« Comment peux-tu avoir réuni autant de bordel alors que tu passes ton temps à changer d'appart ? »

Pour l'heure, Cathan observait avec une surprise qui s'approchait de la facination une mini statue de la liberté jusque là cachée au milieu des bouquins de son demi-frère. Elle avait a priori servi de cale-livres, ou de ramasse-poussière selon les points de vue, comme pas mal d'autres bricoles qu'Akutsu avait ramené des Usa ou autre.
Depuis leur discussion le jour de son anniversaire, son cadet n'avait pas chômé, se lançant activement dans la recherche de la maison de ses rêves. Quelques jours plus tôt, un Akutsu surexcité était venu lui apprendre qu'il avait trouvé la demeure de ses rêves : une petite maison traditionnelle dans un quartier tranquille, jolie, bien placée, pleine de charme et empreinte du relent d'une antique grandeur. Quand l'américain avait demandé, plus ou moins sur le ton de la plaisanterie, quel était son vice caché, la réaction de son frère avait été digne des meilleurs meme internet : si belle soit-elle, la maison avait été inocuppée les dernières années et demandaient pas mal de travaux avant d'être habitable. Autant dire que si Aku pouvait y mettre les pieds pour l'hiver, il aurait de la chance.

Son cadet avait toutefois décidé de profiter du week-end pour faire le tri dans ses affaires pour pouvoir emmener ce qui lui était inutile dans son logement de fonction et le stocker dans sa nouvelle maison, histoire de rendre son déménagement plus simple quand il pourrait le faire. De l'avis du rouquin – du rouquin authentique, mieux valait le préciser – ce n'était pas ce qui serait le plus difficile, raison pour laquelle il s'était laissé corrompre en échange d'une bière fraiche pour venir aider le prof d'anglais. S'il avait su le bordel qu'était la chambre de son cadet, il aurait surement réfléchi à deux fois.
Pour probablement accepter quand même au final. Il aurait pu dire qu'il n'avait rien de mieux à faire dans l'après-midi, mais dire qu'il appréciait passer du temps avec son demi-frère était une des rares vérités qu'il admettait sans soucis.

Avec un soupir exagéré, le métis dégagea la statuette, souffla dessus pour dégager le nuage de poussière et la posa à côté du tas qui grossissait régulièrement d'objets à embarquer. Devant l'état de ses mains, noires de poussières, il comprenait un peu mieux pourquoi les ménagères japonaises se nouaient un fichu sur le crâne et mettait un tablier quand elles devaient faire le ménage. En attendant, ramassés en queue de cheval, il essayait d'éviter de faire les poussières avec ses mèches rousses, comme lui avait fait remarquer le plus jeune à plusieurs reprises. Déjà que son t-shirt à l'effigie des Dodgers en avaient pris un coup...

Quand la sonnette retentit, les deux hommes s'entre-regardèrent, aussi surpris l'un que l'autre. Les deux colocataires du professeur d'anglais étaient absents pour le moment, les laissant seuls maîtres à bord.

« J'y vais. »

Il n'était pas mécontent de pouvoir se déplier un peu et de faire une pause au milieu de ce bordel, et vu son visage, il en allait de même pour son cadet. Passant en vitesse rincer ses mains sous l'eau froide dans la cuisine, l'américain ouvrit la porte sans même penser à regarder par le judas qui était là. Dans l'établissement, surement pas un démarcheur.

La porte s'ouvrit sur une figure que Cathan n'aurait jamais souhaité rencontrer un jour. Observé des dizaines de fois sur des photos qu'il avait cherché de lui-même, dans des articles de magazines ou sur le net, le métis avait parfaitement conscience de ce à quoi ressemblait son père. Mais si la démarche avait été faite avec une certaine curiosité – est-ce qu'il lui ressemblait ? Peut-être un peu dans la forme de la mâchoire, ou dans les yeux – prendre contact avec ce connard fini... jamais.
L'expression du visage de l'autre homme changea rapidement – surprise, agacement, calculateur – un reflet de celles qui avaient du se voir sur son propre visage. Il ne devait pas avoir été le seul à avoir fait des recherches.
Quand Akutsu descendit, une minute plus tard, ils en étaient encore là, à se regarder comme deux chiens de faïence sur le seuil de la porte.

Akutsu n'était pas de ceux qui décident de quelque chose pour l'appliquer des années plus tard. Lorsqu'il avait fêté son anniversaire en compagnie de son frère et décider alors de déménager dans sa propre demeure, il n'avait fallu que le temps de rentrer et déballer les valises avant qu'il commence à chercher. Et avait trouvé à une vitesse indécente pour un jeune homme vivant dans la mégalopole tokyoïte. Malheureusement si la maison de ses rêves s'avérait pleine de charme et de promesse, il restait un grand nombre de travaux à faire avant de la rendre non seulement habitable, mais surtout conforme à ce qu'il souhaitait obtenir.

Ainsi le jeune enseignant avait contacté une entreprise dont il avait entendu parler en bien afin de voir avec elle les travaux à entreprendre, le devis et toutes ces choses rébarbatives quoi que promesses d'un intérieur impeccable. Le rouquin s'était même surpris à agir bien différemment d'à l'accoutumée, plus mature et plus intransigeant qu'il ne le montrait lorsqu'il était à l'école et plus encore en compagnie l'Américain.

Alors qu'il déposait une bricole supplémentaire à côté de la statuette déposée par Cathan, il observa ce dernier. Que penserait ce dernier s'il avait l'occasion de le voir faire avec l'entrepreneur ? Un léger sourire étira ses lèvres lorsqu'il supposa qu'il trouverait à formuler une moquerie ou deux. Depuis quelques mois qu'il le connaissait, Akutsu s'était fait une raison : son américain de frère était incapable de s'exprimer sans glisser un ou deux sarcasmes en route.

« C'est un art. »

La fin de sa réponse fut étouffée par la sonnerie. Il échangea un regard curieux avec le vrai rouquin, puis hocha la tête en signe d'assentiment lorsque celui-ci voulut descendre ouvrir. Akutsu continua à ranger un objet ou deux avant de se redresser, de s'étirer et de rejoindre l'escalier. L'étrangeté du silence et la posture tendue de son aîné le poussa à descendre pour voir ce qui se passait. Il parvint en bas des escaliers où il épousseta un peu ses vêtements, sans défaire le bandana qui maintenait ses cheveux en arrière et passa la tête sur le côté afin de voir leur visiteur.

Sa bonne humeur s'estompa immédiatement.

« Que faites-vous ici ? » claqua-t-il en se redressant avec rigidité.

Tendu comme un fauve près à bondir, Cathan fixait l'homme devant lui avec une rage à peine contenue, ignorant presque l'arrivée de son frère derrière lui, à peine plus aimable que lui devant l'arriver de leur père. Face à eux, leur aîné n'avait pas perdu sa contenance, leur faisant face avec la même aisance que s'il se confrontait tous les jours à son fils rebelle et à son fils adultérin.
Contrairement à ce qu'il avait cru, avec les photos, et en rencontrant Akutsu, Moe senior n'avait pas une petite stature. Plus petit que Cathan sans surprise, il était légèrement plus grand que son fils cadet et surtout plus large d'épaule, faisant de lui une silhouette relativement imposante, renforcée encore pas sa tenue et sa manière de se tenir. Un homme habitué à être obéi en toute circonstance. La situation présente risquait donc de lui poser bien des problèmes.

" Je viens voir mon fils, puisqu'il ne daigne pas venir me voir."

Les intonations étaient sévères et basses, à son image, tellement loin du timbre juvénile de son demi-frère. Cathan n'était pas sûr qu'il aurait supporté des ressemblances trop marquées entre eux, s'amusant avec un soin sadique à noter toutes les différences entre le père et le fils. Et prenant grand soin à ne surtout pas remarquer les subtiles ressemblances qui liaient les trois hommes entre eux, y compris le grand rouquin aux yeux trop sombres. Elles n'étaient pas évidentes, mais elles étaient là, intolérables.

" Je n'ai aucune raison de rester ici."

Le quasi grognement qui avait surgi de la gorge de Cathan n'avait pas tellement surpris l'homme qui leur faisait face et qui se contenta de tourner son entière attention envers l'américain, l'observant avec une attention clinique des plus détestables. Que voyait-il devant lui ? Un vague souvenir de sa mère qu'il avait connu plus de trente ans plus tôt, une vague gêne qu'il ne voulait surtout pas voir rendue publique, une honte détestable ? Le roux serra les mâchoires au point de s'en faire éclater les dents. Absolument rien ne le retenait ici, pas même l'espèce de loyauté filiale dont Akutsu ne pouvait se défaire complètement malgré ce qu'il en disait.
Les deux hommes continuèrent à se défier du regard un instant avant que celui du vieil homme ne se tourne posément sur Akutsu, reléguant Cathan au rang de simple objet dans son champs de vision. La maîtrise était parfaite. En un autre temps, d'une autre personne, l'ex-agent aurait même pu l'admirer.

" Au contraire O'Leary-san. Il me semblerait intéressant que vous soyez présent pour les quelques explications que j'ai à donner à Akutsu."

Mais à cet instant, l'américain était bien plus proche de frapper quelqu'un qu'il ne l'avait été depuis longtemps, hors de ses fonctions. L'idée qu'il avait pu garder un oeil sur lui, de la même façon que Cathan l'avait lui-même surveillé, le mettait hors de ses gonds, quelque chose de viscéral qui parlait à la partie reptilienne de son cerveau. Et la réplique ne volait pas bien haut. Si son seul crime était d'exister aux yeux de son père, Cathan avait du mal précisément à mettre un unique mot sur ce qu'il reprochait à celui-ci. Outre le fait d'oser lui parler.

Son père. Il était étrange de le voir. Étrange d'assister à cette rencontre hors norme dans un lieu qui semblait ne pouvoir contenir la présence des trois hommes – des deux autres même surtout – ni la colère à peine rentrée de Cathan et celle, plus discrète, des deux Japonais. Car une chose était certaine, leur paternel était furieux et toute la maîtrise du monde, tout le calme apparent dont il ferait jamais montre n'empêchait pas Akutsu de lire en lui et reconnaître dans ce calme olympien si à l'opposé de ce que les trois ressentait les traces d'une forte émotion contenue.

Il fut tenté un instant de retenir Cathan lui-même, leva la main pour l'empêcher de filer et la baissa alors qu'elle n'avait pas franchi la moitié du chemin. Et au moment où il se demandait à quoi bon, puisqu'après tout son aîné était parfaitement libre d'esquiver leur géniteur, celui-ci ouvrit la bouche, encore, achevant de mettre les nerfs du plus jeune en pelote. S'il détestait le ton qu'avait pris ce semblant de conversation et les reproches formulés dès les premiers mots par son père, il exécrait plus encore la pointe de curiosité qu'il sentait naître en lui, laquelle se battait avec l'envie de claquer la porte là, maintenant.

« Je ne tiens pas à entendre vos... explications Père, quelles qu'elles puissent être. »

Et s'il n'avait ni la hauteur, ni la carrure des deux autres hommes, Akutsu ressemblait bien plus en cet instant à son père qu'il ne l'aurait voulu. Fièrement dressé, le port altier et le visage relativement similaire à leur visiteur, il aurait pu faire la fierté de leur père s'il n'avait pas cette attitude que par opposition à lui. Le fait que celui-ci eut parfaitement conscience de la situation s'avérait par ailleurs crispant au possible et le rouquin dut produire un gros effort pour garder son calme lorsque leur aîné reprit la parole.

« Au contraire, elles devraient t'intéresser. A moins que O'Leary-san t'en ait déjà informé ? »

Le cadet fronça les sourcils et leva brièvement les yeux sur son demi-frère. Son père parlait-il de leur lien de parenté ou d'autre chose ? Akutsu avait bien conscience que l'Américain cachait une bonne partie de sa vie, éludait les questions personnelles et cherchait sans doute à se protéger de quelque chose. Leur père avec ses connexions pouvait peut-être avoir appris ce dont il s'agissait mais... il était plus probable qu'il croit le jeune rouquin ignorant de leur lien de parenté.

« Je sais qui il est. »

Les yeux braqués sur Moe-senior, Cathan n'arrivait plus à le lacher du regard. Qu'il ressemble à un prédateur près à sauter à la gorge était un détail qui ne semblait guère perturber leur géniteur qui regardait alternativement les deux hommes devant lui comme s'ils étaient des enfants particulièrement bornés qui dépassaient les bornes et ne savaient se soumettre correctement devant lui. Le regard calculateur de celui qu'il se refusait à appeler son père ne pouvait que le mettre mal à l'aise, le fixant sur place de manière aussi efficace que s'il avait été menotté au comptoir. Que savait-il exactement qui l'assure à ce point d'être en position de force par rapport à lui ?

" J'imagine que vous ne tenez pas à poursuivre cette conversation dans le couloir ?"

Aux dernières nouvelles, c'était l'honneur des Moe qui était en jeu, pas le sien. Nul ne serait plus embarrassé que le vieil homme si le fait qu'il avait un fils adultère venait à être connu, d'autant plus un métissé américain. Néanmoins, un vague doute persistait, et c'est sur cette idée que l'américain se décala légèrement, puis plus largement, allant se laisser tomber sur un des hauts tabourets à côté du comptoir de la cuisine sans la moindre once de savoir-vivre. Pas plus qu'il ne souhaitait lui en donner, et pas plus que ce à quoi l'homme s'attendait de sa part. Sur ce plan là au moins, ils étaient quitte.

Avec un léger hochement de tête assuré, leur aîné entra et referma la porte derrière lui sans attendre d'autre argument, son regard observant rapidement la pièce autour d'eux avant de se fixer à nouveau sur l'objet de sa visite. Son fils. Ses fils ?
Le silence de plomb perdura un instant, pendant lequel chacun des participants sembla prendre les mesures des autres, les deux cadets plus ou moins complices d'une ligue envers leur géniteur, ligue dont semblait avoir pris conscience le plus vieux.

" Vous pouvez abréger, il sait que je suis son demi-frère."

Le ton brusque et résolument non japonais avait été utilisé à dessein, histoire de finir de marquer toutes les différences entre eux. Il n'avait rien de japonais, pas plus dans les manières que dans le physique. Rien qui ne puisse lui revenir.

" Vraiment ? Vous vous résumez à bien peu de choses O'Leary-san."

La voix trop suave et pleine de sous-entendus fut la goutte de trop. Cathan s'était relevé sans y avoir réfléchi, franchissant la distance qui existait encore entre eux pour surplomber son père de toute sa hauteur, braquant sur lui un regard bien trop identique pour être le fruit du hasard.

" Qu'est-ce que vous voulez dire ?"

A contrecœur mais parce qu'il ne voulait pas continuer la discussion à la vue et au sus de tous, Akutsu s'était séparé et avait rejoint son frère près du comptoir sur lequel, sans s'asseoir sur un siège, il s'appuya. De son côté, leur père regardait l'appartement d'un œil critique, trouvant visiblement à redire sur la décoration avant de les observer tour à tour. Il ne fallut que quelques mots en réponse au seul vrai roux de la pièce pour qu'alors tout se déchaîne. En une seconde, Cathan avait bondi. Derrière lui Akutsu s'était décalé de son appui et l'avait rejoint, près à le retenir s'il s'avisait d'aller plus loin que nécessaire. Il n'y avait même pas réfléchi un instant.

La main posée sur le bras de Cathan sans vraiment le tenir, les yeux rivés sur le visage tendu mais narquois de son père, le jeune homme se fit la réflexion que ses deux aînés se ressemblaient peut-être plus qu'ils ne l'auraient cru.

« Allez droit au but Père. Vous ne nous avez sans doute pas fait l'honneur de vous déplacer pour seulement semer le trouble ici. »

Daichi Moe esquissa un sourire.

« En effet. »

Akutsu le regarda s'éloigner doucement et s'asseoir sur le canapé sans émettre un seul commentaire sur le mobilier. Par ailleurs, ils n'avaient pas à se plaindre : la direction de l'école assurait un véritable confort dans les logements de fonction. Néanmoins il ne s'agissait pas de la qualité à laquelle l'homme était accoutumé. A peine rassuré par le calme qu'affichait leur géniteur, le jeune enseignant se tendit davantage lorsqu'il le vit faire une légère moue.

« Peut-être pourrais-tu nous faire du thé Akutsu ? Nous discuterons mieux une fois convenablement installés. Je suppose que la vie aux USA n'empêche pas les discussions civilisées, n'est-ce pas ? »

Malgré son allure et son comporte grande gueule certifié, Cathan savait se maitriser parfaitement. Ses longues années en tant qu'agent américain lui avait appris les moments où il pouvait parler librement de ceux où mieux valait garder sa langue dans sa poche, jusqu'où il pouvait aller sans craindre de représailles et les moments où on attendait de lui qu'il dépasse les limites. Pour ne pas se faire attraper, repérer, virer, ou tout simplement garder la vie sauve, il était parfaitement doué à ce jeu là. Au Japon, il s'était construit une identité un peu différente, probablement plus proche de sa vraie personnalité, celle d'un homme qui disait ce qu'il pensait sans grand tact – de toute façon, au Japon, personne n'attendait d'un gaijin qu'il connaisse toutes les subtilités et s'y soumette correctement. Il aurait pu le faire, mais n'avait pas choisi cette fois, préférant s'embarquer dans les lourds sabots de l'américain. Par facilité, mais aussi pour ne pas montrer l'intégralité de sa carte de caméléon parfait. Restait que la maîtrise était là.
Pour la première fois de sa vie, Cathan était hors contrôle, incapable de savoir comme réagir face à l'homme devant lui. Pire, il n'arrivait pas à prévoir ses mouvements, comme un jour totalement novice face à un grand champion d'échec. Nul doute que si la main fraiche d'Aku ne s'était pas posée sur son poignet à ce moment là, leur géniteur aurait découvert précisément à quel point les américains/irlandais pouvaient être sanguins. Et violents. Se laisser retenir par son demi-frère, lui offrir une certaine mesure de contrôle, voilà qui changeait de ses habitudes. C'était certainement mieux que sauter à la gorge de leur invité.

Une fois l'autre homme hors de portée, installé sur le canapé comme un roi dans son royaume, Aku jugea apparemment la situation assez stable pour accepter d'aller faire le thé en gardant un oeil sur les deux autres hommes. Cathan n'aurait pas été aussi docile que lui, mais il devait rester en Akutsu quelques bribes d'obéissance envers son paternel.

" Les américains ont quelques habitude particulières concernant l'hospitalité. Le fait qu'elle concerne les gens invités de plein gré par exemple."

" Quel dommage, dire que les habitants des USA se réclament d'une grande ouverture d'esprit."

Chez n'importe qui d'autre, Cat aurait apprécié le sens de la réparti et aurait accepté la joute verbale pour ce qu'elle était. Pour le moment, il avait juste l'impression d'être un fauve dans une cage que l'on taquine avec une pique, sans possibilité de contre-attaquer.

Le thé fut déposé sur la table basse, une tasse de café résolument déposée de côté pour lui. A priori, Akutsu ne le trouvait pas suffisamment encore énervé, ou tenait à montrer à leur père qu'il ne suivait pas ses ordres mais tenait juste à faire l'hôte convenable chez lui. Acceptant difficilement de rester assis – une tea party avec lui ? Pourquoi pas une cérémonie du thé pendant qu'on y était ? - le métis posa un regard noir sur lui, attendant qu'il daigne continuer. Jouer au chat et à la souris durait depuis assez longtemps.

" Si nous devons abréger les formalités d'usage, je venais m'enquérir de la raison de votre présence O'leary-san. Aux côtés de mon fils. "

"Le fruit du hasard. Il est arrivé après moi à Hamura. "

" Je ne crois pas à un hasard de votre part. Du moins je ne crois pas que vous n'ayez pu vous arranger pour le tourner à votre avantage. Cathan Ichigo Moe O'Leary. Vous avez étudié dans un lycée ordinaire, mais vous avez fait un score remarquable au SAT, qui vous a permis d'être remarqué et d'intégrer Berkeley où vous avez obtenu un double master summa cum laude selon l'expression américaine. "

" Fermez-la ! "

Akutsu assistait à l'échange avec l'air de quelqu'un qui dérange. Il avait l'impression d'assister à un match de tennis, le plaisir du sport en moins. Et lui qui connaissait un peu l'homme assis dans le canapé, lui qui s'était familiarisé avec le grand Américain pourtant maître de ses nerfs en touts circonstances d'habitude ne savait plus guère quoi faire. Que les deux se calment était son souhait, mais la chose s'avérait difficilement faisable. Et il s'en voulait bien un peu, petit à petit, de profiter des révélations de son père pour en apprendre davantage sur son mystérieux grand-frère venu de loin. Alors même qu'il s'était promis de respecter la volonté de Cathan en la matière et aurait préféré être ailleurs qu'ici à entendre, presque à attendre la suite.

« Au risque de me répéter, où voulez-vous en venir Père ? »

Une partie de lui savait déjà que l'autre roux de la pièce n'apprécierait pas la réponse. D'abord parce que quoi que décide de dire l'aîné des trois hommes, rien ne serait au goût de Cathan. Ensuite parce qu'il y avait de grandes chances que les future révélations en apprennent bien davantage sur ce que l'Américain voulait garder pour lui. Mais Akutsu ne supportait plus ce petit jeu du chat et de la souris.

« Je ne pense pas que Cathan soit venu ici pour vous nuire ou user de ma trop grande mansuétude. » ajouta-t-il avec un rien d'ironie dans le ton.

S'il y avait plus désagréable que de se retrouver dans la situation d'être impuissant face à quelqu'un qui semble en savoir plus que vous – ou du moins largement assez pour vous plomber – Cathan ne voulait pas y participer. La raison principale de sa venue au Japon était d'ailleurs celle là, et il n'avait pas fui ses USA chéris pour se retrouver dans une situation dont la seule différence était qu'il s'agissait de sa famille – entre deux très gros guillemets – à la place de ses collègues fédéraux. Comme quoi, on n'était jamais mieux trahi que par les siens.

Akutsu amena un peu de calme à cette discussion de sourd, pour se retrouver rapidement la cible de deux regards furieux. Etre le témoin de la confrontation était loin de le placer hors de la ligne de mire. Pire encore, il semblait être la victime désignée pour tous les dommages collatéraux malgré toute la tendresse que Cat pouvait ressentir à son égard.

Moe-senior fut le premier à reprendre ses esprits, et la parole, après cette double interruption, recommençant à parler de cette même voix docte qui ne souffrait pas de contradiction.

" J'y arrive. Et modérez votre ton O'Leary-san. Votre mère a tenu à ce que je vous reconnaisse, par respect pour elle si ce n'est pour moi, n'oubliez pas les bases de la politesse qu'elle vous a sans aucun doute inculquées."

Cathan manqua de s'étrangler. Ou de jeter sa tasse à la tête de l'intrus. Ou les deux en même temps, ce qui conduisit à un silence choqué de sa part. Comment osait-il parler de sa mère, comme s'il la connaissait ? Comment osait-il seulement revendiquer une paternité, où, justement, seul son nom inscrit sur un papier officiel signifiait quelque chose ? Akutsu ou pas en témoin, il allait le buter avant la fin de l'heure et tant pis pour les conséquences.
Conséquences qui ne semblaient guère effrayer son père, qui le fixait, notant sans aucun doute la moindre de ses réactions à ses paroles. Avait-il lui aussi bossé dans les interrogatoires de témoins ?
Cet enfoiré connaissait néanmoins ses bases : il avait trouvé le seul biais pour non seulement rappeler sa paternité mais aussi le nom de la seule personne capable de le faire se taire.

" Mais si vous le souhaitez, abrégeons. O'Leary-san, après 7 ans au sein du Bureau Fédéral américain, votre arrivée sur le sol japonais dans le même lycée que mon fils, en tant que simple professeur de mathématiques, reste surprenante."

Et sa manière d'ignorer ce que son fils avait pu dire restait magnifique. A croire que les paroles d'Akutsu comptaient pour du vent... ce qui était le cas, de tout ce qu'avait pu dire son demi-frère.

Regard noir pour regard noir, Cathan reprit la parole uniquement quand il fut sur d'être assez calme pour prononcer des mots soigneusement réfléchis. Il n'était pas calme – et nul dans cette pièce n'y croirait et son ton venimeux ne maintenait pas l'illusion – mais hurler ne lui apporterait rien, tout juste de se défouler un peu.

" Croyez bien que si j'avais voulu me faire passer inaperçu ici, vous n'auriez jamais su que j'avais mis le pied sur le territoire nippon. Prenez cette assurance pour ce qu'elle est : je n'en ai rien à foutre de vous et du reste de votre famille, et Aku est un ami avant d'être un frère connu par hasard."

« Comment ça au FBI ? » coupa-t-il Cathan dans sa réponse.

La question avait fusé avant même qu'il se la soit formulé pour lui-même. Exit la tentative de garder sa surprise pour lui, de ne rien laisser transparaître devant un père trop heureux de voir qu'il faisait mouche. Mais que voulait-il le plus au juste ? Voir que ses fils ne savaient pas encore tout l'un de l'autre ? C'était l'évidence. Vérifier que Cathan avait menti ou non à Akutsu ? Possible, connaissant leur géniteur. Probable même.

« Il ne t'en avait donc pas parlé. Étrange pour quelqu'un qui n'a rien à cacher, O'Leary-san.
- Ça suffit Père. »

La surprise lue dans le regard de leur père le satisfit amplement. Bien que garçon rebelle, Akutsu avait toujours fait preuve d'un certain respect avec ce géniteur qui l'insupportait : il savait à quel point il était difficile de le contrer et comme toute avait opté très vite pour des moyens de rébellion détournés, comme son tatouage, comme son départ aux USA. Au final, lui-même ne se rappelait pas être intervenu ainsi auparavant. Et certainement pas avec un pareil calme.

« Vous avez eu ce que vous souhaitiez j'imagine. Je doute que vous soyez venu par réelle inquiétude pour moi. Vous souhaitiez savoir ce que Cathan fait là ? Ça ne vous regarde pas. Pas plus que ça ne me regarde moi. Alors arrêtez-là maintenant... Et si vous ne le faites pas de bon gré, faites-le au moins pour le fils dont vous prétendez vous soucier. »

Avant que le second rejeton ne saute à la gorge de leur aîné.

" Ils sembleraient que mes fils aient formé une coalition. Très bien, je m'incline. Akutsu, je resterai au Keio Plaza jusqu'à mercredi soir, j'espère pouvoir te voir."

Jamais vaincu n'avait semblé plus serein et jamais invitation n'avait à tel point ressemblé à un ordre. Si Moe-senior acceptait de reculer en cet instant, en aucun cas il ne partait sur une défaite, du moins entre eux deux. Face à Akutsu, il y avait plus de chance qu'il accepte simplement de prendre un peu plus de temps pour accepter cette nouvelle facette de son fils. Pour savoir comment l'exploiter au mieux.

" Akutsu, O'leary-san."

Le bref hochement de tête était de ceux qu'on accorde à un subordonnée, mais Cathan n'en avait cure. Immobile comme un fauve prêt à bondir, c'est tout juste s'il esquissa un mouvement en retour pendant que son demi-frère l'escortait jusqu'à la sortie avant de refermer la porte derrière lui. A ce moment là seulement l'américain fut libérer du sort qui l’empêchait de bouger.
L'ex-agent fit quelques pas vers le comptoir dans le but de reposer sa tasse de café, trop amer, sur le plan de travail. Celle-ci ne devait jamais survivre à cette idée : d'un geste rageur, le roux abaissa brutalement l'objet contre les carreaux, l'éclatant dans une myriade d'éclaboussure de café refroidi et d'éclats de céramique.

Se laisser aller à un mouvement d'humeur destructeur après le départ de son père était bien la seule chose qui l'avait empéché d'avoir ce mouvement d'humeur sur son père. Comment ce connard avait pu mettre un seul pied dans sa vie et secouer les placards pour en faire sortir les squelettes, le tout avec le sourire... Il avait des envies de meurtre.

Lentement, Cathan tourna la tête vers le dernier présent dans la pièce, celui qui avait du être aussi choqué que lui par les révélations que leur réservait leur géniteur. Que son demi-frère apprenne son passif – du moins une partie de son passif- n'avait jamais fait parti du programme, même si le gamin, pas si stupide que ça, avait depuis longtemps compris qu'il y avait plus en lui qu'un prof de maths pas bien doué. Il avait eu la décence de ne pas trop fouiller lui.

" Tu as quelque chose à rajouter ?"

Le ton belliqueux n'avait pas grand chose à voir avec le ton habituellement plus aimable, même si souvent moqueur ou cynique, qu'il employait avec lui. Il n'était qu'un cran en dessous de la réelle violence.

Le soulagement suite au départ de son père avait été de courte durée. Son regard suivit l'homme jusqu'à la porte, laquelle se referma plus doucement que ne l'aurait fait Cathan ou lui-même en pareille position. Un ordre, rien de plus, rien de moins. A cette pensée, le soulagement se transforma en colère, colère qui comme de juste réclama une cible sur laquelle se vider. Akutsu quitta son appui pour se tourner vers le grand roux dans la pièce, invité désiré, maintenant indésirable.

« Non. Tu sais où est la porte. »

Son propre calme le surprit, lui qui d'habitude s'emportait avant de réfléchir aux mots qui traversaient la barrière de ses lèvres. Néanmoins la fureur se disputait avec une certaine lassitude et puisque la rencontre chargée n'était que le prélude à une autre encore pire – car il irait voir son père, très certainement – Akutsu ne se sentait pas de se prendre davantage la tête avec son grand-frère. Quand bien même celui-ci comme lui-même ne demandaient qu'un défouloir. Aussi, un regard pour le roux, il se dirigea vers l'escalier pour reprendre – seul – le rangement de sa chambre.

Dans son dos, la porte claqua.