Il ne fallait pas croire que les enseignants étaient parfaits. Certains d'entre eux n'aimaient pas les élèves, d'autres ne faisaient ce travail que dans l'unique but de toucher un salaire à la fin du mois et d'autres encore n'aimaient simplement pas ce qu'ils enseignaient. Pourtant, ces gens-là avaient tout de même le statut de professeur, mais avec des motivations différentes les unes des autres. Miku appartenait à la troisième catégorie de ces professeurs atypiques, mais il fallait nuancer un peu la situation. Si elle avait un amour inconditionnel pour l'Histoire et une attirance sincère pour l'économie, cela n'était pas aussi évident avec cette matière ennuyeuse qu'était la géographie. Étonnant pour un professeur de sciences sociales, mais c'était pourtant bien la réalité. Il s'agissait évidemment de son point faible, du temps de la fac déjà et même encore aujourd'hui. Alors, lorsqu'un élève lui demandait des cours particuliers dans cette matière, elle grimaçait toujours un peu, mais acceptait volontiers de l'aider. En effet, elle n'était pas là pour imposer sa vision des choses, mais pour aider ces jeunes à finir leur année en beauté. La géographie étant au programme, elle n'avait pas à réfléchir.

Dans cette optique, elle se rendait à la bibliothèque. Il s'agissait d'un endroit calme où les livres étaient à portée de main pour trouver des informations complémentaires... Bref le lieu idéal pour travailler en paix. Les examens approchant, il pouvait paraitre normal que les petits jeunes commençaient à avoir des doutes concernant la réussite des épreuves qui les attendaient. C'était également une raison pour laquelle la bibliothèque était plus animée que d'habitude, les lycéens y venant pour parfaire leurs connaissances avant la date fatidique des contrôles.

Passant la porte de ce lieu sacré, elle flâna quelques instants dans les rayons pour découvrir les nouveaux arrivages. Il faudrait qu'un de ces quatre elle passe voir le bibliothécaire pour lui conseiller quelques ouvrages qui auraient leur place dans les rayons d'Histoire. Non pas parce que ces derniers étaient vides, bien au contraire, mais parce que les livres d'Histoire se renouvelaient sans arrêt, les nouvelles découvertes bouleversant les théories passées et rendant faux tout ce que l'on croyait connaitre jusque-là.

Revenant à la géographie, Miku prit avec elle plusieurs ouvrages qui pouvaient lui être utiles, histoire d'illustrer ses propos. Faire de la géographie sans une bonne carte sous les yeux ne servait évidemment à rien... même si cette matière ne se résumait pas uniquement à placer des noms sur de villes et des pays.

S'installant à une table dans un coin qui semblait tranquille, la jeune femme se doutait bien que le Rônin allait la trouver sans trop de difficultés. Lunette sur le nez, Miku s'amusa à feuilleter un livre, ne s'attardant que sur les images, comme l'éternelle petite fille qui vivait toujours en elle. Elle stoppa sa consultation aléatoire lorsqu'elle sentit une présence se tenir à quelques mètres d'elle. Levant la tête, elle put constater l'arrivée du Rônin.

« Bonjour Tanaka-kun ! Tu es pile à l’heure ! »

Il s'agissait d'un jeune homme agréable et toujours de bonne humeur lorsqu'il venait en classe. D'ailleurs, Miku ne se souvenait pas l'avoir vu un jour abattu, contrairement à beaucoup de lycéen qui avait des hauts et des bas. Il était capable de vous faire éclater de rire en un instant avec une facilité déconcertante, mais surtout, il savait s'arrêter à temps, conscient que les blagues les plus courtes étaient souvent les meilleures. Il n'avait, par contre, pas de difficultés particulières en sciences sociales, peut-être plus dans les matières scientifiques lui semblait-il, mais ce n'était pas pour autant que Miku avait refusé de le rencontrer pour l'aider un peu s'il en ressentait le besoin.

Après une matinée sportive, l’après-midi s’annonçait plus calme. En effet, avoir réveillé ses camarades masculins en fanfare avec sa trompette dont il avait du mal à se séparer, avait fait les foudres de ces messieurs. Sauf que d’un côté, les profs pouvaient être assez heureux de voir que les élèves se levaient tôt pour leur cours et de l’autre côté, il risquait sa peau. Encore heureux qu’il ne le faisait pas tous les jours non plus. Akira était un peu le réveil matin comme dans les casernes militaires. C’est pourquoi, le matin était sportif. Courir pour fuir les furieux qui le poursuivaient. En plus, il aurait pu participer aux compétitions d’athlétisme s’il le pouvait mais il était un peu trop vieux.

Au déjeuner de midi, le martien n’était toujours pas rassuré du tout. Il sentait le regard des habitants du premier étage sur lui. Pour une fois, il regrettait d’avoir les cheveux verts. Il faudrait peut-être qu’il songe à se calmer ou même trouver autre chose à faire au lieu de réveiller la cavalerie un jour de congé. Le problème c’est que c’était beaucoup trop tentant surtout quand on est de bonne humeur comme aujourd’hui. Sans vraiment de raison particulière. Peut-être le fait d’avoir rencontré des élèves et créé quelque lien à fait qu’une partie de lui le mettait en pleine joie.

Après avoir posé son plateau, il quitta le bâtiment Meiji pour ce rendre à celui de Showa. Dans les couloirs, Akira avait un sourire amusé. Ses oreilles étaient assez baladeuses et certaines rumeurs étaient en train de se faire entendre. Certains couples étaient surtout le sujet préféré des filles, pour les garçons, c’était surtout le sport, les filles et les adultes féminines de Ginkgo Gakuen. Assez écouté, il se dirigea rapidement vers la bibliothèque. D’une part, parce que c’était un lieu calme, d’autre part, il avait du boulot à faire. Il avait une bretelle de son sac à dos sur l’épaule et quelques bouquins sous le bras. Il marcha jusqu’en direction d’une table où une de ses profs était installé.

« Bonjour sensei…pile à l’heure dites-vous ? Nous avions rendez-vous ? », avant de s’asseoir à son tour, il tapota sa joue afin de se rappeler de quelque chose.

Visiblement, il avait rendez-vous avec Takada-sensei. Mais il ne se souvenait pas du sujet de rendez-vous. Cela devait sûrement être en rapport avec les cours de la jeune professeure mais quoi ? Cela reste un mystère. Il n’avait pas fait de bêtises dernièrement pour être sanctionné d’après ses souvenirs. C’est alors qu’il se mit à hocher la tête comme si ça lui revenait en mémoire.

« Ah oui c’est vrai…on devait revoir une scène de Molière ou Shakespeare ! En plus, il fallait qu’on trouve un costume adéquat pour moi, le futur narrateur, je me trompe ? »

C’était le cas de le dire il était complètement à l’Ouest le jeune étudiant. Totalement même. Il savait bien qu’il pouvait parler plus ou moins ouvertement avec Mademoiselle Takada. Il eut un petit rire moqueur avant de poser ses livres sur un coin de la table et son sac au sol pour tirer la chaise et se joindre à la professeure des sciences sociales.

Miku regarda le Rônin prendre place en face d'elle, les yeux grandement écarquillés. Elle hésita un instant, entrouvrant la bouche pour parler puis la refermant jusqu'à que le jeune homme ne se rende compte de son malaise soudain. Elle sourit un peu bêtement, n'arrivant pas à savoir si Akira plaisantait ou non. S'il avait réellement oublié leur rendez-vous, il ne serait pas là maintenant non ? Elle allait s'en persuader, mais lorsqu'il évoqua Molière et Shakespeare, la japonaise comprit finalement qu'il était complètement à côté de la plaque...

« Tanaka-kun ! Dis-moi que c’est une plaisanterie. Si même toi tu n’écoutes pas ce que je raconte, je vais rendre mon tablier de prof et je vais partir élever des tortues géantes sur une île déserte ! »

Soupirant doucement, Miku réafficha néanmoins son sourire, trouvant la situation plutôt amusante même si elle était un peu étrange. Pour mettre alors les choses au clair, elle entreprit de faire un petit résumé au jeune homme de leur dernière rencontre, ce dernier ayant visiblement autre chose à penser... peut-être avait-il d'autres priorités... L'archéologue pouvait alors comprendre qu'il occultait, volontairement ou non, certaines choses.

« Nous avons parlé de la géographie la semaine dernière et c’est pour cela que nous devions nous retrouver ! Tu voulais faire un point sur les États-Unis il me semble. Tu te souviens ? Ou est-ce moi qui confonds tout ? C’est peut-être possible… »

La jeune femme scruta alors le visage du jeune homme pour y voir une réaction, témoin que son cerveau venait de refaire émerger cette information. Peut-être que Miku n'était pas très douée pour cela, car malheureusement, elle n'était pas capable de dire si le Rônin feintait de se souvenir ou s'il avait réellement oublié. S'il ne lui avouait pas, elle ne le saurait certainement jamais. Elle était néanmoins étonnée de voir qu'il était si tête en l'air... car elle n'avait jamais remarqué ce défaut chez lui. Peut-être avait-il des problèmes en ce moment qui faisaient qu'il avait d'autre chose à penser que ses révisions... Là encore elle n'aurait pas de réponse, Miku n'allant pas s'amuser à s'incruster telle une psychologue dans la vie du jeune garçon.

En attendant, si elle avait su, elle serait partie faire les magasins, ou aider les élèves passant les examens très prochainement, les Rônins n'étant pas concernés par ces derniers. Enfin, Miku ne lui en voulait pas, bien au contraire, elle préférait prendre à la rigolade cette attitude désinvolte. En réfléchissant bien, elle avait, elle aussi, son lot d'étourderies au compteur... du temps du lycée, mais c'était toujours le cas aujourd'hui !

« Et nous ne parlons ni de Molière, ni de Shakespeare au théâtre... ce sera une pièce de Yukio Mishima « Le lézard noir ». D'ailleurs j'ai eu l'autorisation de la direction pour t'embaucher, mais pas en tant que narrateur...»

Sortant une pochette en carton de sa serviette destinée au club de théâtre, elle récupéra le cv du jeune homme avant de le lui faire glisser sur la table et de lui montrer du doigt un point qui avait attiré l'œil de la jeune femme. Il s'agissait du mot « couture »...

« Si tu le veux bien, je cherche quelqu’un pour faire les costumes pour la pièce… Et comme tu as mis ce point en avant, je me demandais si cela pouvait t’intéresser ? C’est comme tu le désires… »

C'était un peu plus prenant que le boulot de narrateur, mais Miku le trouvait quand même un peu plus intéressant. Elle espérait donc qu'il allait accepter au moins cela. Le club de théâtre étant un peu à la dérive, un bon coup de mains était le bienvenu et même si le lycée allait rémunérer le Rônin pour cela, la facture serait bien moins importante que si elle faisait appel à un vrai couturier.