Il y a des matins où vous vous réveillez avec une sensation étrange. Vous sentez que vous avez oublié quelque chose. Ou bien, vous êtes sûrs qu’il va vous arriver de bonnes choses, ce genre de jour où il faut jouer au loto. À l’inverse, parfois, vous sentez que quelque chose d’affreux va se passer. Ce matin-là, en se réveillant, Maiko s’était étirée. Elle s’était légèrement redressée et était restée là un moment assise sur son lit sans rien faire avant de hausser les épaules et sortir du lit pour se préparer.

Aujourd’hui, nous étions mercredi. Elle n’avait donc que deux heures de cours le matin ce qui lui laisserait largement le temps de profiter de son après-midi pour faire ses devoirs. Après tout, le temps n’arrêtait pas sa course. Cette feuille qui se détachait de l’arbre et qui tombait, toute tourbillonnante qu’elle était, semblait s’amuser à lui rappeler que l’automne s’installait déjà. Le temps passait à une vitesse, et elle, elle stagnait. La brunette avait une très bonne moyenne, mais à quoi cela servait-il lorsqu’on ne sait que faire de son avenir ? Bientôt, elle devrait tenter d’intégrer une école supérieure, mais laquelle ? Décidément, elle n’avait pas bougé d’un pouce. La seule chose qui avait changé depuis son arrivée à l’école c’était que désormais elle avait un petit ami. Mais, réellement, était-ce une bonne chose ? La jeune femme se le demandait parfois. Yuhei était comme cette feuille, il tourbillonnait, il ne cessait d’avancer, il était par sa spontanéité en avance sur son âge. Comme cette feuille qui était l’une des premières à se décrocher.

« Aikawa… Aikawa… »

Un sursaut prit la jeune femme qui détacha enfin son regard de la fenêtre. Elle observa alors son professeur tout en clignant les yeux, surprise par ce retour soudain à la réalité. Des paires d’yeux semblaient la fixer. Apparemment, elle devait être absente depuis un moment et son professeur attendait une réponse d’elle. La jeune nippone se redressa alors et s’inclina légèrement avant de répondre :

« Pardonnez-moi Takada-sensei, je n’ai pas entendu votre demande. Pourriez-vous répéter s’il vous plaît, je vais me reconcentrer. »

La jeune professeure était connue pour être sévère, mais depuis le début de l’année elle connaissait désormais bien les membres de cette petite classe préparatoire. Takada-sensei fit donc une remarque pour la forme à la jeune femme et lui demanda de lire un document et de répondre aux questions.

Le temps fila ensuite à une vitesse, si bien que la jeune femme fut surprise quand la dernière heure fut sonnée et que tous les élèves rangèrent leurs affaires. Emboîtant le pas à ses camarades, Maiko fut stoppée à la sortie des cours par une main qui vint se poser fermement sur son épaule. Un frisson la prit lorsqu’en redressant son visage elle put apercevoir ceux de son père et de sa mère. Dieu qu’elle enviait ceux qui le matin se réveillaient avec des sensations, parce que celle-là, elle ne l’avait pas vu venir. Pas besoin de paroles. Maiko savait que quelque chose n’allait pas. Elle savait qu’elle allait avoir le droit à un sermon. Elle se contenta d’incliner légèrement la tête pour saluer ses parents et de les suivre sans un mot jusqu’au parc. Évidemment, pourquoi faire un esclandre dans le bâtiment ? Autant s’éloigner où des oreilles indiscrètes ne les entendraient pas et où des yeux curieux ne les observeraient pas.

Une fois arrivés vers le fond des parcs, entourés d’arbres et de buissons, les parents s’arrêtèrent. Ils n’avaient vu personne aux alentours. Le père se tourna alors vers la fille. Tout se passa si vite. Maiko portait déjà sa main sur sa joue endolorie. Frappée. Son père lui avait donné une gifle si rapidement que Maiko ne se rendait compte de la douleur que maintenant. Qu’avait-elle pu bien faire pour mériter ce traitement glacial de la part de ses parents ? La mère connaissait bien la fille, elle répondit alors à sa question muette :

« Tu n’es sûrement pas au courant, mais nous avons une domestique, depuis cet été… »

On put alors lire toute l’horreur de la situation dans les yeux de Maiko. Cet été, elle n’était pas rentrée chez elle. Ses parents étaient partis en long voyage d’affaires et ne devaient rentrer que courant septembre. Elle avait donc décidé de partir avec Yuhei en vacances. Comment aurait-elle pu se douter qu'une domestique se trouverait à la maison ?

« Elle n’est pas présente tous les jours, seulement quand nous avons du monde ou une fois dans la semaine en cas d’absence de notre part. Nous lui avions dit que notre fille devrait rentrer pour les vacances d’été. Chiyo a été un peu surprise de ne pas te voir les deux premières semaines. Elle pensait que tu étais sortie et que tu t’occupais bien de la maison. Mais à force de ne pas te voir les semaines suivantes elle nous a informés à notre retour que tu n’étais sûrement jamais rentré à la maison. Alors, jeune fille, nous ne te le demanderons qu’une fois, où étais-tu passé cet été ? »

Maiko était apeurée, elle se souvenait de cette fois où pour aller à l’anniversaire d’un garçon qui lui plaisait elle avait menti. Sa mère l’avait découvert et lui avait donné une claque avant qu’elle n’ait pu atteindre la maison de ce garçon. Qu’en serait-il si elle apprenait que sa fille chérie était partie seule avec un garçon vadrouillé dans la nature ? Et elle ne pouvait mentir en disant être restée à l’école, ses parents pourraient vérifier. C’est d’une voix tremblotante et faible qu’elle répondit :

« Je… j’étais avec… avec un garçon… Je, enfin, nous… Nous nous apprécions et je, enfin je ne voulais pas être seule cet été alors… je… »

Le réveil n'était pas très facile pour le jeune brun. A vrai dire, sa nuit avait été quelque peu tumultueuse. Mercredi était la journée la plus courte dans l'emploi du temps de la classe préparatoire. Une main devant la bouche pour cacher son bâillement avant de reprendre son stylo et de noter sur son calepin. Le cours d'aujourd'hui n'avait pas l'air d'intéresser le jeune garçon, c'est pourquoi il dirigea son regard vers la fenêtre tout en écoutant d'une oreille la voix de son professeure. A quoi bon écouter ? Mademoiselle Takada était certes charmante, mais elle avait la manie de parler d'histoire quand il s'agissait de géographie. Hiroki laissait ses pensées l'envahir. Cela faisait un petit moment qu'il n'avait plus revu sa mère et des questions se bousculaient dans sa tête à son sujet. Mais il y avait, encore et toujours, ces images qui revenaient. La dernière scène de dispute de ses parents.

Cette méditation fut interrompue brusquement par le ton de son sensei. Il tourna son regard vers son camarade d'en face, dans un premier temps, puis sur les deux personnes vers qui les paires d'yeux étaient tournées, dans un second temps. Takada-sensei était en train de ramener Maiko sur Terre. Visiblement, il n'était pas le seul à rêvasser. Hiroki avait remarqué que la jeune demoiselle pour qui son cœur battait n'avait pas l'air très en forme. Alors qu'il avait l'habitude de la voir radieuse, souriante et pleine de vie, il se sentait comme impuissant face à cette situation. Il se demandait même pourquoi il ne s'était pas jeté à l'eau pour lui déclarer sa flamme. Il était trop tard, à présent et il ne pouvait pas s'interposer dans le couple. L'essentiel, c'était qu'ils s'adressaient la parole et cela lui suffisait amplement.

La cloche de l'école sonna le changement d'une matière pour certain, ou encore la fin du cours pour la classe préparatoire. Hiroki s'était porté volontaire pour rester et ranger sa classe. De plus, il n'avait rien de particulier à faire, mis à part retrouver son colocataire pour qu'il lui rende son livre de théâtre ou encore s'entraîner avec Takada-sensei pour un acte. Déjà qu'il a eu deux heures avec elle, il ne risquait pas de la revoir pour le moment. Il ne lui restait que le tableau à essuyer quand une main sur son épaule se posa. Une camarade de classe lui informa qu'elle pouvait terminer le travail. Il s'inclina donc devant la jeune fille et quitta la salle de classe. A ce moment là, il vit Maiko partir avec deux personnes. Pas évident de deviner qui était ces deux adultes vu de dos. Le jeune brun décida de prendre la route opposée. Son instinct lui disait de les suivre, mais il n'avait pas envie de s'en mêler. Puis s'il intervenait, ça remonterait jusqu'aux oreilles de son père. Que pourrait-il y faire ? Comme il n'avait pas grand chose à faire, ses pas le guidèrent vers le parc de l'école. Cet endroit calme où il aimait se retrouver avec un bouquin à la main. Il s'apprêtait à s'installer sur le petit muret, quand quelque chose attira toute son attention.

Caché derrière un arbre, il se mit à observer la scène. C'est à ce moment là qu'il comprit que les deux personnes qui accompagnaient sa camarade étaient les parents de la jeune japonaise. Les poings et les dents serrés au geste violent de Monsieur Aikawa, Hiroki maudissait Detsuda. Pourquoi fallait-il que ce soit lui et non son petit ami pour voir ça ? En voyant son amie dans cet état, il ne pouvait pas rester les bras croisés. Il était temps pour lui de sortir de sa cachette pour faire face aux parents de Maiko.

« Je lui ai proposé de venir avec moi... »

Un mensonge pour couvrir le deuxième année ? Non, il le faisait plus pour sa camarade que pour un , soi-disant, souverain. Il s'arrêta au niveau de Maiko avant de poursuivre son mensonge. Le club de théâtre était parfois bien utile, surtout quand il s'agissait de jouer la comédie. C'est en montrant un visage assuré aux deux adultes qu'il continua son explication.

« Je m'appelle Kawashima Hiroki. »,dit-il en s'inclinant. « Nous avions étudiés ensemble pendant les vacances, puis je lui ai demandé de venir avec moi pour le reste des congés. Je l'ai un peu poussé à voyager avec moi. Je suis désolé, j'aurai dû vous demander la permission... »

Peu importe si ça allait remonter jusqu'aux oreilles de son père, il allait devoir assumer. En tout cas, c'était presque un exercice de jouer la comédie tout en se montrant sérieux. Mais il avait plus l'impression de jouer les super héros... Hiroki n'adressa aucun regard vers son amie. Il était trop concentré sur M. et Mme Aikawa. Ou plutôt, il redoutait leur réaction.

Une voix surgie de nulle part fit sursauter toute la petite assemblée. Cette voix devenue si familière à force de faire le chemin de l'école ensemble. Cette voix qu'elle avait retrouvée par hasard, chance ou grâce au destin. Cette voix qui venait de libérer son coeur d'un étau de fer. Cette voix n'appartenait à nul autre qu'à son camarade de classe : Hiroki Kawashima. Pas besoin pour la jeune Japonaise de diriger son regard vers lui pour en être sûre. Elle le fit malgré tout, simplement pour adresser au brun un regard rempli de surprises, mais surtout de joie et de soulagement à ce sauvetage inopiné.

La surprise se lisait elle aussi dans le regard des Aikawa. Qui était cet importun qui osait les déranger dans ce qui était une dispute familiale. N'avait-il pas appris les bonnes manières ? Il aurait tout simplement dû baisser le regard, boucher ses oreilles et passer son chemin, surtout si c'était lui qui avait osé partir en voyage avec leur fille unique ! N'était-il pas normal de demander la permission aux parents avant de pousser plus loin une chaste fréquentation ? C'était comme s'ils étaient passés de camarade de classe à compagnons de longue date en quelques mois. Le père savait bien que sa fille était devenue une jeune femme, qu'elle était intelligente et plutôt séduisante. Il ne doutait pas qu'elle se rapproche plus ou moins de certains individus de la gent masculine. Cependant, il avait espéré qu'elle a assez de jugeote et qu'elle se souvient de son éducation pour leur présenter ledit garçon avant d'aller plus loin. Et si ? Non, ils n'auraient tout de même pas passé un cap plus important sans être même fiancés ? Et qui était-il d'abord pour oser espérer un tant soit peu que les Aikawa l'autoriseraient à partir seul, sans surveillance, avec leur fille bien aimée ? Le mari serra soudain ses poings, la moutarde lui montait au nez. Sa femme sentant la colère montée chez Fujihiro, elle lui pressa délicatement le bras avant de se pencher vers son oreille chuchotant des paroles qu'aucun des jeunes ne pouvait entendre.

« Cher ami, Kawashima, ce nom ne te dit donc rien ? C'est notre riche voisin, tu sais, le directeur automobile. Toi qui cherchais un bon parti pour Maiko, peut-être devrais-tu y songer... »

Durant la petite tirade d'Akemi, on avait pu voir progressivement M. Aikawa se détendre doucement avant d'avoir une légère étincelle dans les yeux. Tout ceci ne disait rien qui aille à Maiko. Cette dernière s'était placée derrière Hiroki. Après tout, il l'avait protégé, et elle se sentait bien là. Ses parents ne pouvaient plus l'atteindre directement, ni la voir clairement. À la manière de sa mère elle murmura quelques mots à son ami, oui ami, car qui ferait ça à part un ami ?

« Merci, tu n'étais pas obligé. Et je suis désolée de t'impliquer dans tout ça. »

Maiko pressa alors tendrement la main d'Hiroki dans la sienne. C'était un geste tout ce qu'il y avait de plus *. Un geste pour dire merci. Car elle ne savait pas dire autre chose à ce moment même. Elle aurait pu demander pourquoi, mais ce n'était pas le moment. Le temps du pourquoi viendrait après. La brunette relâcha la main d'Hiroki assez . Cependant, pas assez rapidement pour que le geste échappe au regard aiguisé de sa mère qui s'empressa de sauter aux conclusions et sur la chose. On aurait dit un lion sautant sur une gazelle déjà blessée.

« Hiroki Kawashima, c'est bien ça ? Je suis Akemi Aikawa, et voici mon mari, Fujihiro Aikawa. Vous auriez en effet dû demander la permission jeune homme. Vous auriez dû aussi ne pas vous mêler de cette affaire. Cependant, je suppose que vous avez fait les deux pour une seule et même raison : vous appréciez notre fille, du moins, je l'espère. Et, elle semble vous apprécier aussi, du moins, c'est ce qu'elle venait de dire juste avant votre arrivée. Vous êtes tous les deux jeunes, vous faites donc des bêtises, c’est normal. Cependant, nous vos parents sommes là pour cadrer tout ça. Un chien ne va pas avec un chat et n'ira jamais avec. Vos parents ont dû vous apprendre cela. Nous voulons simplement protéger notre fille. Aussi, je ne vous le demanderai qu'une fois. Qu'éprouvez-vous pour ma fille ? Si c'est un jeu, nous en informerons vos parents et nous vous interdirons de vous fréquenter en dehors des cours. En revanche, si tout ceci est sincère, je souhaiterais qu'un repas soit organisé entre nos deux familles, histoire d'apprendre à se connaître. Vous me comprenez Kawashima-san ? »

La brunette était heureuse d'être cachée derrière Hiroki. Ainsi, ses parents ne pouvaient pas lire le doute et la peur qui l'envahissait soudain. Hiroki et elle n'étaient pas un couple. Ce qu'insuinait sa mère c'était de faire approuver une relation par deux familles pour la rendre officielle. Ainsi, ils pourraient les surveiller. Ils ne seraient plus aussi libres qu'avant. Le retour à la réalité était brusque ! Elle le savait pourtant. Ses parents seraient toujours là pour diriger la vie de leur fille unique : étude, métier, ami, famille, amour...