Si ses élèves avaient repris les chemins de l'école la semaine quelque peu dissipés, comme pas tout à fait convaincus que les vacances étaient totalement finies, quelques cours avaient suffi à remettre les choses à leur place, les ramenant à leur place de bétail docile qu'il devait gaver de savoir. Certes, Jiro ou Aku auraient hurlé devant cette analogie et son manque flagrant de pédagogie... devant laquelle il ne pouvait qu'être d'accord. Tout le monde ne pouvait pas avoir leur force morale d'aller plonger dans ces petites têtes brunes plus ou moins motivées pour provoquer le déclic qui en ferait des élèves intéressés et motivés pendant tout le long de l'année. L'américain se contentait de trouver l'interrupteur qui permettait de les faire taire en un seul regard quand le niveau de bruit dépassait l'acceptable dans la classe – à savoir très vite – et ne s'en trouvait pas plus mal. Cependant, les raisons réelles de ce non-intéret ne pouvant être évoquées en une telle compagnie, les méthodes Cathan étaient sagement passées sous silence pendant que les réels professeurs passionnés s'échangeaient çà et là quelques avis et commentaires sur leurs protégés communs.

La pause déjeuner, pendant laquelle il avait réussi à secouer l'apparence plutôt morne de cette journée en se moquant de la vision magnifique à laquelle il avait eu droit pendant son petit déjeuner, celle d'un colocataire drapé dans sa couverture, sa dignité abandonnée quelque part entre son retard et son café, s'était vue améliorer d'une proposition, si elle n''était pas indécente, n'en était pas moins alléchante.
Raison pour laquelle il entrait maintenant dans une salle de gym du centre-ville, sac sur l'épaule, prêt à se défouler de son trop plein d'énergie et de testostérone. Avec un peu de chance, les élèves de Luca comme de Cathan remercieraient ce genre de séance dès le lendemain.

Cathan replia ses lunettes de soleil en entrant dans le hall, saluant la personne à l'accueil avec un signe de tête, avant de se diriger sans sourciller dans les vestiaires. Vu les lieux, il aurait été difficile pour l'un comme pour l'autre des professeurs de ne pas retrouver l'autre, à moins de feindre une cécité impromptue. Repérer un grand américain roux ou un grand italien dans une petite salle de sport au milieu de japonais était à peu près aussi facile que de viser un éléphant dans un couloir à bout portant.
Et effectivement, en sortant des vestiaires, Cat ne put que repérer le rital, concentré sur sa bouteille d'eau comme si elle était devenue une boule de cristal à même de lui révéler son futur.

Une lourde claque sur l'épaule fut le moyen le plus délicat que trouva le roux pour rappeler le prof de sport à la réalité, réalité qu'il semblait fréquemment quitter ses derniers temps, comme ces gosses à qui il faisait cours et qui perdaient leur regard par la fenêtre. A la différence qu'il n'avait jamais parlé mathématiques avec Luca.

" Alors Tizzi, près à éliminer le superflu ? "

Superflu, qui, pour avoir vu le rital dans son plus simple appareil, était inexistant à l'exception de quelques gouttes d'encre incrustées dans son postérieur d'une plume taquine. Le mâle alpha était à nouveau là, le museau frémissant, en train de tourner autour de son rival à la recherche de la moindre faiblesse, le tout sous des couverts relativement amicaux.
Cat ne doutait pas que la séance allait se montrer éreintante, épuisante, pleine de sueur et de défis stupides. Il ne doutait pas non plus qu'ils allaient en adorer chaque instant.

Sourire moqueur collé sur le visage, Cathan leva les deux mains devant lui en signe de paix, amour et amitié – et tout autre terme qui aurait collé à la devise d'un pacifiste convaincu – au moment où l'autre se retournait vers lui, le poing levé dans une attention qui n'était pas des plus tendres. Poing qui se desserra et redescendit lentement alors qu'il passait d'objet non identifié et potentiellement dangereux à personne connue – mais pas forcément moins dangereuse. Il était toujours intéressant de constater que les trois colocataires de l'appartement 2 avaient les mêmes réflexes quand ils étaient surpris, cette même chaleur humaine envers l'autre qui les poussaient à serrer le poing plutôt qu'à ouvrir les bras. Pour son plus grand amusant et au désespoir de leur quatrième colocataire. Désespérait-elle de les voir se conduire en hommes civilisés ?

Aussi docile qu'un lion qui vient de manger sa part d'une proie, Cathan prit place sur un autre tapis et lança l'échauffement avec un regard presque identifiable en reproche au professeur de sport qui s'amusait à garder son titre et ses prérogatives même hors du lycée. Courir sur un tapis ne ressemblait pas à son idée de quelque chose de fun. Utile, certes, mais intéressant... enfin, il fallait bien en passer par là s'il voulait éviter le claquage que la compétition perpétuelle entre eux risquait d'amener. Il avait abandonné les entrainements en salle en arrivant au Japon, et une telle situation n'était pas sans lui rappeler les entraînements réguliers lorsqu'il était encore agent, face à des collègues du même gabarit que eux deux.

" Pauvre môme. Tu ferais mieux de prendre un chat, au moins lui pourrait te réveiller le matin."

La passion de Luca pour son fils ne devait avoir d'égale que celle qu'il vouait à sa mère et aux pâtes. L'adoration qui le liait à cette part extérieure de lui-même – et la dévotion avec laquelle il s'occupait de tous se besoins - aurait joué comme un magnifique vaccin si Cat n'avait pas déjà était convaincu que fonder une famille était l'équivalent mentale d'un suicide.
L'américain observait parfois son collègue, qui pourtant lui ressemblait sur bien des points, avec une fascination morbide, horrifié et surpris de le voir se transformer en bisounours quand son gosse lui mettait la main dessus. Comment quelqu'un pouvait-il ainsi changer du tout au tout ? Un véritable programme de lavage de cerveau d'une efficacité radicale.

" Et qu'est-ce qui t'as gardé au lit aussi longtemps ? Si encore tu passais tes nuits à l'extérieur... mais tu es presque aussi sage que Gaby sur ce point. Dommage, ça serait presque amusant de croiser de jolies japonaises en se levant le matin."

L'opposé de ses mœurs nocturnes, sans même évoquer celle du quatrième habitant de l'appartement. Pour ce qui était des sorties nocturnes, Radha était diablement habile et sacrément discrète, reprenant tous les jours sont habituels masque de secrétaire froide et désintéressée que Cathan ne pouvait décemment pas s'empécher de titiller de temps à autre. Juste pour le plaisir.

" Bon, on ne va pas rester la dessus des heures non plus ! "

Joignant le geste à la parole, Cathan tendit le bras vers la machine de son confrère, appuyant en une rapide succession sur la touche rouge dotée d'un gros plus. L’entrainement commençait.

Le rictus bien trop satisfait sur le visage de Cathan n'eut pas l'occasion de rester longtemps en place alors que son compagnon d'infortune – pardon d'entraînement – contre-attaquait en inversant l'allure de son tapis. L'américain ne dut qu'à de très bon réflexes de réussir à agripper la barrière pour se retourner sans se fracasser au sol en y laissant une cheville au passage. Quelques secondes plus tard le voyait sauter par dessus la même barrière, les bras toujours en appui dessus. Une fois seulement à l'abri des exactions du tapis maléfique, le professeur de math – quoique nul élève n'aurait cru à ce job après l'avoir vu ici – tendit la main pour éteindre l'appareil, lui redonnant une apparence inoffensive. Il supposait qu'en l’occurrence il l'était quand ni le rital ni lui se trouvaient à portée.

Avec un petit mouvement pour faire craquer l'épaule qui avait supporter le plus gros de son poids – minus la graisse inexistante pointée du doigt par Luca – Cat passa dans la salle suivante, celle blindée de machines destinées à affirmer une musculature digne de ce nom et à renforcer la concurrence entre les différentes concurrents tant l'on pouvait facilement voir la quantité de poids soulevée par les autres mâles présents. Laissant Luca à ses haltères, le roux posa son dévolu sur une machine à côté et régla rapidement les poids qu'il allait devoir se retrouver à tracter à la seule force de ses épaules. Quelqu'un lui avait un jour fait remarquer que ce genre d'appareils avait de remarquables points de comparaisons avec des instruments de torture – à part le côté auto-infligé et satisfaisant de la chose – et l'ex-agent en était relativement convaincu. Toutes ces sangles, barres de métal, élastiques et chaînes autour de lui... un fin sourire traversa le visage de l'américain. C'était probablement ce qui rajoutait à l’intérêt de la chose, non ?

La réflexion de Cathan se stoppa avant d'en arriver à la comparaison entre un certain appareil et un chevalet quand Luca l'interrogea, d'une voix que le métis ne put qualifier que d'incertaine. Voix et hésitation qui collaient bien mal au rital et qui lui fit interrompre un mouvement pour regarder avec attention le visage de l'autre, curieux des détails qu'apporteraient le langage corporel à tout ce qui n'était pas exprimé oralement.

" Radha ? Notre parfaite secrétaire de direction aux allures de panthère qui n'apprécie guère notre présence sur son territoire ? Dont la gentillesse est inversement proportionnelle à son tour de décolleté ? "

Ce n'était peut-être pas exactement les mots qu'il aurait choisi, ou qu'il aurait du choisir, mais Cathan était curieux de voir la réaction de Luca maintenant, de la même manière qu'on titille un fauve pour voir s'il va attaquer ou s'il va se contenter de dormir, ininterressé.
Quand à la gentillesse de Radha, pour faire simple, il n'avait jamais été là pour en témoigner, au contraire de sa froideur. Son décolleté – et le reste de sa plastique – à l'inverse, il s'en souvenait fort bien et ne pouvait la décrire qu'en un mot : parfaite. Étrangement, il était presque sur que ce n'était pas ce que voulait entendre le prof de sport.

" Ne me dis pas que tu envisages de gouter à la cuisine indienne ? "

Suffisamment méfiant à l'égard de l'autre mâle pour s'attendre à une répartie de ce type, Cathan put récolter ce qu'il avait semé – savoir une haltère en acier – sans trop de difficulté, un large sourire accompagnant le mouvement vers le bas que ne manqua pas d'entrainer l'haltère. L'objet fut déposé sur le banc de musculation, le rouquin préféra dédier son entière attention au rital. Ne pas rire était presque au dessus de ses forces, et s'il ne s'esclaffa pas à tout va, la manière dont s'étirait ses lèvres trahissaient sans aucune hésitation le sentiment qui animait le professeur de mathématique. Un requin aurait pu être jaloux du sourire qu'il décocha à l'ex-pilote.

" Moi, me moquer ? Est-ce réellement dans mes habitudes ? Et puis honnêtement, te voir te conduire comme un ado énamouré qui bave devant la belle secrétaire n'est pas si drôle que ça."

Pour plus de sécurité, Cathan garda une main sur l'haltère qu'il avait déjà reçu et un oeil sur le reste du matériel qu'avait Luca à sa disposition pour montrer son agacement envers les gentilles attentions de son confrère. Il n'était pas à l'abri d'une seconde haltère volante, ou de tout autre objet contondant d'un poids non négligeable lancé dans sa direction. S'il y avait bien une chose qu'il devait reconnaître au rital, c'était son sang chaud. Le voir piétiner comme un gosse en admiration devant une femme, aussi jolie soit-elle... était aussi amusant que perturbant. Selon le point de vue de l'américain, ça avait presque un côté malsain inquiétant. Enfin, tout le monde n'était pas gêné par l'idée de se montrer vulnérable envers une autre personne qu'il connaissait à peine mais dont lui était déjà parfaitement au courant des capacités de mystification. Il n'était pas donné à tout le monde d'être assistante de direction dans un établissement haut de gamme et à la fois strip teaseuse, le tout sans éveiller le moindre soupçon quand à ses mœurs. D'un oeil extérieur, il pouvait presque en être admiratif.
Non, décidément, posé sous cet angle, il préférait ne pas imaginer ce qui trottait dans l'esprit du professeur de sport.

" Et tu songes à lui proposer quelque chose à ta dulcinée, pardon à l'avenante demoiselle ? A part te battre pour ses beaux yeux alors qu'elle n'est même pas là pour voir ça ? "

Les mots avaient un gout de miel dans sa bouche, et le plaisir qu'il avait à les prononcer se retrouvait dans l'intonation de ses mots. Titiller Luca était un de ses petits plaisirs personnels à Gingko. S'il n'était pas la seule personne qu'il pouvait enquiquiner, il était l'autre gaijin sur lequel il était à peu près sur la même longueur d'onde et qui rendait autant qu'il prenait, rendant la colocation vivante. Se voir offrir de telles informations sur un plateau d'argent était inespéré – pour peu que la situation ne vire pas à la comédie romantique à l'américaine dont il serait le témoin involontaire. Si au moins Gabriel était là pour écouter ses commentaires...
Note : faire des paris avec Akutsu sur l'issue de cette potentielle relation pour occuper son temps en salle des professeurs.

Une soirée agréable autour d'un verre ? C'était tellement... adorable ? Romantique ? Incompréhensible ? Les trois termes flirtaient les uns avec les autres dans l'esprit de l'américain, qui depuis longtemps avait oublié les subtilités de la séduction en vue d'une relation longue durée pour des méthodes plus directes pour un résultat à court terme. Il ne s'était jamais plaint des bénéfices obtenus. Bien au contraire : l'idée d'une relation à long terme avait tendance à le faire courir plus vite que les poulains du club d'athlétisme sur lesquels veillait son collègue d'un oeil acéré.
Enfin, ce n'était ni la première ni la dernière fois que l'accent était posé sur leurs différences à l'un comme à l'autre. Leur unique point commun semblant être le plaisir qu'ils prenaient à exhiber muscles et testostérone dans un défi permanent, comme en cet instant.

Luca s'allongea, les muscles tendus sous la peau alors qu'il se dressait sur ses bras tendus, l'oeil vigoureux, près à se lancer dans un défi hors norme. Le sourire torve de Cathan gagna un degré de plus alors qu'il se levait pour rejoindre Luca vers les tapis de sol avec la nonchalance d'un félin désintéressé par le monde autour de lui. L'idée de relever le défi était loin de son esprit en cet instant – ils étaient dans un défi permanent, pas besoin de rajouter d'autres exercices pour le prouver - et se traduisit par le genou qu'il posa en travers du dos de Luca, pesant d'un bon poids pour rendre l'exercice bien plus difficile, sous le regard amusé de l'ex-agent.

" Hé, c'est toi qui a quelque chose à gagner avec Radha, ne mêle pas un innocent témoin dans tes difficultés de drague ! De toute façon, défi ou pas, c'est pas comme si j'allais cesser de te parler donc..."

L'américain appuya un peu plus fort sur le dos de son comparse, admirant au passage les capacités physiques de l'ancien pilote. Dire qu'il avait toujours considéré l'armée de l'air comme une bande de bras légers incapables de s'en sortir dans leur tonne d'équipement d'acier... Tous ne devenaient pas professeur de sport non plus, avec une réputation auprès des élèves à en faire palir de jalousie même le prof de maths. Ou presque. A eux deux, ils devaient hanter les trois quart des cauchemars professoraux de leurs élèves. Il était toujours agréable de voir le silence se faire religieusement quand il entrait dans sa salle de cours.

" Et avec un peu de chance, ton assistante de direction préférée répondra bien au stéréotype qui veut que sous des apparences glacées se cache quelque chose de plus... ardent. "

A ces mots, Cat se rejeta en arrière, se méfiant de la réaction de Luca avec tout l'instinct du chat qui sait qu'il a donné un coup de patte de trop au chien du voisin et que celui-ci n'est pas végétarien.
Malgré cette méfiance, difficile de ne pas se souvenir de la silhouette de Radha ondulant avec provocation sur scène. Sans aller jusqu'à tout raconter à son collègue, il aurait été injuste de laisser l'agneau innocent se précipiter dans la gueule du loup sans au moins le prévenir un minimum, non ?