Veste sur l'épaule à la James Dean, Taiki arpentait les couloirs du deuxième étage. A peine arrivé, il avait largué sa valise quelque part et visitait le pensionnat. Si on lui demandait pourquoi, il répondrait qu'il est important de repérer les coins discrets avant de courir les filles, parce que savoir où les dévergonder tranquillement est un atout. Mais en vérité, il cherchait surtout un refuge, un coin où il pourrait s'évader de temps en temps pour libérer sa mélancolie grâce à la solitude.

Cet étage était déjà plus intéressant que le premier, moins fréquenté. Taiki cessait de rouler des épaules, même si sa démarche était toujours nonchalante. Il prenait le temps de flâner, une sucette dans la bouche, qu'il avait piqué à la première donzelle croisée au premier étage.

Tiens, une porte, là. Ici commençait son expédition. Il poussa la poignée et pénétra dans une salle noire, humide et délabrée.

*Génial.. Pile ce qu'il me fallait.*

Il marchait lentement, ne connaissant pas l'état du plancher. L'atmosphère sentait le renfermé, mais surtout, était froide. Taiki ferma les yeux un instant, laissant le vent léger et glacé lui souffler dans le cou et sur les flancs. Il aimait cette sensation, qui lui rappelait les montagnes de son enfance, leur hostilité qui lui était chère. Il en était sûr, cette salle était l'endroit parfait, il aurait l'impression de retourner chez lui à chaque fois.

Détendu, presque ému, satisfait, il rouvrit les yeux. Le temps qu'ils se ré-habituent à la pénombre, Taiki distingua une silhouette assise, dans un coin. Surpris, un peu contrarié, il s'avança alors vers elle, une moue au coin des lèvres.

C'était une fille. La nouvelle n'enchanta pas au premier abord le Tombeur, qui était encore dans ses retrouvailles personnelles, mais il se rendit compte qu'elle n'allait pas bien.

*Elle a dû chercher la même chose que moi.. Un coin pour se réfugier.*

Et le grand cœur du Kazakh s'ouvrit immédiatement. Doucement, il s'accroupit face à la jeune fille pour lui parler.

C'est un grand jeune homme qui se présente à elle, peu typé asiatique, aux yeux clairs et au menton piercé. Un visage fin, anguleux, qui sourit avec nonchalance, traversé par quelques mèches sombres.

"Hé.. Ce n'est pas un endroit pour une jolie fleur. Même si elle a du chagrin."

Avec ça, une voix qui caresse, légèrement rocailleuse, sans accent.

Taiki se rendait compte que la demoiselle n’était pas dans son assiette. Elle avait pleuré, ses joues en portaient encore les traces ; et son regard était confus, presque perdu. Sérieux lorsqu’il s’agissait de la détresse (d’autant plus féminine), il fronça un peu les sourcils, toujours penché sur sa trouvaille.
Celle ci se redressa et avança un peu. Le Kazakh recula d’un pas pour lui laisser de l’espace, il avait l’impression qu’il ne fallait pas la brusquer. En effet, elle avait l’air curieux. Elle le scrutait de ses yeux en amande, comme si elle voulait le sonder, comme si elle cherchait à le comprendre.

*J’ai dû la perturber.. Elle a l’air vraiment dérangée. Peut être que quelque chose ne va pas. J’espère qu’elle n’est pas droguée :S*

Puisqu’elle l’observait, ce qui était un peu gênant, il fit de même, glissant son regard vif sur la jeune fille. C’était bien une japonaise, à son humble avis. Elle n’avait rien de particulier, une allure typiquement asiatique, avec ses longs cheveux noirs. La seule chose un peu frappante, c’était la tristesse de son visage, qui la faisait paraître vulnérable, juste assez pour effacer le côté tombeur de Taiki. Lui, il était assez différent physiquement. Plutôt grand pour un japonais, il ne laissait pas vraiment de doutes sur ses origines : il était à moitié européen, d’où sa peau un peu sombre et ses yeux non-bridés. Dans la pénombre, difficile de se distinguer l’un l’autre complètement, la jeune fille ne pouvait donc pas deviner la couleur de ses yeux, apparemment clairs, ni les mèches bleu nuit de ses cheveux. Ceux-ci, noirs en majorité, tombait à peine sur son cou et son front, masquant légèrement les traits de son visage prononcé et fuselé. Les maigres filets de lumière faisaient parfois scintiller le piercing couleur argent qu’il avait sous la lèvre inférieure. Pour le reste, il avait une silhouette banale, plutôt fine mais sans plus, masculine. Taiki portait un jean foncé et une chemise claire, avec quelques fines rayures. Veste à la main, il avait la classe, on peut le dire.

Après ce flottement où chacun jugeait l’autre, la demoiselle prit la parole, d’une voix un peu éteinte, pas complètement timide. Elle reprit sa métaphore un peu enjôleuse, ce qu’il trouva joli et véridique. Il acquiesça.


*Elle va sûrement retrouver ses esprits en parlant.*

Lui qui espérait qu’elle ravale sa peine en présence de quelqu’un, il fut un peu décontenancé quand la jeune fille lui demandait explicitement une solution. Une main derrière la nuque, il hésitait. Jouer les séducteurs où l’aider sincèrement ? Il opta pour les deux à la fois, histoire de ne pas non plus passer pour un sauveur. Il détestait trop montrer son grand cœur.

"Et bien je t’aurais bien proposé mes bras, mais pour commencer je pense que tu as plus besoin d’un chocolat chaud et d’une pièce moins glacée. Qu’en dis tu ?"

Rejetant sa veste sur son épaule, tenue par deux doigts, il revint vers elle tranquillement, le visage penché sur le minois chagriné. Doucement il lui tendit son bras, ou sa main, sans trop orienter sur ce qu’elle devait saisir, pour appuyer son invitation.

"Je m’appelle Taiki. Et toi ?"

La jeune fille ne lui répondit pas de suite, mais Taiki avait bien vu qu’elle n’était pas très consciente.

*Je ne sais pas ce qui lui est arrivé, mais elle a l’air secouée..*

Finalement elle dit préférer les cafés. Au moins elle avait réagi et même réfléchi, puisqu’elle n’acceptait pas complètement la proposition du Kazakh. Elle se prépara même à se lever, rassemblant ses affaires. La main tendue, Taiki voulait d’abord l’aider à se redresser. La demoiselle avait à peine posé ses doigts dans la main hâlée qu’elle y déposa un baiser, froid et léger, les yeux clos. Surpris, le jeune homme ne bougea pas. Il n’avait pas cherché à la séduire et voilà qu’elle embrassait sa peau.

*Qu’est ce qui lui prend ?*

Ce n’était pas désagréable, non, mais imprévu. Taiki fut même un peu gêné, au fond de lui. La jeune fille était plus jeune que lui et n’était pas en pleine possession de ses moyens. Heureusement, elle rouvrit les yeux et ne poursuivit pas son baiser. Lui se pencha d’autant plus, pour rassurer ce petit être perdu, pour lui prouver sa présence, plongeant son regard vert dans les billes noires de son vis à vis. Vis à vis qui compara ses traits à ceux d’une prncesse. Cette fois, Taiki eut un rire bref, peu sonore.

*D’accord.. Elle a carrément un souci.*

Il le pensa sans animosité, avec une pointe de tendresse. Il n’avait rien contre les gens dérangés, tant qu’ils ne sont pas dangereux. Et il avait du mal à imaginer cette demoiselle lui faire du mal. Elle se releva en prenant appui sur lui et prononça enfin une phrase sensée.

Par pitié, dis moi «tu » ! Je ne suis pas encore assez vieux pour mériter un vouvoiement.

Le sourire au coin des lèvres, il saisit la valise de la jeune fille pour l’aider.

Nous allons au réfectoire, je t’offre un café. Et d’ailleurs, tu ne m’as pas dit ton prénom.

Alors qu’ils amorçaient leur départ de la vieille salle, la jeune fille eut un fou rire. Vacillante, agrippée au t-shirt de Taiki, elle ne put s’empêcher de rire pendant quelques minutes. Le jeune homme n’y comprenait rien, mais en bon garçon il prit patience et ne bougea pas, attendant une accalmie.

*Peut être l’après coup de son émotion, ou un fou rire nerveux.. Ou alors elle est vraiment shootée.*

Quand elle s’excusa, il acquiesça poliment (un vrai geste japonais qu’il avait intégré) et marcha avec elle vers la sortie. La demoiselle ne riait plus, mais gardait une attitude euphorique, joviale. C’était un peu lourd, si bien que le Kazakh était persuadé qu’elle avait ingéré quelque chose. C’est là qu’elle décida de lui répondre, mais c’était de pire en pire. Elle lui parla du prince de Cendrillon et donna un nom farfelu en Japonais.

*Violent.. Qu’est ce que ça va donner avec de la caféine ! Tu vois ce que c’est de ramasser les filles qui traînent dans les coins sombres.. Fallait pas t’attendre à une belle et reconnaissante jeune fille.*

Non, là il avait tiré le gros lot : dérangée et excentrique. Elle avait encore ri, moins longtemps. Avec une formulation enfantine, elle demanda si elle lui faisait peur.

Peur ? Tu ne me fais pas peur, tu es une crevette.

Il avait dit sans en souriant, par rapport à leur différence de taille. Mais ne voulant pas qu’elle le prenne mal, il ajouta :

Et je crois que tu devrais plutôt te désigner comme une princesse. Avec un si joli minois, tu ne peux pas être un homme, non ?

Il appuya sa phrase en relevant d’un doigt le menton de la demoiselle, pour plonger son regard sur elle. Il essayait de lui faire reprendre ses esprits en étant rassurant. Il ne savait pas encore comment se comporter avec quelqu’un d’aussi imprévisible.

Allez, allons nous réchauffer.

Il la poussa gentiment en dehors de la salle pour refermer la porte. Cherchant un instant la direction pour aller au réfectoire, il y emmena l’écervelée aux longs cheveux noirs.

[Je te laisse continuer au réfectoire et écrire que le topic est terminé dans le titre ! :)]