« Il fait encore jour, les volets ne sont pas fermés. J'espère surtout que les fenêtres n'ont pas péter, on va avoir froid si c'est le cas. »

Il n'y avait aucune raison à ça cependant puisqu'elles n'avaient pas céder à l'étage en-dessous. Néanmoins il préférait parler pendant que, de sa main libre, il tentait de trouver la fente dans la serrure pour y insérer la clé et ouvrir la porte. Après quelques essais laborieux, il y parvint enfin et ce fut sans chercher à les ôter de la porte – il aurait perdu du temps – qu'il ouvrit celle-ci, accueillit la lumière avec quelques clignements d’yeux et un mouvement de tête vif pour s'en détourner.

« On dirait que ça n'est pas trop en désordre. » commenta-t-il sobrement en regardant enfin l'intérieur, légèrement en retrait pour laisser passer son coloc.

Loin de se détourner de la lumière, Ranmaru l'accueillit avec la même avidité qu'un voyageur se jette dans l'eau après la traversée d'un désert. Tant pis si l’accommodation de sa rétine à la lumière était sensible, le fait qu'il recouvre la vue n'avait pas de prix.

« Je vais chercher mes lunettes. »

Il connaissait maintenant suffisamment l'appartement pour pouvoir s'y diriger dans le flou sans trop de difficultés, ne se prenant qu 'une ou deux fois les pieds dans quelque chose tombé au sol à cause du séisme. Une fois arrivé dans sa chambre, il fouilla dans le premier tiroir de son bureau en vitesse et remercia sa manie de ranger les choses à leur place quand il put retirer sa paire de lunettes de rechange et la poser sur son nez, découvrant enfin un monde qui n'était pas nimbé d'un brouillard épais. Si la vue de sa chambre quelque peu en désordre le dérangea, surtout pour les livres tombés de la bibliothèque, l'idée de ressortir de sa chambre et d'affronter son guide, cette fois en pouvant lire l'intégralité de la moquerie sur son visage... voilà qui allait être bien plus dur.

« D'accord, à tout de suite. »

Et faites attention en montant, se retint-il d'ajouter. Il l'avait assez materné comme ça et quoi que ça ne le dérangeait guère – il avait du être un preux chevalier dans une vie antérieure, sur un autre continent que le sien – Murakami risquait de ne vraiment pas apprécier. Encore moins maintenant que la lumière était revenu.

Profitant donc de la solitude forcée en l'absence de son coloc, Akutsu bougea sa main pour la décrisper et faire passer la douleur tout en ramassant de l'autre ce qui traînait au sol, empilant le tout avec l'art qui caractérise les bordéliques sur la table à manger. Puis s'inquiétant de ne pas voir revenir le brun, il alla se poser en bas des escaliers et l'apostropha.

« Ça va en haut ? Pas trop de dégâts dans la chambre ? »

Il ne pouvait pas rester cacher plus longtemps. Après un dernier coup d'oeil pour sa chambre en désordre, pour être sur que rien de précieux n'était cassé, il l'abandonna à son triste sort, préférant attendre le moment où il aurait assez de temps devant lui pour réellement ranger et faire l'inventaire des dégâts.

« A première vue, rien d'irréparable. »

En tous cas, les murs semblaient en meilleur état que sa dignité mise à mal.
Lentement, l'incertitude se lisant dans sa démarche comme sur son visage, l'intendant rejoignit son collègue au premier étage, essayant de retrouver l'énergie de se montrer en colère, ou au minimum de remettre une distance entre eux deux. Selon son point de vue, à moins d'être chacun à un bout de l'école, la distance ne serait pas suffisante pour le moment.

« Faisons le tour de l'appartement en vitesse pour vérifier qu'il n'y ait rien d'urgent. Il faudra que je retourne à l'administration ensuite pour organiser la suite des événements. »

Dans les heures à venir, il sentait qu'il allait être content de pouvoir s'abrutir de travail.

Akutsu ne put s'empêcher de pousser un léger soupir de soulagement en entendant la voix de son colocataire. Rien de grave à première vue, ni dans la chambre, ni du côté du brun. Il avait repris la maîtrise de sa voix et certainement retrouvé une certaine sérénité, ou à tout le moins ce qui s'en rapprochait le plus après ces dernières minutes.

Le rouquin se composa un visage aussi neutre que possible, tentant de faire illusion, de faire celui qui n'avait pas noté à quel point le brun avait pu être perturbé. L'incertitude qui émanait tant de la démarche que de l'attitude de l'intendant le conforta dans son idée : autant ne pas le mettre davantage mal à l'aise. Aussi, quand son colocataire en revint à des sujets très terre-à-terre, il se contenta d'un hochement de tête volontaire, assorti d'un mouvement de main pour indiquer la table.

« J'ai ramassé ce qui traînait. Je sais pas en haut, mais en bas ça a bien tenu apparemment. »

Ranmaru laissa à Akutsu le soin d'aller vérifier à son tour sa chambre pendant qu'il vérifiait la salle de bain, les sanitaires puis la cuisine, prenant un soin tout particulier à vérifier les plomberies, histoire de n'avoir aucun dégâts des eaux à déclarer plus tard, et vérifia au passage le fonctionnement des lumières de chaque pièce. Si l'une d'entre elles avait fait défaut... il n'était pas sur qu'il aurait été capable de revenir dormir ici en fin de journée, préférant encore l'idée du taxi et de l'hôtel pour quelques heures de sommeil à l'idée de revenir dans un appartement encore une fois plongé dans l'obscurité.

Quand ils se retrouvèrent dans le salon, l'intendant remarqua que le rouquin avait maintenant une lourde lampe torche en main. A cette vision, le japonais esquissa un sourire tendu rien qu'à l'idée de devoir repasser dans le couloir obscur.

« Pas de casse au niveau du dur, juste quelques objets de décorations, une porte de placard cassée et quelques carreaux fêlés, mais rien qui ne pourra attendre que les techniciens aient finis les travaux plus conséquents. »

Retrouver un comportement professionnel était un réel plaisir, surtout pour le temps limité que cela durerait.

« Parfait. On retourne voir les secrétaires alors. »

N'ayant pas enlevé ses chaussures jusqu'à présent, il ne perdit pas de temps en se dirigeant vers l'entrée, manteau sur le dos plutôt qu'en le portait. Il vérifia qu'il avait ses clés tout de même et alluma la lampe torche avant de s'aventurer à l'extérieur. S'il laissa Murakami sortir dernier, ce fut essentiellement pour qu'il profite de la lumière autant que possible.

« Bon courage pour remettre de l'ordre dans tout ça. »

La discussion se termina peu ou prou là-dessus, du moins le temps qu'ils marchèrent dans l'obscurité, un peu plus vite qu'à l'aller maintenant qu'Akutsu savait précisément où il mettait les pieds.

L'intendant resta plusieurs secondes immobile à la porte, mal à l'aise à l'idée de la refermer derrière lui sur la relative clarté de l'appartement pour ne plus devoir se confier qu'au cône de lumière de la lampe torche. Résolument près d'Akutsu ; voir trop près par rapport à toute décence sans même penser à ses préférences personnelles, il s'engagea avec l'autre homme dans le couloir.

« Tant qu'il n'y a aucun blessé, les réparations des dégâts physiques ne seront pas trop complexes, la magnitude n'a pas semblé trop élevée. Il n'y aura qu'à mettre les élèves au ménage pour que les classes soient réutilisables au plus vite.»

Même ainsi... entre gérer des entreprises qui seraient prises d'assaut, évaluer le montant des dégâts, reloger les élèves si certaines chambres étaient trop abîmées... il n'aurait vraiment pas le temps de s’arrêter pour pleurer sur son sort. Juste... si quelqu'un pouvait s'occuper de ce fichu couloir avant qu'il n'ai besoin de rentrer... Instinctivement, il chercha à se rapprocher du faisceau lumineux comme un insecte démesuré.

Un mince sourire étira ses lèvres à la mention du ménage tandis qu'il balayait le sol, autant devant Murakami que devant lui. Le fait que son colocataire se rapproche de lui à ce point ne lui échappa pas, mais il ne commenta pas et ne chercha pas à lui proposer davantage son aide. L'intendant semblait avoir trouvé un compromis acceptable et il n'était pas pressé de lui rappeler à quel point sa phobie le rendait dépendant des autres. Au final, il s'agissait bien de ça.

« Il faut en parler à qui pour la lumière du couloir ? Aux techniciens ? »

Ceci, cependant, était plus l'affaire de l'intendant que la sienne. Il n'oubliait pas les élèves dont il devrait s'occuper, ni les reproches – muets certainement – qu'on lui ferait pour son absence immédiate. Akutsu ne se sentait pas d'expliquer de toute façon qu'il était venu en aide à l'intendant, mais il faudrait bien qu'il trouve un moyen détourné pour le dire.

« Je pense qu'en bas ce sera rangé, les secrétaires étaient affairées à ça quand je suis parti tout à l'heure. »

Ran adressa un coup d'oeil fugitif au professeur tant sa remarque avait suivi le même chemin que ses pensées. Difficile pourtant de ne pas y penser en marchant dans le noir, même percé de lumière.

« Oui, mais je doute que ce soit une réelle priorité. »

Si ce n'était pour lui. Et connaissant les caractères de l'équipe technique... Aoki serait parfaitement du genre à se gausser d'une telle demande et à ne pas lui laisser oublier avant des semaines. Non qu'il soit possible pour son ego d'être piétiné plus qu'il ne l'avait déjà été au cours de la journée.
L'intendant serra les dents. Marre de sembler pathétique.

« Pour une fois qu'elles ne resteront pas à ne rien faire dans leur bureau.»

Si les secrétaires s'acharnaient autant sur lui, c'était peut-être parce qu'il y avait un fond, mais vraiment un fond minuscule d'attaque plus ou moins gratuite de sa part. Au point où il était difficile de pointer précisément du doigt qui commençait et qui cherchait qui mais... tout le monde se chargeait d'entretenir la querelle.

Ils atteignirent la sortie sans encombre, si ce n'était un stress omniprésent qu'il rangea au fond de sa poche avec un mouchoir dessus maintenant qu'il n'était plus dans le noir. Phase 2 : ne plus avoir son guide à ses côté pour lui rappeler l'incident.

« Merci de m'avoir accompagné. Vous devriez retourner voir si vos élèves vont bien Moe-san. Nous allons nous dépêcher de venir faire le tour pour vérifier ce qui est abîmé, je pense que Nalini-san a déjà du commencer, et doit se demander où je suis passé. »

Discrétion, sante discrétion. Il ne faudrait en parler à personne, encore moins au principal concerné et Akutsu savait d'avance qu'il aurait de grandes difficultés à taire son inquiétude. Ou, à tout le moins, à la masquer. Le jeune homme n'avait jamais été très doué pour cacher ses pensées, bien qu'on ne lise pas – toujours – en lui comme dans un livre ouvert. Néanmoins il opina du chef en réponse à l'intendant, autant suite à ses propos que pour confirmer ce qu'il était sous-entendu : on n'en parle plus.

« Elle a repris les choses en main immédiatement, en effet. Bonne chance avec elle. »

Elle. Elles. Il laissa planer le doute sur l'identité de la ou deux personnes dont il parlait vraiment et reprit sa route d'un pas vif. Les élèves avaient peut-être besoin de son aide, en effet, et il se sentait un peu coupable de les avoir ainsi passé à la trappe. Pire, ses collègues devaient se demander où il était passé. D'ailleurs... Comment allaient Cathan et Jiro ?