Fin des cours. N'ayant aucune envie de trainer au foyer depuis sa dernière mésaventure, Ryuku prit la décision de monter au dortoir, quitte à s'isoler un peu. Habitué à ne pas suivre les groupes d'élèves, Ryuku savait s'occuper lorsqu'il était seul. Il ne s'ennuyait jamais. Depuis que sa mère avait accepté de lui payer un netbook, il y était branché la majeure partie de son temps libre. Surtout depuis qu'il avait découvert un site très interessant où les personnalités locales ou nationales étaient passées au crible par un homme (ou une femme) de l'ombre signant ses articles mordant sous le pseudonyme de Hebigami. Ryuku laissait régulièrement des commentaires, non pas pour donner son point de vue sur les articles mais pour prendre la défense de l'Aspic anonyme face au grand nombre de ses détracteurs qui venaient crier à la diffamation et même au parjure. Pourtant, les affirmations de la vipère étaient bien souvent vérifiables et souvent avérées. Voilà ce qui effrayait tant de monde. Ryuku, lui, écrivait parfois que les diffamations venaient de ceux qui criaient au scandale et avait le toupet de traiter de menteur un homme qui ne faisait que révéler des vérités bien laides. Mais en fait, Ryuku ne savait pas plus que les autres si ce qu'écrivait le serpent était vrai ou non. Il pensait naïvement qu'on ne pouvait pas inventer tant de choses sur le comptes des autres et qu'il n'y avait pas de fumée sans feu.

En parlant de fumée, Ryuku avait senti l'odeur caractéristique d'une forte consommation de tabac de monsieur Mizuki tandis qu'il traversait le couloir du dortoir pour regagner sa chambre. En passant devant la 103, son odorat s'avéra juste puisqu'il vit par le biais de la porte restée ouverte que Mizuki san rafistolait une prise de courant dans la chambre voisine à la sienne. Il passa son chemin sans y prêter plus d'attention et s'installa sur son lit, chambre 104, son netbook sur ses jambes en tailleur. Comme à son habitude, Ryuku commença par ouvrir messenger pour lire ses e-mails. Beaucoup de spams furent supprimés, lui permettant un tri rapide. Il eut la surprise de constater que son frère cadet lui avait envoyé un mail. Bizarre. Son frère n'aimait pas écrire de sms déjà alors un mail... et puis vu l'heure à laquelle cela avait été envoyé, son frère de six années de moins que lui aurait dû être à l'école.

Malgré ces détails, Ryuku était néanmoins content de recevoir un mail de son frangin. Mais à l'intérieur, il n'y avait qu'un lien écrit en anglais. De plus en plus étrange. Ryuku ne songea pas un seul instant que la messagerie ait pu être piratée. Et voilà qu'il cliqua sur le lien. Il y eut quelques images de filles nues. Ryuku fut d'abord alléché mais il savait que ces liens étaient souvent truffés de saloperies pour les pc. Il ferma le tout en se disant que c'était une erreur et que son frère ne lui avait pas envoyé ce mail. Et puis... plus rien. Un bleu marine avait envahit son écran avec un message d'erreur critique clignotant au milieu de la page.

*meeeeeeeerde !*

Un virus. C'était bien la première fois que Ryuku en chopait un. Calmement, Ryuku pensait qu'il n'y avait pas de problème trop grave puisque dans le message, on lui conseillait de relancer l'ordinateur. Ce qu'il fit. Mais le même bleu apparut sur son écran, avec le même message dramatique. Là, Ryuku commençait à baliser sévère. Il avait plein de documents, de photos, d'images mangas, de chansons auxquelles il tenait dans son ordinateur. Il y avait même ses exercices d'anglais et sa rédaction pour la fin de la semaine.

En semi panique, Ryuku se passait les mains sur le visage, se demandant ce qu'il pourrait bien faire pour sauver son netbook. Puis il repensa à Mizuki san, juste dans la pièce d'à coté. Bondissant de son lit, il fit irruption dans la chambre voisine. Il trouva le technicien penché sur la prise, offrant une belle vue sur sa chute de reins. Ryuku était trop inquiet pour s'émouvoir du paysage aussi charmant soit-il.

"Mizuki san ! Je suis désolé de vous déranger mais j'ai un grave problème avec mon netbook. Il ne veut plus s'allumer, ya plus rien qui s'affiche, j'ai tous mes devoirs dedans. Je suis foutu si je les récupère pas."

Ryuku parlait à toute vitesse, dans l'inquiétude de se faire envoyer sur les roses par cet homme réputé peu sympathique et dans l'espoir de le convaincre. Ryuku n'avait pas d'à priori sur lui, et surtout pas en cet instant. car si quelqu'un pouvait l'aider, c'était bien lui !

"S'il vous plait. Vous pouvez m'aider ?"

" Là, le Troll, bute-le pour 500 px et fauche lui ses potions curatives et sa masse spéciale nains, on va en rencontrer dans le dédale qu'on va traverser. "

A première vue, un adolescent boutonneux en train de lézarder sur son ordinateur plutôt que de faire son devoir de maths. En réalité, un adulte en train de spolier l'établissement de ses heures de travail plutôt que de réparer les lumières. L'un dans l'autre, pas tellement de différence entre les deux hypothèses. Takeo jouait au geek-clandestin assis dans un des placards de la réserve. Une situation désopilante qui prêtait largement à rire, et pourtant, il était bien pris dans une partie en réseau sans avoir oublié son casque et son micro. A choisir, autant décapiter les ogres que de s'occuper des petits soucis défectueux qui pouvaient attendre. A chacun ses priorités après tout, et lui était concentré sur le développement de son super guerrier psychomancien avec les autres habitués du jeu. Il pensait être tranquille pour un moment encore puisqu'il avait croisé ses collègues techniciens il y avait à peine une demi heure, mais la chance tourna... Et les emmerdes aussi. La petite radio accrochée à sa ceinture se mit à lui faire la conversation. Surplus d'ondes qui lui donnait des hallucinations auditives ? Non, juste le patron qui lui demandait de se rendre dans les chambres des étudiants pour régler un problème de prise. Rah, ces élèves... Aucun respect pour les activités d'autrui.

Excédé que son guerrier se soit pris un rocher en pleine poire à cause d'un instant de dissipation, il quitta son jeu et reprit son poste. Il laissa son matériel sur place en veillant à fermer les portes derrière lui, il récupérerait le tout à la fin de son service, puis s'en alla à sa besogne. Connu pour son perpétuel culot, il traversa les couloirs en laissant un doux sentier d'un parfum de nicotine. Il n'éteignit sa cigarette qu'en arrivant à la porte de la chambre en l'écrasant parmi les vis et les boulons – Quoi ?! Il ne s'en servait jamais de toute façon ! - puis rentra dans la pièce. Il se pencha sur le problème, dans tous les sens du terme, laissant sa croupe à l'admiration de qui voudrait bien en profiter. Un simple faux-contact qui serait réglé en moins de temps qu'il fallait pour le dire, bonne nouvelle, il allait pouvoir retourner à son glandage !

Du moins, c'était avant qu'il n'entende une voix l'interpeller. Intrigué par le haut débit avec lequel le jeune homme lui exposa sa détresse, Takeo resta à genoux par terre à le regarder avec autant d'amabilité qu'un rottweiller génétiquement modifié à qui on aurait piqué sa baballe. De longues secondes s'écoulèrent le temps que les informations soient convenablement triées, puis le plus âgé fit rouler ses yeux avec exaspération.

Il se leva tout de même et daigna suivre l'adolescent jusqu'à sa chambre, et donc jusqu'à son ordinateur qui faisait la danse de l'écran bleu. Il prit délicatement le netbook – oui, sa logique voulait qu'il prenne grand soin de la technologie à défaut de le faire avec son entourage – et s'installa sur la table basse au centre de la pièce pour commencer à analyser la nature de ce virus. Il pianota sur le clavier et passa par des raccourcis méconnus de la plupart des gens qui l'introduit au coeur du pc. De nombreuses lignes de chiffres défilèrent jusqu'à l'apparition d'un message en anglais auquel la vipère s'attaqua sans attendre. Heureusement qu'il était rôdé en ce qui concernait l'informatique, même si dans ce cas de figure ce n'était qu'une petite offensive sur les défenses de l'ordinateur. D'ailleurs, l'écran bleu disparut enfin pour laisser place à des images au caractère strictement... Adulte, le fameux lien sur lequel Ryuku avait cliqué. Le visage de Mizuki se décomposa et il lorgna l'adolescent.

" T'as vraiment rien de mieux à foutre que ça... "

Il opina négativement de la tête avec désespoir, qu'il ne s'étonne pas d'être infecté s'il traine sur ce genre de sites. Au moins, il avait localisé le problème qui se trouvait dans la boite mail, adresse mail qui attira son attention. Etrange, il avait comme l'impression de la connaître... Il continua néanmoins ses manoeuvres durant quelques minutes, jusqu'à ce que les programmes répondent à nouveau. Un site alors mis en favori s'afficha... Takeo fut pris de cours. C'était son site, celui sur lequel il dénonçait ses découvertes. Il observa un instant la page d'accueil qu'il avait encore actualisée la veille au soir, puis s'adressa à l'étudiant.

" Hebigami... La vipère du net. Tu traines sur ce genre de site, toi ? " Il se tourna vers lui. " Ca t'intéresse les écrits blasphématoires ? "

Mizuki san accepta de suivre Ryuku dans la chambre voisine, non sans une tirer une gueule de trois pieds de long. Le technicien s'empara aussitôt du netbook du troisième année. Les gestes précautionneux de l'homme au caractère bien trempé surprirent l'élève, car voir une attitude aussi délicate sur un objet pour un homme qui venait de souligner son agacement était assez étonnant. Ryuku avait donc bon espoir. Il y avait tout son petit monde à l’intérieur de cet ordinateur. Rien de vital, certes, mais Ryuku chérissait cet univers qui lui tenait compagnie lors de ses longues traversées en solitaire au royaume de l'insomnie.

Inquiet comme un père qui attend la naissance de son premier môme, Ryuku se tenait à quelques pas du technicien, suffisamment loin pour ne pas s'en manger une, des fois qu'il aurait gêné le professionnel, mais assez prêt quand même pour pouvoir observer l'évolution du processus de sauvetage. A en juger par le savoir faire de Mizuki san, le technicien savait parfaitement quoi faire. même lorsqu'il rencontrait une difficulté, il avait toujours un plan B dans sa manche. C'est ainsi que quelques minutes plus tard, ce foutu écran bleu disparu pour laisser place à des images... VICTOI... hum. Sauf que ces images là, Ryuku aurait préféré qu'on ne les revoit pas s'afficher.

Citation :

" T'as vraiment rien de mieux à foutre que ça... "

La honte quoi ! Ryuku balbutia un début d'explication du genre "c'est pas moi, j'ai rien fait, je sais pas de quoi vous parlez, je ne parlerai qu'en présence de mon avocat, blablabla...". Mais ça ne prenait pas. Parce que. Soyons honnête. Ryuku avait, certes, reçu un mail louche, mais il n'avait pas attendu aujourd'hui pour se rendre sur des sites pour adultes. Que voulez-vous. Ryuku était un ado en bonne santé, et célibataire. Donc bon... C'est la vie hein. C'était juste pas de bol que lui qui n'avait pas eu le moindre pépin en surfant sur des sites X se retrouve infecté par le biais d'un mail qu'il avait ouvert en toute innocence. Comme s'il se choppait une MST sans avoir croqué le fruit défendu.

Cependant, Ryuku n'eut pas le loisir de se cacher dans un trou de souris. Et puis après tout, ils étaient entre hommes, non ? Mizuki san devait bien avoir une libido lui aussi, non ? ...Quoiqu'on ne le voyait jamais avec personne. Enfin bref. Le technicien venait de trouver un intérêt particulier aux sites que Ryuku gardait en favoris dans les onglets de son serveur. Il venait de trouver le site sur lequel il surfait le plus souvent.

Citation :

" Hebigami... La vipère du net. Tu traines sur ce genre de site, toi ? ... Ca t'intéresse les écrits blasphématoires ? "

Et alors quoi ? Il allait devoir écouter un sermon comme quoi il ferait mieux de réviser plutôt que de lire ce genre de conneries ? Ryuku fronçait les sourcils, prêt à se prendre un savon, mais il souhaita se défendre un minimum, car après tout, ce mec avait beau le prendre de haut, ce n'était ni un prof, ni un surveillant. Et qu'il ne touche pas à son héros. Hebigami était comme une idole pour le troisième année.

"Ouais. ça m’intéresse. Je m'informe à ma manière sur les gens qui sont supposés gérer le pays. Sur les donneur de leçons et sur ceux qui se prétendent irréprochables."

Une réponse ferme et froide qui, Ryuku l’espérait, suffirait à ce que Mizuki san ne s'éternise pas dans le rôle du donneur de leçons. Toutefois, comme il venait de faire revivre son cher petit netbook, Ryuku se dérida un peu, prenant sur lui :

"Pas vous ?"

Ca, c'était intéressant ! Un gamin qui s'amusait à lire ses articles... Au-delà de l'aspect flatteur des choses, il fallait savoir s'il le faisait sans comprendre un mot de ce qui était écrit ou s'il adhérait vraiment aux manoeuvres peu éthiques de l'Hebigami. Les hormones des adolescents les poussaient parfois à l'absurdité, comme se prendre pour des rebelles en surfant sur des sites anticonformistes. La jeunesse avait de beaux jours devant elle... Ou pas. Mizuki en avait profité pour faire un rapide tour d'horizon, vérifiant au passage s'il avait déjà eu de nouveaux commentaires depuis la veille, c'est qu'il y avait de plus en plus de population qui s'intéressait à son travail. Ce fut le ton qu'emprunta le jeune homme qui le stoppa dans son élan. Le technicien plissa les yeux et pivota lentement, très lentement la tête en direction de l'acteur qui récitait son texte avec autant d'éloquence qu'une truie dans un Opéra. Il l'observa un peu comme quand on observait un feuilleton à l'eau de rose et qu'on essayait de comprendre que le mari de l'avocate de l'amant de la pharmacienne se tapait la mère de la secrétaire du boss à sa femme... M'ouais, ridicule.

" T'essayes de te convaincre tout seul là ? "

Discuter avec un adolescent revenait au même que de bavarder avec un lampadaire, et encore, le premier, c'était pas une lumière. La vipère secoua la tête avec exaspération puis se replongea sur l'écran. Il se remit alors à bidouiller sans s'expliquer, simplement de manière à voir si le troisième année s'amusait aussi à laisser des commentaires. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'il aperçut le pseudo qu'il utilisait... Bien sûr qu'il le connaissait, il comprenait maintenant pourquoi il avait cet air de déjà vu avec son adresse mail. Incroyable, dire qu'ils avaient souvent parlé ensemble, échangeant des mails même parfois au beau milieu de la nuit puisque le sommeil et lui, c'était tout sauf une idylle. L'ironie des choses voulaient qu'ils soient exactement au même endroit et qu'il venait de réparer l'ordinateur de l'un de ses fans réguliers. De ce qu'il en avait conclu de leurs échanges, l'étudiant était loin d'être stupide. Il semblait pouvoir penser par lui-même, c'était déjà ça histoire de lui racheter une crédibilité.

" A défaut d'être malin t'as pas de mauvais centres d'intérêts. " Il croisa les bras. " Ce type est gonflé quand même. Sorti de nul part, voilà qu'il donne son avis sur tout ou presque. "

Le jeune homme semblait ne pas avoir apprécié lorsque Mizuki avait remarqué le site, comme si il s'attendait à recevoir des sermons. Si seulement il savait qui il avait en face de lui, un Hebigami en forme qui avait bien envie de rire. Puisque l'étudiant prétendait admirer son travail et être fidèle à son poste de fan, il était curieux de voir sa réaction s'il s'attaquait à sa dite idole. Le titiller un peu n'aurait rien de bien méchant, après tout, il l'avait bien emmerdé en lui demandant d'éradiquer un virus pornographique. Ouais, il allait le faire marcher un peu, voire courir s'il rentrait bien dans son jeu et avec un peu de chance, il se prendrait même le mur de plein fouet. Le technicien se mit brièvement à lire le dernier article mis en ligne sur le site, puis expira d'un air réprobateur, voire dédaignant.

" J'le connais bien, il tient pas à la vie. "

Allait-il seulement tilter sur la révélation de sa dernière phrase ? De toute façon, il y avait des personnes bien plus dangereuses qui connaissaient son identité, alors un adolescent qui ne pouvait même pas prendre un air tyrannique convaincant... Les risques étaient minimes.