Il avait de l'eau dans l'oreille gauche. Ok, ça n'était pas dramatique. Mais c'était chiant. Très chiant. Chaque son arrivait de façon étouffé de se côté-là et il avait beau tout faire, pas moyen que ça change. Il se regarda dans le miroir des toilettes pour hommes. Il avait même du se recoiffer pour avoir l'air présentable, avait essuyé ses lunettes et essoré ses vêtements tant bien que mal. Au final, il était mouillé, d'humeur tangente et obligé de continuer à jouer au gentil grand frère. Horreur.

Sheikhan se rendit près du parc, vers les arbres et repéra, à quelques mètres, une jeune rouquine trop peu vue dernièrement.

"Arianne !"

Il lui fit un grand sourire, question de rester dans son rôle, et se promit de l'attirer à l'écart pour ne pas avoir à continuer ce cirque stupide mais nécessaire...

Il s'amusait ? Que dalle ouais ! Il en avait sa claque de la flotte, l'autre garce ne l'avait pas râté. La saucisse et les boulettes (private joke avec ma mère^^') s'en souvenaient aussi. L'avait pas intérêt à se pointer devant lui quand il ne serait plus obligé de jouer ce jeu stupide. En fait, mieux valait qu'il ne la recroise juste pas, parce que flic au cul ou pas, il la butterait !

"Hn. On peut s'éloigner ?"

Ceci dit, la tête ahurie qu'avait fait Ari en le voyant avait un je ne sais quoi particulièrement hilarante. Elle avait vite repris son air froid, air qu'elle devait avoir emprunté à Sheik' (pour un peu, il était fier de sa frangine... Sauf quil n'était pas sûr que ce soit une bonne chose...).

Il avait affreusement déteint sur elle oui. S'en était presque triste. Il aurait aimé la voir heureuse et souriante, à l'inverse de ce qu'il était. Il voulait qu'elle soit heureuse, et elle lui donnait l'impression de déprimer. Il secoua légèrement la tête, passa un bras autour de ses épaules et l'entraina dans un coin vide de monde. L'un des rares, d'ailleurs, parce que l'école était bondée jusque dans les dortoirs où les élèves squattaient.

"Tu vas bien ?"

Non non, on ne rêvait pas. Le Grand Sheikhan, dit Le Ténébreux Taciturne faisait un effort de conversation ! Mais la réponse l'intéressait vraiment et il savait que sans rien dire, elle ne s'aventurerait pas sur ce sujet. Or, aussi banale que soit la question, le sens qu'elle avait, lui, comptait beaucoup aux yeux du brun concernant la jeune gamine... qu'il devait plutôt appelé jeune fille.

Sans réfléchir, le jeune homme l'attira contre elle. Elle mentait, il le savait. Cependant, il aurait aimé avoir pourquoi elle mentait. Poser la question la braquerait probablement plus qu'autre chose. Il n'avait qu'à espérer qu'en faisant preuve de plus de douceur que d'habitude, la jeune fille se confie un peu plus à lui. Il n'avait pas été un grand frère exemplaire durant les derniers mois, mais ça ne tenait qu'à lui de changer ça.

"Ca va."

Et lui ça allait vraiment. Actuellement, il était bien un peu agacé et triste à la fois. Agacé de l'eau qui trônait dans son oreille (merde, c'était désagréable à la fin) et triste de la voir comme ça. Il se sentait un peu coupable aussi. S'il avait su mieux s'y prendre, serait-elle devenue une jeune fille plus insouciante ?

Oh qu'il pouvait détester quand on lui disait ça. Il avait généralement droit à une nouvelle dramatique ou pire encore : une déclaration d'amour (enflammée, à l'occaz). Ce qui n'était pas vraiment pour le rassurer avec Ari, car elle était aussi bien capable de lui dire quelque chose qui rentrerait de la première catégorie de mauvaise nouvelle que dans la deuxième. Oui, il avait oublié. Ou plutôt il préférait le déni. C'était trop dérangeant de se dire que la jeune fille qu'il considérait comme ça sœur pouvait... Non. Définitivement non.

Il fit un petit pas en arrière et l'observa en silence derrière les affreuses lunettes rondes qu'il avait sur le nez. Finalement, le brun haussa un sourcil et soupira. Il pria mentalement pour que la réponse d'Arianne à sa future question ne soit pas celle à laquelle il songeait, parce que là, vraiment, il ne voyait pas comment réagir.

"Qu'est-ce qui se passe ?"

Ah les mômes ! Ca grandit un peu et d'un coup ça ne veut plus de câlins. Il était déjà avare dans le domaine, si elle les refusait quand il lui en faisait, il n'en ferait plus. J'vous jure des fois, faire des efforts ça paie pas ! Il s'apprêtait à la taquiner un peu quand il entendu le murmure. Lui qui n'avait espérer qu'une chose: que ce soit une passade ! Voilà qu'elle réitérait, mais elle ne pouvait pas vraiment en être amoureuse hein ? Merde, c'était son frère (pas de sang mais quand même !) ! Et puis, pas n'importe quel frère. Sheikhan. Le genre de mec qui met en alerte n'importe quel parent sain d'esprit pour qu'il éloigne son enfant de sa personne. Vrai que c'était pas le père d'Arianne qui ferait ça. D'ailleurs, elle avait une mère ou pas ? C'était peut-être pas le moment le plus adéquat pour le lui demander, mais un jour, il faudrait qu'il le fasse.

"Ouais, normal, j'suis ton frère..."

Le déni. Vive le déni ! Elle ne pouvait pas être sérieuse. C'était pas possible. Enfin il avait failli la tuer bon sang ! C'était déjà un miracle qu'elle lui ait pardonner... Il l'aurait prise en otage, à la limite, y avait le syndrôme de Stockholm mais là...

Si, ça lui avait traversé l'esprit. Justement, le problème était là. Il ne voulait pas ça. Il ne fallait pas qu'elle soit amoureuse de lui. Vraiment amoureuse. Pas une histoire d'amourette d'adolescents, associée au fait qu'elle n'avait guère que lui. Non non, ça, ça passait. Ca aurait même été normal mais là, il avait dans l'idée que c'était un peu plus sérieux. Pour tout dire, ça l'inquiétait aussi.

Il soupira et se pinça l'arête du nez. Pourquoi est-ce que rien n'était jamais simple quand il s'agissait d'amour ? Pourquoi est-ce que ça ne pouvait pas fonctionner comme dans les comtes de fée, où la princesse Arianne tombait amoureux du prince X, un gentil garçon bien sous tout rapport ? Les princesses ne tombaient pas amoureuse du méchant, bordel !

"Cries pas. J'avais compris. Tu crois que ça m'amuse peut-être ?"

Pour un peu, il se demandait si elle n'avait pas du sang commun avec les Tohishima. C'était vraiment infernal. Elle se mettait en rogne aussi facilement que les deux blonds (il connaît le père et le fils), c'était impressionnant ! Nihya avait - trop - déteint sur elle. Mais tant qu'elle ne lui enfonçait pas de couteau dans les côtes, à l'instar de son cher autre frère, il ne dirait rien.

Le brun avança rapidement et passa un bras autour de son cou, l'autre autour de sa taille, la calant contre lui sans lui laisser la possibilité de le frapper pour se dégager. Une goutte d'eau lui tomba sur la main. Il n'était vraiment pas doué avec les femmes, si jeunes soient-elles. Ca se confirmait.

"Calme-toi. Ca ne m'amuse pas. Tu devrais t'en douter. Mais t'es ma sœur Ari. Et puis... Tu sais très bien que les femmes, c'est pas mon truc."

Il inspira et expira longuement.

"Arianne... Si tu étais un mec, tu serais mon frère. Je... Je sais que je ne suis pas doué. Que ce que je dis provoque plus de dégâts que ne résout de problèmes, mais essaie de comprendre. Quand tu m'en as parlé la dernière fois, je m'étais dit que ça passerait. Vu tout ce que j'ai pu te faire, ça me semblait complètement surréaliste. Maintenant tu me le répètes. Soit. Mais tu es ma Ari, la gamine que j'ai trouvé près du lac et tu le seras probablement encore à 40 ans, si tant est que je sois toujours en vie à ce moment-là. J'ai pas envie de te faire de peine, et tu savais probablement avant de me le dire ce que je te répondrai."

Il fit une brève pause en constatant qu'elle retenait ses larmes.

"Pleure si tu es triste, frappe si tu es en colère. Défoule-toi. Fais pas comme moi. N'intériorise pas tout. J't'assure que ça n'est pas la meilleure solution."

"Ari."

Et cette fois, le ton n'était ni las, ni embêté. Juste impérieux. Il ne la laisserait pas tout garder en elle, sous prétexte qu'elle savait déjà, qu'elle ne valait pas la peine ou il ne savait quelle autre connerie de ce genre. Elle avait mal. Il le savait très bien. Ca se comprenait, il n'était jamais agréable que se faire rejeter. Néanmoins, intérioriser en attendant que le temps passe ne résoudrait rien. Alors, s'il devait la titiller jusqu'à ce qu'elle réagisse, il le ferait. Quitte à ce qu'elle lui en veuille, quitte à ce qu'elle le boude.

Un coup de vent souleva son chapeau. Il posa une main dessus, ne retenant la rouquine que par la taille. L'école, la fête, son rôle. Il fallait qu'il s'y tienne, mais avec sa sœur, il avait vraiment du mal. Il se demanda brièvement si, en ayant été plus gentil, plus souriant, bref, plus "normal", elle serait tombée amoureuse de lui quand même...

"T'fous pas d'moi."

Vrai quoi ! A quoi elle jouait là ? Elle avait mal, c'était normal. N'importe qui à sa place souffrirait tout autant. Mais pourquoi s'interdire de le montrer ? C'était pas lui qui allait s'en servir contre elle. Enfin ! La seule fois où il lui avait fait du mal, c'était pas avec 15 tonnes de psychologie. Juste ses deux mains, un foutu mur et une colère qui grondait depuis bien trop longtemps. Alors de quoi elle avait peur ? Elle se méfiait encore ? Il soupira intérieurement et passa une main dans les cheveux roux de sa frangine. Ils n'avaient pas fini de galérer si elle commençait à faire comme lui. Franchement, niveau gestion de sentiments, ni Nihya, ni lui n'étaient des modèles. Au contraire, ils excellaient en catastrophe dans ce domaine. Qu'est-ce qu'elle voulait au juste ? Finir comme eux ? Pas question. Il ne la laisserait pas faire.

Le brun entraina la gamine un peu plus loin et s'éloigna légèrement d'elle, de façon à pouvoir la regarder dans les yeux. Il fallait qu'ils discutent tous les deux, alors autant saisir l'occasion pendant qu'elle se présentait.

"Arianne. Ecoute-moi. Tu n'es pas Nihya, tu n'es pas moi. Toi il n'est pas trop tard pour avoir une vie normale, loin des emmerdes que tu t'attireras inévitablement en marchant sur nos pas. C'est vrai que jusque-là j'étais pas super présent. J'y remédierai si tu veux me voir plus souvent. Si vraiment t'as des emmerdes, j'peux régler ça sans que tu aies à faire des trucs que tu vas regretter, alors laisse-toi un peu aller. Me dis pas que c'est qu'une amourette, si c'était le cas t'aurais rien dit. J'me doute bien qu't'as mal, alors exprime-toi bordel ! Personne ne s'en servira contre toi, et t'as pas à avoir honte. Ca sert à rien de vouloir refouler. J'te l'dis d'expérience, j'le fais depuis des années. Et r'garde où ça m'a mené. J'ai rien extériorisé tout l'temps où t'as enchaîné les conneries, le jour où je l'ai fait, t'as eu du pot que Nihya se soit pointé, et tu m'as pas revu pendant des mois après. C'est ça qu'tu veux ? Être comme moi et faire connerie sur connerie ?"

Il n'avait pas rêvé là ? Elle l'avait bien embrassé ? Pas un petit bisou comme ça, pas un bisou comme elle lui en avait tant fait. Non, un vrai baiser, un comme il n'aurait jamais voulu en recevoir de sa part. Non de Dieu, mais à quoi elle jouait ? Pourquoi elle réagissait comme ça en sachant très bien qu'elle se faisait juste du mal ?!

"Idiote !"

Idiote... De l'avoir embrassé, de croire qu'il ne voudrait plus la voir après. Merde ! Il l'aimait sa sœur, pas comme elle le voulait mais il l'aimait. Comment pouvait-elle seulement penser qu'elle l'éloignerait ainsi ?! Le connaissait-elle si mal que ça ? Il n'avait pas tant changé pourtant !

Le brun serra les poings, dardant sur elle un regard aussi furieux que douloureux. Il ne supportait pas de la voir comme ça, aussi fragile que têtue, en apprenant en plus qu'elle était déjà dans les emmerdes jusqu'au cou. Pu... mais elle ne lui faisait plus confiance ou quoi ? Pourquoi ne lui avait-elle rien dit, elle savait qu'il était là à veiller sur elle, même quand il ne se montrait pas !