[Suite de "Propriété privée, ne pas approcher svp"]

Avec un peu de surprise, il avait accepté le défi de l'autre homme. Jamais Akutsu ne se serait attendu à cela de sa part, preuve s'il en était qu'il avait encore beaucoup à découvrir de ce colocataire. Un grand sourire sur les lèvres autant à cette idée qu'en anticipation de la course, il se dépêcha d'enfiler ses affaires. Une part de lui lui signalait que l'idée n'était guère bonne, d'autant plus qu'il n'avait du coup rien pris à manger pour le midi. Il l'envoya paître en faisait démarrer le moteur : il aviserait.

Et faim il avait après deux heures de poursuite sinueuse dans les montagnes. Le Mont Takao n'était pourtant qu'à dix minutes du centre d'Hachioji et l'école en était tout au pied, mais les multiples détours des deux hommes avaient considérablement rallongé la route. Sous le soleil de juillet, ce n'était pas rien et il avait maintenant très chaud sous son blouson noir.

Finalement il suivit l'autre engin jusqu'au parking où il alla se garer, s'arrangeant pour s'arrêter tout près de l'autre homme. Son regard, derrière son casque, le détailla longuement alors que le Tshirt de l'intendant lui collait à la peau. Non vraiment, il avait – visuellement – une sacrée chance avec ses colocataires depuis le mois d'avril. Sans trop attendre davantage cela dit, Akutsu s'empressa d'enlever casque et veste, goûtant comme son compagnon de route aux bienfaits de la légère brise.

« Wouah, vous au moins quand vous lancez un défi, vous ne faites pas semblant ! »

Un soupçon d'admiration perçait dans son ton, mais c'était surtout la joie qui menait la barque. Encore assis sur sa moto, le temps de retrouver un peu de fraîcheur, mais aussi un rythme cardiaque normal, le jeune homme fixait son interlocuteur.

« Vous maîtrisez drôlement bien votre bécane ! Franchement, y a une ou deux fois où je me suis fait peur en vous suivant. »

Le reconnaître ne lui coûtait rien. Akutsu ne plaçait pas sa fierté à ce niveau-là, après tout, voir la trouille était plus que naturel et pour sa peur, il s'estimait surtout heureux de ne pas s'arrêter à elle. Le roux aurait néanmoins été curieux de savoir si elle avait été partagée par son colocataire. Par moment tout de même – en fait, le plus souvent durant les deux précédentes heures – ils avaient été franchement dangereux, autant pour eux que pour les autres. Un comportement bien peu respectueux des autres conducteurs, mais qui avait le mérite de plaquer sur ses traits un large sourire qui ne semblait pas pouvoir disparaître.

Chassant avec naturel l'une des mèches qui lui collait au visage, il décida finalement de se lever. L'absence de vibration se faisait d'autant plus sentir qu'il n'enfourchait plus sa moto et il eut comme l'impression, pendant un premier instant, d'être à une étape intermédiaire entre la conduite et avoir les deux pieds sur Terre.

« Je marcherai bien un peu par contre. Vous avez un lieu de prédilection où aller ? »

Les avant-bras posés sur le carénage pour souffler un peu, Ran accepta l'immense sourire d'Akutsu avec une certaine fatalité. Effectivement, à la manière dont il l'avait suivi, nul doute que l'autre avait apprécié la balade. Sur le coup, il ne trouvait pas vraiment la foi de lui en vouloir de cette démonstration de bonne humeur, se contentant de profiter encore de l'adrénaline dans ses veines pour redescendre tranquillement sur le mondé réel. Le compliment lui fit hausser discrètement les épaules. Savoir conduire correctement sa moto n'était pas un luxe, pourquoi aurait-il du en aller autrement ? Vitesse ou non, la maitrise restait la même, et maitriser, voilà bien quelque chose que Ran adorait et dans lequel il excellait. Garder la main haute quelque soit la situation... Il s'était fait des frayeurs étant plus jeune, puis était venu le calme avec l'expérience. Quand il s'était blessé, quelques mois plus tôt, la peur avait rongé son ventre quelque temps, avant qu'il n'ose à nouveau conduire sa moto fraichement réparée. Mais il s'était interdit de laisser cette peur guider sa vie, pour ça comme pour n'importe quoi d'autre.

" Si vous ne vouliez pas avoir peur, il y avait les télésièges pour monter jusqu'au sommet. "

Avec élégance Ran passa une jambe au dessus de sa moto pour se retrouver quelques instants ainsi sur le côté, les jambes pendantes trahissant la démesure de l'engin qu'il s'était choisi par rapport à sa taille. Il y avait bien eu une petite part de défi quand il avait choisi cette moto là en particulière. Non par rapport à la cylindrée, certes plus grosse que la précédente, mais bien par rapport à la taille peu adaptée à la sienne. Mais qu'importe. Il venait d'être publié, il pouvait venir à bout de tous les obstacles et réussir tout ce qu'il entreprenait avec assez d'acharnement. Et, sans un mot à qui que ce soit pour annoncer son triomphe, il était venu à bout de l'énorme yamaha sans coup férir, mais s'il avait récolté au passage de nombreux bleus et muscles froissés en manipulant une moto bien trop lourde pour sa musculature de crevette. Parfois, il supposait que ce n'était que de l'obstination et de la fierté mal placée qui le poussait à s'acharner ainsi. L'avantage d'être écrivain : il pouvait détourner les mots pour leur donner une tournure bien plus élégante et agréable à entendre.

Ranmaru finit par se laisser glisser au sol avec le même instant de malaise que le professeur d'anglais, instable quelques secondes sur ce sol trop inerte. Avec un léger soupir, il remit son sac sur le dos et attrapa son blouson et son casque d'une main, regardant autour de lui les différents chemins qui partaient de la placette. La question de son accompagnateur lui rappelait cruellement qu'il n'était pas seul et ne pourrait profiter de son habitude tranquillité. Fort heureusement, la matinée était à peine entamée, lui laissant pas mal de temps pour vaquer à cet intermède social avant de se replonger dans sa tranquilité habituelle. D'une voix tendue qui trahissait son agacement à devoir donner des explications, l'intendant "proposa" sa route habituelle.

" Par là. Ca permet de rejoindre un cours d'eau jusqu'à une espèce de terrasse. On passe assez loin du sanctuaire, du coup c'est plutôt calme et pas tellement fréquenté. "

Il y avait aussi une autre raison que sa non-fréquentation qui en faisait son lieu de prédilection : la végétation dans ce coin n'était pas tellement touffue, exempte d'arbres à la ramure impressionnante qui aurait rendu le sentier trop sombre à son gout. Il y aurait tout juste un peu d'ombre pour leur éviter de marcher en plein soleil.

Il était bien certain que le brun lui avait indiqué le chemin à contrecœur. Aucun doute qu'il aurait mieux aimé qu'à l'instant où ils étaient arrivés, Akutsu l'oublie et aille vaquer à ses occupations pour le laisser aux siennes. Néanmoins, si le roux essayait généralement de laisser de l'espace à ceux qu'il côtoyait ainsi qu'à respecter leur volonté, là... Eh bien ils avaient décidé d'y aller à deux non ? Par son défi, l'intendant avait accepté l'accord. Il le laisserait tranquille une fois rentrés.

Le professeur d'anglais lui emboita donc le pas, son casque à la main et sa veste sur le bras. Avec curiosité, le jeune homme regarda autour de lui. Il connaissait mal l'endroit; Ses sorties habituelles l'entrainait plutôt dans Hachioji même, voire à Tokyo. Lorsqu'il allait en montagne, comme il 'lavait dit plus tôt, l'ancien adolescent préférait aller au mont Jinba, moins touristique que celui-ci mais tout aussi beau. De fait, il ne connaissait vraiment du Mont Takao que les quelques sanctuaires plein de foule où il était déjà allé.

Les deux hommes s'engagèrent sur le chemin en silence et cela dura un bon moment. Les jambes un peu fébriles d'abord, puis plus assurées - les vibrations dues à la conduite ne se faisaient plus du tout sentir, Akutsu fut presque tenter d'accélérer le pas. Néanmoins, parce qu'il ne savait pas vraiment jusqu'où l'autre homme comptait aller et aussi parce qu'il ne voulait pas le brusquer, il n'en fit rien.

Après un long moment à ne rien dire toutefois, il finit par craquer. Ne pas parler n'était pas dans sa nature. Sauf cas d'urgence, il se taisait difficilement et résistait encore bien moins à l'idée de mieux connaître une personne avec qui il vivait. En peu de temps ensemble dans l'appartement, il n'avait guère pu se lier avec le brun et comptait bien maintenant sauter sur l'occasion pour se rattraper, quand bien même était-il conscient que l'intendant ne le souhaitait pas.

« J'ai vu que vous lisiez beaucoup à l'appartement. Vous avez des préférences en matière de lecture ou vos goûts sont plutôt éclectiques ? »

Le silence avait du durer trois minutes. Peut-être même cinq, moment béni de tranquillité malgré la présence du roux, auquel jamais Ranmaru n'aurait cru pouvoir avoir droit. Esquivant autant que possible les racines et autres pierres douteuses du chemin, l'intendant tourna la tête pour considérer un instant son colocataire, puisqu'il fallait le nommer ainsi, presque choqué que l'autre l'ai ainsi observé dans son intimité. Certes, vivre dans le même appartement amenait à noter ce genre de détails... ou pas. Ran n'observait guère ce que faisaient les autres, désintéressé au possible. Un des présents de l'appartement aurait pu déménager dans l'après-midi qu'il ne l'aurait appris qu'en vérifiant les listings à son bureau.

Ran s'arréta à côté d'un petit autel, observant avec curiosité le mignon gateau de riz en forme de pétale de sakura. Il y avait encore des gens capable de faire tout ce détour pour le simple plaisir, ou devoir de faire une offrande ? S'il était faciné par une période de l'histoire plus antique, la sienne avait encore ses intérets a priori. Avec un soupir traduisant assez bien le fond de sa pensée quand à l'ensemble de la discussion, l'intendant se tourna à nouveau vers son compagnon d'infortune sans pour autant reprendre sa route. Marcher sans regarder devant lui était s'ouvrir la porte à de nombreux soucis qui risquaient de laisser des marques sur ses mains et ses genoux.

" J'ai une nette préférence pour les romans historiques, mais j'apprécie tout type de littérature. "

Du moment qu'on ne lui mettait pas entre les mains un essai de géopolitique... Il était à peu près d'accord pour lire de l'économie, même si ce n'était pas sa grande passion ou des livres moins romancés mais plus factuels sur l'histoire. S'il espérait écrire lui-même des romans historiques corrects, il avait de toute façon besoin de se renseigner longuement, et chaque nouveau détail qu'il trouvait à se mettre sous les dents, pour ensuite le réutiliser dans un de ses livres, était un petit plaisir personnel. Il écrivait peut-être des histoires légères, mais le contexte, lui, était loin de l'être.

" Et avoir des gouts communs en littérature ou en moto ne vous autorisera pas plus de familiarité Moe-san."

Il le voyait venir avec effroit. Le moment où le jeune homme, lardé de sa bonne volonté et des points communs qu'il aurait pu trouver entre eux, allait lui proposer il ne savait quelle sottise, comme se préter des livres intéressants ou échangeant des points de vue sur sa dernière lecture. Ca, Ran le faisait déjà, planqué derrière l'écran de son pc sous un nom qu'on ne retrouverait jamais, et sans toutes les fioritures nécessaires qu'imposait un dialogue de vive voix. Malheureusement, il avait comme l'impression que de son avis, le professeur d'anglais n'avait cure, continuant sur sa lancée comme un cheval emballé qui a pris le mort aux dents.

Un éclat de rire accueillit la dernière réplique de son vis-à-vis. Du peu qu'il avait vu de lui, la réponse était tellement typique qu'Akutsu ne pouvait que s'en amuser. Un jour, sans doute, il prendrait des paris avec lui-même sur les futures répliques de son colocataire. Peut-être même entrainerait-il son frère là-dedans, avec l'espoir de pour une fois gagner leurs jeux. Pour cette fois néanmoins, il se contenta d'une hilarité doucement contenue tout en emboitant le pas du brun.

« Non certes, mais je préfère me trouver des points communs avec vous qu'accumuler les différences. Et je suis sûr que vous préfèrerez parler littérature que basket ou base-ball, je me trompe ? »

Question qui n'appelait aucune réponse et qui d'ailleurs n'en eu pas. A nouveau, les lèvres du plus jeune se tordirent en un léger sourire joyeux. Il ne parla plus pendant quelques temps ; peut-être une minute, peut-être deux. Les deux hommes qui s'étaient arrêtés non loin de l'autel avaient repris leur route doucement sous les pépiements des oiseaux. La chaleur écrasante de juillet se faisait plus douce à l'ombre des arbres. Elle aurait même été – presque – agréable s'il n'avait pas fallu porter blouson et casque sur le bras. Sa main finissait glissante.

« Vous lisez des œuvres occidentales ? Les classiques je veux dire. J'essaie d'y intéresser mes élèves, mais j'ai bien peur qu'en dehors des Harry Potter ou de Twilight, ça ne les tente pas vraiment... et je refuse d'appeler ça des classiques. »

Le doux bruit du gargouillement de l'eau sur les rochers lui indiqua qu'ils étaient proche de la destination qu'il avait en tête. Quelques pas de plus, et le chemin s'élargissait sur une charmante terrasse bordée par les arbres et au milieu de laquelle le ruisseau devenait enfin accessible. Ran s'était souvent demandé pourquoi l'endroit n'était pas plus pris d'assaut par les touristes et autre gens bruyants. La seule réponse devait être que le sanctuaire attirait plus d'intéret, masquant les plaisirs plus simples de la nature. Se délestant de ses affaires au pied d'un arbre, l'intendant alla s'agenouiller près du ruisseau pour plonger la main dans l'eau glacée jusqu'au poignet avec un délice infini, savourant le contact glacé dans la chaleur moite.

Après quelques secondes, il se retourna vers le jeune professeur d'anglais dont il avait laissé la question en suspens à l'entrée de la petite place, presque déçu de devoir partager son petit morceau de tranquilité avec un autre qui ne saurait surement pas l'apprécier à sa juste valeur. Au moins devait-il admettre qu'il était capable de tenir une conversation intéressante... loin du basket et du base-ball.

" Assez peu. La différence de culture me laisse souvent perplexe, et je déteste ne pas comprendre parfaitement une oeuvre parce qu'il me manque certaines données et nuances. Il me reste suffisament de livres à lire pour ne pas avoir besoin de m'en soucier pour le moment. "

Reste de chauvinisme bien ancré dans sa petite tête de japonais allié à un amour des détails qui le rendait offusqué de ne pas bien cerner certains points de caractère de ces dits-livres. Et pour le moment, il n'était pas assez intéressé pour se plonger dans des ouvrages d'anthropologie occidentale pour parfaire assez ses connaissances à son gout. Peut-être un jour, s'il changeait de contexte pour ses romans... non, impossible. Il ne s'imaginait parler d'un autre pays que le Japon. Changer d'époque risquait déjà d'être suffisament traumatisant comme ça.

Il changea une nouvelle fois de position, passant de à genoux à carrément assis en tailleur pour profiter de la fraicheur relative près de l'eau, profitant de sa tenue de motard qui lui permettait plus de fantaisies qu'un costume ou un kimono même si elle était chaude de son plein droit. Le pantalon résistant et capable de supporter les brulures en cas de chute, mais aussi léger et pas trop chaud n'avait pas encore été créé, à son grand désarroi pendant les moments les plus chauds et moites de l'été. Les quelques veines bleutées sur sa main à la peau maintenant glacée lui rappelèrent un des rares auteurs américains qu'il avait lu et apprécié.

" Edgar Allan Poe ? Ses oeuvres ont été utilisées et réutilisées dans le cinéma, sont courtes et fantastiques... si ça ne réussit pas à les intéresser, vous n'aurez plus qu'à travailler à partir d'articles de magazines sportifs..."

Même si pour sa part, il n'était pas doué outre mesure pour les langues étrangères, ni particulièrement intéressé, s'étant limité aux cours pris dans le cursus général à l'université. Il pouvait s'en débrouiller, mais de là à lire les livres dans le texte, il n'était pas sur d'en être capable.

C'était une chose sur laquelle il ne s'était jamais interrogé. La première réponse de son colocataire le laissa songeur, amenant à son esprit un trop plein d'idées dont il ne sut que faire. Premier point, intéresser ses élèves à la culture « occidentale », ou du moins à ses grandes largeurs. Peut-être en effet s'intéresseraient-ils plus aux œuvres s'ils en comprenaient mieux l'impact. Non qu'il ait totalement négligé ce point mais... il n'avait jamais beaucoup appuyé dessus.

Totalement silencieux puisque perdu dans ses pensées, Akutsu tarda autant à comprendre la deuxième partie de la réponse qu'à réaliser où ils avaient mis les pieds. Lorsqu'il revint sur Terre, le jeune homme fit un tour presque complet sur lui-même pour admirer l'endroit. Étrangement, personne d'autres qu'eux ne s'y trouvaient, mais comme souvent dans les lieux touristiques, il supposa que s'éloigner des sentiers communs suffisait à éviter la foule. Il comprenait à la fois mieux l'intérêt que portait le brun à ce petit coin de Paradis et sa réticence à en faire part. Surtout s'il le voyait comme un emmerdeur.

« J'avais essayé Sherlock Holmes... sur des étudiants pourtant plus vieux et plus calés. C'était dans mon ancienne école, mais ça ne les a pas passionné. »

La déception perçait son temps bien malgré lui. Il ne s'y attarda cependant pas, préférant s'approcher du ruisseau près duquel Murakami s'était assis. Néanmoins, il ne le rejoignit pas au sol, réalisant un peu tard qu'il pouvait poser blouson et casque à l'ombre... ce qu'il s'empressa de faire plus loin.

« Je vais suivre votre conseil et tenter Edgar Allan Poe. A dire vrai, il faudrait que je leur fasse une sorte de cours plus ou moins historique ou anthropologique je pense... Enfin je vais y réfléchir. » Il sourit un peu. « Merci. »

Enfin, le roux revint s'asseoir près du brun. Il trempa une main dans l'eau, recueillant avec bonheur le liquide frais dans sa paume. Bien que cela manque un peu de classe, il lui fallut peu de temps pour s'en asperger le visage, content comme un enfant et enfin rafraîchi. Néanmoins, le jeune homme resta coi. Certains endroits méritaient qu'on ne s'abreuve pas de parole et il préférait très nettement écouter le chant des oiseaux. Relativement émerveillé, il observait autour d'eux. Le calme des lieux semblait déteindre sur lui.

Une fois n'était pas coutume, Moe s'était tu sans qu'il ai besoin de réclamer le silence, prenant vraisemblablement le temps de profiter de l'endroit à sa juste valeur. Profitant pour sa part de l'accalmie, Ran attrapa le livre dans son sac et commença à lire, renonçant à écrire alors qu'il était quasi sur de se faire à nouveau déranger d'ici quelques minutes, une fois que son cadet se souviendrait de son existence et de la possibilité de parler. S"il avait bien quelque chose qu'il ne supportait pas, c'est qu'on puisse lire au dessus de son épaule quand il écrivait, ou simplement imaginer qu'on puisse le faire. Discuter de ses lectures était au final une alternative plus facile.

Petit à petit, Ran s'immergea dans sa lecture jusqu'à en oublier la présence à ses côtés, souriant pour lui même selon les actions ou les scènes du livre, comme si souvent lors qu'il se laissait prendre au jeu. C'était pour ça qu'il aimait lire, et aussi pour ça qu'il adorait autant écrire et recréait des scènes, pour ces instants un peu magique ou les mots semblaient prendre vie autour de lui. Il n'y avait pas grand chose qui pouvait rivaliser avec cela.

Ce ne fut qu'un long moment plus tard, à la fin d'un chapitre, que Ran redressa la tête pour se trouver la cible d'un regard attentif du professeur d'anglais, regard qui se vit accueillir par une moue maussade et agacée d'un intendant géné d'être sous le regard des autres. Après avoir été la cible de tant de regards et d'objectifs il y avait près de 10 ans aurait du réussir à l'en vacciner, mais bien au contraire, il en était maintenant encore plus exaspéré.

" Vous n'avez rien d'autre à faire que m'observer ? Si vous vous ennuyez, il y a un autre livre dans mon sac."

Entre préter ses affaires, ce qu'il détestait, et être dérangé, le choix était très vite fait, sans un seul instant de regret.

L'observation de la nature avait pris fin lorsqu'il lui avait préféré l'observation du colocataire en milieu naturel. Apparemment décidé à ignorer sa présence, l'autre avait sorti un livre et profitait de la fraîcheur relative et de l'ombre pour s'adonner à son passe-temps favori. Parti à la base sans cet attirail de choc - Akutsu envisageait plus le pique-nique que la pause lecture en montagne en sortant de chez lui – le roux se retrouvait donc sans rien faire.

Une multitude de moues, sourires et autres expressions tendaient et détendaient les traits du brun à mesure que sa lecture avançait. Peu à peu, l'enseignant en oublia d'essayer d'être discret et le reluqua sans vergogne, essayant d'associer ses expressions à des types de scènes susceptibles de lui plaire. Ce petit jeu ne dura guère pourtant. L'intendant finit par relever les yeux, probablement sous le poids du regard du plus jeune. Une moue vaguement contrite apparut sur les traits d'Akutsu en guise d'excuse avant qu'un regain d'intérêt ne le fasse sourire de toutes ses dents.

« Vraiment ?! Merci. »

Aucun doute, s'il avait pu éblouir quelqu'un à l'aide de ses seules mimiques, Murakami aurait fini complètement aveugle à cet instant. Rayonnant de joie, donc, le roux se permit d'aller chercher l'autre livre en question avant de revenir s'asseoir près de son colocataire. Avec un peu de circonspection, il lit le résumé au dos de l'ouvrage, constatant sans grande surprise qu'il s'agissait d'un roman historique. Cela lui allait parfaitement cependant et il ne lui fallut que peu de temps pour en entamer la lecture, si vite absorbé par celle-ci qu'il ne réalisa même pas que le temps passait.

Ce fut une sensation de faim persistante qui finit par lui rappeler l'heure. Lui qui l'avait presque oublié totalement en marchant jusqu'au cours d'eux et qui l'avait, une fois plongé dans son livre, totalement reléguer au rang de chose futile se retrouvait maintenant affamé. Le jeune homme regarda l'heure sur le cadran de sa montre, retenant de justesse un sifflement en voyant ce qu'indiquaient les aiguilles.

« Vous n'avez pas faim Murakami-san ? »

Perdu dans son livre, il fallut un moment à l'intendant pour se souvenir de l'endroit où il était, et surtout, avec qui il était. Clignant des yeux comme une chouette, le jeune homme fixa Akutsu quelques secondes, le visage paré d'une expression intraduisible, avant de remonter ses lunettes sur son nez d'un geste nerveux. Finalement revenu les pieds sur terre, il n'était guère heureux de se souvenir qu'il se retrouvait face au rouquin qui avait un de ses livres entre les mains. Certes, il s'était montré plus sage que prévu, lisant avec plus de sagesse qu'il n'aurait pu lui en préter, et ne se rappelait à son bon souvenir que pour signaler les basses contingences matérielles qui les liaient tous à ce monde. Il avait bien glissé de quoi grignoter dans son sac dans ses lectures, sans penser vraiment à l'idée de faire un repas plus consistant. Il ne restait pas en place si longtemps, et était en général suffisament plongé dans ses lectures ou prises de notes pour oublier son repas.
Avec ses yeux de chat ou de gosse battu, ce n'était visiblement pas le cas de son colocataire.

Prenant le temps de glisser un marque-page – une feuille de Ginkgo qu'il avait récupéré sur la terasse, puis fait sécher – il se redressa un peu, découvrant sans étonnement qu'il avait les jambes engourdies après être resté si longtemps dans la même position. Au moins cette fois n'avait-il pas des fourmis dans les jambes au point de se casser la figure, comme ça lui était déjà arrivé, heureusement sans témoin.

" Il y a un petit vendeur de soba froid pas loin de l'endroit par où on est arrivé. "

L'idée n'était pas mauvaise à y réfléchir de plus près. Il adorait les sobas, d'autant plus ceux qu'ils faisaient la-bas, parfumés au thé vert, à mourir de plaisir par une chaleur aussi étouffante. Et ainsi rapproché de là où était garé sa moto, il n'aurait plus qu'à faire ses adieux à son encombrant colocataire pour mettre fin à cette virée impromptue.
Machinalement, il lança son bras en arrière pour récupérer son sac à dos abandonné un peu plus loin, et se rata magnifiquement, s'écorchant à la place la main sur un buisson non identifié dont il avait oublié l'existence en s'installant là. Marmonnant une injure dans sa barbre, le brun se tourna plus complètement pour récupérer son bien et y ranger son livre, se levant d'un coup pour faire passer sa maladresse au second plan. Avec mauvaise humeur, il s'autorisa néanmoins à porter à ses lèvres un doigt écorché pour en faire disparaitre le sang qui perlait.
Le regard qu'il porta à son cadet semblait le mettre au défi de faire quelque commentaire que ce soit.

Il n'avait rien dit.

Akutsu n'était pas un parangon de finesse quand il était décidé à jouer au jeune chien fou, mais il savait reconnaître les situations où il valait mieux s'abstenir de commentaire. Celle-ci en était une : il n'avait proposé ni aide, ni fait de remarque à son colocataire lorsque celui-ci s'écrasa la main sur un buisson qu'il aurait pourtant du remarquer. Mais depuis quelques jours déjà, maintenant qu'il l'avait sous le nez plus souvent, le roux constatait que l'intendant était assez... maladroit. A un point qui en fait était assez surprenant vu qu'il semblait pourtant prêter attention à tout (sauf à ses congénères).

De fait il s'était tut, attentant qu'il soit levé et face à lui – il avait pris le temps de se relever dès qu'il avait vu le brun esquisser un geste pour reprendre ses affaires. D'un geste souple, il récupéra ses propres affaires qui trainaient au sol et referme le livre, notant mentalement la page où il s'était arrêté avant de le rendre à son propriétaire. Il verrait pour l'emprunter plus tard, une fois rentré.

« Je vous suis. »

La pensée que son sourit enthousiaste allait fatiguer son coloc lui effleura bien l'esprit. Elle partit presque aussi vite qu'elle était venue au profit d'une autre : il allait manger. Ce fut donc sagement et – presque – en silence qu'il emboita le pas de l'autre homme jusqu'à cette petite étale effectivement située près de leurs engins. Prendre ce repas en commun sonnait la fin de la sortie, il le savait. L'autre aurait tôt fait de s'en servir comme excuse pour s'esquiver et obliger Akutsu à tenir sa promesse. Ce fut d'ailleurs ce qui se passa, non sans que cela amuse intérieurement le plus jeune. Parvenir à se lier avec le brun risquait d'être long et difficile à ce rythme – en attendant de trouver d'autres points communs qui sauraient leur faciliter les échanges – mais lui se sentait prêt à relever le défi.

Le roux ne fit donc aucune difficulté à l'intendant lorsque celui-ci s'empressa de prendre congé, lui-même bien décidé à aller faire un tour sur l'autre mont où il aimait tant aller. Une petite promenade avant de rentrer et, peut-être, ce soir, irait-il rendre visite à Cathan pour une soirée télé-pizza devant un match de basket ou de baseball...