Hakama encombrant qui lui battait les chevilles, ok.
Protection de poitrine qui lui aplatissait le peu qu'elle en avait, ok.
Gant de cuir impliable sur une main, protection sur l'autre ok.
Cheveux sagement attachés dans une natte un peu lâche, ok.

Tout était en place et plus rien ne l'empêchait de pousser la porte du vestiaire pour aller au sein même du dojo où l'attendait les autres membres de son club pour l'entraînement bi-hebdomadaire de Kyudo. Une dernière fois, Himawari vérifia son allure dans la petite glace qui surplombait le lavabo. Le reflet lui renvoya l'image d'une demoiselle au sourire désabusé. Une inspiration de plus et le sourire se faisait plus doux, bien plus adapté à l'image qu'elle devait rendre au reste du monde. Sans attendre, elle poussa la porte.

Sous ses pieds s'étala le dojo, havre de paix et d'inspiration pour les divers pratiquants d'arts martiaux qui cohabitaient dans le lycée. A cette heure de la journée, seuls quelques Kyudojin s'y trouvaient, certains près des cibles à tirer ou à rectifier leur posture, d'autres installés à méditer dans un coin. Méditation qui ressemblait fort à du papotage en règle, mais elle n'allait pas s'arrêter à ce genre de détails et encore moins y participer. Elle venait là pour parfaire son aura de jeune femme adorable et posée, pas pour s'inclure dans les ragots du lycée. Sans attendre, elle se dirigea dans la réserve pour y récupérer son arme, saluant à voix basse ceux qu'elle croisait sur son chemin. Un des avatanges indéniables du dojo : le silence et le recueillement attendus en ces lieux pouvaient faire passer pour du respect un désintéret complet.

Son arc démesuré était bien là où elle l'avait abandonné, une arme de grande qualité et au prix tout à fait assorti, totalement disproportionné par rapport à ses qualités de tireuse. On ne pouvait même pas dire qu'il s'agissait d'un cadeau, plus d'un objet imposé par son père. Il aurait été impensable qu'elle souffre d'un matériel de moins bonne qualité ou pire, qu'elle utilise celui de l'école. Qu'est ce qu'elle n'aurait pas donné pour avoir entre les mains un simple bâton à la place de cette perche de bambou peu pratique. Avec la tenue traditionnelle en prime, elle avait l'impression d'être une poupée décorative du Hina Matsuri.

Au moment où elle voulut sortir de la réserve, une silhouette se pressa à l'entrée, lui en interdisant l'accès. La prépa s'inclina légèrement en reconnaissant la personne, un 3-A tellement sérieux qu'il donnait l'impression d'avoir avalé son arc par la mauvaise ouverture. Au moins avec lui elle n'avait pas besoin de s'embarrasser de longs discours : le garçon était taciturne et peu disert, ce qui lui convenait.

" Yoshitsu-kun, bonjour. Es-tu toujours d'accord pour m'aider comme nous en avions discuté au dernier entrainement ? "

Emi aurait ri à gorge déployée de la voix de nunuche avec laquelle elle s'exprima, celle de la japonaise éduquée et soumise. Ne manquait que le regard bovin, une des limites qu'elle n'arrivait pas encore à franchir. D'ici quelques mois de docilité ? Soit elle pétait un cable, soit son cerveau perdait la partie et elle devenait aussi stupide qu'elle en donnait l'impression. Toutes les issues étaient possibles.

Il avait pris l’habitude d’être seul. S’il n’avait pas toujours été aussi taciturne et solitaire au cours de sa vie, l’annonce de son redoublement avait grandement amplifié un trait de caractère présent bien qu’un peu étouffé jusque-là. Depuis son arrivée à l’école Bunta travaillait, tirait ses flèches et faisait ce que son poste exigeait de lui, le tout avec une assiduité qui frisait l’addiction. Certains auraient choisi le suicide pour laver l’affront fait à sa famille de redoubler ainsi, lui préférait encore croire qu’il existait quelque but louable auquel consacrer sa vie, ou qu’une vie professionnelle – et d’abord scolaire – exemplaire ferait oublier sa faute. Exemplaire, malheureusement, elle ne l’était pas : il y avait meilleur que lui.

Lui restait donc un domaine où il excellait véritablement sans avoir beaucoup de concurrence, bien que le professeur d’espagnol et l’un de ses camarades de classe s’avèrent tous deux excellents. L’idée n’était toutefois pas d’être meilleur qu’un autre et finalement, le kyudo avait été depuis son enfance son havre de paix. Un art unique où il pouvait s’épanouir, se chercher et viser l’harmonie et la sérénité sans personne d’autre que lui-même pour lui imposer un rythme. C’en était tel qu’il venait au dojo y consacrer chaque heure de temps libre, aidant parfois ses kohaïs, parfois les laissant apprendre d’eux-mêmes.

Bunta avait pourtant été surpris lorsque la déléguée de la classe préparatoire lui avait demandé de l’aide. Même au kyudo, il n’avait pas l’habitude que l’on vienne spontanément vers lui, moins encore lorsqu’il ne s’agissait pas d’un problème de discipline. Ce fut donc étonné qu’il avait accepté, la même réserve qu’à l’accoutumée plaquée sur ses traits. Depuis, il avait un peu observé la jeune femme.

S’il avait eu l’occasion de discuter avec elle au moment des troubles causés par l’une de ses camarades, ça n’avait guère été plus loin. Comme lui, elle était assez quelconque. Comme lui, on sentait que sous la réserve se cachait autre chose, mais peut-être rien de plus que ce qui se cachait sous l’apparente docilité d’à peu près chaque Japonais. Il n’avait pas creusé. Ça ne l‘intéressait pas. Mais il avait attendu avec une certaine curiosité le prochain entrainement et lorsqu’il l’avait vue se diriger vers la réserve, s’était posté à la sortie en l’attendant. Lui était arrivé plus tôt et son hakama le recouvrait déjà.

« Bonjour Kimura-sempai. » fit-il en la saluant dans les formes, avec le degré précis d’inclinaison du buste qu’il lui devait. « J’attendais que tu sois prête. Si tu n’as rien de plus à prendre, nous irons là-bas. »

Il indiqua un endroit du dojo proche du pas de tir où s’exerçaient quelques autres de leurs camarades.

« Je n’ai pas beaucoup eu d’occasions d’évaluer tes tirs, il faudra que tu m’expliques plus précisément ce que tu attends de moi. »

[HJ : Navré pour les fautes qui risquent de parsemer mon message. Je n'ai pas l'habitude de ce clavier et je ne les vois pas toujours à la relecture.]

Souriante, la prépa se dirigea donc vers le shajo, matériel en main. Le pas de tir était vide de toute présence humaine, les autres présentes continuant à discuter méditation sur le bord, probablement en attendant l'arrivée d'Egawa-Sensei. Le beau professeur d'espagnol au visage de jeune premier était, selon elle, la raison numéro 1 pour laquelle les membres étaient aussi assidues et intéressés. Entre lui et le prince de la 3-A, le club de Kyudo battait des records niveau belles gueules affichées.
Arc posé devant elle, elle s'agenouilla en seiza dans l'attente de l'arrivée de son sempai du moment. Un des gros avantages du Kyudo était que vu la lenteur de tous les moments, imprégnés de zen et d'apaisement, elle pouvait y délayer à volonté son ennui et sa mauvaise volonté : nul besoin d'énergie comme pour n'importe quel autre sport. Qu'est ce qu'elle n'aurait pas donné pour se défouler avec un autre sport...

Himawari repensa un instant à l'image de Emi dans son lit d'hôpital. Pour elle, elle pouvait tout endurer.

« J'ai beaucoup de mal à effectuer correctement les dernières phases du Hassetsu. Mon tir finit toujours par perdre sa fermeté. »

Elle pouvait elle-même effectuée un diagnostic assez précis du soucis : après 5minutes passées à regarder la cible, 5 minutes à mettre la flèche, 5 minutes de plus à lever l'arc, 5 minutes à la bander... ses pensées partaient en live pour ne plus vouloir en rester à la cible, la flèche, l'harmonie du monde et le zen. Et elle n'exagérait qu'à peine en parlant de ces longues minutes qui s'écoulaient au rythme du silence infernal du dojo.
Sans attendre plus longtemps, la jeune femme prit son arc et se plaça en position de tir, décomposant soigneusement ses gestes pour faire la démonstration attendue en essayant de jouer le jeu. Elle espérait qu'il n'était pas pressé... enfin il ne devait pas l'être pour pratiquer un sport tel que le kyudo.

Comme toujours, au fur et à mesure du tir, son esprit partait de plus en plus loin dans des divagations moroses. Le bruit sec de la flèche atteignant la cible de paille fut une délivrance pour la déléguée qui garda pourtant sur son visage son habituel sourire léger avant de revenir s'agenouiller en face du troisième année .

« Qu'en penses-tu ? »

Bunta vint rejoindre la jeune fille et écouta la réponse à sa question. D'un hochement de tête il signifia qu'il avait bien entendu et un « hm » bas traduisit sa réflexion. Semblant comprendre par elle-même qu'il ne fallait pas s'attendre à davantage de sa part, il put suivre sa sempai des yeux alors qu'elle se dirigeait avec la posture nécessaire encore davantage sur le pas de tir.

Le kyudojin se plaça légèrement en retrait et l'observa tout du long, le regard plissé vers la fin alors qu'il notait les failles qu'elle présentait. Son tir manquait effectivement de fermeté et la réponse, il 'lavait. Tout au moins il avait une première hypothèse qu'il ne se gêna pas pour la donner une fois qu'elle fut revenue vers lui.

« Tu es trop distraite. »

La jeune fille restait concentrée durant les premières phases de l'hassetsu puis, pour une raison ou une autre, ses gestes perdaient en vigueur et droiture et son regard semblait se voiler.

« Tu dois rechercher au fond de toi la concentration et la sérénité nécessaires pour tirer. Si tu te laisses envahir par le cour de tes pensées, tu ne pourras pas tirer fermement. »

Trop distraite ? Sans déconner. Elle allait lui décerner la palme de l'observateur avisé sous des dehors d'austérité à celui-là. Et vu son air d'ennui le plus profond, la déléguée ne doutait pas une seconde que tirer sans décrocher de sa concentration une seconde n'était même pas un soucis pour lui. Loin de laisser paraître ces sentiments qui ne mèneraient nul part, à part la possibilité d'une incitation à quitter le club, qui, si elle serait un soulagement, poserait plus de problème qu'elle n'en résoudrait, Himawari se fendit d'un sourire de parfaite minette, mi-gêné ni béta selon son point de vue.

«  Oh ! C'est vrai que... mais c'est tellement long... J'ai déjà du mal à rester concentré pour les maths ! »

Un petit rire désolé vint renforcer son hésitation alors qu'elle tripotait nerveusement la corde de son arc, mauvaise élève prit en flagrant délit de laxisme et dont la mauvaise manie s'avérait plus compliquer que prévu à corriger. La jeune femme espérait ne pas en avoir fait trop dans la comédie avec le petit rire, mais à force de voir ses camarades féminines glousser pour un oui ou pour un non... Ca devait être parfaitement dans le ton. Après tout, ce n'était pas non plus comme si on lui demandait de réfléchir, au contraire, le kyudo demandait de vider son esprit. Le zen, la sérénité... le genre de concept adoré dans les arts martiaux qui la laissait complètement gelée. Ne faire qu'un avec le dojo, l'arc et la flèche. Non mais les maîtres zen, le tir à l'arc avait un jour été une discipline de guerre et de combat ! Si les archers de l'époque avaient pris autant de temps pour tirer, pas étonnant qu'à leur actuelle, les jeunes écoutent de la musique américaine et s'habillent en jean plutôt qu'en kimono...

« Tu n'as pas une idée de ce qui pourrait aider à la concentration ? »

Compter les moutons par exemple ou les feuilles des arbres aux alentours du dojo. Quelque chose de long, douloureux, mais qui empêcherait de laisser son esprit parti à vau l'eau.

Arrêter le kyudo, fut-il tenté de répondre, mais ça n'était pas le conseil avisé d'un sempai et il ne pouvait pas se permettre de lui dire ça. Ce n'était pas que Bunta éprouvait quelque chose à l'encontre de l'inintéressante déléguée, en tout point si commune aux autres qu'il avait du mal à croire qu'elle avait pu se faire élire, simplement... son manque d'attachement à la discipline, malgré l'arc hors de prix, était tout simplement évident. En tout cas lorsque, comme lui, on pratiquait depuis un moment et on avait vu pas mal de kyudojin amateurs défiler. Il pouvait néanmoins lui reconnaître sa persévérance et à défaut de trouver qu'elle avait sa place au dojo, il respectait ça.

« Tu peux faire de la méditation avant d'aller dormir, essayer de te vider l'esprit. Ça t'aidera à le faire ici. »

Et curieusement, il l'imaginait très mal appliquer son conseil. Pas longtemps en tout cas. Il ne savait pas exactement pourquoi, mais Kimura-san ne lui semblait du genre à passer du temps à méditer. Et puis avec trois autres filles dans la chambre, ce serait clairement plus difficile que dans la tranquillité du dojo.

« Ou fais-le ici après les entraînements. Tu seras plus tranquille. »

Arrêter le kyudo aurait été la solution qu'elle aurait adoré choisir, mais malheureusement hors de portée pour le moment. A la suggestion de méditer tranquillement dans le dojo, le regard de la jeune fille se tourna de manière irrépressible vers le duo qui bavardait depuis tout à l'heure de choses qui n'avaient vraisemblablement rien à voir avec le kyudo ou la méditation. Un sourire légèrement ironique commença à poindre sur son minois avant qu'elle ne s'auto-régule, quitte à paraître toujours un peu plus niaise. Ce genre de dérapage disparaissait assez bien derrière son comportement régulier d'oie blanche.

« Peut-être. Je vais réessayer. »

De toute façon, au visage du leader du comité de discipline, aussi fermé qu'une porte de prison russe, elle n'en tirerait pas grand chose de plus. Pas plus mal : c'était toujours plus dur de se contenir face à un passionné comme le sensei de Kyudo, toujours rempli de passion et de bons sentiments quand il s'agissait de guider ses élèves.
Épuisant. Elle n'aurait pas pu se retrouver dans un club composé de gens aussi inintéressés qu'elle ? Si elle avait pu, elle se serait reconvertie dans le club de calligraphie, un groupe hétéroclite qui se servait surtout de la salle du club comme lieu pour discuter ou jouer à la console.

La jeune femme reprit son arc en main et se dirigea à nouveau sur le pas de tir, attrapant une flèche qu'elle fit machinalement tournoyer dans sa main avec la même aisance qu'elle avait jonglé avec un bâton ce qui semblait être une éternité plus tôt. L'objet était trop petit, trop léger pour que l'illusion dure plus d'un instant et elle se reprit bien vite, prenant une posture plus convenable.

Bunta secoua la tête, légèrement, presque malgré lui alors que son regard suivait la jeune fille. Il ne retrouva pas dans sa démarche le solennité, la concentration qu'il aurait aimé y voir. Elle y allait oui, son pas était ample, pas complètement déterminé, mais indubitablement, elle n'étais pas à ce qu'elle faisait. Suite à cette analyse sommaire, il ne fut qu'à moitié étonné de la voir jouer avec la flèche. Ça n'avait duré qu'un instant, puis elle s'était reprise et s'engageait à tirer.

Il ne l'interrompit pas tout de suite.

Son regard, froid, neutre, la détailla pendant qu'elle avait l'esprit focalisé à autre chose. Déléguée invisible, gentille, si fade qu'elle ressemblait à toutes les filles normales de l'école, et pourtant... Quand on prenait le temps de mieux la regarder – ce que personne ne faisait puisqu'elle n'intéressait pas – il y avait quelque chose chez elle de dérangeant. De faux. Quelque chose qu'il appréhendait mal, mais le rendait curieux.

« Ne tire pas. » lâcha-t-il finalement. « Reviens vers moi et recommence, mais sois à ce que tu fais cette fois. »

Zut, elle avait été persuadée qu'il s'était complètement désintéressé d'elle pour quelque chose de plus intéressant. La méditation, ou le comptage des lattes de plancher du dojo par exemple. La déléguée se retourna, son regard dur devenant rapidement sourire placide. Le garçon était difficile à lire. Le président du conseil et lui semblaient tenir une sorte de concours du garçon le plus froid et le plus coincée de l'école. Si elle avait mauvaise langue, elle aurait dit que c'était pour compenser le reste des excités de la 3-A. Mais sincèrement, elle pensait qu'ils avaient juste un balai mal placé de leur bon droit.

« Je ne voudrais pas prendre trop de ton temps Yoshitsu-kun. »

Néanmoins, elle obtempéra, revenant s'agenouiller devant lui. Autant jouer le jeu que s'ennuyer immobile devant une cible : le temps passé dans le dojo serait le même. Son arc devant elle, elle s'attela à fournir le plus joli sourire qu'elle avait travaillé, une expression mi-sereine mi-niaiseuse, celle qui achevait de confirmer aux gens qu'elle n'aurait d'intérêt que s'ils avaient quelque chose à lui demander.
Son regard se posa sur son arc. Dire que quelqu'un d'intéressé aurait vendu un rein pour avoir un objet d'une telle qualité. Et qu'elle l'aurait joyeusement échangé pour quelque chose de plus intéressant.

Quand elle recommença, elle était effectivement concentrée sur le tir. Sur toute sa rancœur envers la discipline précisément.

« Je suis là pour ça. »

Il ne la quitta pas des yeux, tranquille et solide sur ses deux pieds tandis que son regard analysait mouvement et attitude. Bunta savait qu'il ne transformerait pas la jeune fille en kyudojin passionnée et douée, là-dessus il n'éprouvait aucun espoir mal placé. Pour autant et puisqu'elle était là, il faisait son devoir de sempai en se montrant attentif à ses progrès.

Un hochement de tête appréciateur ponctua le tir, tandis que de là où il se trouvait, il n'avait pu percevoir l'éclat des yeux résolument assuré de la déléguée. Ce qu'il vit fut sa concentration accrue et un tir nettement plus réussi que les précédents, quand bien même la flèche loupa la cible en beauté.

« Celui-ci était nettement mieux, Kimura-sempai. »

Tournant légèrement la tête, la jeune femme posa sur le garçon un long regard . Bon sang, qu'elle pouvait haïr ce sport, sa mentalité, sa préférence pour le chemin parcouru que pour les résultats accomplis ! Yoshitsu semblait parfaitement à son aise dans cet élément, une image vivante de tout ce qu'il y avait de rébarbatif dans le kyudo.

Le regard froid se mua en sourire espiègle et expression de fifille un peu niaise mais de bonne volonté. De celle de qui on ne s'attend pas à ce qu'elle comprenne le sens profond d'un art martial mais le pratique tout de même avec assiduité parce qu'on attend d'elle qu'elle le fasse.

« Mais j'ai raté la cible ! Je n'y arriverai jamais ! »

Se tournant sur elle-même, elle revint vers là où était assis son conseiller. La pensée un peu déviante qui traverse son esprit fut mise à exécution quasiment instantanément. Donnant l'impression de se prendre les pieds dans son hakama, elle plongea en avant,une main tendue pour se rattraper et l'autre de travers pour ne pas abîmer son arc. En plein dans le giron de Bunta qui fit merveille comme coussin amortisseur. Elle pouvait dire merci à tout son entraînement au bozendo qui lui avait appris à tomber correctement.

Le nez sur ses cuisses, elle leva un regard désolé vers lui.

« Désolée d'être aussi maladroite ! »

Si ça ne le faisait pas fuir, elle songerait à manger son arc.

Il y a eu un léger temps de flottement durant lequel Bunta sentit un frisson lui remonter l'échine. S'il n'en laissa rien paraître, son regard resta posé sur la jeune fille jusqu'à ce qu'elle se retourne, l'air aussi contrite et candide qu'il était possible de l'être. Un bref soupir s'échappa d'entre ses lèvres et le jeune homme réalisa qu'il commençait à s'ennuyer. Ce qu'il avait cru percevoir plus tôt n'était peut-être qu'une légère hallucination, et non, comme il l'avait cru, l'expression de quelque chose d'autre qui se serait révélé intéressant.

« L'essentiel n'est pas là, Himawari-semp... »

Le suffixe mourut dès l'instant où il la vit chuter. Sans y songer, il amorça un mouvement pour la rattraper, mais elle s'écrasa fort joyeusement sur lui et le laissa interdit lorsqu'au lieu de se redresser, elle releva le nez sans bouger pour lui présenter ses excuses. Le silence reprit ses droits l'espace d'un instant et loin de lui répondre, il jeta un regard aux alentours, perçut quelques sourires amusés de-ci, de-là et prit sur lui pour rester neutre. Or neutre, intérieurement, il ne l'était pas le moins du monde. Peu friand des relations rapprochées, une fille sur lui le mettait mal à l'aise. Il lui offrit donc une main secourable – faute de pouvoir se mouvoir – pour l'aider à se relever.

« Ce n'est rien. » répliqua-t-il en maudissant le trouble qui perçait dans son ton, malgré ses efforts. « L’entraînement semble t'avoir fatiguée, arrêtons là si tu veux bien. »

C'est qu'il était gêné le tout sage leader du comité de discipline. Pas tellement habitué à avoir des filles sur les genoux ? Himawari baissa pudiquement les yeux, et attrapa la main pour se redresser tout en prenant le temps de se relever pour ne pas reglisser. En laissant traîner par hasard un peu trop longtemps la main le long de sa cuisse, le corps trop près du sien par rapport à ce qu'exige la décence. Jusqu'à enfin retrouver une position en seiza convenable.

« Aurais-je à nouveau l'occasion d'avoir tes conseils Yoshitsu-kun ? »

S'il disait oui, il était partant pour se retrouver avec une groupie aux trousses qui le ferait regretter de s'être un jour approché du beau sexe. C'était bien connu : plus on courait après quelqu'un plus il fuyait. Et puis ça irait parfaitement à sa réputation de fille fadasse, le coup de l'amour désespéré envers la personne du frigide inaccessible de la 3-A. Avec ça, le kyudo pourrait passer sagement en second plan et elle pourrait même s'en amusait un peu.
Par moment, elle se trouvait pathétique. Le reste du temps, elle supposait qu'avec philosophie, il fallait prendre les choses du bon côté.

Bunta réalisa qu'il avait cessé de respirer quand il reprit son souffle une fois la déléguée de retour en seiza. Son corps se détendit sensiblement, et pourtant la sensation de la main sur sa cuisse perdura plus qu'il n'était nécessaire. Quelque part, ce devait être psychologique, mais s'en douter n'arrangeait rien à son problème. Ni la question de son élève du moment.

Son devoir de sempai combattit férocement son envie de refuser. Il ne savait pas très bien ce qui prenait à la jeune fille d'un seul coup – jusqu'à présent, elle n'avait jamais donné l'impression de s'intéresser à lui – mais ça ne présageait rien de tranquille pour la suite. Aussi un long silence s'installa entre eux avant qu'il hoche la tête en guise d'assentiment.

« Nous verrons ça au prochain entrainement. »

Sans un mot de plus, la jeune femme se releva et s'inclina puis se dirigea vers la réserve pour ranger son matériel, passant vers ses camarades qui chuchotaient toujours avec un sourire aimable.

Intérieurement par contre, elle jubilait, s'amusant par avance de la tournure qu'allait prendre les futurs entraînements de Kyudo. Yoshitsu était de ces garçons réservés, rien à voir avec le Sadamori qui aurait été beaucoup plus casse-pied à gérer. Ceci dit, son physique quelconque n'aurait pas été du genre à intéresser particulièrement le bellâtre réputé de la 3-A, mais là, elle ne risquait vraiment pas d'entendre un oui qui l'aurait gêné.

Personne ne pourrait lui reprocher de ne pas prendre à coeur son club ou sa scolarité. C'était juste une question de redéfinir précisément ce qu'était l'intérêt et la participation.

[fini :3]