Ca faisait plusieurs jours, plusieurs semaines même, que Sasuke n'avait pas croisé la route de Ranmaru... comme il le lui avait promis. Il avait prit soin de ne plus s'approcher du bâtiment administratif, de ne plus s'approcher du parking où Ranma garait sa moto et il évitait scrupuleusement de passer a proximité du club d'ikébana du lycée. Il avait eu du mal a tenir ses distances, comme par instinct il avait toujours envie de revoir le visage de l'intendant, d'entendre ses sarcasmes... mais il devait s'en tenir a sa promesse et ne plus recroiser son chemin. Il avait tout de même veillé a la sécurité de l'intendant, comme promis également, veillant sur lui a distance. Mais Ranmaru se débrouillait très bien sans lui, il évitait de se mettre dans des situations indélicates qui auraient pu nécessité de l'aide extérieur. Sasuke reconnaissait bien là, la fierté mal placée de l'intendant. Tout ca avait finit par les éloigner... Sasuke avait oublier beaucoup de choses sur celui qui lui rappelait autrefois Shizare. Peu a peu ses sentiments avaient finis par s'éteindre doucement et même s'il restait en lui une quelconque trace de ce qu'il avait pu ressentir pour l'intendant, il faisait en sorte de ne pas s'en souvenir, pour se préserver.

Et il avait eu de quoi oublier ces derniers temps. Pendant ses vacances il était retourné a la demeure du clan et avait eu sa dose de travail a fournir. Rien de bien intéressant puisqu'il devait toujours rester discret et ne pas attirer l'attention sur lui. La plupart du temps il était resté a la demeure pour s'occuper des nouvelles recrues du clan, leur enseignant les bases du maniement des armes a feu ou l'art du silence et du contrôle de soi. C'est hélas la seule chose utile qu'il pouvait encore faire pour son clan. Mais son oyabun semblait satisfait. Il avait félicité Sasuke pour ses efforts et souhaité bon courage pour la suite de ses études. Apparemment la famille comptait beaucoup sur lui pour l'avenir. S'il devenait avocat il serait bien plus utile a son clan que maintenant, mais ca demandait un peu de temps. Peut être même passer juge s'il arrivait a gagner du temps. Il ne quittait le manoir qu'une fois par jour, toujours a la tombée de la nuit... et toujours pour se rendre au même endroit: la tombe de Shizare. Comme il l'avait demandé a ses confrère du clan, la tombe était en parfait état. Les fleurs avaient été changé chaque semaines et la tombe était nettoyée de fonc en comble et il n'y avait pas de signes de dégradation. Sasuke était rassuré. Il avait ramené des lys blanc, la fleur préféré de Shizare et il s'asseyait calmement devant la tombe pour parler dans le vide. Il n'était pas convaincu que Shizare était là quelque part, il avait juste besoin de lui parler... même s'il ne l'écoutait pas.

Et puis quand le temps fut venu il était repartit pour Ginkgo où il avait reprit son habituel rituel de vie scolaire. Les journées se succédaient les unes après les autres et Sasuke ne changeait pas ses habitudes.. même s'il avait eu quelques imprevus, notamment quelques rencontres auprès de la gente féminine. Il aurait presque finit par croire qu'il avait du succès... s'il y avait porté attention bien entendu. Après avoir passé un peu de temps dans ses livres a la fin des cours, Sasuke avait décidé de prendr un peu l'air et était sortit dans le parc en se laissant guider par ses pieds. Un peu perdu dans ses pensées il ne fit pas attention a l'endroit où il se dirigeait. Quand il redressa la tête il se rappela sans mal de l'endroit où il se trouvait. C'était là qu'il avait croisé Ranma la dernière fois, alors que l'intendant cherchait du bois pour ses confections florales. Il fit un pas en arrière avant de regarder les alentours. Personne... Ranma ne devait plus venir ici non plus de peur de le croiser. Il soupira légèrement et s'avance de nouveau, allant s'assoir au pieds d'un arbre, s'adossant contre le tronc. Pas de soucis a se faire, il avait un peu de temps pour lui et il aimait bien l'endroit. Il fouilla dans sa poche et s'alluma une cigarette. Il avait peu de chances de se faire prendre ici alors autant en profiter. En peu de temps il s'était confortablement installé et restait assis en silence, regardant le ciel bleu a travers les branches fines de l'arbre.

La matinée était passée dans un flou de mauvaise humeur et de travail acharné. La journée avait bien mal commencé quand l'intendant avait du s'y prendre à trois reprises pour réussir à éteindre ce fichu réveil dont la radio diffusait plus de bonne humeur qu'il ne pouvait supporter le matin au réveil. Si la raison de la résistance du petit appareil électronique à toute tentative de sa part pour être éteint était fortement liée à la position de ses lunettes sur la table de nuit, et non sur le bout de son nez, Ranmaru n'avait pu s'empécher d'y voir une sorte de signe cosmique lancée par un kami malicieux, soit pour mettre l'accent sur un réveil télékinésiste, soit sur le fait que sa vue se dégradait.
Qu'importe, il avait fini par réussir à faire taire l'idole insipide qui déclamait sa chanson avec toute la verve d'une cantatrice aphone, et avait ensuite réservé son meilleur regard meurtrier au premier de ses colocataires qu'il avait pu croiser, à savoir le professeur d'anglais. Une telle bonne humeur aurait du être interdite autour de lui, sentiment que l'intendant lui fit passer le temps de préparer sa tasse de thé. Une fois relativement humain, Ranmaru était parti s'enfermer dans son bureau, tentant de s'ensevelir sous les taches administratives pour le reste de la journée.

Sans compter les délicates intentions des secrétaires, toujours présentes. Bien trop présentes. A faire des allez-retour dans son bureau avec ou sans justification, à lui proposer un thé, une pause, un gateau fait maison ou il ne savait quoi d'autre. Il avait réussi à en faire fuire une à force de remarques cinglantes, quand à la seconde... elle avait tout simplement pris ses remarques comme un défi, revenant à la charge quand elle pouvait, lui donnant envie de laisser un memo au directeur comme quoi les secrétaires n'avaient pas assez de travail si elles pouvaient jouer à ce genre de petit jeu.
Le moment où il avait fini par réellement craquer, avait été peu avant midi, après la 3ème interruption, quand il avait fermé la porte à clé pour finir son dossier sans plus d'interruption... et qu'elle était venue délicatement frappée à sa fenêtre pour lui demander s'il n'était pas enfermé et si elle devait faire venir un technicien. Après une diatribe qui avait fait sortir quelques têtes dans le couloir, la secrétaire n'était lus revenue à la charge, et avec un peu de chance, mettrait au moins une semaine avant d'oser venir le déranger à nouveau.

Le reste de la journée était passé de manière plus discrète, plus personne n'osant franchir la porte de son bureau pour quelques raisons que ce soit, pour son plus grand plaisir.
Quand enfin son dossier avait été fini et qu'il avait pu déposer le compte rendu sur le bureau de la secrétaire, Ran comprit la cause du silence de la dernière heure : les bureaux étaient vides depuis déjà un moment, quand chacun avait fini part partir après une longue journée de travail. Plonger dans les chiffres, l'intendant avait fini par occulter l'heure. Sans se presser, il était retourné dans son bureau se faire un thé et était sorti dans le parc, tasse brulante en main, profiter des dernières bribes de chaleur de la fin de l'été qui commençait à s'estomper au profit de l'arrivée de l'automne.

Le fait d'habiter un appartement de fonction avait quelque peu modifié ses habitudes – non pas de travailler longtemps – mais la possibilité de flaner tranquillement dans le parc sans se presser pour retourner dans son appartement qui n'était au final qu'un étage au dessus, avec, en théorie, la possibilité de se décompresser après une journée qui le laissait toujours avec l'envie nette de mordre quelqu'un, comme si l'engueulade avec la secrétaire n'avait pas été suffisante pour adoucir son humeur. Y avait-il seulement quelque chose susceptible de l'amaouder assez ça ?
Certainement pas son appartement, où, même si y attendaient ses chers livres et ordinateur, il risquait de croiser ses colocataires.

L'odeur du tabac attira sur son visage une moue agacée avant même qu'il n'ait pu voir l'étudiant installé dans l'herbe. Qui avait décidé qu'il ne serait jamais tranquille aujourd'hui ?
Un pas de plus lui permit de voir le visage de l'étudiant en question, en même temps que le regard sombre se posait sur lui. Impossible de faire demi-tour sans donner l'impression – la réalité ? - de faire demi-tour.

" D'accord, j'ai compris, cette journée est vraiment sous le signe d'un kami malicieux."

Adieu le brouhaha et le chahut des salles de classe. Ras le bol de jouer le rôle du type sympathique et timide qui ne parle pas beaucoup. Ras le bol des filles qui jacassent et qui gloussent dès qu'on leur accorde un regard et des gars qui parlent fort et qui rigolent sur des choses sans importance. Une horreur. C'était pas pour lui une vie pareille, pas pour lui, pas son genre de fréquenter se genre de personnes et pourtant il allait devoir s'y faire, il n'en était encore qu'au début de son périple. Le but étant d'obtenir son diplôme d'avocat le plus rapidement possible... et pour le moment il en était encore loin. C'était un autre univers ici, une autre monde avec des gens bien différents de ceux qu'il a l'habitude de fréquenter... et il avait toujours l'impression de ne pas être a sa place, en perpétuel décalage avec cet univers tranquille et paisible. Pas de coups de feu, pas de blessures, pas de combats ou de sang, ici on ne jurait que par la paix permanente sans même se soucier de la violence qui existait pourtant belle et bien juste sous leur nez! Ca devait être agréable de vivre comme ca... mais pour Sasuke c'était un vrai désastre.

Alors qu'il commençait a s'endormir, cigarette entre les lèvres, bercé par le peu de calme qu'il avait pu trouver... il n'eut aucuns mal a entendre des bruits de pas venant dans sa direction. Un élève? Un prof? Sasuke redressa vivement la tête et.. croisa un regard qui lui était familier. Il ne sait pas trop si son coeur venait de rater un battement ou s'il venait de frôler la crise cardiaque mais en tout cas il était sur que ca le troublait un peu. Ranmaru... ca devait faire des semaines qu'ils ne s'étaient pas croisés tout les deux.. et la dernière fois n'avait pas vraiment été une partie de plaisir pour Sasuke. Du moins a la fin en tout cas. Personne n'apprécie de se prendre un mur de brique quand il avoue ses sentiments a quelqu'un... logique que Sasuke ait eu besoin d'un peu de temps pour penser a autre chose. Il resta un moment silencieux sans comprendre les paroles de Ranmaru, se remettant en position assise, la cigarette entre les lèvres. Qu'est ce qu'on pouvait bien dire dans ce genre de situation? Rien de bien éloquent malheureusement, que des clichés idiots.. pas le choix il faut dire.

"Salut... "

Se contenta-t-il de dire calmement de son habituel voix monocorde et dénuée d'émotion. Sur le coup Sasuke aurait bien voulu se foutre une baffe. On avait pas idée de dire des conneries pareilles... Salut... et puis quoi d'autre encore? Ba... au point où il en était hin, un peu plus, un peu moins tant pis. Et puis a bien y réfléchir ca faisait longtemps que Sasuke n'avait plus rien a perdre avec Ranma.

"Ca faisait...longtemps... Vous avez l'air en forme..."

Désabusé et distant, voilà ce qu'était le jeune homme, aux antipodes d'un souvenir unique lors d'une soirée à laquelle il ne préférait pas repenser. Sans être pyschologue, Ran avait suffisamment écrit d'histoire de ce genre pour être capable d'étudier la situation avec un peu de recul, comme un témoin silencieux. Pire, il était assez adulte pour comprendre. Et pour juger.
Et rien de tout cela ne rendait la situation plus facile ou agréable. L'intendant pas plus que l'étudiant n'avait envie de se voir rappeler qu'il était humain, et qu'il appréciait par moment, de très rares moments, la compagnie des autres. Quelques mots échangés, une discussion un peu vive qui tournait au débat, ou des mains chaudes sur ses épaules.

Ranmaru resserra sa main sur sa tasse chaude, la portant à ses lèvres pour profiter du breuvage doux amer. Au final, c'était presque apaisant de voir que ce début de relation, non cette infime possibilité de relation, avait viré comme les autres vers une joute verbale incessante sous tendue par l'agacement et le malaise. Quelque chose qu'il connaissait et qui était bien plus gérable à ses yeux.
Machinalement, sa main se posa sur l'écorce de l'arbre, cherchant un appui fixe sur lequel se reposait. Sans s'en rendre compte, il avait fini par aquérir quelques mauvaises habitudes à cause de sa vue déclinante, comme par exemple de toujours rechercher un appui, ou de tendre la main pour vérifier les distances autour de lui. Habitudes qu'il restreignait dramatiquement quand il était en public et qui se traduisait par un nombre toujours grandissant d'hématomes sur son corps. Son intégrité mentale valait bien quelques accrocs à son intégrité physique.

" Selon le bibliothécaire, je suis enfermé dans mon bureau comme un ours dans son antre. L'expérience est reposante."

Du moins , aurait du l'être sans les interactions incessantes imposées par ceux qui ne connaissaient pas leurs limites – ou les siennes en l'occurrence – et tentaient de le faire sortir de sa tanière ou de ses gonds. Le second semblait éminemment plus simple que le premier.
Au moins Sasuke ne faisait-il pas parti de ceux là. Il était... tout simplement. Sans le vernis, sans cette horrible volonté de le sociabiliser comme la secrétaire ou son colocataire. S'il avait été un peu trop intéressé et intéressant à un moment, le comportement habituel de Ran, odieusement cassant, avait suffit à briser à cet engouement. Et si l'idée était un peu dérangeante, l'intendant le gardait pour lui.

Un des petits détails qui rendaient ses problèmes visuels vexants étaient qu'il lui rendait quasiment impossible de regarder les gens avec un minimum de discrétion. S'il avait l'heure de vouloir observer l'expression de quelqu'un, il ne pouvait qu'entièrement tourner la tête et le regarder en face, quasiment droit dans les yeux, pour que l'autre visage s'intègre dans son champs de vision. Dans la vie de tous les jours, ce n'était guère génant, sauf à des moments précis, comme celui-ci, où la limitation physique se fit à nouveau ressentir.
Un soupire finit par s'échapper des lèvres fines de l'intendant alors qu'il considérait la situation.

" Vous n'êtes pas obligé de me parler. "

Il s'était attendu au silence complet de l'autre. C'était ce qui était attendu, non ? Il l'avait rembarré l'autre se vengeait. Pas de discussion difficile.

Sasuke se sentait un peu mal a l'aise... pas vraiment a sa place, alors que quelques temps plus tot tout allait bien, il devait maintenant faire face a Ranmaru qu'il avait prit soin d'éviter jusque là. Il se redressa un peu plus sans quitter l'intendant des yeux. Il n'avait pas changé, il semblait toujours aussi asocial qu'avant, pas de changements de ce côté là. Cette pensée rendait tout de même Sasuke ... heureux... C'était possible ca? Non pas un réel bonheur.. juste une légère satisfaction de voir que Ranmaru était toujours le même, qu'il n'avait pas changé pour devenir un autre. il se demandait s'il avait toujours autant de problèmes de vue, s'il arrivait a s'en sortir sans son aide. Il se souvint vaguement de cette sensation de chaleur quand il prenait la main de Ranma... et il l'oublia aussi vite qu'elle était venu, comme avalée par un trou noir, là où Sasuke rangeait tout ses souvenirs un peu dérangeant. Il eut vaguement la réponse a sa question en voyant Ranmaru poser sa main sur un arbre proche... besoin d'un appui, d'un point fixe. Hum... Sasuke était loin d'être débile. Il soupira légèrement de manière inaudible avant de se relever, nettoyant un peu son pantalon en tapotant dessus pour finalement regarder de nouveau l'intendant.

"Je vois..."

Fit-il simplement aux premières paroles de Ranmaru. Un ours hin? Ca lui allait bien. Il savait que Ranma avait quelques points communs avec lui, notamment le fait qu'ils n'aimaient pas la présence pesante des gens autour d'eux. Sasuke avait trouvé le bon compromis: il s'en allait quelques heures quand la situations devenaient trop sociale pour lui. Il n'aimait pas vraiment être désagréable avec les gens, alors il se contentait de s'en aller tout simplement, ca lui évitait des prises de tête qui auraient tot fait d'arriver a bout de sa patience légendaire. Le reste des paroles de Ranma lui fit garder le silence quelques instants. Obligé de lui parler.... qu'elle idée. Il fit un pas en avant et finalement s'arrêta. Il fallait qu'il contienne ses pulsions... et pour le moment ses pulsions le poussait vers Ranmaru dans le but de le prendre dans ses bras. Nul doutes que ca ne plairait pas a l'intendant... Sasuke avait dit qu'il resterait a l'écart dorénavant... alors il le ferait, même s'il devait refouler certaines choses.

"... Je ne me suis jamais sentit obligé... de te parler..."

Finit-il par dire, sans se soucier de savoir si le tutoiement volontaire allait poser problème ou pas.

"... Je me suis contenté de respecter ma promesse... Rien de plus... Ca ne change pas le fait que je t'apprécie... "

Ca ne change pas le fait que je t'apprécie...
Sasuke semblait toujours prononcer des phrases qu'il aurait pu écrire dans ses romans. Des mots doux et délectables qui auraient du caresser le coeur de quelqu'un de moins frigide que lui, des tournures suaves promptes à éveiller les sentiments. Chez n'importe qui d'autre probablement. Les certitudes et les habitudes de l'intendant étaient bien trop ancrées en lui pour qu'il vacille à nouveau. Si, pendant quelques instants, à cause d'une main chaude dans l'obscurité quand il en avait eu besoin, il avait failli y croire, avec le recul, Ran voyait la faille telle qu'elle l'était. Un moment d'angoisse où la stature solide et tranquille du rônin avait fait merveille. Est-ce que des histoires se batissaient à partir de telles bases ? Sans aucun doute, si les deux partenaires étaient volontaires. Condition sine qua non, et que Ranmaru entendait bien ne pas remplir.

" Je ne suis pas certain de vouloir connaître quels sont vos autres passe-temps si vous trouvez ma compagnie agréable."

Une ombre de sourire était passée sur le visage de Ran, vite oubliée pour être remplacée par une moue curieuse puis pensive, ombrée par les branchages des arbres au dessus de sa tête. S'il n'avait été si dérangé par l'absence de lumière, la couverture de l'ombre aurait surement été une fuite de son choix, maintenant ou un autre jour. Mais ce n'était plus une option dont il disposait, non ?
Avec une certaine saveur, l'écrivain devait admettre qu'on ne prenait réellement compte des choses simples devant soi qu'au moment où on les perdait. Jamais dans sa vie il n'aurait cru que voir les gens sur le côté, ou ne pas être dérangé par la semi-obscurité du soir qui tombe, étaient des points importants de son existence pour lui, être casanier s'il en existait. Certes, passer la fin de sa vie enfermé dans un appartement de deux pièces face à son ordinateur pour écrire n'était pas si horrible que cela, même pour lui mais... mieux valait ne pas tenter d'imaginer le futur puisqu'il semblait certain que même cela ne lui serait pas autorisé.
Et après, il se demandait pourquoi il était touché par les mots mélodieux d'un tout jeune homme ? La vérité n'était pas tendre, ni pour lui ni pour Sasuke.

" Vous avez surement d'autres passe-temps plus intéressants."

Le tutoiement n'avait pas échappé à Ranmaru, et s'il n'avait pas cherché à le mentionner, il s'était refusé à l'utiliser lui aussi, préférant garder les distances que conféraient le vouvoiement . Tout en lui, de sa position en retrait, quasiment prete à fuir, à la manière posée dont il gardait en place les plus petits détails de la distance même dans son vocabulaire, montrait son choix d'une manière tellement formelle qu'elle en devenait amusante.
Après une journée aussi énervante que la sienne, la finir sur une touche de conversation aussi tranquille avait quelque chose de ... surréaliste ? Comme si jamais, tranquillement installé ainsi dans le parc, il n'aurait du trouver quelqu'un avec qui parler de manière presque normale, même si les mots et les sentiments ne l'étaient pas vraiment.

C'était comme un progrès dans la sociabilité fait en marche arrière, une réussite qui n'était qu'un échec des plus total.

Sasuke restait sagement debout, faisant face a Ranmaru et gardant le silence. Son air stoique ne quittait plus son visage et sa voix monocorde semblait être la seule qu'il pouvait utiliser pour ne pas paraitre désagréable. Il gardait ses distances malgré l'envie de faire quelques pas en avant... ca n'aurait servit a rien hormis les mettre mal a l'aise tout les deux. Et il était évident que Ranma cherchait plus a fuir qu'autre chose. Les mots étaient blessants.. Sasuke en arrivait a se demander si Ranma cherchait a lui faire mal. Malheureusement pour lui le yakuza encaissait bien ce genre de chose et se contentait de les oublier aussi vite qu'il les avait entendu, ne gardant en mémoire que peu de choses de cette conversation stérile. En revanche son regard ne quittait pas Ranmaru, sans ciller, sans se défaire de son visage il le fixait intensément comme s'il cherchait a garder en mémoire le souvenir de l'intendant comme il était aujourd'hui. Il se contenta au final d'hausser les épaules, lentement, avant de passer une main dans ses cheveux pour remettre en arrière une mèche rebelle qui lui tombait devant les yeux, faisant cliqueter ses bracelets de métal.

"Je ne pense pas que mes passes temps t'interessent... Et si je suis ici c'ets que de toutes évidences je n'ai rien de mieux a faire..."

Fit-il d'une voix froide, bien plus froide que celle qu'il avait pu avoir a une époque pour l'intendant. Il avait beau avoir des sentiments sincères a son égards, et ne pas être du genre a changer d'avis comme de chemise, il n'en était pas moins quelqu'un de raisonnable. Il n'avait aucunes envies d'insister un peu plus pour obtenir Ranma si celui ci ne le voulait pas. Il n'était pas non plus du genre a foncer tête baisser dans un mur en espérant le faire céder a l'usure. Il avait autre chose a faire... et le temps ferait son office. Même si le jour était loin où Ranmaru ne serait plus qu'un vague souvenir, il finirait bien par venir... Un peu de patience. Il finit par soupirer, déviant le regard.

"Si tu veux que je partes... tu n'as qu'a le dire, je le ferais."

Fit-il froidement avant de regarder de nouveau l'intendant, se refusant a sourire... pourquoi le ferait-il? Pour le réconforter? Il n'en avait pas besoin... et ca serait surement plus facile pour les deux si Sasuke se montrait aussi désagréable que son opposant.

"Ne te force pas... a me parler.... Se serait plutot a moi de le dire, non?"

Ranmaru inspira une fois profondément, essayant de s'astreindre à un de ces exercices de respiration qu'il avait souvent entendu faire pratiquer aux élèves dans les dojos. La seconde inspiration, pas plus que la première, ne réussit à dénouer le noeud serré qui s'était formé dans son ventre, sourd et brulant, marquant comme un tison brulant la colère qui grandissait en lui comme une braise couve sous la cendre. La paisible balade dans le parc n'avait au final pas suffis à atténuer tout l'agacement d'une journée qui n'avait connu qu'énervement et vexation, et l'apparence doucereuse sous laquelle il s'était caché devant Sasuke s'étiolait au fur et à mesure des mots du jeune homme.
Dans ses paroles énoncées d'une voix plate, le rônin était plus agaçant qu'il ne l'avait été auparavant. A quoi s'attendait-il ? A quoi s'attendaient-ils l'un comme l'autre ?

L'intendant serra un peu plus fort la tasse à moitié vide entre ses mains, ne devant qu'au bas niveau du thé le fait de ne pas s'arroser les pieds du liquide parfumé. Eut-elle était plus fragile qu'elle se serait brisée entre ses mains comme une fleur délicate. A la place, le chemin choisi pour la destruction fut plus directe : Ran leva le bras et jeta la tasse de toutes ses forces dans la direction plus ou moins vague de l'ex-yakuza. Il n'eut même pas le plaisir d'entendre un bruit éclatant de fracas, contre un tronc ou autre chose : la tasse se heurta à quelques branchages et atterri sur le sol herbeux dans un bruit mat, un faible bruit de porcelaine le prévenant qu'elle venait de se fendre pitoyablement sur le sol.
Une de ses tasses préférées, et il n'était pas plus défoulé que ça. Le pire devait être qu'à cette distance, et dans cet angle de vue, il ne pouvait même pas deviner la forme opaline de la tasse cassée dans l'herbe aux couleurs vives. Le monde ne lassait pas de se moquer de lui par mille et une petites vexations.

" Tu es toujours aussi manichéen ? Noir, blanc, il n'y a jamais d'autres possibilités dans ton monde ?"

Sortie de ses lèvres, lui qui ne voyait jamais le monde que dans un camaïeu de teintes sombres, la phrase était odieusement ironique, mais qu'importe, il n'avait jamais promis être de bonne foi.
S'énerver sans raison, et pour le moment sans remord, par contre, il voulait bien assumer.
Les yeux étrécis et les poings serrés le long du corps, le dos raide et les lèvres serrées dans une moue particulièrement tendue, il entendait bien ne pas laisser de terrain dans un combat auquel il était en fin de compte l'unique participant.

" Effectivement, ce serait plus simple si je n'avais pas du tout envie de te parler. "

Allons bon... il savait que Ranmaru était plus habile avec ses mots qu'avec ses poings et voila que ca se confirmait. Sasuke avait bien vu la crispation de l'intendant sur sa tasse, il avait sentit que quelque chose n'allait pas et quand il leva le bras il savait aussi qu'il allait se prendre la tasse en pleine gueule... Et pourtant il ne bougea pas d'un iota, près a accepter de se recevoir le coup en pleine face s'il le fallait. Et il eu beau attendre... rien ne se produisit. La tasse avait été lancé, il ne s'était pas donné la peine de la suivre des yeux, gardant son regard figé sur le jeune homme en face de lui. Un bruit mat lui fit comprendre que la tasse venait de percuter un obstacle et avait finit sa course sur la pelouse. Sasuke ne dit rien, ne bougea pas et resta immobile. Il fixait Ran sans rien dit, se contentant de l'écouter. Quand il eu finit, il se décida enfin a soupirer longuement en détournant le regard, cherchant la tasse des yeux qu'il trouva, a moitié fendue au sol a quelques pas de lui.

Il quitta son immobilité pour aller la ramasser, caressant l'émail brisée du bout du pouce et retirant les quelques brins d'herbes qui la souillait. Pourquoi fallait-il toujours que ca se passe mal? ... Pourquoi fallait-il toujours qu'ils se percutent mutuellement avec leur carapace? Aucunes idées... mais une chose était sur: ils n'en tireraient jamais rien de bon, ni l'un, ni l'autre. Il fit volte face pour avancer d'un pas lent vers Ranma. Le bruit de ses chaines en métal cliquetant doucement a chacun de ses pas, une mèche d'argent lui barrant le visage poussé par un souffle de vent discret. Il s'arrêta a un pas de lui, l'observant en silence, tenant toujours la tasse dans une main... l'autre se levant lentement pour venir se poser sur la joue de l'intendant. Il caressa sa peau du bout du pouce, restant toujours aussi impassible et désinvolte, même si ses yeux pouvaient peut être le trahir un peu. Il s'inquiétait. Si Ran l'avait manqué... se n'était surement pas parce qu'il l'avait voulu. Il ne trouvait rien a dire, rien de mieux a faire que d'être là, devant lui a lui caresser la joue en silence, l'observant longuement dans les yeux.

Au bout d'un moment, il abaissa sa main pour venir prendre la sienne et lui remettre la tasse fendue.

"A cette distance là... tu ne devrais pas me louper..."

Dit-il simplement. Après tout... si ca pouvait lui faire du bien, un minimum de bien, de le frapper... qu'il le fasse...

L'intendant frissonna au contact avant de hausser les épaules avec un certain fatalisme devant son échec. Pourquoi s'acharnait-il avec sa délicatesse ? Il aurait eu tout à fait le droit de vouloir lui coller une claque pour cette tentative réelle d'agression, même si elle n'avait pas porté ses fruits. Il fallait croire que ce n'était pas le point de vue du rônin. Opposer douceur à son propre comportement était déstabilisant. Il avait l'impression d'être dans la fourrure d'un animal blessé que quelqu'un tentait d'apprivoiser avec patience. La seule question qui flottait à son esprit était : pourquoi ?

Sans un mot, Ran récupéra les morceaux de tasse brisée et les serra contre lui à la manière d'une mère qui serre contre son coeur un nouveau-né mort : sans comprendre ou vraiment réaliser ce qu'il tenait, avec juste la certitude qu'il ne devait pas le lâcher. Les morceaux cassés étaient durs et coupants entre ses mains, mordant et appuyant sur la peau à l'extrème limite de la rompre sans pourtant réussir à faire perler le sang. Métaphore de sa vie actuelle ? A la limite de quelque chose sans arriver pourtant à passer la frontière de la réelle catastrophe. Juste quelque chose en suspend, une épée de Damoclès toujours en attente qui ne lui laissait jamais l'esprit en paix. Ses cils bruns se baissèrent quelques secondes, ombrant ses joues pâles comme autant de cernes sinistres donnant un aspect lugubre à ce visage marmoréen.
Quand il redressa la tête, ce fut pour montrer des yeux aussi dur que l'onyx, bien trop brillants.

«  Tu aurais préféré que je ne te rate pas ? »

A dire vrai, si la tasse était vraiment entrée en collision avec le jeune homme... Est-ce que le sang qui coulait d'une blessure provoquée avait une quelconque vertu thérapeutique ? En règle général, l'intendant était non violent. Sans être pacifique ou opposé aux conflits, il ne réglait pas ses soucis par la simple force physique ou la brutalité. Et en étant simplement honnête, la souffrance ne lui apporterait rien, juste un vague sentiment d'avoir pu extérioriser sa rage. Un rictus ironique se glissa sur les traits fins de l'écrivain, lui donnant un vague aspect autre que celui qui était le sien habituellement. L'espace d'une seconde, ce fut un autre, quelqu'un qui s'exprimait réellement, qui prit possession de son corps.

«  J'ai l'impression que tout ça est tellement vain, tellement inutile. Quoiqu'il se passe, quoi qu'on puisse dire... d'être juste spectateur. »

Voilà qu'il se mettait maintenant à parler comme dans un de ses livres, sensation étrange s'il en était. Il prenait habituellement un soin particulier à rester loin de ces allégories de sentiments lyriques qui s'envolaient pour ne rien dire. Bientôt il lui faudrait une enveloppe, selon les rites consacrés par la jeunesse.

Il resta là, immobile devant lui, toujours aussi impassible et imperturbable que d'habitude. Il regardait Ranma, incapable de se détacher de lui, essayant de ne pas trop s'inquiéter pour lui. La situation devenait pour le moins... embarassante. Voila qu'il ne savait plus ce qu'il devait dire. Il n'était décidément pas bien doué dans les relations sociales et encore moins pour les conversations sentimentales de ce genre là. Il avait beau faire des efforts, il était toujours irrémédiablement attiré vers l'intendant. Et pourtant ce n'était pas faute d'avoir fait des efforts pour ne plus le croiser. Il c'était occupé l'esprit pour éviter d'y songer mais maintenant qu'il l'avait en face de lui... ca devenait bien difficile. Seulement il restait réaliste... ca ne marcherait pas. Pas si Ranma restait sur la défensive, pas sir Sasuke ne faisait pas un minimum d'efforts de son côté. Et comme ni l'un ni l'autre ne semblait décidé a faire le premier pas, il était évident que les choses n'iraient pas en s'arrangeant. C'est étrange parfois de voir a quel point les choses deviennent compliquées, non pas parce qu'elles le sont.. mais parce que les gens les rendent compliquées. Et Sasuke, a lui seul, n'avait pas le pouvoir et la force nécessaire pour faire changer le cours des choses.

Il se contenta donc de soupirer légèrement aux paroles de l'intendant. D'un certain côté... oui il aurait vraiment préféré que Ran ne le rate pas. Au moins il aurait fait naitre chez lui une réaction autre que de l'indifférence, même si c'était juste une élan de rage, peu importe, c'était mieux que rien. Il ne savait pas s'il devait le lui dire ou pas... et puis après une rapide réflexion il se dit qu'il fallait finalement mieux qu'il garde sa langue derrière ses dents et qu'il n'en dise rien. Il resta un long moment silencieux, fixant le regard de pierre de Ranma, jusqu'a ce que celui ci ne reprenne la parole... Et ce qu'il dit serra un peu le coeur dur de Sasuke. Etre spectateur? Et bien il ne s'attendait pas a ca. Il finit par .. sourire... légèrement, fixant toujours le jeune homme, se retenant pour ne pas le toucher de nouveau.

"Tu es spectateur parce que tu le veux bien... Je ne vais pas te forcer a apprendre ton script ou a jouer un rôle dans une pièce qui ne te plait pas. "

Il soupira un peu et leva les yeux au ciel pour éviter de regarder le jeune homme.

"Et effectivement... si tu ne te donne jamais la peine d'essayer quoi que se soit.. oui ca sera toujours vain et inutile. Tu pars défaitiste dès le départ, persuadé d'aller droit dans un mur avant même d'avoir mis un pieds sur la route. Comme si tout ce que tu allait entreprendre était forcément voué a l'échec, irrévocablement."

Il sourit légèrement et reposa ses yeux sur l'intendant.

"Alors... que c'est faux, tout ca. Tu as tord... et le pire, c'est que je suis persuadé que tu le sais..."

Le mine de l'intendant était défaite, son regard lointain, comme s'il avait laissé derrière lui sa colère comme on jette une cape mal taillée, qui, si elle tient chaud et protège des intempéries, reste malcommode le reste du temps. La métaphore était grossière : il avait passé tellement de temps en colère durant sa vie, contre une chose ou une autre, qu'il n'imaginait pas vivre sans ces brefs accès, ces moments de houles qui jonchaient sa vie au même titre que son habituel dédain des autres. A croire que la cape était faite maintenant sur mesure, et qu'il avait bien froid quand il la retirait.

Ranmaru regarda autour de lui, la lumière de l'après-midi qui baissait. O, à peine d'un début de pénombre, de celle qui se contentait de rendre les ombres plus solides et les couleurs moins constrastées, mais elle suffisait déjà à empiéter dans son champs de vision, à lui donner l'impression que la lumière se faisait dévorer par tous les objets autour de lui jusqu'à ce que la lumière elle-même se fasse rare. D'abord les couleurs, puis les contours qui étaient moins précis, jusqu'à ce que tout se confonde dans un magma informe qui deviendrait l'obscurité.
Combien de temps avant l'échéance ? Des dizaines de minutes, une heure ou deux encore, pendant lesquels les différences ne seraient pas remarquables avant qu'il ne lève les yeux dans le noir complet.
Et combien de temps encore avant qu'il ne se réveille complètement dans le noir alors que la lumière dehors n'étaient pas couchée ? Cinq ans, dix ans ? Aucun moyen de savoir, avec comme seul point de repère une vue qui allait se rétrécir progressivement. Le verrait-il réellement arrivé, ou comme pour l'ombre, n'en prendrait-il conscience qu'à la toute fin ?

«  Difficile de vouloir être optimiste devant une maladie qui n'a pas d'espoir de rémission ou d'amélioration. Difficile d'imaginer le soleil quand on sait qu'à plus ou moins long terme ce sera la nuit pour moi. Je n'appelle pas ça être pessimiste, mais être réaliste. Quand au fait de mettre ça de côté pour continuer à vivre... Vous pensez vraiment qu'on peut arriver à vivre en oubliant ce qui nous marque ? Que le passé, ou le reste ne devrait pas influer sur ce que nous sommes ? »

Avait-il un jour parlé aussi longtemps et aussi aisément, à Sasuke ou un autre ? La discussion était devenue une réelle conversation, avec des interrogations sincères. Il était aussi simple de placer les choses sur un plan plus théorique que de parler de lui-même réellement. Peut-être arriverait-il quelque part ainsi.

C'était presque surréaliste de penser que Sasuke pouvait être là, calme, serein, a parler calmement avec un mec qui quelques minutes plus tot avait tenté de lui fracasser le crane avec une tasse a thé. Impensable de voir que le yakuza, qui aurait habituellement tourné les talons au plus vite sans un regard en arrière, avait fait un pas en avant pour entamer une conversation. Ce qu'il voulait? Rien... il s'inquiétait pour Ranma, il était là pour lui parler quand l'intendant le souhaitait, il restait dans l'ombre quand il le devait. N'allez pas non plus le prendre pour un ange gardien, loin de là. L'ange gardien est bienveillant, propre sur lui... Sasuke n'est pas vraiment blanc comme neige. Mais il était là; silencieux, impertubable a parler des aléas de la vie et de ses dérives avec Ranmaru.

Un coup d'oeil vers le ciel lui apprit que la nuit ne tarderais pas, il faut dire que le temps passait vite sans que le yakuza ne s'en rende compte. Depuis qu'il avait reconnu la sillouhette de l'intendant il avait l'impression que le temps s'était arrêté, comme si devait prendre son temps pour écouter ce que Ranma avait a lui dire, prendre le temps de lui répondre. Sasuke n'avait jamais fait de détours pour dire ce qu'il ressentait, il ne s'était jamais fatigué a élaborer des stratagèmes pour cacher ses sentiments ou autre. Il les disait clairement quand on le lui demandait, il ne se retenait pas dans ce qu'il voulait faire, il n'avait pas envie de se montrer sous les traits de quelqu'un qu'il n'était pas. Et pour une fois que Ranma se permettait de lui parler ouvertement de ce qui le tracassait, de ce qu'il ressentais... il n'allait pas se faire prier pour répondre, essayait au moins de le rassurer... s'il y parvenait tant mieux, sinon tant pis il aura au moins la satisfaction d'avoir essayé.

Il fut un peu surpris de voir que Ranma lui parlait sincèrement d'un sujet qu'il savait douloureux pour l'intendant. Agréablement surprit d'ailleurs, bien qu'il ne sache pas vraiment pour qu'elle raison Ran se mettait soudain a lui parler simplement et sincèrement sans montrer une part d'ironie ou de cynisme dans ses propos. Ca faisait du bien... Il soupira lentement, prenant le temps de réfléchir un peu a ce qu'il dirait en retour de ces questions là, restant toujours devant lui a un pas de distance. Quand il reprit la parole, se fut d'une voix douce, calme et apaisante. Son habituel ton monocorde avait disparu et on pouvait ressentir un semblant d'émotion dans ses mots, des intonations et des variations.

"Tu n'as pas besoin d'imaginer le soleil pour le moment... tu le vois encore non? Le futur arrivera en temps et en heure, tu désespéreras quand il seras temps de désésésperer. Dans le moment présent, tu vois encore les choses Murakami, alors profites en."

Fit-il avant de regarder ailleurs, détournant son regard.

"Je ne sais pas... si on peut vivre en oublier les choses qui nous ont marqué... Je n'ai pas la prétention de savoir ces choses là, chacun a une vision différente de la chose, chacun encaisse les coups durs a sa façon. Pour moi, bon ou mauvais, aucun souvenir ne mérite d'être oublié."

Il finira par reposer son regard sur Ranma, un léger sourire aux lèvres.

"Je ne vais pas non plus perdre la vue... je ne suis pas a ta place et je ne suis pas égoïste au point de te donner des conseils pour un point de vue qui sera le mien. Tu es le seul a savoir comment faire pour gérer au mieux l'épreuve, le seul a savoir les choses qui sont importantes pour toi, pour t'aider si tu en a besoin. Je ne peux pas te sauver, je ne peux pas te soigner... et pourtant crois moi si je le pouvais je le ferais sans la moindre hésitation! Moi.. tout ce que je peux faire c'est être là quand tu en auras besoin. Je te montrerais tout ce qu'il y a a voir, ici ou ailleurs, temps que tu peux encore les voir. Je t'écouterais, je répondrais quand je le pourrais. Je ferais en sorte que tu n'oublies rien, et je te les rappellerais si tu tes souvenirs s'embrouilles. Je ferais en sorte que tu profites du présent.. avant de te pourrir la tête avec un futur qui, même s'il est immuable, n'est pas encore là. Et... je serais toujours cette main qui prends la tiennes pour te guider dans l'obscurité... jusqu'a la lumière, temps que tu peux encore la voir... et même quand tu ne le pourras plus."

Sasuke resta muet, fixant ensuite l'intendant avec la plus grande sincérité et la plus grande honnêteté dont il était capable. Il avait choisit minutieusement ses mots, il avait réfléchit avant de les dire et il avait choisit d'être direct, sans chemins détourné.. Parce qu'ils n'étaient plus des enfants qui jouent a cache cache avec des demi mots qui veulent en dire d'autres et parce qu'il n'avait pas le temps, ni l'envie, de jouer a compliquer des choses qui étaient déjà suffisament dures a gérer comme ca.

S'était-il un jour exprimé aussi sincèrement sur toutes ses craintes ? Nul besoin de chercher dans sa mémoire pour savoir que la réponse était négative. Nul n'était au courant du diagnostic, pas même sa famille. Proche par le sang, aux liens tenus fermement tendus par les visites habituelles aux différentes saisons, il ne s'était pas confié à eux depuis qu'il était sorti du cocon familial pour faire sa vie. Ses parents auraient-ils même su quoi faire devant cet oiseau trop vite envolé qui aurait voulu cherché refuge auprès d'eux ? Quand à son médecin, l'ophtalmologiste spécialiste qu'il voyait régulièrement, l'homme était plus qu'aise de ce patient silencieux qui demandait des termes techniques et pratiques. Surement avait-il du avoir son lot de gens détruit émotionnellement qui cherche à voir en lui le sauveur qui réussira à les guérir. Non, cela Ranmaru l'avait rapidement compris : ce n'était pas dans ce médecin qu'il trouverait un salut, tout juste un suivi précis de son évolution. La jeune infirmière assistante et son petit sourire mignon avait été la seule à tenter, tant bien que mal, de lui arracher quelques mots pour savoir comment il gérait. Par réelle intérêt pour lui, ou avait-elle, quelque part dans le dossier à son nom, un petit diagramme sur son moral et sur l'étape de deuil qu'il traversait actuellement ? Cynique et s'accrochant toujours à un déni certain, l'intendant avait toujours refusé de répondre à ses sollicitations.

Et voilà qu'il se retrouvait là... devant la seule personne à qui il s'était montré vulnérable, incapable de mentir sur l'état de ses yeux et son devenir. Une fois la vanne ouverte, impossible de l'éteindre. D'abord la vérité sur sa pathologie, maintenant sur ses craintes... entre panique et rage, Ran se découvrait humain, avec l'horrible besoin de s'ouvrir un peu et de laisser apercevoir cette souffrance qu'il voulait pourtant nier jusqu'au dernier degré. En face de lui, loin de se moquer, Sasuke cherchait à l'aider, à l'apaiser. A lui tendre cette main charitable qu'il avait envie de mordre par le simple fait qu'elle s'approchait d'elle, qu'elle le rendait encore plus vulnérable qu'il n'était.
En l'acceptant, il acceptait qu'il avait besoin d'aide. Qu'il était réellement malade. Avait-il réellement envie de sortir de son déni ?

« J'aurais préféré ne jamais savoir. Supposer que je dois profiter du temps qu'il me reste... C'est trop éthéré pour moi comme notion. »

Il pouvait en parler autant qu'il voulait dans ses livres, dans des termes aussi délicats que la rosée matinale qui perlait sur l'herbe verte dès l'aube, dans sa réalité, c'était tout à fait autre chose. Ou plus exactement, la même chose, en remplaçant la rosée légère par de la suie.

Sans trop savoir ce qu'il faisait, ou pourquoi il le faisait, Ran libéra une de ses mains et la posa sur le poignet de l'étudiant.

« Je ne mentais pas quand je t'ai dit à la soirée que je n'était pas le genre de personne à qui l'on s'attache Sasuke. Encore moins maintenant, quand je ne sais pas où je vais, je ne veux pas m'accrocher à quelqu'un comme à un boulet parce que j'ai peur. Cependant, je dois admettre... j'apprécierai de t'avoir comme ami. Sans contrainte ou obligation. Juste pour discuter... ou voir une expo de temps à autre. »

Savait-il à quel point ces mots lui coutaient ? O, surement au moins autant que Sasuke avait eu du mal à choisir les siens. Il se reconnaissait mal, à négocier les termes d'une amitié pour ne pas se sentir trop paumé.

Sasuke retsait immobile, se demandant ce qui lui prenait de parler autant a Ranma et surtout de lui faire toutes ses promesses. Il savait qu'en temps que yakuza sa parole était d'or, s'il s'engageait a faire une promesse a quelqu'un il se devait de la tenir, quoi qu'il arrive. C'est a cause de ca qu'il se retrouvait lié a cette ordure de Mizuki. Enfin là il se doutait que Ranmaru n'était pas du même acabit que l'autre chieur de Takeo... et qu'il n'allait surement pas être aussi expressif et pot de colle que l'autre vipère. Néanmoins c'était quelque chose qui lui tenait a coeur. Il appréciait Ranma, comme on peut apprécier son reflet dans un miroir. Une sorte de solidarité qui se créait entre deux exclus du monde: l'un par choix, l'autre par obligation. Ce genre de lien qui vous fait comprendre que le mec en face de vous vous ressemble un peu plus que les autres et que vous aurez beau le détester de tout votre être, il y aura toujours un truc pour vous rapprocher. Voila ce qu'il ressentait chez Ranma, même s'il avait essayé de lui défoncer la gueule a coup de tasses a thé (le mec possédé par l'esprit de Riddick), il n'en avait pas moins l'envie de rester près de lui, peu importe comment et peu importe combien de temps.

Il pensait que Ranma allait l'envoyer chier, comme a chaque fois que les discussions devenaient trop personnelles, trop poussées. Mais contrairement a ce qu'il pensait... l'intendant resta là, immobile, et il ne semblait pas près a partir ni même a l'envoyer chier. Mieux... il vient lui attraper le poignets, manquant de faire faire un arrêt cardiaque au yakuza qui, même s'il faisait attention a ne rien laissé paraître, avait bien du mal a cacher son étonnement... et son contentement. C'était quand même la première fois que Ranma le touchait de lui même... et sans qu'il en ai besoin. Il écouta ses mots et laissa flotter un léger silence. Ami? ... Il avait dit amis? ... C'était une proposition? ... Allons bon, lui qui quelques temps plus tot voulait simplement couper les ponts avec lui voila que maintenant il voulait être son ami? A bien y réfléchir, des amis, Sasuke n'en avait pas beaucoup... pas du tout... Ha si, un seul et il était loin, poursuivant son avancé dans la mafia de Tokyo. Des amis hors de son milieu... il n'en avait pas... et il doutait d'être capable d'en avoir. Mais ca ne se refuse pas une amitié offerte de cette manière. Ca devait lui arracher la gorge de dire ca, il le savait. Il finit donc par sourire très légèrement, faisant glisser son poignet dans la main du jeune homme, jusqu'a venir glisser sa main dans la sienne, déglutissant légèrement, pas très a l'aise.

"Pas de contraintes... pas d'obligations... pas de questions. Je serais là quand tu en auras besoin, pour quoi que se soit. J'écouterais quand tu parleras... je me tairais quand tu réclameras le silence... je m'éloignerais quand tu auras besoin d'être seul... Si ca te vas comme ca, alors ca me conviens aussi..."

Fnit-il par dire en évitant de croiser le regard de Ranma. Déjà que lui tenir la main dans cette situation était déjà suffisamment gênant pour lui... si en plus il croisait son regard il risquait de déraper... et il doutait que c'était ce dont avait besoin le jeune homme pour le moment. Il soupira un peu, ne sachant plus trop quoi dire ou quoi faire, venant de se mettre dans une situation qu'il ne contrôlait plus alors qu'un léger vent sournois vint épparpiller ses mèches d'argent, l'une d'entres elles tombant devant ses yeux d'emeraude.

Deux ados qui se tenaient la main. L'image mentale manqua de lui arracher un sourire, mais il se refusa de bouger et de reculer de trois pas comme lui dictait sa conscience. Premier pas vers l'acceptation, ou autre de ces terribles discours issu d'un livre de psychologie pour ménagère ? Il n'en avait cure. Il faisait ce qu'il voulait. Il acceptait qui il voulait dans sa vie, même si c'était pour y passer en coup de vent.
Cela ne se ferait pas sans heurts, bien trop habitué qu'il était à compter sur lui seul, bienheureux dans sa tranquillité engendré par sa solitude. Mais par petits bouts... pourquoi pas, il tendrait la main et accepterait d'en tenir une autre.

Mais point trop n'en fallait, les avancées ne s'étaient jamais faites en un jour. Lentement, Ranmaru dégagea sa main, revenant serrer contre lui les morceaux de la tasse pour ne pas en semer au sol. Si la terre absorbait bien volontiers un peu de thé répendu, il n'en serait pas de même pour du sang si un étourdi venait se couper sur un tesson oublié.
L'intendant cligna des yeux, à la fois pour observer un peu mieux le jeune homme si calme contre lui. Que pensait-il réellement, que voulait-il réellement ? Et lui, voulait-il seulement le savoir ?

Mettant sur la lumière déclinante son besoin de fixer plus longuement les choses pour s'en souvenir, il finit par détourner le regard, observant le parc autour de lui, haïssant autant qu'appréciant cette vision simple qui n'avait d'esthétique que ce que son esprit voulait bien lui donner. Il ne voulait pas regarder les choses comme si c'était la dernière fois qu'il les voyait. Pas maintenant, pas encore.

" Je dois y aller, à bientôt."

Deux pas en avant, trois pas en arrière, ainsi pouvait se résumer la situation. Mais les choses n'étaient jamais simples non ? C'était pour ça qu'il aimait écrire, pour tisser de fines tapisseries avec de multiples fils, si complexes qu'ils menaçaient de tous s'emméler... mais à la fin, tout se nouait correctement et le motif était beau. C'était différent dans la réalité, incontrôlable, indemmélable... quelque chose qu'il voulait voir à distance et non s'y mêlait.
Et pourtant il avait tendu la main, créé le premier fil ténu... enfin, s'il était honnête, il aurait du avouer que le fil avait été créé dès cette première rencontre en aveugle, complètement étrange, dans les petits chemins du Mont Takao.

Sans se retourner, Ran entreprit le chemin vers son sanctuaire, vers le bâtiment Edo.
S'il écrivait, c'était aussi parce qu'il voulait savoir dès le début l'issue.