Dernière semaine avant les vacances signifiait dernier moment pour croiser les professeurs et autres membres de l'établissement qui ne restaient pas pour les cours pendant les vacances. Et si la bibliothèque restait ouverte, pour sa part, Ran avait tout de même besoin de voir avec son responsable pour la liste des livres à commander ou réapprovisionner pour la rentrée. En général, ce travail était plutôt fait lors de la rentrée d'avril, mais le bibliothécaire avait apparement besoin d'autres choses en plus pour septembre. Par négligence lors de la rentrée précédente ou par plaisir de mettre à jour ses collections régulièrement, l'intendant ne pouvait le deviner... du moins pas avoir vu l'intéressé, ce qu'il comptait faire en cet instant.
Le choix de l'horaire, en plein milieu de la matinée, était parfaitement étudié : aucun élève ne serait là pour travailler à ce moment, lui laissant la possibilité de venir faire son travail, de discuter quelques instants avec le bibliothécaire avant de repartir sans autre forme de procès, le tout sans témoin qui risquait de lui adresser la parole.

Une bibliothèque vide, voilà bien un endroit qu'appréciait l'intendant, avec sa horde de livres plus ou moins intéressants, saupoudrée de verdure et de feuillages somptueux pour y ajouter une touche de couleur. Combien d'heures y avait-il passé en tant qu'étudiants pour finir un mémoire ou pour échapper à une ambiance pesante à son domicile ? Ou simplement pour le plaisir, à se gorger des écrits des autres jusqu'à plus soif. C'était presque à regret qu'il contemplait les lieux qui maintenant restaient bien loin de son quotidien.

" Ritter-san ? "

Le grand blond n'était nul part en vue. N'ayant pas envie de se promener entre les rayonnages trop étroits qui peuplaient le fond des lieux, Ranmaru déposa son dossier sur le comptoir avec le bref espoir que l'homme allait bientôt revenir. Son regard fut bien vite attiré par quelque chose qui n'avait rien à voir avec les livres : un magnifique bonzai, un érable aux feuilles d'un rouge intense qui tranchait avec le reste des autres plantes. Quoique, d'un peu plus près, l'arbre était certes magnifique, mais sa forme laissait un peu à désirer. Il était plus spécialiste en ikebana qu'en bonsai, mais même lui pouvait voir que l'arbre était déséquilibré dans sa structure !
Son propriétaire avait du penser de même, puisqu'une paire de petits ciseaux de taille était posé non loin de l'arbre, abandonné là pour quelque mission d'une importance supérieure.

Mu par une impulsion qui venait tout droit d'une âme aventureuse d'enfant curieux et désobéissant, Ranmaru ne résista pas à l'envie d'attraper les ciseaux pour commencer à couper les branches surnuméraires qui cassaient l'équilibre précieux du bonsai, le taillant délicatement pour lui faire retrouver une forme digne de ce nom. Comme souvent en travaillant avec les plantes, l'intendant retrouvait un état d'âme plus paisible, loin de son hostilité permanente envers ses congénères.
L'esprit et le regard occupé, il n'entendit pas le claquement pourtant caractéristique d'une béquille sur le sol, signe annonciateur de l'arrivée du maître des lieux.

Il en avait connu, des sales nuits, écourtées au delà du raisonnable ou alors dans des endroits plus qu’incongrus. Son expérience dans le domaine était honorable. Il n’aurait jamais cru que les cauchemars puissent le hanter de manière aussi obstinée, nuit après nuit. Les réveils en sursaut, suivi de l’impossibilité de se rendormir à cause de la douleur, ou cette impression vaseuse qui perdurait ensuite dans son esprit… Mais le pire avait peut-être été de s’effondrer comme une loque en posant le pied à terre parce que sa jambe n’avait pas voulu le porter. Si ses colocataires avaient entendu le bruit – ce dont il ne doutait pas – ils avaient eut la délicatesse de ne rien lui demander. Mais son air peu avenant avait aussi du contribuer à cet état de fait.

Après une longue douche brûlante et 3 cachets rouges, et une béquille empoignée à contre cœur, il s’était rendu dans la bibliothèque, encore vide de toutes visites et qui en cet heure matinale prenait des airs de forteresse imprenable. Nerveux et hyperactif, il avait empoigné des piles de livre à vérifier, les avait reposé, était finalement retourné s’asseoir derrière son bureau pour lire les derniers flux rss de news qui l’intéressait et était tombé dans une profonde somnolence dans son siège, la tête en arrière. C’était le toussotement gênée d’une élève qui l’avait réveillée, et il l’avait alors accueillie vertement : Elle avait tant besoin que ça qu’il soit réveillé pour poser un livre dans la corbeille des retours ?

La journée avait réellement commencée ainsi, réveillé par une ado en emoi. Ou qui devais bien critiquer cette attitude de gaijin désinvolte, les 2 étaient possibles. Gabriel avait toujours adoré cette capacité des japonais à trouver tous les défauts possibles et imaginable d’impolitesse en tous genre en sachant si bien fermer les yeux sur les hordes de salary man gonflés d’alcool comme des éponges qui s’éparpillaient dans le métro et les rues chaque soir…

Dernier détail de cette matinée qui semblait décidée à lui porter sur les nerfs, le paquet de café bien entamé et en fin de vie. La simple perspective de retourner jusqu’à l’appartement pour en rapporter lui faisait mal d’avance. Aussi, lorsqu’en milieu de matinée la cafetière fut vidée jusqu’à la lie, l’ex journaliste se leva avec un gros soupir pour aller se fournir à la machine à café du coin, laissant en plan le bonsai devant lequel il s’était installé 15 mn avant sans parvenir à se décider à couper la moindre branche, son cerveau ne trouvant pas moyen de s’apaiser.

Lorsqu’il revint, les dents serrées, de son périple, ce fut pour trouver une petite silhouette assise sur le tabouret qui était le sien jusque lors, coupant avec régularité des petites branches du bonsaï d’érable, et visiblement suffisamment occupé à sa tache pour ne pas réaliser son entrée. De manière automatique, son regard couru sur les environs à la recherche d’éléments du décor ayant changé. Seul un document qui n’était pas présent jusque lors était posé sur son bureau. L’homme était donc venu le voir, ou tout du moins avait à faire avec lui.

« Je ne me souvenais pas avoir demandé les services d’un jardiner pour mes beautés. »

Lorsque l’inconnu tourna la tête vers lui, réalisant sa présence, le blond mis un petit instant à resituer ce visage qu’il connaissait sans pour autant le voir avec régularité. Mais comme ses autres réflexes désormais inutiles, sa mémoire photogénique n’avait pas disparue ; Il s’agissait de l’intendant de l’école, Murakami san. Un jeune homme discret avec lequel il n’avait que rarement frayé.

« Murakami san hors de son bureau. Un tremblement de terre aurait-il détruit vos locaux ou aviez vous envie de vous confronter un peu à une lumière qui ne soit pas artificielle ? »

Le ton n’était pas véritablement moqueur, mais il n’avait pas envie de chercher à tourner ses mots ce matin. Pas même la capacité en fait : Il était trop occupé à lutter contre cette douleur lancinante et cette fatigue qu’il traînait derrière lui comme une cape de plomb. Il porta le café à ses lèvres avant de grimacer face au breuvage encore trop chaud pour être but.

Le ciseau retomba le bureau dans un claquement métallique, non sans entailler au passage le gras d'un pouce qui tenait jusque là méthodiquement écartée une petite branche que l'intendant ne souhaitait pas voir coupée dans sa taille minutieuse. L'arrivée bruyante, ou tout du moins la déclaration d'arrivée tonitruante du maître des lieux avait sorti de ses gonds le petit japonais. Nerveux, l'intendant fit volte face pour tenir tête au bibliothécaire. Difficile de se sentir à son aise face à quelqu'un qui faisait une tête en hauteur et en largeur de plus que lui, mais Ranmaru s'en sortait plutôt bien dans le genre petite souris hargneuse qui faisait face au gros chien placide sans animosité.

" Si vous le tailliez correctement, vous n'auriez effectivement pas besoin d'aide."

La voix cassante avait retenti dans la bibliothèque vide avec plus de force qu'il n'aurait voulu, montrant bien à quel point ne pas avoir repéré l'arrivée de l'autre l'avait rendu nerveux.
Son regard se déplaça sur le dossier qu'il avait laissé négligemment sur le bureau pendant sa taille et il l'attrapa avant de le tendre à l'allemand, le regard méfiant. Il ne le connaissait pas – pas plus qu'il ne connaissait la plupart des gens qui travaillaient ici hormis quelques administratifs en fait – et ne savait à quoi s'attendre de sa part. La petite pique, parfaitement, réaliste, n'était pas pour le mettre en confiance. Loin de là, elle grignota vicieusement sur ses nerfs, le poussant à ne pas éviter le conflit comme il aurait pu le faire en temps normal, pour le simple plaisir de ne pas avoir à rester à discuter pus longtemps.

" Pire que ça. Vous avez oublié de remplir la demande de livres depuis 3 mois, me forçant à sortir de mon bureau pour venir vous l'exiger. J'ai ramené le formulaire, je suppose que le précédent doit être perdu au milieu de ces plantes au feuillage trop fourni. Est-ce que vous avez aussi besoin de mon aide pour remplir chaque petite ligne ou est-ce que vous allez y arriver tout seul ? "

Le réplique cinglante fut quelque peut entachée quand il dut mettre son pouce à sa bouche pour lécher la grosse goutte de sang qui avait perlée, faute de mouchoir à portée de main. L'idée de mettre du sang ailleurs, que ce soit sur ses vétements ou sur le bureau immaculé à part la poussière le rendait dingue, presque autant que le regard tranquille qu'il devinait un peu amusé du grand blond. Qu'est-ce qu'ils avaient ces gaijins à être tous aussi grands ?
Puisqu'il n'y avait plus que ça à faire, Ran attendit avec toute la dignité qu'il pouvait que le blond concède à attraper à le document, hésitant à rester au dessus de son épaule pour être sur de bien le récupérer dans les temps cette fois-ci. Il était incapable de dire si l'autre restait ou non pour les vacances. Il aurait du le savoir, puisqu'il avait la liste de ceux qui restaient au lycée pendant cette période, pour des raisons pratiques mais... allez-savoir pourquoi, ce genre de détails n'étaient pas ceux dont il s'imprégnait le plus.

Il avait sursauté à son arrivée. Apanage de ceux qui n'avaient pas la conscience tranquille. Comment pouvait on l'avoir alors que l'on taillait sans permission les plantes d'un inconnu ? Son visage et sa replique étaient dépourvus de la candeur qui auraient put justifier une telle initiative pleine de bonne volonté. Sa voix était même un peu trop cassante, comparé à l'outrage. Etait il à ce point si concentré qu'il n'en avait pas entendu son arrivée, ni vue du coin de l'oeil ?

D'un geste vif, le brun s'était rapproché de lui, tendant avec vivacité le porte document, sur lequel Gabriel posa un regard rendu acéré par la douleur, avant de poser son gobelet de café sur le bord du bureau pour pouvoir se saisir dudit document. La vivacité du jeune homme face à lui le fit sourire paisiblement tandis qu'il jetait un oeil sur l'intitulé du document.

"Et bien, remerciez moi, vous aurez un peu pris l'air et aurez même put tater de ce joli bonsai. Finissez le d'ailleurs pendant que vous y êtes."

Sur ces paroles, il contourna le bureau avec une difficulté trahit par sa machoire tendue et se laisser tomber dans son fauteuil, callant sa bequille contre l'accoudoir avant de croiser ses jambes sur la table avec une grimace mal refrenée, sans vérifier si Ran accedait à sa demande ou pas.

"Bon, alors voyons ça..."

Attrapant le stylo bic le plus proche, il feuilleta le document soigneusement agraphé, retournant chaque page avec désinvolture et cochant certaines cases de ci de la en marmonnant.

"Mwi, non... Ch'ais pas, ch'ais pas, j'm'en fout..."

Malgré son apparence desinvolte, certaines lignes étaient pourtant remplie avec attention des titres que certains élèves lui avaient demandés et qu'il avait retenu dans un coin de son esprit, ou de certains ouvrages qu'il estimait utile d'avoir ici. Le jeune Scott ne lui avait il pas demandé un exemplaire de Faust ? Un rictus étira ses lèvres. Il n'était pas sur de vraiment vouloir commander un livre pour un seul élève qui avait visiblement les moyens de se le procurer autrement.

Si les yeux avaient eu un quelconque pouvoir, Gabriel se serait retrouvé crucifié au mur par le regard peu amène de l'intendant. L'apparente désinvolture du bibliothécaire menaçait de rendre dingue le japonais qui en avait oublié le délicat bonzai, plus vraiment en état de le remettre en forme malgré toute la tendresse qu'il avait pu ressentir pour lui. Ran ramassa le petit ciseau, l'observant un instant ainsi que la forme du bonzai, avant de regarder l'autre homme qui lui n'était pas du tout gêné par son intrusion. Sans surprise, la présence de Gabriel pesait trop lourd dans la balance.
L'intendant fit quelque pas jusqu'à se trouver juste en face du bureau où il déposa le petit ciseau avec à peine plus de douceur qu'il ne l'avait laissé choir quelques instants plus tôt. Son travail n'était que de tendre la feuille et d'attendre que l'autre daigne la lui rendre, et à la limite insister en lui lançant un regard noir pour qu'il la lui rende rapidement, à défaut d'être dans les temps. En tant qu'intendant, il n'avait pas à juger de ce qu'il choisissait, ou de la manière dont il semblait faire les choses, sérieusement ou non. Théoriquement.
Cependant, comment garder son calme quand quelqu'un lançait son travail par dessus l'épaule ? Quelque part, le comportement de Gabriel se reportait sur le lycée par lequel il était employé, tout comme Ran. Il n'avait guère envie de voir cette réputation ternie par le je m'en foutisme d'un gaijin.

" Vous faîtes toujours comme ça ? Il s'agit d'un lycée, pas d'un jeu de hasard dans une foire. "

Il avait fini par craquer, faisant honte à ses origines japonaises qui auraient du lui imposer un peu plus de subtilité dans son intervention. A quoi bon, face à un gaijin incapable de comprendre la plupart des nuances des natifs ? Ne pas prendre de gants aurait bien plus d'efficacité que tout autre méthode... et serait bien plus agréable.
Et autant se rendre à l'évidence... il n'était pas très doué pour la seconde solution, peu enclin à utiliser de ces formules détournées qui auraient pu faire croire à une autre personne qu'il ne les détestait pas tant que ça, voir qu'il les appréciait. Les lèvres pincées et le dos droit, Ranmaru aura eu sa place dans l'illustration du japonais désapprobateur type.

" Vous avez peut-être besoin d'aide pour faire votre propre travail ? Ou c'est comme pour le bonzai, vous attendez que quelqu'un passe ? "

Si le jeune intendant n'avait pas son mot à dire sur qui était engagé dans le lycée ou sur les critères d'embauche qu'exigeait le proviseur, s'il pouvait même comprendre la sagesse d'exposer des jeunes japonais à l'esprit parfois un peu étroit au dilettantisme étranger ainsi qu'à leurs habitudes, langues, accents, ou tout autre chose à laquelle il n'arrivait pas à penser, sur le coup, il aurait bien aimé savoir qu'elles étaient les avantages de ce type là.
Et en attendant, il ne se sentait aucune obligation de se montrer plus délicat avec lui qu'avec un autre.

Gabriel leva le regard suite à la paire de ciseau déposée avec brutalité et observa le visage constipé du brun. C’était presque magique : Lui qui se sentait prêt à mordre quiconque lui adresserait la parole sentait presque sa rage s’écouler à travers la personne de Ran. Ou alors était-ce simplement parce qu’il était amusant ? Il ne représentait aucune menace, juste un petit japonais un peu trop coincé et nerveux qui ne mâchait pas ses mots face à lui. C’était rafraîchissant en un sens.

Les lèvres de Gabriel s’étirèrent en un rictus amusé face à la dernière remarque acide. Il prit le temps de boire une gorgée de café, avant de répondre paisiblement :

« Ah vous voulez vous en charger aussi ? C’est bien aimable. »

Reposant la liasse de papier et la glissant dans la direction de Ran, il se redressa en pesant lourdement sur le bord du bureau qui craqua légèrement, et souffla, saisissant sa béquille d’un geste brusque pour rejoindre le tabouret snobé par Ran. La douleur qui lui déchira la cuisse lorsqu’il se retrouva face au tabouret après quelques pas manqua de le faire gémir, et il serra les dents, se laissant tomber plus qu’il ne s’assied sur la tabouret face a l’érable rouge.

Ses tempes étaient humides, et il se passa vaguement la main dans les cheveux avant de se masser la cuisse, cherchant à faire passer la douleur. Son esprit s’égara un instant dans quelques vieux souvenirs. En Afrique du nord, il avait passé 2 mois bloqué à l’écart de toute civilisation, son véhicule ayant rendu l’âme au bord de la route. Attendant le passage d’un véhicule motorisée, chose rare s’il en était dans cette région, il avait renoncé à chercher à poursuivre sa route et s’était fait sa place dans le village. Il avait facilement été convié aux réunions des anciens, et avaient découvert des plantes qui mériteraient des connues en occident. Et qu’il aurait aimé avoir en cet instant. Ces fichus cachets lui semblaient perdre en efficacité chaque jour.

« Mais si vous avez du temps à perdre, je préfère encore que vous m’indiquiez la coupe qui vous semble la plus adaptée. Je ne vous remet pas les ciseaux dans les mains, j’ai un peu trop peur de voir un blessé dans cette pièce. »

Reprit il de manière presque soudaine, ses grandes mains rugueuses caressant les feuilles du petit érable avec une certaine douceur. Qu’il parle de son doigt blessé ou de lui même, il le laissait libre de choisir.

[HRP : une réponse en vitesse pour prouver que je suis encore en vie ! Je devrais faire mieux maintenant ^^; ]

L'intendant avait la bref impression, confirmée par le regard du blond, que celui-ci s'amusait de lui. Le bibliothécaire se vit récompenser d'un nouveau regard agacé, autant pour la remarque que sa façon de récupérer le ciseau. Pour une petite coupure... il ne s'était quasiment jamais blessé en taillant des plantes en ikebana. Ce n'était pas quand il faisait attention qu'il se blessait... juste le reste du temps. Ran fronça des sourcils, considérant l'autre homme d'un oeil critique.
Il y avait quelque chose d'étrange dans l'expression tendue de son visage, peu assortie à ses paroles somme toute moqueuses mais sereines. Avec quoi aurait-il lié cette expression pour un de ses personnages ? Même si l'arrivée d'un grand blond était fort peu probable dans ses livres, sauf s'il s'amusait à parler des quelques vaisseaux hollandais qui avaient commercé à l'époque avec le Japon. Mais là n'était pas la question. S'interdisant de repartir en réveries sur ses livres, Ranmaru préféra se concentrer sur la question la plus agréable du jour, l'érable qui était fortuitement en présence du bibliothécaire.

" Non, pas de blessés, je desterai devoir donner du travail aux femmes de ménage, ou pire, abimer les livres."

Non, nulle ironie dans ces propos, Ran était parfaitement sincère, juste parfaitement inconscient de l'effet qu'ils pouvaient causer comme le prouvait son visage vide de toute expression ironique. Le regard concentré sur le petit tronc de l'arbre miniature, il effleura quelques branches au dessus de celles qu'il avait commencé à élaguer quelques minutes plus tôt.

" Ici, là, et là, pour mettre en valeur la jolie tournue de son tronc et ses racines. Peut-être couper un peu plus ici pour accentuer la courbure aussi."

Ran retira son doigt de l'arbre, les sourcils froncés, avant de se tourner vers Gabriel et de capter son expression. Une moue agacée se peignit sur le visage de l'intendant. Cette manière de discuter aussi librement... il n'aimait pas se montrer ainsi ouvert face aux autres. Ne manquerait plus qu'ils aient une conversation civile sur les bonsais ensuite ! Une pensée fugitive traversa l'esprit de l'intendant qui se redressa comme un moineau en colère. Impossible pour lui d'en rester sur un échange aussi... civile. Il ne tenait pas à ce que le bibliothécaire se fasse des idées.

" Et bonsai ou non, je veux aussi mon listing avant ce soir. Dois-je rester ici pour m'assurer que vous le ferez ?"

Et vu l'amabilité de Ran habituellement, une telle proposition comptait bien comme une menace.
Même si, au final... des livres et des plantes vertes, il y avait surement des endroits bien pire à fréquenter dans ce lycée.

Même si la réponse était pince sans rire et totalement premier degrés, Gabriel ne put s'empêcher de rire avec légèreté aux propos de Ran. Ne réalisait il pas que chacun de ses actions nerveuses ne faisaient que l'amuser ? Et il doutait que ce comportement fut tout bonnement altruiste de la part de son interlocuteur. A contre cœur, celui ci s'était rapproché de lui, lui faisant penser à un chat qui souhait ignorer un humain l'attirant avec un jouet mais ne pouvant s'empêcher de se montrer intéressé par quelques coups de pattes incontrôlés. Comme s'il lisait dans ses pensées, l'intendant se redressa, une moue agacée étirant ses traits.

Inconfortablement visé sur son tabouret, Gabriel hocha distraitement la tête à l'ordre, rapprochant lentement sa pince d'une des branches précédemment indiquée par l'intendant. Un éclair de douleur fendit sa cuisse, le faisant se crisper de tout son être, et une branche imprévue se retrouva malencontreusement coupée. La visage de marbre, la mâchoire tendue, Gabriel lança avec une colère soudaine la pince au sol.

"Schieze !"

Les dents serrées, la main crispée sur sa cuisse, il inspira longuement. Pas qu'il chercha particulièrement à retrouver son calme, étant toujours prompt à laisser sortir ce qu'il ressentait, mais il ne souhait pas non véritablement s’énerver face au petit intendant hargneux. Il se leva avec difficulté, empoignant sa béquille pour rejoindre son bureau, ou de nouveaux cachets rouges trouvèrent le chemin de sa bouche, aidés en cela par une longue gorgée de café qui avait eut le temps de tiédir. Le blond se passa la main sur le visage, reportant son regard sur celui de l'intendant. Cet homme avait une manière tout à fait particulière de regarder les gens, toujours de face, crâneur. C'était assez agaçant.

" Je vous le rend demain votre truc, c'est plus à un jour prêt. Pendant ce temps, faites... Faites ce que vous voulez."

Manière particulière de le congédier, et pourtant une petite voix au fond de son esprit l'avait empêché de dire "Retournez dans votre trou". Brusque accès de presque politesse pour pallier à son cou de sang juste avant ?

Difficile de rester de marbre face au visage crispé de Gabriel et à l'insulte lachée dans une langue étrangère. S'il ne voyait pas si mal, il aurait surement reculé devant le mouvement d'humeur. Heureusement - ou malheureusement – le jeune homme était suffisament handicapé pour ne voir qu'au dernier moment la pince qui attérit sur le sol dans un claquement net. Ran resta un instant indécis, mal à l'aise devant le spectacle qui lui était offert, hésitant à partir en laissant l'autre avec sa souffrance. Il n'aurait guère aimé que quelqu'un se permettre de s'immiscer dans sa vie privée en l'interrogeant sur ce qui n'allait pas. D'un autre côté... le bibliothécaire avait peu-être réellement besoin d'aide ?
L'écrivain n'aimait pas ce genre de dilemme. S'occuper des autres était bien trop complexe et difficile à comprendre pour son bien-être personnel. Si Ritter avait pu se contenter de remplir sa feuille sans tergiverser... mais non, les choses n'étaient jamais bien simple.

L'intendant le suivit du regard un moment, avant de finir par se convaincre que si l'homme n'était plus capable de s'occuper de sa tache, elle lui incomberait tant qu'aucun remplaçant ne pourrait être trouvé. C'était une raison comme une autre de s'inquiéter, ne serait-ce qu'un minimum, de sa santé.

" Voulez-vous que je prévienne l'infirmier ? "

Autant que celui-ci soit utile. A part les quelques blessures au sport et les habituelles migraines imaginaires des élèves fatigués d'aller en cours, le rôle de l'infirmier restait plus que minime dans le lycée, lui permettant de faire semble-t-il tout, sauf son travail. Certes, mieux valait qu'il ne se plaigne pas du peu de blessures. La paperasserie qui accompagnait les accidents étaient souvent plus que désagréable à remplir.

Alors que la réponse tardait à venir, Ranmaru chercha un instant au sol pour retrouver la pince balancée. Elle était sortie de son champs de vision et la retrouver était plus complexe que cela aurait du être, de manière vexante. Il finit par la retrouver, un peu trop décalée pour être dans son périmètre visuel réduit. La partie coupante de la pince avait laissé une petite marque dans le parquet, une fine coupure dont il avait déjà senti la morsure un peu plus tôt, sur son pouce. Il n'osait imaginer ce qui s'était passé si l'allemand n'avait eu la décence de viser le sol. L'infirmier aurait eu plus de travail que prévu. Ran chassa en un instant cette pensée étrange : il n'y avait bien que dans ses livres qu'arriverait ce genre d'action. Entre personnes civilisées, les blessures se limitaient plus souvent à la qualité des insultes qui volaient.

Difficile de ne pas se focaliser sur la douleur. Le regard acéré du blond s'était posé sur la seule autre personne ici présente, cherchant à analyser, cherchant quelque chose pour se distraire de ses ressentis physique. La question de Ranmaru ne rencontra que du silence, alors qu'un détail, qui en d'autres circonstances aurait peut-être échappé à l'analyse du blond, s'imposait ici comme une évidence. La manière d'agir de Murakami, cette façon de toujours regarder de face, de ne pas avoir conscience de ce qui se passait à coté de lui, et maintenant, cette façon qu'il avait de remuer inutilement la tête pour chercher à récupérer la pince tombée au sol...

Les doigts quasiment incrustés dans sa cuisse, Gabriel se laissait aller à sa principale addiction : Cette recherche de la vérité pure et lumineuse de chaque instant qui ne souffrait pas des ressentis et des points de vus. Ce qui pouvait être constaté, démontré, et qu'il aimait disséquer et comprendre, comme s'il eut put voir les colonnes de molécules qui composaient l'univers autour de lui.

"L'infirmier scolaire ne soignera pas plus ma jambe qu'il ne soignera vos yeux Murakami san"

Le ton était moqueur, quelque peu agressif. L'agressivité d'un animal blessé qui attaque pour se défendre. Même s'il était la plutôt question d'un humain qui attaquait pour se défouler, mais aussi parce qu'il avait trouvé un sujet sur lequel détourner son attention. Nul doute que la réaction de Murakami serait intéressante.

Il n'avait pas entendu ce qu'il venait d'entendre.
Comment un étranger – un stupide étranger blond qui n'avait même pas sa place au Japon, encore moins dans une école où on enseignait à des jeunes japonais – osait-il parler de ses yeux ? Comment pouvait-il prétendre connaître ce détail sur lui que lui-même ne voulait pas s'avouer ? Ranmaru fixa plusieurs secondes ce sourire aggressif, toute sa contrariété et sa rage bien lisible dans ses yeux étrécis et la mince ligne serrée qu'était devenue ses lèvres.
Aurait-il était plus violent qu'il aurait sans hésité attrapé quelque chose pour le jeter à la tête de l'allemand, pour le plaisir de voir disparaître ce sourire trop marqué de ce visage autrement trop ouvert. Malheureusement, la violence n'avait jamais fait partie de sa vie, une simple notion connue et acceptée mais jamais réellement utilisée. A défaut, l'intendant frappa au hasard le bureau, envoyant valser dans un nouvel éclat métallique la petite pince qui servait aujourd'hui de défouloir aux deux hommes. Imaginer qu'il s'agissait du visage de Gabriel en dessous n'aida même pas.

" Allez-vous faire voir."

Sans un temps de latence, Ran fit demi-tour et se dirigea vers la sortie, sans courir, mais d'un pas pressé qui trahissait son envie de ne pas rester une seconde de plus en compagnie du bibliothécaire, de fuir celui qui pointait du doigt sa propre infirmité. Seul son respect pour les lieux l'empêcha de claquer la porte mais le cœur y était. Il manqua de cogner au passage un élève entrant, élève qui eut vite fait de se pousser pour laisser passer devant le regard noir que lui lança l'intendant. Si l'adolescent fut surpris devant cet adulte inconnu à l'air agressif, il ne l'exprima pas pour son plus grand plaisir. Il avait assez eu de conversation avec d'autres personnes aujourd'hui pour avoir envie de rester enfermer pour les deux semaines à venir dans son bureau. Voir plus longtemps encore.

Il ne voulait pas être un handicapé aveugle. Il ne voulait pas l'accepter et encore moins le voir reconnu. Savoir que d'autre pouvait le comprendre et le voir le terrifiait. Combien de temps avant que tout le monde ne le devine et ne le traite avec condescendance ? Qu'est ce qu'il lui resterait quand il les aurait complètement perdus ? Les livres, sa moto... autant se jeter d'un pont que de se voir diminuer à ce point. Mais pour le moment, c'était la colère plutôt que la dépression qui l'emportait, et elle avait même trouvé un point focal en la personne de cet odieux bibliothécaire.