgo Gakuen étaient autorisés à sortir de l’établissement, jusqu’à une certaine heure, histoire de se détendre à l’extérieur, de faire la fête, de boire un coup, d’évacuer toute la pression qu’ils avaient emmagasinée pendant leurs journées de cours. Enfin... Pour les élèves qui ne rentraient pas chez eux c’était quand même moins jouasse que pour les autres, il y avait toujours un couvre-feu, un règlement. C’était plus simple de faire la fête quand on était officiellement rentré chez soi, même si on était pas obligé de voir ses parents du week end si on en avait pas envie. C’était ce que Netami faisait parfois, il prenait congé de l’école pour le week end, et il partait on ne sait-où sans que sa famille ne le voit du Samedi, ou du Dimanche. Mais ça n’arrivait pas souvent, parce qu’il rentrait effectivement chez lui, la plupart du temps. En fait, les week ends où il restait enfermé à l’intérieur de l’établissement étaient rares.

Mais quand il y était ce n’était pas pour sortir jusqu’aux limites du couvre-feu, puisqu’il avait bien plus l’occasion de faire la fête quand il rentrait chez lui. Il y avait en général une raison qui ressemblait un peu plus à “j’ai un travail à terminer”. Ce week end là c’était le cas. Il devait terminer un devoir à rendre pour Lundi, et il voulait aussi avancer un peu sur un de ses projets artistiques perso. Pour ça il avait besoin de temps, et de matériel. Il ne pouvait donc pas se permettre de rentrer chez lui. Et le fait de l’annoncer ce Vendredi soir à ses parents par texto semblait avoir déclanché l’appocalypse. Depuis qu’il avait quitté les cours il était pendu à son téléphone avec une expression contrariée. Il s’était immédiatement pris des remarques, comme quoi ce n’était pas un élève sérieux et qu’il était probablement resté au lycée pour faire des conneries. Le genre de remarque qu’il ne pouvait pas supporter. Ensuite il avait dû dialoguer par sms avec Itami.

Elle était assez enthousiaste à l’idée de le voir, et pressée aussi. Et il avait dû lui dire qu’il ne rentrait pas. Elle était déçue, frustrée, triste, et commençait à évoquer qu’elle avait besoin de lui et qu’elle ne s’en sortirait pas si elle ne pouvait pas le voir, ne serait-ce qu’un peu. Qu’elle avait besoin de lui parler en face, de le toucher, d’entendre sa voix. Et c’était une discussion bien plus douloureuse encore que celle qu’il venait d’avoir avec ses parents, au fond. Parce que les railleries et les insultes, on dira ce qu’on veut, il avait fini par s’y habituer. Par contre, sentir qu’il faisait du mal à Itami, même si elle essayait visiblement désespérément de le culpabiliser, qu’il n’était pas assez bête pour ne pas s’en rendre compte, et qu’il détestait viscéralement ce genre de méthodes, c’était une blessure bien plus profonde. Il sentait qu’elle avait réellement besoin de lui, et ses sms désespérés sonnaient comme un appel au secours. Il aurait voulu pouvoir se séparer en deux.

Il regrétait même presque d’avoir pris la décision de rester, il aurait préféré louper son devoir et ne jamais terminer son projet plutôt que de laisser Itami seule dans son état. Il s’en voulait. Et son amertume était deux fois plus forte parce qu’il s’en voulait. Quant il en fut réduit à avoir envie de se claquer la tête contre un mur, il jugea qu’il avait besoin d’une pause, et d’une clope. Seulement, le règlement de l’établissement interdisait formellement la consommation, et même la détention de cigarettes. C’est pourquoi il ne pouvait pas fumer n’importe où ni n’importe quand, et il devait cacher ses cigarettes dans un endroit où il était sûr qu’on ne les trouverait pas. Il était passé expert dans l’art de dissimuler les choses aux adultes, et aux membres du commité de discipline. Il lâcha son téléphone sur son lit, comme s’il voulait le voir le plus loin possible de lui-même.

Ensuite, il alla chercher son paquet de clopes, et décida de sortir sur le toit. En principe, à cette heure, il aurait dû n’y avoir personne, il aurait dû y être tranquille. Lorsqu’il y arriva, son premier réflexe fut d’avoir un geste de colère et de frustration sur la porte, en la refermant. Il avait besoin d’évacuer. Il ne remarqua pas tout de suite qu’il n’était pas seul. Il coinça une cigarette entre ses lèvres, et l’alluma. La première bouffée fut salvatrice. Alors qu’il l’expirait lentement, ses yeux se posèrent sur le ciel. La lune, imposante, majestueuse, presque pleine, trônait au milieu d’une étendue noire bleutée, parsemée de joyaux brillants. Aussitôt, ce fut comme si toute la tension qu’il avait accumulée en lui ces dernières heures s’évanouissait. Un début de sourire doux étira le coin de ses lèvres. “Salut Saku.” souffla-t-il en s’adressant directement à l’astre lunaire. Il resta un moment à la contempler, laissant sa cigarette se consummer toute seule.

Et puis il commença à sentir que quelque chose n’allait pas. Il avait entendu un bruit, il sentait une présence.. Il finit par se retourner. Ses yeux se posèrent sur une demoiselle, plus jeune que lui, avec une chevelure claire. Une fille ! Et une qu’il n’avait jamais vue de sa vie en plus ! Le genre de rencontre qu’on n’a pas du tout envie de faire quand on n’est pas d’humeur, surtout dans de telles circonstances. Sa première réaction fut de se demander ce qu’elle pouvait bien faire là à une heure pareille, et pourquoi il n’était pas seul sur le toit comme prévu. La seconde fut de se dire qu’elle était peut-être, et même très probablement plus à cheval sur le règlement que lui. Il ne put s’empêcher d’avoir l’air contrarié.

Après être resté plusieurs secondes à la regarder comme si ça avait pu la faire disparaître, comme si elle avait été le fruit de son imagnation et qu’elle n’avait jamais été là en réalité, il lâcha sa clope sur le sol, alors qu’il n’en avait pris qu’une seule taphe, et l’écrasa, glissant une de ses mains dans sa poche. Quand il releva les yeux ils étaient pleins de doute. “Tu ne diras rien, hein ?” demanda-t-il à voix basse. “J’en avais vraiment besoin...” Il ne savait pas si elle était en mesure de comprendre et il s’en moquait. Tout ce qu’il espérait c’était qu’elle ne serait pas du genre à cafter, sinon il était cuit.