Chacun sa besogne ( Suzuna Hime )

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Mais quelle idée d’avoir des ordinateurs aussi vieux dans un établissement qui se voulait tout neuf ? Visiblement, la notion de récent était particulièrement subjective, il n’y avait que des esprits inférieurs pour penser qu’un computer qui marche pouvait se faire qualifier de haute technologie. Mais enfin, n’avaient-ils aucun respect pour cette fabuleuse ingénierie ? L’exaspération avait amplement excédé le seuil de tolérance du pauvre technicien qui avait été envoyé à la besogne, et il s’était senti comme le condamné devant l’échafaud lorsqu’il avait vu l’aspect des ordinateurs qu’il se devait de réparer. N’importe quel quidam les aurait trouvé esthétique et agréable, mais pas Takeo qui avait l’habitude de ce genre de machines qui étaient devenues sa plus grande passion et qu’il connaissait sur le bout des doigts. Le matériel informatique de l’école laissait vraiment à désirer… Bien qu’en y réfléchissant, ces ahuris d’étudiants devaient se contenter de quelques recherches scolaires, voire combler certains fantasmes indécents à défaut d’être capable de cacher un magazine cochon sous leur oreiller. Ah, il ne comprendrait décidément jamais ces adolescents boutonneux…

L’homme de la situation – c’est-à-dire le réparateur de désordre – venait d’entrer dans la bibliothèque et se trouvait encore face aux dispositifs pour lesquels il avait été envoyé, tels des antagonistes qu’il redoutait presque de combattre. Mais le guerrier hardi qu’il était se décida à approcher les créatures, armé de ses outils s’il fallait intervenir. Heureusement pour lui, son statut de génie lui conférait une immunité contre l’agacement et la répulsion que ressentait chaque être humain devant un ordinateur dont le contrôle lui échappe. C’est ainsi qu’il s’attaqua au premier adversaire, cherchant tout d’abord à l’allumer – au cas où un inepte aurait pensé que ça se faisait automatiquement – en vain. La seconde offensive se fit beaucoup plus parcimonieuse, derrière la tour de la bête, là où devait résider le problème. Après quelques instants d’observation silencieuse, il suffit au japonais de rebrancher correctement la prise de secteur pour que – ô miracle – tout se remette à fonctionner. Face à l’absurdité de la situation, Takeo retint un feulement rauque entre ses dents… Qui était le connard qui avait baladé ses doigts dans le coin ? Sans doute un érudit autoproclamé qui pensait avoir la science exacte et qui avait cru pouvoir gérer le problème. Il eut comme une brève pensée pour les deux bibliothécaires, dont la culpabilité lui semblait fort probable… Qu’ils se contentent de s’occuper de leurs ouvrages, lui s’occupait du reste, à chacun son rôle !

* Si seulement tout le monde avait une unité centrale si simple à débrancher, je ferais un génocide… *

Sur ses pensées assassines, le jeune homme pivoté vers le deuxième ordinateur et soupçonna un souci similaire au premier. Il s’attaque donc directement à cette même prise de secteur… Mais cette fois, il y eut résistance. Aucune réaction de la part de la machine, le problème venait d’ailleurs. Que cela ne tienne ! Hebigami maîtrisait parfaitement la situation, et déclara l’endroit scène de crime ! Il éventra le dragon pour pouvoir vérifier le mécanisme interne… Du moins, c’était son intention, mais lorsqu’il l’ouvrit, une avalanche de poussière se déchargea dans les airs. Sa main en guise d’éventail, il dut reculer sa tête pour éviter de suffoquer dans cette immondice qui se déposa sur la table, les fenêtres et le sol. Comment était-ce possible ?! Rien d’étonnant si on se contentait de préserver l’aspect extérieur, mais pas le bien-être des circuits ! Face à tant de maltraitance, le brun se demandait s’il ne devait pas dénoncer le tout aux autorités, il ne voulait pas être le témoin inutile de tels crimes. L’état de la tour lui redonna du sérieux, et il jugea primordial de tout nettoyer pour espérer y voir quelque chose. Seulement quelques minutes plus tard, des pièces d’ordinateur étaient déposées un peu partout dans un bidonville qui en aurait fait fuir plus d’un. Mais pas de panique, c’était un désordre organisé ! Si bien que l’expert informatique avait déjà trouvé d’où venait la complication : le système de water cooling, autrement dit le liquide de refroidissement qui avait sans doute été installé par un prédécesseur et dans lequel il y avait une petite fuite. Mais qui dit eau dit conducteur d’électricité, alors rien d’étonnant à ce que le système ait planté. Une petite pichenette dans le boitier, et bientôt tout le liquide cristallin se déversa sur le bord de la table pour goutter jusqu’au sol.

Dans le plus grand flegme, Takeo observa un moment les gouttelettes… Mieux valait qu’il aille chercher le matériel de récupération qu’il stockait dans sa chambre s’il voulait avoir une chance de réparer le tout. Torchon sale sur l’épaule, il s’en retourna tranquillement dans le couloir jusqu’au bâtiment administratif. Arrivé à destination, il s’empara de quelques dispositifs dont il aurait besoin, puis loucha sur son paquet de cigarette sagement installé entre les canettes de bière vides… Une petite pause ? Pas plus de trois secondes de réflexion, et le jeune homme s’installa à sa fenêtre avec une cigarette entre les lèvres. Il prit le temps de la savourer jusqu’à la fin, pour finalement la jeter sans remords à l’extérieur, et reprendre la route vers la bibliothèque. En arrivant, il aperçut une sainte horreur… Quelqu’un était sur la scène de crime !

" Mais qu’est ce que… ?! "

C’était peut-être le prix à payer pour s’être autorisé une cigarette durant son service…

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Cette journée tutoyait de près l’horreur absolue … Sophie et ses malheurs pouvaient se rhabiller face à ceux de Suzuna. La Belle n’en pouvait plus …, et le laissait volontairement transparaître sur son doux minois. Son côté Reine des Glaces n’était, encore une fois que plus sublimée. Surchargée de travail, accablée par la chaleur, et excédée par le comportement de certains élèves, c’était en mode Super Dark Suzu’, que la femme de ménage débarqua dans la bibliothèque aux environs de 18h00 …

* Allez plus qu’une heure et c’est fini … *

Enfin … presque. Lui restait-il encore à assister à ses cours du soir, et à réviser chez elle… la journée s’annonçait longue … très longue. C’est, armée de balais, serpillières, sceaux & autres Mr. Propre que la jeune femme pénétra dans la fameuse bibliothèque. Le temps lui était compté si elle ne voulait pas rater son cours de science. – Nous sommes Jeudi donc ♥ - néanmoins la Belle gardait espoir. La bibliothèque était généralement et relativement assez propre. Les bibliothécaires - qu’elle n’appréciait guère au passage – semblaient veiller à la propreté des lieux, un peu comme s’ils protégeaient une sorte de sanctuaire sacré. Il manquait vraiment une case à ces types ... Enfin Suzuna était bien placée pour parler … à vrai dire, elle non plus, n’était pas très nette. Mais eux l’étaient, - à son goût du moins - bien plus qu’elle ...

Dénigrer les habitants de ce doux monde clos que constituait Ginkgo, demeurait son principal loisir depuis son arrivée. D’un certain côté, cela lui permettait de mieux justifier sa solitude … Un peu comme si être seule, reflétait son choix de ne pas se mélanger au commun des mortels, elle la tellement sublime reine des Glaces. Mais, en vérité, la réalité se voulait bien plus complexe que cela.

C’était donc tout en ignorant bibliothécaires & autres élèves, que la Belle entama son premier coup de balai. Il était inutile de passer la serpillière à une heure pareille. La jeune femme se cantonna donc à passer un rapide petit coup au sol. Etagères quelque peu poussiéreuses et vitres sales furent aussi l’objet de sa mission du jour. Rien de bien trop long en somme. Tout semblait se passer à merveille, et elle estimait pouvoir rendre son tablier – enfin sa blouse ._. - un peu même avant 19h00, ce qui lui aurait de se griller une Malboro, avant son cours de sciences.

L’heure tournait, et la Belle astiquait paisiblement le parquet, au beau milieu d’un rayon délimité par deux énormes étagères remplies de bouquins. Le regard noir posé sur un amas de poussière récalcitrante, la jeune femme oeuvra à sa tâche, l’esprit ailleurs. A vrai dire, l’annonce des résultats des examens de premier trimestre pour les élèves du lycée, l’avaient quelque peu stressée, lui rappelant, que son tour aussi, arrivait à grand pas.

* Serais-je prête le moment venu ? *

18h23 à sa montre … Finalement, la majeure partie du travail avait été effectué rapidement. La Belle s’en félicita intérieurement, et il ne lui restait plus qu’à astiquer le coin ordinateur. D’ordinaire, cela lui prenait environ 5 voire 10 minutes grand maximum. Il suffisait juste de passer un petit coup sur les écrans & autres souris.

C’est donc en sifflotant, sceau dans la main et balais dans l’autre, que Suzuna s’avança vers le fameux coin ordinateur … l’air de rien. Les minutes lui étaient comptées, et la Belle savait qu’elle allait devoir faire vite et bien, si elle voulait s’accorder une petite pause avant le début de son cours de science. Mais à vrai dire, elle n’en s’inquiétait pas tellement … après tout, cela faisait bien quatre mois qu’elle occupait ce poste, et astiquer la bibliothèque, faisait dès lors partie intégrante de sa routine.

L’esprit ailleurs, la fatigue se faisant sentir, c’est lentement qu’elle arriva devant la porte, qui séparait la bibliothèque du coin multimédia. D’un pas assuré, elle s’empara de la poignée, la tourna rapidement, puis pénétra sur les lieux. Et puis … le choc … le drame … l’apothéose d’une journée déjà bien – trop – remplie. Cette délicate attention qu’on lui avait réservé, constituait la goutte d’eau qui faisait déborder le vase. Les yeux de la Belle se posèrent sur le carnage multimédia. Pièces informatiques en tout genre jonchaient le sol, épousant harmonieusement la poussière qui semblait émaner d’une unité centrale éventrée … Le tout formait un Bordel intégral, digne d’une œuvre d’art contemporain. Ahurie, désastrée, voilà ce qu’elle était. Devant le carnage, la jeune femme resta de marbre, un peu comme si on l’avait assassiné sur place ... Son regard noir se posa sur chacune des différentes pièces composant le désastre. Incapable de bouger pendant quelques secondes tant la stupéfaction se fit grande, la Belle réussit néanmoins à rapidement relativiser .

« Bon … si je vire tout, ça devrait pas me prendre plus de quinze minutes … »

Aussitôt dit … presque aussitôt fait. Suzuna sortit de la salle récupérer son espèce de chariot contenant tous les instruments nécessaires à son art. Une fois fait, elle s’empressa de passer un coup de balai destructeur. Ainsi, pièces informatiques, vis, et poussière virevoltaient ensemble sous l’effet des coups de balai de la Belle. Le tout formant une espèce de ballet, de chorégraphie digne d’un Kamel Ouali, avant de finir au fond de la poubelle. Très vite, le carnage rejoignit la boîte à ordures, rendant ainsi à la pièce, toute sa renommée.

Sans chercher à comprendre le pourquoi du comment, Suzuna n’effectuait ni plus ni moins que son travail, à mille lieux d’imaginer qu’elle détruisait celui de son collègue. A vrai dire, la Belle avait - un peu - agi comme une brute, en fonçant tête baissée dans ce péril High-Tech. Le responsable de ce carnage ? Suzuna n’y avait même pensé … Non, elle se contentait juste de faire ce pourquoi on la payer. Elle nettoyait, le faisait bien, et cela lui suffisait amplement. Les consignes qu’on lui avait dicté étaient claires : partout où elle passait, elle devait semer les graines de la propreté et les faire germer en fleurs. Par conséquent, la jeune femme ne s’attarda pas vraiment sur les causes de cette catastrophe multimédia… Et puis, de toute façon, elle n’en avait pas le temps : son cours de science commençait dans moins de vingt minutes. Elle était payée pour agir, pas pour réfléchir. A 19h00 pétante, la bibliothèque devait briller de mille feux, cela serait fait coûte que coûte, sous peine de se voir réprimander par le dirlo …

Les nerfs à vif, Suzuna décrassait la salle avec zèle, lui rendant petit à petit son apparence initiale. Puis, soudain, un homme - qui d’après son apparence n’était certainement pas un élève - fit son apparition sur les lieux, laissant exclamer toute sa surprise.

* Qu’est-ce qui veut lui ? *

La jeune femme, se retourna, le fixant droit dans les yeux. Elle avait ressorti du placard son fameux regard noir, capable de pétrifier les plus impuissants. Suzuna s’arrêta de balayer, le temps de bien l’observer, voire même d’analyser chacun de ses traits. Puis elle reprit son œuvre, l’air de rien, laissant le bougre seul face à sa surprise. Non, elle avait décidément pas que ça à faire …

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Combien de pauvres ignorants avait-il bouffé sans préavis parce qu’ils avaient osé effleurer son ordinateur ? Heureusement pour l’inconsciente qui était devant lui, ce n’était pas son propre bien qu’il était en train de bricoler, dans le cas contraire il aurait agi comme un lion à la défense de son petit. Pour autant, il détestait par-dessus tout qu’on ose toucher à son travail… Il avait appris à travers de multiples expériences qu’on était jamais mieux servi que par soi-même, de ce fait il était maintenant persuadé que personne ne faisait les choses mieux que lui. Qu’on porte préjudice à ce qu’il entreprenait… Lui vivant, sûrement pas ! Et s’il était déjà remonté comme une horloge en voyant le désastre – enfin, le rangement – ce fut bien pire à l’attitude de la jeune femme. Qu’elle le fusille du regard était une chose, il était bien trop habitué à ça, mais qu’elle l’ignore de la sorte… La voir lui tourner le dos comme s’il n’était même pas là lui fit rapidement secouer la tête comme s’il était en train d’halluciner. Elle profanait son terrain et elle se faisait dédaignante avec ça ? S’en était trop, les coups de balai supplémentaire firent enfin réagir le technicien qui s’approcha à pas rapides.

" Arrêtez ça malheureuse ! " Il lui confisqua le balai et se pencha sur elle. " On touche pas au plan de travail des autres employés espèce d’idiote ! "

Son visage se fit hautain et ses deux perles bleutées scrutèrent la demoiselle d’haut en bas, elle était tombée sur un adversaire de taille en matière de dédain. Elle semblait bien jeune, et maintenant qu’il prenait un instant pour mieux la regarder, son visage ne lui était pas inconnu. L’avantage d’avoir une mémoire visuelle était de pouvoir mémoriser le faciès d’une personne en ne l’ayant aperçue qu’une seule fois, et il était persuadé d’avoir déjà vu celui-ci… Mais pas dans un accoutrement de femme de ménage, sinon il s’en serait parfaitement souvenu. Au vue de son âge, peut-être étudiait-elle également dans le lycée ? De toute façon c’était le cadet de ses soucis, et ça ne l’empêcha pas de rendre son regard aussi sombre qu’elle avait pu le faire tout à l’heure envers lui.

Ses yeux dévièrent vers la table qui était maintenant vide, puis sur le tas de poussière au sol dans lequel se trouvaient quelques vis et autres petits fragments. Il lâcha le balai qui s’écrasa par terre et se pencha sur le chariot de la jeune fille, allant saisir la première pièce qui lui tomba sous la main et qu’il reconnut pour bien être à l’ordinateur dont il s’était occupé. Décidément, les gens étaient vraiment stupides… Qu’est ce qu’elle croyait, qu’un élève s’était amusé à démonter la machine et à laisser tout comme ça juste pour l’embêter ? Il fallait vraiment ne jouir d’aucuns neurones pour penser de la sorte, et sur le coup Takeo se promit de pousser la charrette ambulante des femmes de ménage en bas de l’escalier à grand coup de pied dès qu’elles auraient le dos tourné. Après tout, ce ne serait là que la monnaie de la pièce, en tous cas, pas question d’en rester là ! Et les bibliothécaires dans tout ça, ce n’était pas leur rôle de surveiller ce qu’il se passait dans leur antre ? Ces gaijins… Ils étaient vraiment inutiles. S’il voulait se remettre au travail, il allait devoir tout ressortir et nettoyer à nouveau.

Il n’était pas du genre à avoir peur de se salir les mains, lui qui les mettaient dans l’huile de moteur et autres liquides de mécanique. Cependant, il n’avait nullement envie de fourrer ses doigts dans ce concentré de bactéries, et il était décidé à ne pas le faire de son propre chef. Il se tourna à nouveau vers la femme de ménage qui était la source de son problème et qui avait intérêt à devenir l’objet de sa solution. Puisqu’elle était la responsable, à elle de réparer ses erreurs. Pour se faire, il ne fallait pas lésiner sur les moyens de persuasion.

" Vous avez exactement deux minutes pour remettre mon matos là où il était, sinon ça va se finir devant le directeur et vous vous débrouillez pour lui expliquer que vous avez balancé un ordinateur neuf sans vous préoccuper du travail d’un collègue. "

Et il se ferait même un plaisir de calomnier sur la pauvre demoiselle si elle l’énervait trop.

» Suzuna Watari {Validée}

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