Le ciel s’était peu à peu couvert de nuages gris. Le mois d’Octobre commençait à se faire doucement sentir et ça faisait plusieurs jours que le soleil n’avait pas montré le bout de son nez. Ce qui ne décourageait aucunement certains élèves de se promener dans le parc. Netami avait besoin d’une balade quotidienne à l’extérieur pour mettre ses idées en ordre dans sa tête. S’il ne prenait pas ce temps de décompression au moins une fois par jour, les choses se bousculaient, s’encastraient, se mélangeaient, et il finissait par devenir dingue. C’était aussi l’occasion, une fois que tout était trié, de se vider la tête et de penser à autre chose, voire à rien. Histoire de respirer un grand coup après avoir fait le ménage. Aérer ses méninges. Trouver de nouvelles idées, aussi. En fait, curieusement, Netami ne réfléchissait jamais aussi bien que lorsqu’il était en train de marcher. C’est la raison pour laquelle, par exemple, il ne pouvait s’empêcher de marcher quand il était au téléphone.

Il aimait aussi prendre une promenade avec quelqu’un pour discuter, même et surtout s’il devait s’agir d’une discussion profonde. Marcher lui avait toujours permis d’avoir les idées plus claires. Peut-être parce qu’il associait au fonctionnement des muscles de ses jambes celui des muscles de son cerveau ? Allez savoir. Toujours est-il que l’occasion de pouvoir prendre une marche avec quelqu’un et discuter se faisait en fait assez rare. Personne n’avait tellement envie de faire ça avec lui.

Ce n’était pas toujours un mal, d’ailleurs. Il avait aussi besoin de faire ces longues promenades seul, pour pouvoir vraiment réfléchir en dedans, avec introspection, s’auto-analyser, détailler les choses qui l’empêchent d’avancer, les mettre de côté, résoudre les problèmes, colmater les fuites, et faire repartir le tout. C’était un moyen de se réparer un peu tous les jours. Il avait eu cours toute la matinée, et il s’était dédié à ses clubs une bonne partie de l’après-midi. Il n’était pas loin de cinq heures, et c’était le moment idéal pour sortir prendre l’air. Quand il marchait et réfléchissait en même temps, Netami ne faisait pas vraiment attention à où il allait. Il laissait ses pas le guider tout seuls, sans qu’il prenne garde à où ils le menaient. Quand on est à l’intérieur d’une enceinte scolaire, ce n’est pas encore trop dangereux, on ne risque pas d’aller bien loin. Mais lorsqu’on se retrouve lâché dans une ville ou en pleine nature...

Il était déjà arrivé au jeune artiste de sortir de sa bulle et de se rendre compte qu’il ne savait pas du tout où il était. Ou même d’aterrir dans des endroits bizarres où il ne lui serait jamais venu à l’esprit d’aller s’il avait été complètement lucide. Mais c’était une part de l’exercice qui ne lui déplaisait pas particulièrement. Il trouvait assez agréable l’idée de perdre ses repères. Il ne faisait pas partie de ces personnes qui ont un besoin obsessionnel de garder le contrôle sur tout ce qui les entoure. Et perdre pied, ne plus rien comprendre, c’était vraisemblablement une sensation qui lui plaisait beaucoup.

Alors qu’il était en train de réfléchir à une idée pour un tag, ses yeux admiraient un joli mur de briques rouges, qui aurait été parfait pour accueillir l’oeuvre qui était en train de naître dans sa tête. Alors qu’il était en train d’en apprécier la couleur, et de suivre des yeux le réseau régulier des joints cimentés, un jappement le tira de sa rêverie contemplative, et le fit redescendre sur terre. Il baissa les yeux. Un jeune chien s’était assis à ses pieds, et le regardait en halletant, la langue pendante, un grand sourire de réjoui sur la face. Sa queue s’agitait sous ses fesses. Netami réalisa alors que ce mur était celui qui longeait l’enclos du chenil. Il ne put empêcher un petit sourire amusé et attendri de prendre place sur son visage. Il aimait beaucoup les animaux, et si les chiens n’étaient pas ses préférés, il avait néamoins pour la plupart d’entre eux une grande sympathie. C’était un animal courageux, loyal, et fidèle. Tout ce qui, à son sens, devrait être pris en exemple par beaucoup d’êtres humains.

Il n’avait pas de chien lui-même à mettre au chenil. En fait il n’avait jamais eu le droit d’avoir un quelconque animal à lui, parce que ses parents trouvaient cela dégoûtant, anti-hygiénique au possible, etc... Ce n’était pourtant pas faute d’en avoir demandé, de les avoir suppliés, boudés, rien n’y avait fait. Netami s’accroupit près de l’animal. Le chien se dressa en même temps sur ses pattes arrières, et se remit à japper, visiblement très content. Le jeune homme posa sa main sur sa tête et le caressa affectueusement. L’animal posa ses pattes de devant sur sa cuisse, et ferma les yeux, le laissant faire, la langue toujours pendante. Pourquoi se montrait-il aussi entreprenant et affectueux avec un parfait inconnu ? Netami n’en avait pas la moindre idée... Certains animaux sont plus sensibles que d’autres à ce que dégage une personne. C’est une question d’odeurs et de ressenti des émotions. Le plasticien en devenir sourit de nouveau.

“Salut bonhomme...” murmura-t-il. “T’es absolument adorable, tu sais, ça ?”

Pas un instant il ne vint à l’esprit de Netami que ce chien ne devait pas se promener par ici tout seul, et que son maître n’était probablement pas très loin. Il appréciait sa rencontre avec l’animal, plutôt que de s’inquiéter tout de suite de devoir le rendre. Pourtant, un mouvement derrière eux attira son regard. Un jeune homme était là. Probablement un peu plus jeune que lui. Et il s’approchait d’eux doucement. C’était le maître du chien ? En tout cas c’était un visage qui semblait familier... Il l’avait déjà croisé plusieurs fois au sein de l’établissement... C’était quoi, son nom, déjà ? Aku... Aka... Quelque chose. Il n’avait jamais eu la mémoire des noms, surtout de ceux des personnes auxquelles il n’avait jamais parlé de sa vie. La seule chose dont il était sûr, c’était que ce garçon était son kohai. Il avait perdu son sourire sans s’en rendre compte. Un être humain venait de crever la nouvelle bulle que le jeune chien avait créée entre eux.

Il fit un petit signe de tête pour saluer, sans se relever et sans cesser de caresser le chien qui semblait au comble du bonheur.“Salut... C’est ton chien, je suppose ?” Et voilà. Il allait repartir avec le chien, et le rayon de soleil qui venait de donner à Netami son seul sourire de la journée.