Ça lui arrivait parfois. D’ouvrir subitement les yeux au cours de la nuit. Suite à un cauchemar, un rêve flottant trop prêt de la réalité, ou sans qu’il ne parvienne à déterminer pourquoi. Il se rendormait finalement la plupart du temps. Pas cette fois-ci. Le cauchemar lui avait laissé une sensation acre dans l’arrière gorge, et son cœur avait mis du temps à se calmer, tambourinant dans ses oreilles, faisant un boucan monstrueux dont il se serait presque étonné que ses colocataires ne l’entendent pas. L’esprit trop clair, il n’arrivait pas à s’empêcher de songer à tout, à rien. A lui.

Kantaro lui avait fait une déclaration. Le rêve de toute midinette. Mais tout gay qu’il était, il restait loin d’une midinette, du moins l’espérait-il. Il n’empêchait que cela n’avait de cesse de le troubler et d’envahir ses pensées. Il cherchait à rationaliser la situation, mais rien n’y faisait. Cette idée le faisait se sentir ... ému ? Il avait pourtant goûté à l’amour. Il savait ce qu’il en était. Brian était tout pour lui, et l’avait abandonné. Lui aussi, il était de ces personnes silencieuses et un peu décalées, qui pouvaient se montrer chaleureuses dans le privé. Exactement comme Kantaro. Cette ressemblance ajoutait au malaise.

Il y avait les faits. La fin d’année qui les séparerait quoi qu’il arrive. Sa maladie qu’il ne souhaitait pas partager. Kantaro qu’il souhaitait protéger. De lui-même s’il le fallait. S’il avait été, au début, profondément convaincu que les sentiments de Kantaro à son égard n’étaient qu’une illusion créée par la promiscuité et la découverte de ses préférences, il ne parvenait pas à se défaire du regard qu’il lui avait alors lancé, au parc d’attraction. Ce n’était pas juste pour lui. Il pensait comme s’il n’était lui-même pas impliqué, comme s’il était déjà bien plus loin que Kantaro sur la route de la vie. Comment pouvait-il prétendre à ça ?

En étant honnête, il se sentait plus loin. Mais il avait de plus en plus de mal à ne pas considérer Kantaro comme un égal, quelqu’un à qui il aurait pu parler franchement, et non pas une personne moins expérimentée qui se trompait de chemin. Parce que ce qu’il ressentait pour lui ... ressemblait étrangement à un sentiment trop affectueux pour n’être que de l’amitié.

L’amitié ... Elle était elle-même un sentiment qui lui paraissait encore étranger. C’était étrange, de se lever le matin et de se souvenir qu’il connaissait des gens et avait des amis. Il avait trouvé sa place au sein de sa classe, s’entendait bien avec des filles et même des garçons. Malgré les houles, Eiji était un ami, tout comme Kantaro. C’était là le problème.

Depuis sa déclaration et son refus maladroit, lui et Kantaro ne parvenaient plus vraiment à se parler. Une gêne latente flottait autour d’eux, empêchant les échanges de se créer. N’était-ce pas normal après tout ? Il y avait bien une solution pour pallier à cette situation, mais à cette simple idée, Hugh se sentait tremblant et figé, incapable de l’imaginer de manière plus concrète que sous la forme d’une vague d’émotion intense.

Il tendit la main pour attraper son portable. Celui-ci auréola les contours de la chambre d’une vague lueur bleutée. 2h43. Il se sentait l’esprit clair et réveillé comme au matin, et cela faisait déjà un moment qu’il se tournait dans son lit. Autant se lever. Peut-être le sommeil daignerait-il revenir à lui. Précautionneusement, Hugh se leva, enfilant le premier pantalon qui lui tomba sous la main, et se saisit du mensuel de manga posé sur son bureau. Shizuka se leva, frétillant, et vint flairer ses jambes. Hugh s’accroupit, effleurant rapidement la fourrure de l’animal de la main. Il y avait du progrès entre eux.

« Chut, couché. »

Chuchota-t’il en anglais. Il enfila ses baskets, et sortit dehors en silence. Un rai de lumière frappa le lit de Kantaro, vide comme d’habitude. Fermant la porte, Hugh se demanda où il pouvait bien être. Se retournant, il remonta le couloir, atteignant la salle commune qui était bien heureusement vide. Il se dirigea dans une alcôve un peu à l’écart, et alluma la télévision ainsi qu’une lampe à coté du fauteuil où il s’était installé. S’installant de travers dans le fauteuil usé après avoir laissé ses baskets au sol, il avisa alors que le pantalon qu’il portait était le jogging de Kantaro. Dans le noir, la confusion avait été aisée. Le bas était effectivement un peu trop long pour lui. Bah, il ne lui en tiendrait pas rigueur.

Hugh ouvrit son mensuel, avant d’aviser la diffusion nocturne de l’un des animés qu’il aimait suivre. Calé dans son fauteuil, ses pieds nus animés d’un léger mouvement, il se mit à écouter la télévision.

La nuit n'en finissait pas. C'est sur ce constat que Kantaro referma son livre à la même page où il l'avait ouvert une heure plus tôt. Ce livre qu'il avait commencé depuis quatre jours et dont il n'avait pas dépassé le premier chapitre. S'il n'arrivait même plus à lire, il avait vraiment touché le fond ... Soupirant, le jeune homme se leva pour éteindre les lumières de la salle commune et retourna à sa place, dans un fauteuil de l'alcôve la plus isolée possible, près d'une fenêtre. Il avait beau être seul en plein milieu de la nuit, il ne voulait pas courir le risque de croiser un autre insomniaque. Il n'était pas d'humeur à supporter le moindre être humain dans son périmètre.

Calé dans le fauteuil, le front appuyé contre la vitre, Kantaro ferma les yeux sans réellement chercher le sommeil pour autant. Il savait la chose inutile ... Depuis quand ne dormait-il plus ? Après l'épisode désastreux au parc d'attraction, ses phases de sommeil avaient diminuées comme peau de chagrin. Depuis trois jours, il ne dormait plus du tout et il commençait à sentir les effets de la fatigue. Il fallait qu'il se reprenne, et vite ... Mais la mélancolie dans laquelle il avait sombré le happait chaque jour un peu plus.

La vie continuait pourtant, et il fallait donner le change face aux autres. Réussir à suivre les cours lui demandait un effort permanent. Heureusement qu'il y avait eu la Golden Week, sinon ses résultats auraient déjà commencé à s'en ressentir. Peut-être ... Il avait suffisamment d'avance pour se permettre un petit relâchement, mais il ne fallait pas que ça dure non plus.
Dans la chambre, il lui était vraiment devenu difficile de faire illusion. Kantaro était plus irritable que jamais. Mais au final, à part Hugh, il n'était pas certain que les autres s'en soient aperçus. Il n'avait pas de lien avec les deux filles - même si les choses allaient un peu mieux avec Osaki - et Eiji ... semblait aussi en dehors des choses que lui. Ce n'était peut-être pas plus mal. Il n'avait vraiment pas envie de se justifier sur son attitude. Le seul qui aurait été en mesure de lui demander des comptes, savait pertinemment ce qui n'allait pas et se faisait de plus en plus distant ...

Le malaise ne voulait pas s'en aller. Il l'avait perdu. Il le savait. Et en même temps ... Il y avait ce petit quelque chose qui le raccrochait à un vague espoir. Ce "mais" qui lui trottait encore en tête. Une réponse qui n'en était pas vraiment une, des souvenirs de situations ambiguës, des petits détails, des riens ... mais qui mis bout à bout le faisait remonter à la surface, le temps d'une bouffée d'air ... avant que son esprit cartésien ne vienne démolir une à une ses petites bribes d'espoir, le laissant couler à nouveau ...

Kantaro ouvrit les yeux, se détachant de la vitre pour enfouir son visage dans ses genoux repliés, et déglutit lentement, refoulant au fond de sa gorge la boule qui y montait. Ce fut tout juste s'il entendit la porte de la salle commune s'ouvrir et se refermer discrètement. Instinctivement, il resserra ses bras autour des jambes. Il ne voulait pas qu'on le dérange. S'il ne bougeait pas, l'autre repartirait sans doute sans l'avoir remarqué. Mais le son d'une télévision et la lueur pâle d'un éclairage lui fit relever la tête. Ah non ! Il n'allait pas s'installer !

L'agacement ne fut pas long à poindre et Kantaro sortit finalement de son retranchement pour aller dire deux mots au perturbateur. N'importe quoi, mais le faire déguerpir. Trouver l'intrus ne fut pas bien compliqué. Kantaro alla se planter entre l'écran et le fauteuil où se découpait une silhouette, une main sur la hanche, l'air peu engageant.

" Hé ! Tu pourrais pas baisser un peu le vol... "

La fin de la phrase s'éteignit brusquement tandis que Kantaro reconnaissait la personne avachie sur le fauteuil. Son visage changea du tout au tout, virant à une franche surprise mêlée d'une légère gêne.

" ... Hugh ... Qu'est-ce que ... "

Qu'est-ce qu'il faisait là ? Alors qu'ils s'étaient tous deux soigneusement évité depuis son anniversaire, ils se retrouvaient brusquement face à face, seuls, en plein milieu de la nuit ... Kantaro dévia légèrement le regard, mal à l'aise, et accrocha la première chose qui pouvait focaliser ses pensées. Son jogging, par exemple, qu'il avait oublié de ranger correctement dans la soirée. Même sa maniaquerie habituelle faiblissait ...

Battant le rebord du fauteuil de ses pieds nus, Hugh se cala un peu plus confortablement avec un petit air satisfait. La rediffusion qui avait lieu était celle d’un de ses animés préférés, dans un passage particulièrement amusant. Mais à peine le clou de la scène était il arrivé et que le générique parodié commença, qu’une silhouette se dressa entre lui et l’écran, lui coupant la vue et s’exprimant avec véhémence. Hugh plissa les yeux, ne voyant sur le coup qu’une silhouette en contre jour, mais la voix qui s’éleva, même si le ton était un peu différent de celui qu’il connaissait, ne lui était pas inconnue. Kantaro le reconnu au même moment, son comportement changeant du tout au tout, devenant soudainement bien embarrassé.

Hugh le fixa un court instant, interdit. S’il était bien quelqu’un qu’il ne comptait pas croiser en tête à tête, c’était bien lui. En y repensant de plus prêt, la nuit était son domaine. Mais la salle commune était vide quand il était arrivé, et à vrai dire il n’aurait pas pensé que c’était là que Kantaro traînait. Sa bouche réagit plus vite que son esprit, parlant en mode automatique à sa place.

« ... Désolé, j’avais pas pensé que le son était si fort, euh ... Attends, c’est mon passage préféré ! »

Faisant signe de la main à Kantaro de s’écarter de son champ de vision tout en se penchant pour apercevoir un morceau de l’écran, Hugh focalisa son attention sur le générique et la satisfaction bienheureuse de son esprit de se voir ainsi nourrit d’un de ses passages favoris d’animé, mettant le reste de son cerveau en blue screen pour ne pas penser au fait qu’il était seul avec Kantaro alors qu’il avait tant cherché à éviter ce genre de situation. Mais déjà le générique se terminait, le forçant à revenir à l’instant présent, c'est-à-dire au jeune homme qui le fixait en silence. Ou plutôt, son pantalon. Hugh baissa les yeux, réalisant soudain la situation.

« Ah, je suis désolé, je t’ai emprunté ton pantalon de jogging, je me suis trompé dans la chambre, je ne voulais pas allumer la lumière ... »

Se rasseyant maladroitement de manière plus orthodoxe, Hugh posa les deux mains sur le pantalon fautif, un peu gêné. Ça ne se faisait pas ça ! Enfin, avec Kantaro, ça ne devrait pas le gêner. Enfin, avec Kantaro ... Voilà, il devait rougir. Son regard se posa sur la couverture de son magazine, remonta sur la télévision, avant de revenir à Kantaro.

« ... Heu, je ... J’arrive pas à dormir. Je te gêne ? »

Plusieurs options s’affichèrent dans sa tête. Retourner se coucher pour tourner en rond dans son lit ? Non pitié, il venait tout juste d’en sortir. Rester là alors. Mais là, il y avait Kantaro. Cela sonnait comme une ironie du sort, une sorte de confrontation forcée. Mais, quelle confrontation ? Il ne s’agissait pas là d’une lutte, bien au contraire. Quoique. La lutte était belle et bien présente, dans sa tête.

Le regard rivé sur le pantalon de jogging, Kantaro en était à se demander s'il avait oublié de ranger d'autres choses et quoi. Il n'eut pas de réelle réaction aux paroles de Hugh et se contenta de faire un pas sur le côté lorsque ce dernier lui fit signe de s'écarter. Non, le son n'était pas si fort en vérité. C'était juste un prétexte pour pouvoir râler et entamer un échange qui aurait abouti au départ de l'intrus. Mais l'intrus en question était Hugh et, quel que soit le malaise que ce face à face imprévu provoquait, il n'avait aucune envie de le voir partir. L'enthousiasme dont l'américain faisait preuve pour son animé lui ressemblait bien plus que la gêne de ces derniers jours. Il le préférait comme ça, au naturel, mais il avait tout gâché en se déclarant. Il avait été égoïste.

La voix du blond s'éleva à nouveau et Kantaro détacha enfin son regard du pantalon pour remonter jusqu'au visage pâle où un léger hâle marbrait les joues. Ce qu'il pouvait être mignon quand il rougissait. Mais qu'est-ce qui le faisait rougir d'ailleurs ? Le jogging ? Le brun sentit une légère chaleur monter à ses propres joues lorsque les connexions se firent, enfin. La question n'était pas de savoir ce que son pantalon faisait là, mais plutôt de savoir ce que Hugh faisait dedans ... Dire qu'il avait fallu qu'on lui dise pour qu'il le réalise ...

Kantaro ferma les yeux quelques secondes et secoua doucement la tête, à la fois en réponse à la question, et pour se remettre les idées en place. La surprise passée, il fallait qu'il se reprenne. La présence de Hugh était à la fois inattendue et agréable. Il avait tellement souvent imaginé une rencontre nocturne où il lui aurait fait partager sa vie de noctambule ... Lorsqu'il rouvrit les yeux, ce fut pour plonger dans ceux du blond.

" Reste ... "

* ... avec moi ... *
Mais cette précision, il préférait la taire ...

Kantaro avisa un pouf près du fauteuil et le tira pour s'y installer. Il était toujours entre l'écran et Hugh, mais légèrement décalé afin de ne pas gêner la vue à son ami. Il pivota même d'un quart, pour pouvoir regarder l'animé lui aussi. Enfin, regarder était un bien grand mot. Il se contentait de fixer l'écran sans vraiment suivre les images qui défilaient. Il ne connaissait même pas, de toute façon, et ça avait l'air bien entamé.
Moins de dix minutes plus tard, l'épisode se termina et Kantaro se saisit de la télécommande pour mettre la télé en veille. Il n'avait pas envie de voir un second animé, ni que Hugh se serve de ça pour l'éviter. Si vraiment ça devenait impossible, il rallumerait et partirait, mais là ...

" Est-ce que ça va toujours être comme ça maintenant ? "

La question avait franchi ses lèvres sans qu'il ne cherche à l'en empêcher. Il était trop fatigué pour ça. Il avait tellement besoin de savoir ...

Kantaro mit un certain moment avant de répondre. Toute sobre que fut sa réponse, elle fit naître un frisson dans l’échine de l’américain. Il avait comme une manière fiévreuse de le regarder qui l’effrayait presque. Il ne parvenait pas à croire que ce soit lui qui mette Kantaro dans un pareil état. Lui qui était la plupart du temps si détaché de tout ce qui pouvait être contingences humaines ...

Sans un mot, il tira l’un des poufs situés non loin pour s’asseoir et regarder la suite de l’animé avec lui. Hugh sourit, ravi de pouvoir partager un peu de ce qu’il aimait avec un autre. Même s’il doutait que Kantaro parvienne à apprécier un truc décalé comme Szs. Il se réinstalla confortablement dans son fauteuil, les pieds par-dessus le rebord et écouta la suite, jetant de temps à autre un œil à Kantaro. Son visage était impassible. Une véritable créature de la nuit. Les images de la télévision se reflétaient dans ses lunettes, plongeant une partie de ses yeux dans l’ombre.

A la fin de l’épisode, Hugh chercha la télécommande pour zapper, mais c’était Kantaro qui l’avait, et qui éteignit la télévision, faisant hausser un sourcil surpris au blond. Lorsqu’il se retourna vers lui, il eut l’impression que l’on venait de déverser un saut d’acide dans son ventre. La question était lourde de sens, le mettant soudainement au pied du mur, et il ne savait pas comment réagir.

« ... Kanta... »

Il était véritablement obsédé. Un nuage traversa les traits du blond, et il détourna un peu le regard. Comme ça ... Que répondre ? La déclaration du brun l’avait surpris, en même temps qu’elle avait remué en lui nombre de doutes. Considérer Kantaro de manière extérieure, c’était en somme une injure à lui. Se mouiller émotionnellement ... n’apporterait rien de bon. Mais s’il restait sur cette non réponse, sur cet étrange statut quo ... Leur relation resterait figée et ampoulée, ne parvenant plus à évoluer ni même à agir. Il n’aurait jamais imaginé une situation pareille.

Son regard en revint à Kantaro, qui ne le quittait pas des yeux. Se rasseyant convenablement, Hugh inspira lentement. Son cœur battait la chamade. Malgré l’acte bravache qu’il s’apprêtait à faire, il avait du mal à se sentir totalement détaché.

« Bon, très bien. »

Se levant, il tira un pouf à coté de Kantaro, avant de s’asseoir dessus et de le regarder en face à face, soudainement bien plus proche de lui qu’il ne lui était coutumier.

« Vas-y, embrasse-moi. »

Il crut que son cœur allait s’arrêter lorsqu’il eut prononcé ces mots, mais non. Le cliquetis régulier était toujours là, presque réconfortant. N’était-ce que la sueur dans son dos qui le faisait frissonner, et la sensation du tapis sous ses pieds nus, soudainement bien plus présente. En fait, chaque détail de cet instant semblait être devenu plus vivace, au moment où il avait lancé cette étrange provocation.

L'énoncé de son prénom avorté le fit légèrement frémir. L'interruption sonnait presque comme un "mais" annonciateur de mauvaises nouvelles. Pourtant, Kantaro ne faiblit pas et soutint le regard du blond. Il préférait que ce soit dit, qu'ils en finissent maintenant. Il n'en pouvait plus de ce malaise, de ces silences lourds, de ces regards fuyants ... Rien n'était pire que cette incertitude et ce sentiment d'impuissance ...

Aux premiers mots de Hugh, le jeune homme se raidit instinctivement. C'était l'heure du verdict. Rien n'était encore dit et pourtant son cœur battait déjà la chamade. Quand le blond lui aurait clairement dit non, est-ce qu'ils pourraient enfin avoir une discussion normale ? Reprendre leur amitié là où ils semblaient l'avoir abandonnée ? Il voulait revoir son ami tel qu'il était avant. Et si pour cela il devait refouler ses sentiments, il le ferait, quitte à lui mentir d'ici quelques temps en lui disant qu'il ne l'aimait plus.
Mais ... et s'il ne disait pas non ...

Les pensées de Kantaro furent court-circuitées par la présence à présent beaucoup plus proche, et la déclaration directe lui fit écarquiller les yeux de stupeur. Est-ce qu'il avait bien entendu ? Oui ... Certainement ... Mais la façon dont c'était dit lui laissait une impression étrange. Il avait le sentiment que Hugh lui lançait un défi. Comme s'il pensait qu'il n'en était pas capable, ou qu'il renoncerait après un premier baiser. Ce n'était pas comme ça qu'il avait envisagé les choses. Ce n'était pas ce qu'il avait lu, ni ce que Sun lui avait dit. Mais ... si c'était sa seule chance ...

Posant un genou au sol, Kantaro glissa de son assise, se rapprochant encore plus de l'américain. Sa main vint effleurer sa joue alors que leurs visages n'étaient plus qu'à quelques centimètres.
Et si Hugh avait parlé par résignation ou par pitié. Et s'il ne voulait pas réellement ...

" Je peux ... vraiment ? "

Non. Il ne voulait pas de réponse à cette question. Il préférait ne pas savoir. Et pour être certain de ne pas l'entendre, il déposa un baiser léger et quelque peu maladroit, le cœur battant à tout rompre.
Les lèvres de Hugh étaient chaudes, douces, et quand il s'écarta pour le regarder, une boule de chaleur sembla vouloir exploser au fond de son ventre. Il nageait en plein rêve. Oui. Il allait certainement se réveiller d'un instant à l'autre ...

Comme s'il cherchait à s'assurer de la réalité de la présence de l'américain, Kantaro glissa ses doigts dans la chevelure blonde, au ras de la nuque, la caressant doucement. Se fut sans aucune hésitation qu'il retourna embrasser Hugh pour un véritable baiser cette fois, les yeux mi-clos, savourant l'instant et refusant de penser à après.

La phrase eut son effet, laissant Kantaro figé face à lui, les yeux écarquillés. Comme prévu. Peut-être essayerait-il de l’embrasser. Peut-être n’oserait-il pas. Mais en tous cas, les choses n’iraient pas bien loin : son fantasme devenu réalité, certainement redescendrait-il sur Terre. Sortit de sa stupeur, le jeune homme eut une courte réponse un peu interloquée qui manqua de faire rire Hugh, s’il n’avait pas été autant impliqué dans la situation. Il posa un genou à terre, rapprochant son visage du sien, avant de poser une main hésitante sur sa joue. Ce qu’il était mal à l’aise. Sa première fois, évidemment qu’il était mal à l’aise.

Ses lèvres embrassèrent les siennes, dans un baiser doux mais maladroit, un peu mou, qui laissa néanmoins une étrange sensation à Hugh. S’il avait pu imaginer un jour qu’une telle situation se produirait ... Kantaro ne le laissait pas insensible, loin de là. Mais ce n’était pas une raison pour se comporter comme un animal en chaleur alors que son ami, emplit de doutes et d’hésitations, se tournait vers lui. Mais, et s’il n’y avait pas que ça ?

Hugh ravala un hoquet interloqué lorsque Kantaro glissa ses doigts sur sa nuque, l’embrassant cette fois-ci avec plus de franchise. Fermant les yeux, il cessa de réfléchir pour un instant, se laissant aller pour un moment. Sans hésitation, sa langue s’insinua plus en avant, alors qu’il apprenait à Kantaro la véritable signification de « french kiss ». Qui n’était pas le monopole des français. La main de son ami était douce, et il voulait plus ... Sa main, tremblante malgré lui, vint caresser le flanc de Kantaro, avant qu’il ne recule la tête avec un sourire malicieux. Se relevant légèrement, il se rassit à califourchon sur les genoux de Kantaro, prenant sa tête entre ses mains pour l’embrasser de nouveau, appuyant sans vergogne son entrejambe contre la sienne.

Ok, alors, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas sortir avec Kantaro, alors qu’il en avait envie, se sentait bien avec lui, et que lui aussi, en avait envie ? L’excitation de la situation prenait le dessus parmi ses pensées. S’imposer d’être un garçon sage au quotidien était une chose. Mais face à une telle fouine qui était venue s’imposer dans son esprit et dans son univers ... Hugh rompit le baiser pour reprendre son souffle, les joues rouges, et appuya son front contre celui de Kantaro un instant.

Ce n'était pas son premier baiser et pourtant, d'une certaine façon, ça l'était tout de même. Parce que le premier, il ne l'avait pas voulu, il lui avait été volé, forcé. Ce qu'il avait ressentit à cet instant n'avait été qu'un mépris immense pour la personne qui avait osé forcer ses lèvres. Mais cet individu ne pourrait plus jamais l'approcher. L'histoire était close. Ici, la donne était toute autre. Il avait voulu ce baiser, était venu le chercher, et il aimait comme un fou celui avec qui il l'échangeait. C'était celui-là, son véritable premier baiser.

Kantaro accueillit la langue aventureuse avec gourmandise et, même s'il tâtonnait encore sur la façon de s'y prendre, la sienne vint à la rencontre de celle de Hugh. Chaud, délicieux, enivrant ... Le monde pouvait bien s'arrêter de tourner, que ça lui était égal. Plus rien n'avait d'importance. Chacun de ses battements de cœur semblait dire encore, tout en pansant les plaies de ces derniers jours. La caresse lui fit l'effet d'une décharge électrique.

Quelques instants plus tard, Hugh s'installait sur ses genoux, l'embrassant sans retenue. Le blond avait clairement une longueur d'avance sur lui dans ce domaine. Mais qu'importe. Kantaro ne voulait pas réfléchir, pas maintenant. Se laisser guider par son instinct, par ce que lui dictait son corps ... Ses bras se refermèrent sur le blond, le plaquant un peu plus contre lui. Il pouvait sentir les battements de son cœur contre son torse, les frémissements de son corps ... un soupir un peu plus rauque, lorsque son propre corps commença à se manifester en écho à la pression exercée par Hugh.

Le souffle court, les deux garçons restèrent un instant front contre front. Kantaro laissa glisser une de ses mains en une caresse le long du dos de son ami. Ami ? Est-ce que c'était le terme approprié à présent ? Son regard chercha un moment celui de Hugh en quête d'une réponse à la question qu'il n'avait même pas posée.

" Hugh ... "

S'il lui redemandait maintenant, est-ce que la magie de l'instant se briserait ?

" Est-ce que tu voudrais sortir avec moi ? "

Timidement, il sentit la main de Kantaro caresser son dos sans oser passer sous son t-shirt, tandis que son corps, lui, réagissait de manière plus flagrante à sa présence. Avec un sourire un peu coquin, Hugh eut un mouvement de bassin comme pour mieux s’installer, les stimulant tous les deux. Les doutes et la retenue étaient bien loin derrière lui. Il verrait plus tard.

Il n’avait plus envie de continuer à se retenir, de continuer à jouer à l’adulte pour lui et pour les autres. Il pouvait se laisser aller à être un gosse, à être avec quelqu’un, non ? C’était de toutes manières la condition sine qua non pour que Kantaro redevienne lui-même avec lui. Alors, si pour obtenir ça il fallait se donner un peu de plaisir ... Des sortes de sex-friends là où l’amant principal de Hugh était la solitude ? Quelque chose comme ça ...

La question de Kantaro, parvenant au plein milieu, lui fit afficher une expression surprise, avant qu’il ne rie doucement, nullement moqueur.

« Ahlalala ... Un contrat en trois exemplaires, ça t’ira ? Tu es tellement formel ... »

Échauffé, et peu habitué à rester passif, Hugh glissa son visage dans le cou de Kantaro, l’effleurant des lèvres avant d’attraper le lobe de son oreille entre celles-ci, joueur.

« Enfin, ça fait parti des choses que j’aime chez toi. »

Il laissa échapper un petit soupir rauque, le frottement entre eux deux ne cessant pas, même si c’était de manière infime. Il pouvait sentir le pantalon de jogging un peu trop large pour lui, tenir à la pointe de sa hanche tout en glissant légèrement. Il tremblait un peu, entre nervosité et excitation. Ils étaient dans une alcôve dissimulée à la vue de tous, mais la lumière était allumée, révélant leur présence. Quiconque passerait dans la salle commune pourrait les apercevoir. Enfin, lui, ça ne le dérangeait pas outre mesure. Mais cela restait gênant pour aller plus loin. Mais peut-être vaudrait-il déjà mieux guider Kantaro, tout en douceur ? Et celui-ci le voulait-il ? Tout en candeur, il avait parlé de "sortir ensemble", et voilà qu'il était en train de se frotter à lui comme une chienne en chaleur.

Enfin, cela en faisait partie. Si Kantaro voulait vraiment de lui comme ça, alors il allait le découvrir sous cette facette là. Hugh adorait jouer.

« Mais avec toi, j’ai l’impression que je pervertis un plus jeune, c’est terrible. »

Il rit, les yeux fermés, avant de glisser ses mains sur le t-shirt du brun, effleurant son dos, découvrant ce qu’il avait pu voir mais jamais toucher, tout en le regardant sans ciller, un sourire chafouin sur les lèvres.

Après ces jours et ces nuits à nager en pleins tourments, Kantaro ressentait le besoin de l'entendre, d'être sûr, de savoir où il allait. L'incertitude lui était devenue insupportable. La question pouvait sembler inutile, là, après ce baiser et avec Hugh entre ses bras, mais c'était plus fort que lui. Oui, ça tournait à l'obsession, et il se devinait déjà possessif.
Il sourit doucement au rire de Hugh et à sa réponse. Visiblement, la précision était plus que superflue pour le blond. Sans doute avait-il raison, les japonais étaient trop formels ...

" Je vais considérer ça comme un oui ... "

Un frisson le parcourut lorsque Hugh mordilla le lobe de son oreille et il ferma les yeux un instant pour savourer ces sensations nouvelles. Ca n'avait rien à voir avec les fantasmes. Chaque geste, était bien plus intense que tout ce qu'il avait pu imaginer après avoir réalisé ses sentiments. Lui qui était toujours resté si insensible et réticent au moindre contact physique, sentait une fièvre nouvelle l'envahir. Son cœur s'emballait sous les doigts et les lèvres de son petit ami. Son "petit ami" ... Le concept était étrange et grisant, enivrant.
Kantaro rouvrit les yeux aux paroles du blond et ne put retenir une petite moue à mi-chemin entre amusement et vexation. Hugh ne parlait certainement pas de leur âge mais plutôt de leur expérience. C'était pourtant vrai, il ne s'était jamais intéressé de près ou de loin aux choses de l'amour, que ce soit sur le plan des sentiments ou sur le plan physique. Il avait toujours moins ressenti le besoin des plaisirs solitaires que les autres garçons de son âge. Mais depuis quelques temps, la donne avait beaucoup changée ...

" Ce n'est pas parce que je n'ai pas d'expérience en la matière, que je n'ai pas une idée de comment faire. Et puis j'apprends vite, surtout quand le prof est bon. "

Ses doigts glissèrent sur le flanc de Hugh, effleurant la peau pâle sur la partie dénudée par la descente progressive du jogging. Ce qu'elle pouvait être douce et fraîche ... Son autre main remonta jusqu'à la nuque, et Kantaro alla cueillir un nouveau baiser, un peu plus fougueux que les précédents. L'excitation de la situation et les attentions dont il faisait l'objet lui donnaient envie de bien plus sans savoir exactement quoi, ni où il était convenable de s'arrêter. Mieux valait certainement qu'il laisse Hugh le guider. Il semblait en savoir beaucoup plus que lui dans ce domaine.

" Apprends-moi. "

La phrase avait été murmurée au creux de l'oreille, alors que ses lèvres glissaient doucement au creux du cou du blond pour y tester le goût de sa peau.

Le rire de Kantaro. Quelque chose de rare, mais d'autant plus appréciable. Lorsqu'il le regarda suite à ses paroles, l'expression de Kantaro était mitigée, un peu vexée. Hugh ne cessa pas de sourire pour autant, bien au contraire. Kantaro était prévisible parfois. Les choses qui le vexaient, les choses qu'il voulait rangées et coordonnées ... Hugh répondit par une expression carnassière aux paroles vexées de Kantaro. Celui-ci, pour appuyer ses propos, caressa le bas de son dos avec retenue, avant de l'embrasser de nouveau avec une certaine passion qui émue Hugh. Cette obsession que Kantaro avait de lui était à la fois effrayante et touchante.

Collé contre lui, il sortait un peu de sa réserve, ne sachant néanmoins pas où il pouvait aller et agir. Ses derniers mots, éloquents, le firent frémir.

" All right. "

Hugh se releva, l'air lui semblant bien frais contre son ventre soudainement, ainsi coupé de la chaleur du corps de Kantaro. Il le toisa sans ciller. La plupart des adolescents de son age pensaient en terme de beauté et de séduction, de prendre soin de soi, de se montrer à son avantage ... Bien loin de ces critères, Hugh affichait une silhouette frêle, des bras un peu trop maigres, un t-shirt informe d'otaku, un pantalon de sport trop grand qui tombait en pli sur ses pieds nus ... Et pourtant, malgré tout cela, il émanait de lui une séduction diffuse, tant dans son attitude que dans son expression. Celles de quelqu'un qui plaisait, le savait, et en jouait. Une confiance en soit qui le plaçait en maître de la situation.

" Lève toi. "

Lorsque que Kantaro se fut levé, Hugh posa ses mains sur ses épaules, le faisant reculer plus loin dans l'alcôve, avant de le pousser à s'asseoir dans un large fauteuil caché de la vue de tous, tirant son pantalon d'une main dans le mouvement. Un endroit quelque peu plus intime qui, au milieu de la nuit, le devenait parfaitement.



La peau de Hugh avait un petit goût salé agréable qui se mélangeait au parfum de la menthe poivrée de son gel douche. Un mélange frais et doux qui lui allait bien. Sentir la chaleur de ce corps contre lui, cette peau douce sous ses doigts, ce goût si particulier sur ses lèvres ... tous ces petits détails étaient enivrants, excitants, et le mettaient dans un état de fébrilité qu'il avait rarement connu.

Alors que Kantaro osait enfin glisser sa main plus bas, les deux mots en anglais laissèrent son geste en suspend. Un frisson le parcourut lorsque Hugh s'écarta pour se lever et il releva le regard en une interrogation muette. Ils étaient pourtant bien là ...
La vision que lui offrit le blond à cet instant lui fit ravaler la remarque naissante. Si Kantaro avait déjà maintes fois fantasmé Hugh - et tout ce qui pourrait arriver s'ils sortaient un jour ensemble -, il l'avait toujours imaginé tel qu'il était au quotidien, tel qu'il le connaissait en fait. Mais là, l'américain était tout autre. Il émanait de lui une assurance et une sensualité qu'il ne lui aurait jamais cru. Et il aimait cette vision nouvelle du jeune homme, même si cette attitude ne se dévoilait que dans l'intimité ... ou peut-être justement pour cette raison, parce qu'il était le seul à en profiter ... Un privilège dont il n'était pas disposé à partager la moindre miette avec qui que ce soit.



L’expression de Kantaro, en cet instant, était priceless. Il répondit par l’affirmative, faisant sourire Hugh devant sa détermination. Le jeune homme ne voulait définitivement pas paraître faible ou indécis en cet instant. Il avait besoin de se détendre, et Hugh connaissait le meilleur moyen pour ça.



« Alors ? C’était aussi bon que ça en a l’air dans mes mangas ? »

Annonçant se faisant qu’il n’avait pas été dupe des fois où Kantaro lui avait emprunté de la lecture. Ce dernier point l’avait d’ailleurs surpris, à l’époque. Il était resté sur la conclusion que, pragmatique, le jeune homme s’était intéressé à ce genre de lecture sans forcement y adhérer, se cultivant tout simplement. Il n’avait pas réfléchi plus en avant à ce fait avant que la déclaration ne vienne, mettant en lumière tout un cheminement intérieur.

Et ce faisant, il tendait une perche salvatrice à Kantaro qu’il devinait certainement perdu et gêné, ne sachant pas forcement que dire en cet instant. C’était à lui de le guider ... Comme l’avait fait Brian en son temps. Son cœur se serra un instant douloureusement à cette pensée. Non. Il ne devait pas penser à lui en ce moment. Il n’avait pas sa place ici.

Le cœur battant de façon désordonnée, le souffle court et les yeux mi-clos, Kantaro cherchait à retrouver ses esprits perdus. L'opération était difficile après l'explosion qui s'était produite dans sa tête. Un big bang, en miniature certes, à l'échelle de son cerveau, mais une explosion proche de son homologue cosmique. Il avait perdu le contrôle, tout en sensation et sans la moindre analyse, se laissant enfin aller totalement sous les attentions de Hugh. C'était une première, sur beaucoup de plans.

Le poids de Hugh sur ses genoux lui fit basculer la tête pour l'observer et il accueillit le baiser avec plaisir, passant son bras autour de la taille frêle du blond. Kantaro retint sa bouche alors qu'elle allait s'ouvrir pour parler. Ca faisait un peu cliché de dire "je t'aime" après ça. Et puis, le jeune homme attendait peut-être autre chose que des paroles ... Comme un juste retour des attentions prodiguées, par exemple. Pas que l'idée lui déplaise, au contraire, mais il se sentait un peu perdu sur la manière de s'y prendre. Devait-il lui proposer ou agir directement ? Ou peut-être que Hugh n'attendait rien de particulier. Comment savoir ? La gêne de ne pas savoir ce qu'il devait faire, lui fit baisser les yeux et crisper légèrement sa main sur la hanche de son ami. C'était terriblement embarrassant.

Hugh ne semblait pas s'embarrasser d'autant de question et lui fit écarquiller les yeux de stupeur par sa question. Kantaro se raidit aussitôt, rougissant un peu plus - si cela était encore possible -, et levant un regard un peu coupable. Ainsi il savait ? Depuis quand ? Il ne semblait pas lui reprocher mais ...

" Désolé ... Je ... J'aurais dû te demander la permission. Dés... "

Kantaro soupira. Il était idiot. Il connaissait suffisamment Hugh pour savoir que ce n'était pas un soucis. Le jeune homme esquissa un petit sourire, essayant de se détendre par la même occasion.

" C'était bien mieux que ce que j'avais pu imaginer. "

Un peu plus calme, il nicha son visage au creux du cou pâle pour y déposer un baiser, osant même mordiller très légèrement la peau, sans trop appuyer. Pas qu'il craignait de lui faire mal, mais Hugh marquait si facilement ...

L'air frais glissa le long de son dos, lui rappelant sournoisement sa semi nudité et l'endroit où ils se trouvaient ... ainsi que l'heure. Kantaro leva les yeux vers une des horloges de la salle. Où est-ce que le temps avait disparu ? Ils n'avaient plus qu'une vingtaine de minutes avant la prochaine ronde. S'il existait un accord tacite entre les insomniaques et les surveillants au sujet de la fréquentation nocturne de la salle commune, Kantaro n'avait aucune envie d'en croiser un cette nuit. Déjà qu'en temps normal, il les évitait, alors là ...

" Il vaut mieux qu'on ne reste pas ici. Tu es fatigué ? "

Kantaro espérait bien que non. L'idée de vadrouiller dans le lycée avec Hugh se profilait de façon assez agréable dans sa tête, et il connaissait par cœur le parcours et les horaires des surveillants, leur évitant tout risque de rencontre inopportune. Depuis sa mésaventure avec Manabu, la nuit de son arrivée à Hamura, il avait pris soin d'enregistrer ces informations fort précieuses pour le noctambule qu'il était. Car s'ils fermaient les yeux pour la salle commune, pour le reste de l'établissement s'était une autre histoire ...

Un frisson parcourut la nuque de Hugh lorsqu’il sentit la main de Kantaro passer autour de sa taille. D’aucun aurait pu dire que c’était peu après ce que lui venait de faire, mais ... chacun son échelle de valeur. Kantaro amorça une excuse face à sa taquinerie, avant de s’arrêter en plein milieu, réalisant l’inutilité d’une excuse pour ça. Hugh ferma les yeux lorsque le brun vint embrasser son cou, appréciant la câlinerie. La flamme qui l’avait envahi à l’instant s’éteignait lentement, le faisant redevenir plus proche de ce qu’il était habituellement, que du jeune homme qu’il avait laissé voir durant les instants précédents.

Nulle question de double personnalité : juste des manières d’agir qui différaient selon les situations. Se comporter de manière libérée quand il s’agissait de sexe et être une personne séductrice et sûre d’elle, étaient deux choses bien différentes. Hugh avait simplement un passif qui l’avait désinhibé sur ce plan là. Pour le reste, il restait un jeune homme tranquille, un peu hésitant et maladroit dans ses relations.

Les propos du brun lui firent pencher la tête, haussant un sourcil interrogateur. Pourquoi changer d’endroit ? Il n’y avait quand même pas ...

« Même la nuit il y a des surveillants ? Ils ont la foi. »

Hugh se releva, se détournant sans ciller de Kantaro pour aller remettre ses baskets abandonnées au sol. Son manga en main, il regarda alentours avant de le caler entre le mur et un fauteuil. Personne n’irait le prendre là avant qu’il ne le récupère.

« J’aurai du mal à dormir pour le moment. Je te suis, tu veux aller où ? »

Kantaro aurait certainement envie de parler désormais. Ça tombait bien, lui aussi. Même s’il avait du mal à s’ouvrir totalement, il ne pouvait se résoudre à l’idée d’entamer une relation avec Kantaro sans s’ouvrir un minimum.

Kantaro hocha doucement la tête à la question mêlée de surprise. Lui aussi avait été surpris, par les surveillants et leurs rondes, par leur simple présence même. Ce lycée fonctionnait différemment des autres lycées japonais, sans doute à cause des origines plurinationales, mais ça en devenait perturbant pour un japonais pure souche.
Le jeune homme se redressa et profita que Hugh lui tournait le dos pour se rhabiller convenablement. Il n'était pourtant pas pudique et s'était déjà retrouvé bien plus dénudé sous les douches que maintenant, mais après ce qui venait de se passer une légère gêne l'avait envahi. Sans doute passerait-elle rapidement. Certainement même, il le savait déjà.

Un sourire éclaira son visage aux paroles de Hugh, ravi qu'il ne lui réponde pas qu'il voulait dormir.

" Je te propose, au choix, une visite du lycée by night, ou bien un tour sur le toit. La vue y est vraiment belle la nuit et le ciel est bien dégagé ces jours-ci. "

Bon, ça devait se sentir, Kantaro avait une nette préférence pour le toit. Mais l'un n'empêchait pas l'autre après tout. Il entraîna Hugh vers la sortie, après un petit mouvement de tête pour la désigner. Le temps de rejoindre l'escalier le plus proche et le faisceau lumineux de la lampe torche du surveillant se profilait à l'autre bout du couloir. Ca avait été juste, mais ils seraient tranquilles à présent. Faisant cependant le moins de bruit possible pour monter l'escalier, ce ne fut qu'arrivé à l'étage supérieur que Kantaro ouvrit la bouche, parlant à mi-voix.

" Ils font toujours le même circuit aux mêmes horaires. Vu qu'ils commencent par le haut pour redescendre ensuite, on ne risque plus de les croiser. En fait, ils sont assez faciles à éviter une fois qu'on a repéré leur fonctionnement et leurs horaires. "

Le brun adressa un sourire rassurant à son ami, comme pour lui assurer qu'il savait de quoi il parlait et qu'ils étaient réellement tranquilles.

Par habitude sans doute, Kantaro prit la direction du toit. Son regard dévia à plusieurs reprises sur Hugh, avant qu'il ne se décide à lui prendre la main. Ils étaient seuls et en pleine nuit, il avait sans doute le droit. Du moins espérait-il ne pas faire d'impair. Le terrain ne lui était pas familier et il doutait de chacun de ses gestes et de ses mots ...

Hugh eut un sourire narquois à la fausse question de Kantaro, qui s’efforçait peut-être de donner un semblant de choix pour ne pas paraître trop unilatéral dans sa décision, mais ne comptait pas forcement le laisser choisir. De toutes manières, c’était sans importance. Hugh était un passif, il suivait les décisions prises, et mieux encore : il préférait que l’on prenne les décisions pour lui. Il n’y avait qu’à obéir et rien à assumer. Dans les petites choses de la vie, cela pouvait passer longtemps inaperçu, jusqu’à ce que vienne le jour de prendre par soi-même de grandes décisions. D’ici là, il semblait un gentil et compréhensif jeune homme qui écoutait les autres.

Hugh eut un sursaut lorsque la lumière du surveillant découpa les alentours d’une pale lueur, et suivit Kantaro d’un pas nerveux. Le jeune homme lui semblait parfaitement savoir où il allait, gravissant les marches avec une aisance née de l’habitude. Le chemin semblait avoir été pris et repris, à de nombreuses reprises, ce dont Hugh se doutait être le cas. Face à ce qui venait de se passer, Kantaro réagissait en se coulant dans l’une de ses habitudes, pour se réconforter.

Il suivait le brun avec peine, refusant d’admettre son souffle court, lorsque celui-ci lui prit la main, ne lui laissant plus la marge d’erreur qu’il s’autorisait jusque là. Il resserra mollement ses doigts sur la main du brun, mais bien vite, sa prise devint une entrave dans son avancée, et il stoppa le jeune homme, sa main libre posée sur la rampe.

« Attend ... »

Le souffle court, il chercha à retrouver sa respiration et un rythme normal. Il aurait pourtant tellement préféré se dispenser de ce genre de démonstration ...

« On doit être presque arrivé ... Sur le toit donc ? »

Demanda t’il finalement d’un ton un peu taquin. Sans laisser à Kantaro le temps de réagir ou de répondre, il gravit les dernières marches dans un soudain effort, poussant la porte métallique qui menait au toit. Le vent et la fraîcheur de la nuit l’accueillirent, lui faisant sentir de manière plus présente encore la sueur sur ses tempes. Avançant de quelques pas, il accrocha ses doigts au grillage, regardant alentours. La vue valait effectivement le coup. Il n’avait en fait jamais pris la peine de monter jusqu’ici.

Reprenant son souffle, il se retourna à demi vers Kantaro qui refermait la porte derrière lui, un sourire aux lèvres.

« Les cheveux au vent, sur le toit de l’école ... T’es très cliché toi aussi en fait. »

Le taquina t’il, amusé.

La main de Hugh était fraîche au creux de la sienne, une sensation qui l'emplissait d'une surprenante plénitude - lui qui stressait d'ordinaire au moindre contact physique. Un sourire se dessina sur ses lèvres tandis qu'ils continuaient à avancer en direction du toit. Kantaro se sentait léger, heureux, loin des tourments qui l'avaient rongé ces derniers jours. Sun ne lui avait pas non plus parlé de ça, de cette sorte d'ivresse qui s'était installée depuis que Hugh avait répondu à ses sentiments. Certes, il ignorait encore précisément ce qu'il en était pour le blond, mais s'il avait accepté de sortir avec lui, c'était qu'il ne le laissait pas indifférent. Rien que cette idée le remplissait de joie. Même si leurs sentiments n'avaient pas la même mesure, ils étaient ensemble et, pour l'instant, il ne demandait rien de plus.

Alors qu'ils s'apprêtaient à gravir le dernier escalier, Kantaro se stoppa net à la demande de Hugh. Tout à son enthousiasme et ses pensées, il en avait presque oublié que l'américain ne pouvait pas forcément suivre son rythme. Ce n'était pas vraiment digne d'un petit ami attentionné. Il avait du chemin à faire pour y arriver ...
Kantaro attendit patiemment, préférant s'abstenir de dire quoi que ce soit. Un jour, certainement, il trouverait les mots justes pour faire comprendre à Hugh qu'il n'avait pas à se sentir gêné, sans pour autant le vexer. En attendant, le silence était plus sage.

Il eut à peine le temps de sourire à la remarque du blond, que ce dernier le lâchait pour gravir les marches et disparaître derrière la porte donnant sur le toit. Kantaro mit quelques secondes avant de se décider à le suivre. Il s'immobilisa sur le seuil, fasciné par la vision que lui offrait Hugh, ses cheveux blonds soulevés par la légère brise. Un classique des scènes manga, mais qui faisait son petit effet avec son petit ami en personnage principal.

Kantaro ferma la porte tout en continuant d'observer Hugh. La remarque de ce dernier, comme un écho à ses pensées, amena un sourire sur ses lèvres, bientôt suivit d'un rire. Il le rejoignit en quelques enjambées et s'adossa au grillage.

" C'est exactement ce que j'étais en train de me dire. Ca fait très cliché des séries yaoi que j'ai lu dans tes revues, sauf que c'est nous les protagonistes de l'histoire. "

C'était étrange de se retrouver acteur dans une histoire sentimentale, du moins pour lui. Hugh semblait bien plus à l'aise. Ce n'était pas plus mal, ils auraient eu du mal à avancer si ça n'avait pas été le cas.
Son sourire se fit un peu plus pâle.

" En fait, à bien y réfléchir, c'est la seule référence que j'ai. Et je ne pense pas que ce soit une référence viable. Pardon ... Je risque d'être vraiment très maladroit ... Alors, n'hésite pas à me le dire si je fais ou dis quelque chose qui ne va pas. "

Hugh observa Kantaro en silence. Celui-ci était silencieux d’habitude, mais là, il semblait comme complètement déconnecté de la réalité, vu la manière dont il le regardait. Il était encore sur son petit nuage après ce qu’il s’était passé en bas ? Pour ne pas dire complètement énamouré. C’était un peu gênant ... Certainement était-il simplement heureux de la tournure inattendue de cette soirée, heureux aussi d’être avec lui dans son domaine, mais ...

Kantaro marqua une hésitation, avant de le prévenir de son inexpérience avec une certaine gêne. Hugh haussa un sourcil avant de soupirer.

« Tu n’as qu’à rester comme d’habitude. »

Il lui demandait de sortir avec lui, lui posait presque un ultimatum pour ce faire, et maintenant que c’était chose faite, il ... Hugh secoua légèrement la tête, ennuyée par le cours que prenaient ses pensées. La tournure des événements le perturbait plus qu’il ne voulait l’avouer. Il lui était plus facile de penser sexe que sentiments. Dans le deuxième cas, une part de sincérité était demandée et il n’était pas sûr de savoir encore s’ouvrir à quelqu’un.

« Excuse-moi si je suis allé un peu trop vite pour toi. »

Finit par déclarer le blond, supposant que le malaise de son ami venait aussi de son comportement peut-être un peu trop assuré et audacieux. Un autre que lui n’aurait certainement pas agit ainsi dès le début. Un léger sourire étira ses lèvres, et il secoua la tête avant de se décrocher du grillage avec un petit mouvement du bassin. Se penchant vers Kantaro, lui sourit, rassurant.

« Monter ici m’a vidé, j’ai un coup de barre ... Je vais retourner dormir. A demain. »

Sans lui laisser le temps de réagir, il effleura ses lèvres des siennes dans un baiser chaste, avant de se détourner et de descendre les escaliers un peu plus vite que de nécessaire, regagnant les dortoirs pour se retrouver seul et réaliser ce qui venait de se produire. Et essayer de dormir, même si soudainement il doutait réussir.