L'ouverture de la porte de son appartement sonna comme une libération. La journée avait été longue, harassante, émaillée de discussions houleuses avec les secrétaires, de conversations téléphoniques houleuses avec des fournisseurs en retard et en général, bruyante et épuisante. Contrairement à ses habitudes, il n'était pas resté plus longtemps que prévu dans son bureau mais avait fui dès qu'il avait pu, presque juste en même temps que les secrétaires. Si il avait pu se contenter de rentrer directement dans son appartement, juste au-dessus, tout aurait pu être simple mais... non. Un rendez-vous l'obligeait à se déplacer en ville, et en vitesse en plus vu l'heure et l'état de la luminosité extérieure.

L'affaire avait été rondement menée, non sans souffrance par rapport à un monde extérieur bien trop bruyant à son gout. Même le cours trajet en moto n'avait pas été suffisant pour lui redonner le sourire. Ce fut un Ranmaru maussade qui franchit la porte avec son regard sombre des mauvais jours, certes guère différents des autres jours, sa pochette serrée sous le bras, son casque et ses gants de moto dans l'autre. Posément, l'intendant se défit de son blouson de cuir et de ses chaussures, les laissant dans l'entrée sur le meuble à cet effet, y abandonnant après un instant d'hésitation son casque et ses gants aussi. Il n'avait pas pour habitude de laisser ses affaires de moto autant en évidence, mais qu'importe.

Au lieu du calme attendu dans l'appartement, une mélodie stridente de cordes pincées l'accueillit dès le premier pied posé dans l'appartement. Il ne s'était pas attendu à trouver quelqu'un de présent à cette heure : en général, le professeur d'anglais était à ses cours du soir, ou à des cours supplémentaires pour ses élèves en difficulté, quand à l'infirmier... qui pouvait savoir ce qu'il faisait. Des permanences pour les élèves malades peut-être ? Et pourtant il était là, installé sur le canapé, une guitare dans les mains. Le genre d'instruments qu'il voyait plus souvent dans les mains des élèves installés en rond dans l'herbe quand il faisait tôt, une petite cours de demoiselles soupirant autour d'eux.

Après un salut sec, le japonais se dirigea immédiatement vers le coin cuisine pour mettre de l'eau à chauffer et sortir de quoi se préparer un thé, seul breuvage salutaire qui lui convenait avec cette sourde douleur pulsatile derrière les yeux qui menaçait à chaque instant de se muer en réelle migraine. En attendant que l'eau atteigne la température adéquate, il n'eut d'autre solution que de rester debout, le regard se posant vaguement vers l'infirmier qui jouait toujours.

" Vous ne pourriez pas jouer dans votre chambre ?"

La guitare était un instrument tellement commun qu’il en devenait banal. Et pourtant, rare était ceux que Un son. Une mélodie des plus pures. Une vague d’allégresse. S’évader. Oublier. Être dans un autre monde. Traverser un havre de paix. Se sentir bien et aimer la vie. Les yeux mis clos, les doigts de la main droite de notre infirmier jouaient les accords et les notes sans difficulté, tandis que la main droite tapait un rythme. Joyeux ? Zen ? Mélancolique ? Dean ne saurait le décrire.

Il était dans son monde et n’entendit que d’une oreille distraite le bruit de la porte de l’appartement que s’ouvra, puis se referma et les pas lourds se dirigeant vers le salon. Puis, les pas s’arrêtèrent et se fut le bruit de l’eau qui chauffait qui se fit entendre. Et enfin, ce fut Murakami, son coloc, en personne qui s’adressa à lui. Soupirant discrètement à la fin de ses paroles, il posa sa main sur les cordes, stoppant ainsi tout son, avant de redresser la tête, portant son regard sur l’homme.

« Je pourrais, effectivement » dit-il tranquillement, sans pouvoir empêcher un mince sourire étendre ses lèvres « mais je n’en ai pas envie » il laissa glisser ses doigts sur les cordes, sans perdre Murakami des yeux « J’étais seul depuis avant, je n’allais pas rester enfermer dans ma chambre » Il haussa les épaules puis soupira doucement « et je ne pouvais pas non plus savoir que vous alliez rentrer si tôt » reprit-il après avoir posé sa guitare sur le canapé et s’être relever.

Il attrapa sa tasse devant lui, passa à côté de son colocataire et lança un coup d’œil vers l’eau à chauffer.

« Y a assez d’eau pour un thé pour moi ? »

Si Ranmaru n'était pas le japonais le plus archétypal existant, il restait habitué à un certain comportement type de la part de ses concitoyens. Pour être précis, à une certaine politesse, surtout envers la notion de groupe suprême. Et par la même, à un comportement décent en groupe, même dans un groupe aussi réduit qu'une colocation où chacun se devait de respecter certaines limites pour se supporter les uns les autres. Et si Akutsu était réellement casse-pied, avec sa manie de vouloir faire de la moto avec lui, ou insister à discuter littérature parce qu'il avait lu le titre de son livre dans sa main, il respectait relativement bien ces règles tacites. Il aurait dit à peu près la même chose de Dean... jusqu'à maintenant.

" Vous comportez-vous toujours comme un adolescent qui fait exprès de faire le contraire des règles de bonne conduite ? Je pensais que ce genre de crise de rébellion ne se manifestait plus à l'âge adulte."

Après sa journée et au vu du comportement de l'infirmier, Ranmaru avait laissé sa délicatesse inexistante dans sa poche, avec un lourd mouchoir dessus. S'il avait été élevé dans une morale judéo-chrétienne, avec cette notion si insistante de culapbilité et de remords, il s'en serait peut-être voulu, mais le cas échéant, l'intendant se contentait de montrer son côté maussade face à l'assurance du l'autre homme.

Redressant le nez sur la voix qui se rapprocher, Ran recula d'un pas en le voyant si proche de lui, sursautant presque. Son champs de vision réduit ne lui avait pas permis de le voir arriver quasiment à côté de lui, partageant l'espace réduit du comptoir derrière la cuisine. Partageant de ce fait une bulle personnelle qui n'était pas ouverte à tout le monde.
Avec une lenteur maîtrisée pour parfaitement ignorer ce corps gênant à ses côtés, et surtout pour éviter le cogner malencontreusement alors qu'il ne voyait pas dans les angles, l'écrivain prépara son thé comme il l'aimait, un thé vert aux accents de forêt avec de l'eau pas trop chaude pour éviter d'en tuer la saveur, reposant après coup la bouilloire sur son socle.

" Voyez par vous-même."

Levant la tête, Ran l'observa sans rien ajouter, attendant qu'il sorte de son chemin pour qu'il puisse sortir de la cuisine sans qu'il risque de renverser sa tasse sur qui que ce soit. Ce thé là était bien trop précieux pour être jeté sur n'importe qui.

« Et vous ? Vous arrive-t-il parfois d’être de bonne humeur ? »

Telle fut la réponse de Dean à la déclaration de Ranmaru. Dite de manière simple, d’un ton plutôt neutre, notre américain n’avait pas réellement réfléchis à ce qu’il disait. Contrer une question par une autre question était sans aucun doute le meilleur moyen de se mettre l’interlocuteur sur le dos. Mais à quoi bon vouloir être sympas si l’autre ne l’était pas ? Dans n’importe quelle autre situation, Dean se serait sans doute mit en colère, mais pas là. Non. Il était de bonne humeur pour deux raisons : la guitare et Miku. Mais ne nous attardons pas là-dessus.

Ainsi donc, Dean avait gardé son regard rivé sur son colocataire l’observant attentivement lorsqu’il prépara son thé. L’art et la tradition de la préparation du thé était sans doute la chose que notre infirmier comprenait le moins chez les japonais. Enfin, il est vrai qu’un bon thé bien préparé était sans doute meilleur, mais notre jeune homme ne devait surement pas avoir la patience pour ça. Mais Soit. Après avoir versé l’eau chaude qui restait pour se faire son infusion, notre infirmier retourna s’assoir sur le canapé et posa sa tasse sur la table. Puis, l’air de rien, il reprit sa guitare et l’accorda rapidement, avant de reposer son regard sur Murakami.

« Vous n’aimez pas la guitare ou la musique en général ? » demanda-t-il

Il est vrai que, maintenant qu’il y réfléchissait, Dean avait rarement entendu de la musique provenir de la chambre de son coloc. Alors que lui ne pouvait pas travailler sans musique, Murakami semblait plutôt se braqué lorsqu’il en entendait. Du moins était-ce ainsi que Dean voyait les choses. Enfin bon, se l’autre ne supportait vraiment pas lorsque notre infirmier jouait dans le salon, alors il irait, tout simplement, jouer dans sa chambre. Là n’était pas le problème, au contraire. Le vrai problème était surtout la manière dont son colocataire le lui avait fait comprendre.

Exactement comme un gosse, à lancer des répliques faciles et probablement satisfaisantes pour son ego. Avec les secrétaires, il commençait vraiment à se sentir blasé de ces réponses du tac au tac sur son humeur. Il n'aurait plus manqué qu'il fasse une référence au cycle féminin pour parachever la ressemblance. Le regard désabusé de l'intendant se posa sur lui un long moment avant qu'il ne remonte ses lunettes avec une petite moue un peu précieuse à la limite du dégout. Ces gaijins qui s'imposaient au Japon sans même en avoir un début d'éducation civile... Au moins sa mauvaise foi était purement japonaise.

" Ca ne changerait pas grand chose pour vous de le savoir."

Sa tasse en main, le japonais manqua une fois de plus de grincer des dents au bruit de corde pincé qui vint s'insinuer juste derrière ses yeux. Refusant de céder à la tentation de plaquer une main sur sa tempe, puisqu'elle n'aurait rien changé à la douleur à part une vague impression que cela pourrait empécher son cerveau de s'effondrer sur lui-même, il se dirigea à pas lent vers la bibliothèque qui trônait dans le salon, le rapprochant malheureusement du bruit de guitare.

Sa tasse trouva une place sure sur le 2ème étage alors qu'il se penchait pour sélectionner un livre de Mishima qu'il avait vu abandonné par le professeur d'anglais quelques jours plus tôt. S'il avait pensé consacrer la soirée à écrire, son mal de tête imposait maintenant une autre mesure : lire tranquillement puisqu'il n'était pas à même de réfléchir. Et Mishima était de ces auteurs qui réussissait à le passionner en toutes circonstances. La voix de l'autre présent le sortit à nouveau de ses pensées, lui imposant de tourner la tête pour le regarder.

" Je n'aime pas la musique qui m'est imposée."


En d'autre temps, sans mal de tête, il pouvait apprécier un peu de musique, sans être fervent mélomane. Ce n'était juste pas tellement le domaine qu'il appréciait, lui préférant un silence apaisant plus propice à la lecture ou l'écriture.

Son mouvement pour récupérer sa tasse, mal caculé dans son angle mort, lui fit cogner de plein fouet son poignet contre le coin de la bibliothèque. La douleur vive remonta le long de l'articulation, le faisant grimacer alors qu'il crispait sa main restante sur son livre, se refusant dans un réflexe de l'abandonner pour tenir son articulation douloureuse. Au moins dans sa maladresse s'était-il épargné de renverser sa tasse : il ne se serait jamais pardonné d'éclabousser les livres avec le thé.

Dean hocha la tête de manière compréhensible. Il ne comprenait que trop bien que son colocataire ne supportait pas la musique imposé, étant donné que c’était aussi le cas pour notre jeune homme. De toute manière, les goûts et les couleurs ne se discutent pas. Ranmaru n’était sans doute pas un grand fan du hard rock Américain comme l’était notre infirmier. Et ce qu’il venait de jouer était tout sauf une musique zen, comme l’appréciait sans doute, la plupart de japonais. Ayant levé la tête pour soutenir le regard de son colocataire – et tenter ainsi de lui signifier qu’il comprenait son état d’esprit- notre jeune homme s’apprêtait à répondre, lorsque ça arriva.

Murakami, sans doute perdu dans ses pensées, n’avait surement pas du faire attention et s’était cogner le poignet contre l’étagère de la bibliothèque. Bien que notre infirmier ne vit pas son visage, il put tout de même en déduire que l’articulation était maintenant douloureuse. Fronçant légèrement les sourcils, Dean posa à nouveau sa guitare à côté de lui sur le canapé et se redressa.

« Ça va ? »

C’était la première question que l’on posait, par pur automatisme –débile ?- sans doute. Pourtant, il était évident que ça n’allait pas aussi bien qu’on l’espérait : Dean avait bien remarqué la main qui se crispait sur le livre. Sentant alors ses réflex d’infirmier revenir au galop, notre jeune homme se leva du canapé et s’approcha de son colocataire. Gardant tout de même une certaine distance de sécurité.

« Ça vous arrive souvent ? » demanda-t-il, en désignant son poignet d’un coup de tête

La curiosité de Dean était bien connue, mais en même temps il était assez inquiet. Il est vrai que c’était rare qu’on se cogne le poignet d’une telle vivacité. Etait-ce seulement du à un manque de contrôle des mouvements ? Ou était-ce un problème plus grave et plus sérieux ? Dean ne connaissait rien de son coloc, il ne pouvait donc pas le savoir.

Évidemment, ce genre de geste ne pouvait pas passer inaperçu. Et Onwara pouvait même revendiqué de son statut d'infirmier qui l'incitait à remarquer ce genre de comportement et de blessures. Et ce, même quand le principal intéressé n'avait guère envie qu'on remarque ses petites erreurs qui émaillaient sa journée et restaient ensuite incrusté dans sa peau. Un matin, sous la douche, il s'était fait la réflexion que si d'aventure il avait souhaité mettre des tenues plus légères, il aurait eu l'air de quelqu'un sortant d'une bagarre. Ou d'un des élèves qui pratiquait à outrance un sport de combat. Heureusement, ses préférences comme la saison allaient aux manches longues.

Lentement, l'intendant récupéra sa tasse et se tourna, pour constater que l'autre homme s'était levé et rapproché de lui, restant tout de même à une assez bonne distance. Commençait-il à comprendre à quel point le japonais n'appréciait pas d'être collé ?
Toujours avec une attention trop marquée pour être inaperçue, Ran ramena sa tasse jusqu'au comptoir de la cuisine où il put enfin la poser pour le plus grand plaisir de son poignet douloureux. Sensible mais fonctionnel, rien de plus grave qu'un de ses innombrables bleus.

" Contentez-vous de vous occuper des élèves, nul besoin de faire d'heures supplémentaires pour une petite contusion. Je dois avoir un gel à l'arnica dans ma chambre."

Et mettre de la glace ? Que lui avait déjà dit le médecin à propos de ce genre d'hématomes ? Il se contentait de les ignorer la plupart du temps, mais son poignet semblait bien décider à ne pas se laisser oublier trop vite et à gonfler. Et s'il ne pouvait pas enfiler ses gants de moto le lendemain, l'intendant serait encore plus de mauvaise humeur qu'il n'était humainement possible. Autant prendre un peu soin de lui dès maintenant pour passer outre par la suite.

Il était évident que Ranmaru ne voulait pas de l’aide de Dean. D’un côté, cela se comprenait. Ne disait-on pas qu’il ne fallait jamais laisser une personne que l’on côtois régulièrement se laisser s’occuper de soi ? Ce n’était pas faux. Mais à quoi bon s’enfermer dans cet état d’esprit si on avait un infirmier à porter de main ? Ne pouvait-il pas faire abstraction du fait qu’ils étaient coloc, rien que pour un instant ? Enfin. Soupirant discrètement tandis qu’il suivit Ranmaru du regard, Dean hésita un peu puis se décida à s’approcher à nouveau de lui. Une contusion était la blessure qui était sans doute la plus … logique, dans cette histoire, mais … et si s’était plus grave ? Et Si la contusion s’avérait être en réalité une fracture ? Les os de la main son nombreux, tout de même.

« Ça vous arrive souvent ? » redemanda-t-il tranquillement, ignorant la remarque du jeune homme et étant bien décider de ne pas lâcher l’affaire.

Bien que, pour le peu qu’il le connaisse, Dean avait un peu de mal à s’entendre avec ce colocataire, il n’aimait pas voir les gens souffrir et il semblait évident, là, que le poignet était très douloureux. Mais bon, si Murakami était aussi buté que ce sale gosse de Kimihiro, Dean aura tout le mal du monde à le convaincre de le laisser s’occuper de lui.

« Je pourrais voir votre poignet, peut-être ? » demanda-t-il, après s’être arrêté.

Si Murakami ne voulait pas de son aide, tant pis pour lui. Après tout, Dean n’aurait que fait de demander. Et puis, si sa douleur empirait, il n’allait pas devoir venir se plaindre chez lui.

Après un vague débat avec lui-même, qui s'acheva sur la logique que s'il s'était réellement fait mal, un détour à l'hôpital plus tard lui prendrait plus de temps que de laisser l'infirmier jeter un coup d'oeil à son poignet maintenant. Surtout que cela semblait lui tenir autant à cœur que cela agaçait l'intendant. Ranmaru déposa son livre auprès de tasse et commença à défaire les boutons de la manche de sa chemise pour la rouler d'un geste précis avant de le tendre vers l'autre homme, grinçant des dents par avance au contact. Non pour la douleur, mais réellement pour l'examen à venir. Depuis ses soucis oculaires, le japonais était devenu plus que craintif de tout ce qui touchait de près ou de loin à la médecine : qu'allait-on encore pouvoir lui trouver ? Son médecin avait eu beau dire qu'il n'y avait rien de général qui se liait à cette maladie des yeux, un doute persistait au fond de son esprit, une vague superstition.

«  Si cela vous inquiète donc tant, vous pouvez me confirmer que mon poignet est encore en état de fonctionner ? »

Encore que... A sa dernière fracture, il avait tout à fait réussi à gérer son travail et l'écriture de son livre malgré la résine qui lui enserrait l'avant-bras. Cela avait été plus difficile, douloureux par moment, mais rien n'aurait pu l'empêcher d'écrire. A la limite, autant dire qu'il avait de l'expérience avec ce genre de matériel pour protéger les articulations.

Par contre, s'il avait accepté de laisser voir son poignet, hors de question que Dean soit au courant plus en détail de ses soucis autres. L'infirmerie était là pour les ados et les internes, de son point de vue il était hors de question qu'il apprenne les détails ou voit la quantité de bleus qui marbrait ses bras et le reste de son corps. Autant qu'il sache, aucune visite médicale n'était prévue pour les adultes et il entendait bien que cela reste ainsi. Mélanger son travail et sa vie privée était déjà suffisamment déroutant par le fait de devoir vivre en colocation avec certains de ses collègues.

Si Ranmaru était retissant à l’idée que Dean puisse examiner son poignet d’un peu plus près, il eu tout de même la sagesse d’esprit d’abandonner sa lutte. Pendant qu’il remonta soigneusement la manche de sa chemise, notre infirmier l’observa et remarqua le grincement de dents lorsque son coloc lui tendit le bras. Fronçant légèrement les sourcils, notre jeune homme s’approcha de l’intendant et lui attrapa la main. Silencieux, il lui fit faire quelques mouvements passifs, tout en gardant un œil sur le visage du blessé. Grimaçait-il ? Etait-ce douloureux ? Sans doute. Après quelques minutes –qui ne devaient sans doute pas être de tout repos pour Murakami- notre jeune homme lui lâcha le bras et se recula d’un pas, affichant un sourire sincère et rassurant.

« Ce n’est qu’une contusion, du moins c’est ce que je pense. Allez peut-être faire une radio pour en être sûr. Quoiqu’il en soit, évitez au maximum de le bouger. Le mieux serait que vous portiez une attelle … » dit-il doucement, tout en se disant que son coloc n’allait sans doute pas suivre ses conseil, et se recula à nouveau d’un pas. Sans quitter Ranmaru du regard, il croisa ses bras et inclina légèrement la tête sur le côté « Vous êtes vous déjà cassé ce poignet ? » demanda-t-il alors, brisant le silence.

Là, ce n’était plus de curiosité. Il savait, par expérience personnelle et professionnelle, qu’une articulation mal remise pouvait être handicapante pour les années à suivre, voire pour le reste de la vie. Si son coloc s’était casser le poignet auparavant et qu’il avait été mal soigné, alors cette blessure pouvait s’avérer un peu plus grave que ce qu’elle n’était réellement.

Les lèvres de l'intendant s'étirèrent en une mince ligne quand les mains de l'infirmier se refermèrent sur le poignet pour le manipuler avec délicatesse. Définitivement, il détestait ce genre de contact médical, à défaut de terme plus adapté. Heureusement, il ne dura qu'un court instant, au terme duquel il put à nouveau dissimuler l'hématome des yeux curieux de l'autre homme sous sa manche de chemise.
Malheureusement, cela ne suffit pas à diminuer la curiosité de l'infirmier : comme un chien, celui-ci ne semblait pas vouloir lâcher sa proie, mais désirait à tout prix la secouer pour tout en avoir.

Le regard de l'intendant se fit plus dur, plus méfiant au fur et à mesure que les suggestions s'accumulaient. Pour un intendant qui ne comptait rien en faire, à part se passer un peu de crème sur la zone douloureuse, mieux valait remettre les choses au point.

«  Une attelle ? Pour une contusion ? Et pourquoi pas un scaphandre intégral tant que vous y êtes ? »

Par réflexe, Ran croisa les bras sur sa poitrine, son poignet blessé en dessous. L'articulation pulsait doucement, se rappelant à son bon souvenir, sans être réellement douloureuse ou handicapante. Comme un fond de migraine latent – comme celui qu'il avait eu en arrivant par exemple – qui reste là, près à exploser, sans jamais finir par crever ou réellement partir. Rien qui ne mérite un soin tout particulier en somme, du moins tant qu'il était capable de taper au clavier.

Un soupire s'échappa des lèvres du japonais à la question, alors qu'il venait de reprendre sa tasse de thé en main. Il n'aurait jamais du ouvrir la porte à une telle consultation médicale au sein même de leur habitation, au risque de ne jamais se sentir tranquille en présence de l'infirmier.

«  Voulez-vous la liste de mes antécédents et de mes allergies aussi ? Je me suis juste cogné Onwara-san, pas renversé une bibliothèque sur le dos. Aucun os ne dépasse. »

Dean ne pouvait s’en empêcher plus longtemps et émit un long et lourd soupir. Etait-ce réellement possible d’être aussi buté que Murakami ? Etait-ce possible de tellement comprendre les choses de travers et de mal interpréter les propos ? Et, dernière question : comment pouvait-on ne pas avoir envie de se laisser soigner ? Enfin, Dean avait arrêté depuis longtemps de tenter de comprendre les motivations de ses patients –ou de l’être humain.

Enfin, bref. Sans quitter son colocataire des yeux, Dean jaugea ses gestes, sourcils légèrement froncés. S’il avait réussi à croiser les bras sans problèmes, c’est que ce ne devait pas être tellement douloureux. Ce qui était fort dommage, car la douleur aurait peut-être suffit pour que l’intendant change sa façon de pensée ? Enfin, non. Aussi buté qu’il était, c’était tout bonnement impossible. Soit. Un sourire doux et serein étira les lèvres de notre infirmier lorsque son colocataire reprit sa parole.

« Oh non, quand même pas » dit-il doucement et en toute innocence « je voulais juste savoir si vous vous êtes déjà cassé ce poignet. Enfin … » il haussa les épaules, tandis que son sourire se transforma en un sourire quelque peu narquois avant de se détourner et fouiller son sac qui était posé sur le canapé. Il en sorti une petite boite de médicament qu’il posa sur la table « voila des antis-douleurs. Au cas où la douleur deviendrait trop grande »

Mais tu es un homme, un vrai, tu n’aura pas besoin de ça parce que tu n’a pas mal. Oh non, plutôt crevé que d’écouter les conseils d’un médecin. Soit. Reste réfractaire à la médecine. C’est vrai que ça ne sert à rien, et que ça tue plus de gens que ça ne les guéries. Va et souffre en silence. Evidement, Dean n’avait pas ajouté cela à haute voix, mais il n’en pensait pas moins, tandis qu’il s’installa à nouveau sur le canapé. Attrapant sa guitare et un kit de nettoyage « spéciale guitare acoustique », et commença à appliqué le produit sur les cordes, non sans pouvoir éviter l’horrible grincement qu’elles produisirent.

S'il se comportait de la même manière envers les étudiants qui venaient le voir à l'infirmerie, Onwara devait avoir une sacrée réputation de connard fini. Au moins Ran n'essayait pas de mentir et tout le monde était prévenu : il était un parfait misanthrope au contact difficile. L'infirmier, pour sa part, tenait plus du scorpion, ou de n'importe quelle autre bestiole dont on ne voyait pas venir le venin tout de suite. Le sourire narquois, lui, était dur à rater, étalé bien en évidence sur le visage du brun.
Ran regarda la boîte qu'il venait de déposer, se demandant si l'autre homme se déplaçait toujours avec tout un assortiments de médicaments au cas où il rencontre ce genre de cas à soigner. Sûrement, c'était bien le genre de personne à adorer venir sauver une situation comme un bon prince.

«  Si j'ai trop mal, j'irai voir un vrai médecin. »

Quelqu'un à même de prescrire quelque chose, formé pour ça et qui pourrait prendre en compte ses antécédents.
Voilà qui n'arrangerait pas les relations de bonne colocation entre les deux hommes... relations dont se fichaient cordialement l'américain comme il le montra à son tour en retournant faire sonner sa guitare dans le salon sans une once d’intérêt pour la remarque première de Ran.
Si le japonais était borné est peu aimable, l'infirmier semblait partant pour lui rendre la pareil. Et c'était avec ça qu'il devait vivre ?

D'un geste vif, Ranmaru récupéra sa tasse, retenant la vague envie de la jeter à la tête de l'autre homme et se dirigea vers les escaliers où l'attendait le calme relatif de sa chambre. Et un comprimé pour les migraines qui ferait sûrement aussi effet pour son poignet.

«  Je vous en prie, faites comme si vous étiez seul dans cet appartement. »

A moins d'être sourd, aveugle et muet, impossible de rater le sarcasme qui dégoulinait des mots de l'intendant qui n'avait même pas tourné la tête vers l'autre alors qu'il remontait les escaliers.

La réaction de Ranmaru était comique. Vraiment comique et Dean ne put s’empêcher d’esquisser un sourire amusé. Il n’avait, évidement, pas oublier l’intonation du ‘vrai’ dans la déclaration de son coloc, mais jugea qu’il n’avait pas besoin de lui répondre. Aussi, ce fut avec une certaine joie que notre infirmier entendit les pas de l’intendant se diriger vers l’escalier. Et, tandis que Murakami montait, pour sans doute rejoindre sa chambre, il lança des paroles avec un sarcasme évident. Entendant la porte de sa chambre se fermer, Dean rigole doucement

« Je n’y manquerais pas … » murmura-t-il, reprenant un simple sourire

Que Ranmaru et lui ne s’entendent pas, n’était pas problématique. Du moins, pas tant qu’ils s’ignoreront et se contenteront des politesses de bases. De toute manière, l’être humain n’était pas fait pour s’entendre avec chacun et Dean n’avait strictement rien en commun avec Ranmaru. Ce n’était donc pas une grande perte.

Ainsi donc, mettant l’asocial dans un coin de sa tête, Dean entreprit de changer les cordes de son instrument, souriant et sifflotant joyeusement.