Shachiko était dans les toilettes, maugréant contre le monde et surtout Dame Nature. Elle détestait véritablement cette semaine du mois, celle qui vous donne envie d'arracher vos ovaires et de hurler contre le monde entier notre désespoir de devoir souffrir ainsi tous les 28 jours. Oui, telles étaient les règles de la jolie jeune fille : douloureuses. Très.

Habituellement, elle prenait un cachet le matin au réveil mais elle avait oublié d'aller en demander à l'infirmerie la veille, ce qui eut pour conséquence une mauvaise humeur plutôt inhabituelle chez la Japonaise. Il était rare qu'elle perde ses moyens et encore plus en privé. Il était 8h15 et elle n'était toujours pas présentable, à son plus grand désespoir. Cette frustration de ne pas pouvoir remplir son rôle (imposé) d'élève modèle aujourd'hui et, d'en plus, souffrir le martyr rendait Sachiko sincèrement désagréable. C'est pourquoi elle avait évité tout le monde avec grand soin, ne voulant pas agresser ces pauvres innocents sans raison. De mauvais poil, certes, mais toujours diplomate.

« Ah ! MERDE. »

Debout dans la toilette, elle laissa sa tête cogner contre la porte car elle était seule dans la pièce. Les crampes étaient fortes et imprévisibles. Tout de même décidée à aller en cours, elle sortit en marmonnant toute sorte d'insultes sur la Nature et ses injustices quand elle put, malheureusement, constater qu'elle n'était pas seule et que quelqu'un avait donc assisté à sa mauvaise humeur. Pétrifiée, elle ne sut comment se rattraper et justifier ce comportement tout à fait contraire à son habitude.

« Euh ... »

Elle traina des pieds en grommelant, passa une main dans ses cheveux à peine démêlé, un grogna une nouvelle fois. Une fichue migraine, voilà ce qui lui vrillait le crâne depuis son réveil. Bon, en même temps, elle n'y était pas pour rien; Shizuko avait passé la nuit de la veille à lire avec une lampe de poche dans son lit, résultat, elle n'avait pu profiter que de quelques heures de sommeil au petit matin. Quoi de mieux pour bien commencer la journée ? Avec un air se rapprochant décidément de plus en plus de celui du zombie, la demoiselle avait prit la direction des toilettes. L'objectif était simple : S'arroser le visage dans l'espoir de se réveiller un peu, et vérifier au passage qu'elle n'avait pas des cernes de dix kilomètres de long sous les yeux. Même elle se rendait compte que ça pourrait faire mauvais genre. Elle se laissa retomber sur le rebord du lavabo, et s'aspergea d'un peu d'eau fraiche. Si la migraine était toujours plus ou moins présente, elle se sentait déjà plus éveillée. C'est alors qu'une voix, forte, éclata dans son dos, lâchant un juron.

L'adolescente sursauta, surprise, n'ayant rien entendu en arrivant elle avait pensé être seule dans les toilettes, mais visiblement ce n'était pas le cas. La figure toujours humide, elle s'empressa de se sécher et de se retourner. Juste à temps pour voir une autre jeune fille apparaître, qui, si on croyais l'interjection qu'elle avait entendu un peu plus tôt, devait être d'assez mauvaise humeur. Et vu l'expression dépitée qu'elle lui présenta, elle non plus ne devait pas s'attendre à trouver quelqu'un ici. Elle se contenta donc de lâcher un « Euh... », pétrifiée. Shizuko, elle non plus, ne savait pas comment réagir. Les interactions sociales n'étaient pas son fort... Elle en profita donc pour juger son interlocutrice avant de s'avancer. Un peu plus jeune qu'elle, de longs cheveux noirs... Des traits fins. Elle était belle, très belle, et elle savait se mettre en valeur. Shizuko en était sûre, elle l'avait déjà vu auparavant. Ce qui n'était guère étonnant, dans le fond, à son allure on pouvait facilement deviner qu'elle devait être plutôt populaire. Pas du genre à rester dans l'ombre, la demoiselle avait donc dû la remarquer sans trop y prêter attention.

Bon, c'était pas tout ça, mais il fallait bien faire quelque chose, ça devait faire dix bonnes secondes qu'elles se fixaient sans piper un mot... Il allait bien falloir rompre le silence, elles n'allaient pas rester à se dévisager comme ça en attendant que l'une d'elle ne tombe raide morte de vieillesse. Shizuko s'efforça de reprendre possession de ses moyens, histoire de paraître la plus tranquille possible, et s'approcha un peu d'elle.

« Euh... Tout va bien ? »

Question un peu bête étant donné que l'inconnue n'avait pas l'air franchement dans son assiette, mais bon, il fallait bien briser la glace. Et puis, vu son air stupéfait, elle ne s'attendait pas à trouver quelqu'un, alors... Autant proposer son aide. Elle lui adressa un sourire un peu hésitant, espérant la détendre un minimum, avant d'ajouter :

« Je veux dire, il y a un problème ? Ça va ? »

Sachiko resta les bras ballants devant l’inconnue, son esprit comme paralysé par ce stress soudain causé par la découverte de l’autre élève et la douleur qui lui vrillait le ventre. Lorsque l’autre fille parla, ce fut comme un choc électrique et Sachiko reprit le contrôle de son esprit.

« Euh … Oui, je euh … »

Elle s’approcha lentement des lavabos et prit appui contre le rebord.

« C’est juste … la euh … » bafouilla-t-elle mal à l’aise car peu habituée à parler de ce genre de choses.

« Sachiko, on ne parle pas de ce genre de choses, c’est dégoûtant ! » s’écriait sa mère lorsque jeune adolescente, elle tentait d’obtenir des réponses. Elle n’en reçut que les importantes de sa mère (« Utilise des serviettes hygiéniques comme je t’ai achetée, ne salis surtout pas tes vêtements. ») et le reste de l’infirmière de l’école qui comprit assez facilement que la mi-enfant, mi-femme ne comprenait pas très bien ce qui lui arrivait.

« … mauvaise période » finit-elle par marmonner avant de se plier en deux. « Je suis vraiment désolée de vous imposer cela Sempaï, ne vous en faites pas pour moi ça ira. »

Mais évidemment, ses paroles sonnaient fausses quand on voyait son temps pâle.

Spoiler:

Shizuko continua de dévisager l'inconnue, un peu inquiète, jusqu'à ce qu'elle ne finisse par lui fournir une rapide réponse qui n'en n'était pas vraiment une, tellement hésitante qu'elle se se demanda l'espace d'un instant si son interlocutrice n'allait pas s'écrouler sur le sol d'une seconde à l'autre. Mais bon, il lui semblait avoir discerné un « Oui » dans sa phrase, et au moins, c'était bien la preuve que celle qui lui faisait face n'était par morte debout. Vacillante, cette dernière se tira jusqu'au lavabo pour prendre appui dessus, son ainée la suivant, en retrait de quelques pas, partagée entre l'envie d'aider et la peur de la gêner. Ce n'est que lorsque Sachiko évoqua les mots « Mauvaise période » que le déclic ne s'observa dans sa tête. Elle se sentit immédiatement un peu plus légère, soulagée. Tant mieux, enfin pour elle, car il était certain qu'aux vues du calvaire qu'endurait sa comparse, celle-ci devait être d'un autre avis. Mais au moins elle ne risquait pas de lui tomber raide morte d'un coup, sous le nez. Car à voir son teint cadavérique, l'adolescente trouvait la question plus que légitime.

Elle ne put s'empêcher de lui adresser un sourire compatissant en la voyant tenter de sauver les apparences, et par dessus le marché, s'excuser. La demoiselle se glissa silencieusement à coté d'elle, et lui proposa son bras comme soutient, avant de lui répondre, son petit sourire compréhensif planant toujours sur ses lèvres.

« Je t'accompagne jusqu'à l'infirmerie. Il faut que tu prennes quelque chose, ou au moins que tu te reposes un peu. »

Cette fois-ci, elle ne lui avait pas posé de question et s'était contentée d'une affirmation. Histoire de ne pas lui laisser de porte de sortie, aucune chance de se dérober uniquement pour des histoires de réputations. Car s'il y avait bien deux choses qui étaient sûres aux yeux de Shizuko, c'est que ce genre de choses de revêtaient absolument aucune importance pour elle, et que, vu son état, la demoiselle n'irait pas bien loin. D'ailleurs, elle comptait vraiment tenir une journée comme ça ? Ou pensait-elle se rendre à l'infirmerie dès que possible ? Dans les deux cas, elle semblait à peine tenir sur ses jambes. Attendant avec une pointe d’appréhension sa réponse, son ainée qui se trouvait bien cavalière pour une fois, ajouta simplement dans l'espoir de la convaincre...

« Je t'assure, tu tiens à peine debout, ça se vois... »

Spoiler:

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Les crampes de Sachiko l’empêchèrent de voir sa sempaï se détendre et compatir par solidarité féminine. Les douleurs étaient si fortes et brusques qu’elle avait l’impression qu’elles remontaient jusqu’à son crâne pour marteler dessus. Elle ne comprit pas tout ce que lui dit Sayaki mais elle en comprit l’intention quand celle-ci arriva près d’elle et lui saisit le bras. Elle sourit faiblement, embarrassée d’encombrer une sempaï avec ses problèmes.

Elle n’essaya toutefois pas de se dérober car on ne refusait pas l’aide d’une aînée, cela aurait été trop impoli.

« Merci Sempaï, je suis vraiment désolée de … » une douleur la fit se crisper « … vous encombrer de la sorte. »

Et tout à coup, elle se rappela que l’infirmerie était dans le bâtiment Showa, ce qui signifiait qu’elles allaient devoir marcher. Sachiko se demanda comment elle arriverait à se rendre jusque là sans tomber dans les bras de sa sauveuse.

« Est-ce que … vous n’auriez pas un … un médicament ? Que-quelque chose contre la douleur. Même si c’est juste tem-temporaire, ça m’aiderait beaucoup. »

Ses phrases étaient un peu saccadées car elle essayait de contrôler quelque chose qu’elle ne pouvait pas contrôler, ce qui faisait qu’elle était très crispée. Il y eut cependant une trêve dans la guerre des hormones et Sachiko se sentit un peu plus légère pendant quelques minutes.

« C’est vraiment affreux quand j’oublie mon médicament … » ajouta-t-elle pour s’excuser.

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