Cela faisait bien quelques années qu'il n'avait pas été trainer dans ce genre de lieux : Son metier ne l'avait jamais conditionné aux endroits festifs. Le bruit par contre n'était pas un problème, et même si les sons trop brusques ou trop apparentés à ceux d'une explosion le faisaient fremir malgré lui, l'ambiance electro de cette boite de strip tease ou Cathan l'avait trainé bon grès mal grès lui étaient tout à fait supportable. Ce qui l'était un peu moins, c'était la vision de ces filles aux jolies courbes qui ondulaient en rythme avec la musique. Ou pour tout dire, elles lui étaient indifférentes, et c'était peut-être ça le problème et le détail qu'il devrait transmettre à Cathan.

Comment avait il atterit la déjà ? Le début de soirée s'était annoncé morose. Un peu plus de douleur qu'a l'accoutumée, un peu de nostalgie, un coup de fatigue, un petit coktail spontannement réuni qui l'avait poussé à rester assis sur le canapé, l'air un peu boudeur, regardant la télévision d'un oeil peu interessé. Il ne savait pas quelles avaient été les raisons qui avaient poussés Cathan à l'inviter : Envie de sortir entre mecs, envie de le connaitre un peu plus ? Quelque part, il s'en fichait bien. Il en apprendrait plus sur ses motivations bien assez tôt.

Pour le moment, installé sur une confortable banquette, un 3eme coktail en voix d'exctinction sous son nez et une furieuse envie de fumer se confrontant à l'agacement de devoir aller dans cette salle pour fumeur sous pression, Gabriel se contentait d'observer d'un oeil vaguement interessé les danseuses qui, malgrés leurs charmes, étaient bien incapable de réveiller le moindre ersatzt de libido en lui. Mais être sortit lui changeait tout de même les idées. Pour cela, il était reconnaissant envers le rouquin.

Assis face à lui, celui-ci mattait sans retenue sa favorite qui dansait non loin. Les yeux mi clos, Gabriel songea à cette image qu'il avait surpris de son colocataire, un jeune homme qu'il avait bientôt identifié comme étant le prof d'anglais endormi sur ses genoux comme un gosse. S'il peinait à le prendre au sérieux à cause de son apparence, ce genre d'attitude avait définitivement enfoncé les a priori qu'il avait sur lui. Et avait induit le trouble sur les préferences de Cathan qui apparement n'était pas fine bouche et goutait à tout ce que la vie lui proposait comme le montrait son attitude.

Ou alors une autre explication se trouvait derrière cela. Mais voir cet homme si méfiant soudainement si détendu demeurait quelque chose de surprenant sur lequel il ne pouvait s'empêcher de cogiter un minima.

"T'es un habitué du coin ?"

Sans être un habitué, Cathan lui donnait de toutes manières, la plupart du temps, d'être à l'aise ou qu'il se trouve. Une aptitude de caméléon qu'il trouvait un peu trop bien ciselé. Il savait bien que son cerveau en manque de travail aurait trouvé louche le détail le plus insignifiant, mais il ne parvenait pas à s'oter de la tête que Cathan n'était pas le type banal qu'il voulait laisser croire.

La raison qui l'avait poussé à proposer à son coloc de sortir ? C'était plus un ensemble de petites choses qu'une vraie envie d'une sortie entre coloc pour se lier et se raconter ses secrets en buvant verre sur verre – bizarrement, il était quasi sur que dans de toutes les soirées possibles qui se profilaient sous leur nez, aucune ne risquait de s'achever ainsi.
Il n'avait pas eu envie de sortir seul pour draguer, ni de débaucher ses partenaires habituels de sortie – Jiro était un peu trop morose ces temps-ci, et il avait beau apprécier son petit frère, la dizaine d'année d'écart entre eux se faisait parfois sentir. Si bien que quand il avait croisé l'ex-reporter et son regard désabusé autour d'une tasse de café dans le salon, Cat n'avait pas résisté à l'envie de lui proposer de sortir. A sa grande surprise, l'homme n'avait eu besoin de se faire tellement prié, et c'était ainsi qu'ils avaient fini dans le club, à regarder les demoiselles peu vétues se déhancher en rythme avec la musique.

Contrairement au blond dont le regard balayer les danseuses sans paraître y trouver un grand intérêt, Cathan caressait du regard ces courbes généreuses, avec tout le plaisir qu'on pouvait trouver dans un esthétique sublime et sans les inconvénients. L'équivalent d'un musée pour jolies femmes en gros, sans l'inconvénient du côté rébarbatif des salles poussiéreuses qui renfermaient des oeuvres immobiles.

Le roux déposa son verre de whisky sur la table à la question, tournant un regard interrogateur sur son compagnon. Etait-ce le veuvage qui l'avait rendu aussi indifférent dans la gente féminine ? Il aurait pourtant cru qu'à force d'être seul, Gabriel aurait eu quelques saines envies masculines... Si c'était là tout l'effet qu'offrait un couple stable à un humain normal, Cathan restait fermement campé sur ses convictions qui lui interdisait de s'approcher de près ou de loin à ce qui ressemblait à un couple stable. L'idée de sembler ensuite être à demi mort quand on perdait l'autre moitié... Il se souvenait du regard désespéré d'un collègue qui avait divorcé et qui avait semblé à deux doigts de se coller son glock dans la bouche pour en finir une bonne fois pour toute. Il avait du mal à comprendre comment on pouvait abandonner autant de soi pour un autre.

Il secoua vaguement la tête, son regard courant sur les charmantes demoiselles. Il avait beau apprécier par moment les hommes, il ne pouvait reconnaître qu'une chose : jamais un mâle ne serait aussi attirant ou excitant qu'une demoiselle, surtout en train de danser. Etait-ce un simple constat esthétique ou une révélation plus profonde sur ses préférences ? Qu'importe, ce n'était pas le genre de sujet sur lequel il se prenait la tête.

«  Habitué ? Non. J'ai confisqué la carte à des élèves de 3ème année... j'ai trouvé amusant de savoir qu'on serait là pendant qu'eux seraient en train de bosser sur des exos supplémentaires sur les équations différentielles. »

Cathan reprit son verre en main avec un sourire ironique - savoir que ses élèves comptaient aller dans ce genre d'endroit ne le dérangeait pas, ils avaient leur éducation à faire – mais ne pas avoir leur entière intérêt dans la salle de classe, voilà qui ne pouvait rester impuni. Ils apprendraient à être plus discret pour la prochaine.

« C'est rare d'être dans un endroit où je ne vois pas tellement de différences avec l'équivalent américain. »

Gabriel eut un rire chaud et bas à la déclaration de Cathan, ne s'attendant pas à une pareille origine pour l'adresse du lieu. Il aurait plus imaginé Cathan découvrant le lieu par hasard avec d'autres collègues, baroudeurs. Mais à bien y réfléchir, il ne le voyait pas trainer avec tant de professeurs que ça. Il y avait bien le prof d'espagnol, qu'il connaissait apparemment d'une ancienne école, mais c'était bien le seul pur japonais du lot. En fait, ce n'était pas bien difficile de comprendre ce que Cathan lui trouvait, surtout au vu de ses paroles en cet instant : Ils étaient tous les 2 étrangers. Peu importe leur nationalité d'origine, il y avait les japonais et le reste du monde.

Lui même était relativement polymorphe à cet égard, capable de s'accoutumer rapidement et presque instinctivement aux lieux qu'il fréquentait. Capacité acquise durant son travail doté d'un aspect quasi indispensable au final.

"J'avoue, je trouve ça amusant moi aussi."

Concéda t'il avec un petit mouvement de tête. Imitant son collègue, il porta lui aussi son verre à ses lèvres dans un mouvement flegmatique.

"Chaque pays à ses secrets. Le japon fait figure austère, mais quand on va la ou il faut, il n'est au final pas si différent des autres sur certains idées..."

Le japon était même le pays qui avait réussi à porter certains plaisirs de la chair à un niveau de raffinement sans précédents, comme en témoignait les pratiques du Nyotaimori (l'art de manger des sushi sur une femme nue) qu'il n'avait jamais réussi à apprécier, sans parler d'autres pratiques du même genre dont il préférait encore ignorer l'existence. Et de par son passif bien plus liberté que celui des pays occidentaux, les mœurs pouvaient se trouver encore plus libérées.

"Voir même pire, il faut l'avouer."

Il observa un instant Cathan, les lumières des stroboscopes donnant par moment une couleur d'un rouge complétement saturé à ses cheveux, arborant lui même ce regard un peu trop analytique qu'il ne pouvait empêcher ses yeux clairs d'avoir dès qu'il fixait quelqu'un de manière un peu trop marquée.

"Ton pays te manque."

Question ou affirmation, à Cathan de le décider. Lui même n'avait jamais véritablement ressentit le manque du pays, ne s'étant jamais réellement installé nul part. Il y avait bien eut des appartements de passage avec sa femme, mais jamais bien longtemps... Le mouvement et l'agitation étaient son chez lui, l'endroit ou il se sentait bien. Plus une histoire d'état d'esprit que de lieu. Mais ceux qui étaient nostalgique d'un pays n'étaient pas, au final, nostalgique d'une ambiance eux aussi ? Finalement, les choses se rejoignaient assez facilement.

Cathan haussa les épaules, les yeux rivés sur les courbes gracieuses d'une jeune femme qui se courbaient autour d'une barre, mises en valeur par les rares pans de tissus chatoyants qui la couvraient encore. Le mal du pays ? En quelque sorte. Ce Japon sage et masqué n'était pas vraiment fait pour lui, mais ça, il le savait à l'instant même où il posait un pied en sol nippon et tendait sa carte de séjour à un employé des douanes empressés. Il était habitué à la violence et la vulgarité américaine, à l'insécurité permanente, au bruit, au tumulte et à l'agacement sous-jacent. Il reconnaissait – et appréciait – bien des qualités au Japon, mais restait un manque facilement identifiable. L'expérience était néanmoins intéressante, et il la prenait comme telle.
Savoir qu'il ne resterait pas indéfiniment au Japon était aussi rassurant quelque part. S'il avait du partir sur le postulat qu'il était là ad vitam aeternam... il aurait surement pris les choses moins gracieusement.

Son verre de whisky trouva à nouveau le chemin de ses lèvres, témoin muet de ses préférences non-japonaise, le saké et autres alcools japonais restant pour lui un vague mystère au gout peu intéressant.

"Je suis américain."

Avec un côté japonais par accident de naissance. Tout ce pan de culture inculqué par les cours imposés par sa mère n'était qu'illusoire : c'était des cours bien appris, un vernis joliment apposé sur ce qu'il était en fin de compte, un pur produit américain, aux ascendances chamarrées comme pas mal de ses compatriotes. Irlande, Japon... S'il n'avait aucunement honte de là où il venait, il n'en tirait pas non plus une fierté exacerbée, pas comme ce malin plaisir qu'il prenait à dire qu'il venait des USA, avec son japonais matiné du lourd accent de la côte Ouest.

La question qui se posait était plus de savoir s'il aurait un jour mis les pieds au Japon s'il n'avait pas senti le besoin subit de s'éloigner un peu de ses collègues fédéraux. Cathan dissimula un sourire ironique dans son verre. Non, la question n'aurait pas été de savoir s'il l'aurait fait, mais de savoir quand ça lui serait tombé dessus. Il était illusoire de croire qu'il aurait passé sa vie sans faire aucune connerie qui ne mérite de prendre un peu le large. Le job au FBI avait eu beau être hautement intéressant et amusant, ses doigts le démangeaient trop pour qu'il reste toute sa vie du bon côté de la loi, à remplir sagement des dossiers une fois la mission bouclée. Ce n'était pas comme si la plupart des agents suivaient parfaitement les règles... c'est juste qu'il avait été un peu fort ces derniers temps.

"Et se trouver dans une culture différente est formateur, surtout dans une culture toute aussi chauvine que la culture US."

Cathan souleva son verre en direction de la scène et des jeunes femmes, un sourire malicieux pour Gabriel. La curiosité de l'allemand alliée à sa passivité en faisait un adversaire curieux à contrer. Le blond ne faisait que rarement preuve de ces pointes de nervosité ou d'intéret qu'il voyait habituellement dans ces interlocuteurs. Au contraire, il semblait toujours garder un certain recul neutre. Déformation professionnelle ou simple lassitude d'un homme qui avait perdu tout intérêt pour la vie ?

"Aux femmes nues, toujours aussi belles quel que soit le pays."

Le sourire de Gabriel, serein, ne démentit par l’affirmation à laquelle il s’était plus ou moins attendue. Même si la manière de répondre l’aiguillait un peu plus, si besoin était, sur le caractère de son camarade. La seule chose qu’il n’avait toujours pas deviné, c’était bien ces origines japonaise si bien cachées.

Le verre tendu, invitation, ne pouvait être refusé… Mais il ne pouvait non plus trinquer à ce qui le laissait de marbre. Question de sincérité envers lui même. Il n’avait jamais été du genre à agir de manière contraire à ce qu’il pensait, même pour sauver les apparences. Et il était peut-être temps que son colocataire se rentre dans le crane qu’il pourrait lui mettre tous les culs trémoussant qu’il voulait sous le nez, ça ne le ferait pas plus réagir.

« Je préfère trinquer aux rencontres. »

Toujours hasardeuses, parfois fertiles. Toujours utiles. Boudhiste convaincu, Gabriel croyait au bénéfice de chaque rencontre, aussi brève soit-elle. Les verres s’entrechoquèrent sans créer de bruit supplémentaire dans le brouahaha ambiant de la musique, et le verre retrouva le chemin de ses lèvres ou il ne but qu’une courte gorgée, l’alcool lui rappelant définitivement trop cette période ou il en avait abusé.

Un instant, ses pensées s’égarèrent, avant qu’il n’en revienne à Cathan après un bref clignement des yeux. Peut-être avait il déjà un peu trop bu, prenant exemple sur la descente volontaire de son compagnon.

« Désolé, je ne suis peut-être pas le joyeux drille que tu aurait voulu pour compagnie. »

Son rictus était peut-être un peu plus amer qu’il ne l’aurait voulu. Jouant avec l’humidité laissée par son verre sur la table, il traça du doigt un sillon éphémère.

« Tu es venu faire du lèche vitrine ou tu pense te trouver une amie d’une nuit ici ? »

Tant pis s’il se doutait de la réponse. Il aimait faire la conversation, même de manière superficielle. Il se présentait toujours une faille, à un moment ou un autre, qui changeait radicalement le ton d’une conversation.

Cathan répondit à l'affirmation de Gabriel par un léger de bruit de gorge qui n'avait pas vraiment de signification. Non, Gabriel n'était pas du genre joyeux drille, mais il ne s'était pas non plus attendu à voir s'opérer en lui une métamorphose au moment où il lui avait proposé de sortir. Ce genre de volte face comportementale était le fruit des jeux vidéos, ou du genre de malade mentale dont il préférait éviter la compagnie. Un instant, il se demanda comment avait été le reporter de guerre, avant de perdre sa femme et l'usage de sa jambe. Plus enthousiaste, ou tout simplement pas du genre à rester assis en place plus de 5 minutes ? Il n'aurait surement jamais sa réponse, mais il y avait gros à parier qu'ils auraient probablement eu des points communs... autre temps, autre vie.

Le roux tourna son regard en direction de la scène, fixant les charmantes beautés dénudées. Honnêtement, s'il avait cherché une compagnie pour la soirée, il n'aurait pas jeté son dévolu sur une de ces femmes exhibées, aussi jolies soient-elles. Il préférait leur laisser le mystère de la scène, et pour sa part, draguer des demoiselles légèrement plus vétues - autant ne pas partager la vue avec tout le monde – même s'il préférait ne pas parier qui des danseuses ou des filles croisées dans un bar avaient les mœurs les plus légères. Il cherchait quelqu'un pour s'envoyer en l'air, par pour un examen de conscience.

"J'évite d'emmener des rivaux potentiels quand je cherche quelqu'un pour la nuit."

Même si l'intéret de Gabriel pour les demoiselles semblait s'arréter à un regard morne pour son alliance, comme le témoignait sa manière absente de regarder les danseuses. A aucun moment il n'avait eu cet étincelle qu'on les mâles normalement constitués à la vue d'une jolie femme, juste un poli intéret esthétique avant de s'intéresser à autre chose. Il était prêt à parier qu'il pouvait donner les détails de la tenue des serveurs plus aisément que les caractéristiques des danseuses en scène. Fichu reporter, toujours à observer le moindre petit détail. Il avait beau savoir qu'il ne risquait pas grand chose de l'allemand, un reste de méfiance s'interrogeait des motivations et des intérêts de son colocataire. De là à se demander s'il serait capable de tenter de fouiller dans son passé, il n'y avait qu'un pas... D'un autre côté, Gabriel était au Japon pour se reposer, tellement dépressif que son seul intérêt résidait dans l'entretien de ses bonzais. A moins qu'il ne commence à lui balancer des armes ou des infos concrètes sous le nez, il y avait peu de chance qu'il s'intéresse à lui.

La musique changea, un espèce de mix oriental quelque peu différent des musiques électroniques diffusées jusqu'à présent. Cathan identifia rapidement la raison du changement : la danseuse entrée sur scène, à l'opulente chevelure sombre et aux courbes plus prononcées, n'avait rien de japonaise, et la musique comme sa tenue ne faisait que souligner cette différence. Elle commença langoureusement à danser, s'attira l'intérêt de l'américain comme de tous les mâles de la salle. Au moment où elle se retourna, Cathan manqua de s'étouffer avec son whisky, pour une fois totalement pris de court.
Son premier réflexe fut de se tourner vers son collègue pour voir s'il avait vu la même chose que lui, ou s'il devait supposer coupable le blond de la substance illicite qu'il avait du coller dans son verre à son insu.

L'œil sur sa montre, Gabriel guettait depuis un moment déjà la possibilité de reprendre une de ses pilules magiques, et la gobait d'un geste habitué et presque transparent lorsque Cathan lui répondit d'une petite remarque sur son potentiel de rival en amour. En apparence peut-être, mais en pratique... Son regard passa sur le roux, analytique. Malgré leurs âges certainement très proches, il ne pouvait s'empêcher de sentir plus vieux. Cathan n'avait pourtant rien d'un jeune chien fou mais il y avait en lui un dynamisme et une certaine insouciance, une envie de vivre au présent, que le plaçait dans un rôle de cadet. Il aurait parié sans ciller qu'apprendre cela aurait profondément vexé son colocataire.

Le changement de musique lui fit tourner le regard comme pour la majorité de ceux présents dans la salle pour constater l'entrée d'une danseuse un peu plus exotique que les autres. Le costume était soigné même si présentant quelques incohérences, et la jeune femme avait ce petit quelque chose qui attire l'œil, ce comportement propre à celles qui n'ont pas froid aux yeux et...

Gabriel tourna le visage vers Cathan au même moment que lui, lui présentant en miroir son expression interloquée. La réaction du roux laissait croire qu'ils avaient, effectivement, bel et bien vu la même chose. La surprise de mela vite en un amusement canaille chez Gabriel, qui reporta son regard sur la scène.

"Ah oui. Jolies formes. J'en était sur."

La question de savoir pourquoi et comment leur colocataire si prude et réservée se trouvait actuellement à se mouvoir langoureusement sur scène était accessoire. Il le saurait par la suite, les raisons ne seraient pas bien dures à trouver. Pour le moment, Radha avait le mérite d'avoir réellement attiré l'attention du blond sur elle. Pas dans cette optique alléchée qu'affichaient la plupart des hommes présents, mais bien sa curiosité primaire, toujours prompte à se réveiller, cette curiosité qui l'avait mené sur ce chemin qui avait été le sien.

"Mais j'aurai parié sur du C, mais en fait c'est plutôt du D, non ?"

Le ton faussement désinvolte de Gabriel avait un petit arrière gout de fou rire contrôlé face à cette étonnante surprise. Finalement, quelle excellente idée ça avait été de venir ici ce soir.

La surprise et l'incrédulité se disputaient gentiment la place, ondulant au même rythme que les mouvements de hanche d'une femme qu'il avait juste là complétement oublier de regarder en tant que telle. Intelligente et compétente, sans soucis, mais dont le comportement n'incitait guère à plus. Il y avait gros à parier que les jours tranquilles de leur colocation touchaient à leur fin, embrasés dans un somptueux strip tease. Le commentaire de Gabriel amena un rire chaud à Cathan, borderline d'un vrai fou rire.
Le roux finit son verre en une gorgée et le reposa d'un coup sec sur la table, un sourire de matou matois sur le visage. Gabriel semblait sorti de sa torpeur, le regard rivé à la jeune femme dans une expression de connivence. Se demandait-il déjà à qui refourguer ce type d'info ? Ce genre de pensée était mesquine – est-ce que lui se demandait si tout le monde autour de lui préparait un meurtre ?
Certes, il avait tendance à observer les gens pour voir s'ils étaient potentiellement armés, mais il avait fini par laisser tomber devant le côté boyscout de la plupart des gens au Japon : il suffisait de voir la manière qu'avaient les flics de récupérer les adolescents sortis trop tard le soir dans la rue pour s'en persuader.

" Je suppose qu'il n'y a qu'un moyen de le savoir... l'attendre à la sortie de son spectacle et lui poser la question."

Passer sous silence cette découverte semblait impossible. Il avait beau être bon menteur, ignorer cet évènement et continuer à regarder Radha comme auparavant était un exercice de haute-voltige sur lequel il n'avait pas envie de se lancer, d'autant plus qu'il avait beaucoup de doute sur les capacités de Gabriel à tenir sa langue. Ou même sur son envie de le faire.
Et pour faire plus simple, même si elle était concentrée sur scène, il voyait mal comment l'indienne pourrait rater le grand blond et le grand roux au milieu d'un public essentiellement japonais, sur une des tables les plus proches de la scène. A moins de danser les yeux fermés, elle ne pourrait que noter ces regards rivés sur elle avec plus de curiosité que d'avidité.

L'américain héla le serveur qui s'empressa de venir à leur table, habitué à servir des étrangers empressés et peu au fait des habitudes japonaises. Dans ce genre de situation, encore une fois, peu de différences entre les boîtes japonaises et américaines : le client était roi, et l'on obtenait ce que l'on voulait pour peu que l'on y mette les formes – et le prix. Dans cet ordre d'idée, sa requête n'avait rien de vraiment surprenant.

"Pourriez-vous faire apporter des fleurs dans la loge de cette charmante demoiselle ? Et lui transmettre que nous serions ravis de discuter entre gaijins si ça l'intéresse."

Le serveur s'inclina avec un léger sourire condescendant, assurant toutefois à Cathan que sa demande serait accomplie en même temps que le roux lui tendait les billets. Nul doute qu'il devait voir ce genre de comportement 10 fois par soirée, avec des résultats plus ou moins probants de la part des danseuses. Dans un endroit de ce standing, elles avaient surement autre chose à faire que de se faire voir au bras du premier client qui lui faisait un clin d'oeil. Curieusement, il ne doutait pas que sa demande aurait un effet sur sa colocataire. Lequel par contre... ça restait encore à voir.

Jouant avec son verre, Gabriel ricanna à l'idée du roux. Il n'allait pas lui demander tout de même. Fouiller dans ses sous vêtements était suffisant. Mais il préférait deviner à vu d’œil. Passe temps idiot comme un autre. Même si l’intérêt était uniquement simulé.

Quelle amusante compagnie ils faisaient tous, vraiment.Le secret dissimulé sous le sage voile de l'indienne était vraiment croustillant, il n'était pas déçu du voyage. Même si déjà, il se demandait pour quelle raison la jeune femme venait se produire dans ce genre d'endroit alors qu'elle possédait déjà un poste des plus honorable dans une école cotée. Devant lui, Cathan hela un serveur, lui confiant quelques billets et une demande légèrement particulière qu'il n'était pas sur de voir contentée.

"Quelles manières de vieux."

Commenta t'il face au geste de Cathan, mi moqueur mi appréciateur, tandis que le serveur s'éloignait. Il se demandait si le roux voulait se moquer ou était principalement mu par la curiosité. Il avait souvent été étonné qu'il ne cherche pas plus cela à draguer l'indienne. Certes, elle ne donnait pas forcement envie d'agir ainsi, mais ce n'était pas ça qui retenait les hommes la plupart du temps.

"Elle ne viendra pas. Elle est du genre à fuir par la porte de derrière. Donc si tu veux la voir à la sortie..."

Il reposa son verre, certain de ce qu'il avançait. Déduction poli par des années d’expérience et de psychanalyse de base sur le comportement des gens. Elle avait si soigneusement cachée son activité jusque lors, et ne leur devait rien : Elle fuirait la confrontation, pour le moment du moins. Le temps de se trouver en terrain plus neutre pour elle. Ici, elle se sentirait bien trop mal à l'aise.

"Et le ptit gars, la, qui a les mêmes cheveux que toi, il est quoi pour toi ?"

La question tombait peut-être à brule pourpoint pour Cathan, mais pour Gabriel, elle était la suite logique d'une chaine de réflexions. Tant pis s'il ne la suivait pas d'ailleurs. Lui, la question qu'il se posait principalement n'était pas lié au sexe du gamin - il s'en fichait bien - mais plutôt à son age. Que fichait Cathan avec quelqu'un dont on ne croyait pas qu'il soit un prof avant de l'avoir vu rentrer avec assurance dans la salle des professeurs ? Il avait été tenter de l’accueillir avec un "tu viens voir quel prof petit ?" mais s'était abstenu.

Le roux offrit un demi sourire narquois à l'allemand, amusé par l'explication de texte dont il n'avait pas besoin. Certes, les américains n'étaient pas connus pour leur subtilité, mais nul besoin d'exagérer à ce point. Il fallait être un vieux beauf, ou confit d'orgueil et de fric pour penser attirer les filles par ce genre de moyen – enfin, une femme comme Radha – pour la majorité des strip-teaseuses et autres call-girls, ça devait effectivement marcher.
Détournant son regard du blond pour un spectacle plus intéressant sans perdre le sourire, il finit par donner son avis sur la question.

" Sans déconner... je me contentais de m'assurer qu'elle nous avait bien repérer et qu'on aurait juste à aller la cueuillir par la sortie des artistes. Encore combien de temps avant la fin du spectacle ? "

Compter le temps de la fin de la prestation, le temps de se démaquiller et de se rhabiller dans une tenue plus passe-partout.. ils devaient surement disposer de 15 à 30 minutes pour pouvoir la retrouver. Un peu moins s'il devait prendre en compte le détail de la patte folle de Gabriel pour se déplacer. D'après la configuration du batiment, trouver la sortie des loges ne serait pas bien difficile. D'après ce qu'il avait pu constater, tous les batiments japonais étaient construits selon des normes anti-sismiques très strictes, rendant assez logiques les positions des entrées et des sorties. S'y ajoutait le fait qu'il y avait rarement des batiments très anciens comme aux USA – ou pire, dans la vieille Europe – vu la manie japonaise de reconstruire. L'ensemble lui donnait une aisance de déplacement encore plus grande que s'il s'était trouvé dans une ville qu'il connaissait bien. Il avait beaucoup avoir passé des années à L.A et l'avoir écumée de long en large, il y avait la-bas des tas de batiments à l'architecture hasardeuse sur laquelle il n'aurait pas parié. Le plaisir des japonais et de leur esprit stéréotypé.

Que Gabriel amène Akutsu sur le tapis lui attira un franc regard de curiosité de la part de l'américain, qui délaissa un instant le spectacle pour fixer le blond tout en se demandant par quel cheminement il avait pu en revenir là. Qu'il soit curieux n'était pas étonnant – il s'était réveillé avec la gueule de bois et un Aku endormi sur ses genoux un matin sur le canapé du salon, et il n'était pas assez optimiste pour imaginer que personne ne les avait vus – mais le timing de la question par contre... Dans un interrogatoire calculé, ce genre de question désarçonnante était justement là pour perturbé l'interrogé et l'inciter à révéler plus qu'il n'aurait souhaité en dire. Décidément, il n'était pas près de cesser de se moquer des journalistes, même à la retraite. Ce n'était pas une vulgaire jambe boiteuse qui allait dénaturer ce genre d'esprit pernicieux.

" Un ami. On a enseigné dans le même établissement et on y a passé pas mal de temps ensemble vu qu'il a l'esprit plus ouvert que les japonais habituels. Je l'ai pris sous mon aile ce petit con."

Il n'y avait pas à se tromper dans l'amusement et la tendresse qu'il laissait percevoir dans son ton. C'était ainsi qu'il souhaitait faire percevoir leur relation, amicale, avec aussi un échange lié à l'age, auquel se rajoutait la familiarité américaine, ni plus ni moins. Ce qui n'était pas si loin de la vérité au finale, même s'il y avait au final peu de risque qu'il ai pu prendre le tout jeune prof comme kohai pour sa première année d'enseignement vu l'état de sa carrrière. Mais ça, nul n'était sensé le savoir.

" Tu veux savoir autre chose sur mes relations, mon carnet d'adresse peut-être ? Je peux te brancher avec quelqu'un de sympa si ça t'intéresse..."

L’explication le vexa, la question l’intrigua. Autant de petites réactions, révélations de traits de caractère, que Gabriel empilait dans un coin pour dresser un portrait robot de l’homme face à lui. Il haussa légèrement les épaules à la réponse, remuant les glaçons dans son verre avec le petit bâtonnet décoratif qui s’y trouvait.

La réponse au sujet du jeune homme, bien qu’évasive, laissait transparaître un attachement réel. Il fallait bien ça, pour qu’il se comporte de la sorte avec lui.

Gabriel sourit tranquillement, peu atteint par les sarcasmes et même plutôt amusés par eux. L’américain n’aimait donc pas que l’on farfouille dans sa vie privée, typique des gens qui ont des choses à cacher.

« Non merci, je te laisse tes ptits jeunes, tonton »

Ça devenait une obsession de vouloir le maquer non ? Pour se faire proposer des rencontre, rien ne valait mieux au final que d’afficher un total désintérêt de la chose.

Il reporta son regard sur la jeune fille dont le show semblait bientôt toucher à sa fin.

« D’ici 10 mn peut-être. J’vais pisser. »

Lorsqu’il se leva, la douleur dans sa jambe fut foudroyante, écho du temps passé assis sans chauffer le muscle et du redressement trop brutal. Il serra les dents, son visage laissant transparaître sa douleur tandis que son gémissement était heureusement caché par le bruit de la salle, et se dirigea en claudiquant le moins possible vers les toilettes, ou il renonça à tout honneur pour s’asseoir sur le trône pour pisser, frottant vigoureusement sa cuisse douloureuse. Ironie du sort, lui qui se plaisait à trouver les points faibles des autres, ne pouvait supporter d’afficher cette faiblesse, se refusant à trimballer cette fichu béquille en premier lieu.

Un toquage à la porte d’une personne agacée d’attendre lui valut en réponse un coup de pied vigoureux dans la porte pour le faire taire, chose qui eut vite fait de faire réagir l’autre à grand coup de « Sort de la connard ! ». Charmant appel auquel Gabriel eut vite fait de répondre, son pantalon tout juste reboutonné qu’il sortait de la cabine pour cogner le belligérant. Le coup renvoyé le fit reculer, poussant la porte des toilettes pour débouler dans la salle principale, ou leur prise de bec, lancée par l’alcool et le comportement parfois un peu excessif de Gabriel, repris.

Après un coup d'oeil pour la claudication marquée de son camarade, Cathan reposa son regard sur les formes généreuses qui se pavanaient devant lui sans vraiment les voir, l'esprit encore en suspens sur l'autre homme. Un ex-journaliste toujours fouineur, clairement traumatisé – Cathan avait encore à l'esprit cet image du blond sursautant violemment, le regard inquiet, pendant le feu d'artifice le soir du festival. Il avait du mal à ressentir de la compassion pour lui. Un brin de pitié bien sur – que l'autre aborerait surement s'il la ressentait – et surtout beaucoup de compétition, un reste de ce défi qu'il avait toujours eu en tant que fédéral envers ces sales fouilles-merdes qui s'interposaient parfois quand il faisait son job, comme s'ils avaient pu le faire mieux que lui, ou juste pour le simple plaisir de le suivre. L'ensemble le rendait peu disposé à le déconsidérer.

Des éclats de voix derrière lui le sortirent de ses pensées sans réellement l'alarmer. Il lui fallut reconnaitre un juron en allemand – et le japonais accentué qui allait avec – pour enfin tourner la tête et contempler le curieux spectacle de Gabriel accroché au collet de ce qui devait être un touriste américain bien éméché. Les deux hommes semblaient avoir la même capacité d'équilibre l'un que l'autre, et s'invectivaient en tentant de se battre sous le regard choqué des serveurs qui tentaient tant bien que mal de les circonscrire loin de la scène.

Avec un rictus amusé, le roux échangea un regard avec le serveur et se leva, se dirigeant droit sur les belligérants – enfin, plus précisément sur le blond, laissant l'autre à la bonne garde du service de sécurité qui s'était ramené, démontrant avec beauté que les japonais pouvaient aussi être tout à fait baraqués. Coincer Gabriel fut à la fois plus difficile et plus aisé que prévu. Plus difficile parce que le blond était aussi costaud que lui et suffisamment de mauvais poil pour ne pas se laisser faire. Plus facile parce qu'il ne s'était pas attendu à ce que quelqu'un surgisse derrière lui et que ce quelqu'un soit parfaitement entrainé dans à immobiliser les gens quelque soient les circonstances.
En moins de temps qu'il ne fallut pour dire Yamete, les deux hommes se retrouvèrent dehors avec un sourire d'excuse de la part du staff, poli mais néanmoins parfaitement clair sur le fait qu'ils n'étaient plus invités à rester dans le club pour la fin de la soirée.

Sans un mot, Cathan sortit son paquet de clopes et en alluma une, avant de le lancer à Gabriel maintenant appuyé contre le mur de l'établissement, loin de l'entrée. Un long panache de fumée s'échappa de ses lèvres pour aller se disperser dans la tiédeur de la nuit, bien trop silencieuse à ses oreilles après la musique insistante du night-club.

" Marrant, je t'aurais pas imaginé du genre à te faire jeter des bars."

L'américain laissa le silence retomber entre eux, son regard inquisiteur jamais tellement éloigné du visage de l'ex-reporter. La colère y avait remplacé l'apathie, laissant place à quelque chose de bien plus intéressant à observer. Il avait toujours adoré jouer avec le feu.

Il ne cherchait pas à le mettre à terre ou à réellement le blesser : Il se contentait de rendre les coups donnés. L’autre en face devait penser la même chose. Bien vite la sécurité intervint, en toute logique, mais ce ne fut pas eux qui mirent véritablement fin à la rixe, mais bien l’intervention musclée d’une poigne qu’il n’identifia pas immédiatement comme étant celle d’une connaissance : Il y reconnu surtout la main d’une personne habituée à bloquer les gens dans ce genre de situation. Ce n’était pas la première fois qu’il goûtait à ce genre de poigne en vérité. Étrange qu’il n’ait pas développé de tendance SM avec le temps.

Il ne chercha pas à se dégager, se contentant de tourner la tête pour reconnaître son agresseur. La vision de Cathan, finalement, ne l’étonna qu’à moitié. Sans avoir besoin de se concerter, ils sortirent des lieux, retrouvant le calme et la fraîcheur de l’extérieur. Sans surprise, sa jambe lui faisait plus mal que jamais. Se défouler par la colère ne durait qu’un instant.

Il s’était libéré de la poigne du brun – celui ci l’avait lâché – dès la sortie de la boîte, et s’appuya immédiatement contre un muret de pierre pour soulager sa jambe. Son regard intercepta celui de l’américain, qui lui lança sympathiquement son paquet de cigarette, ou il se servit sans un mot. Il oscillait entre colère incontrôlée et calme maîtrisé.

Il se racla la gorge avec agacement à la question, coulant un regard noir vers l’homme qui le regardait avec une curiosité non dissimulée. Il était vrai qu’il donnait plus souvent l’apparence de quelque de pondéré désormais. Il n’avait pas forcement le cœur à fouiller dans la merde. Mais il répondait si on le cherchait.

« T’a jamais été jeune et con ? »

Il eut un hoquet, sarcastique, comme oscillant entre colère et possibilité d’envoyer l’américain chier, et finalement, ce fut un rire qui s’échappa de sa gorge, rire moqueur envers la situation.

« Je suis resté con »

Conclusion plate et assumée. Il leva la main, touchant sa joue meurtrie. La simple caresse de ses doits suffit à faire courir une douleur pointue dans sa joue. Il aurait une jolie marque demain. Pas très sérieux. Il faudrait emprunter du fond de teint à Nalani Dja.

Cathan répondit à la question par un vague grognement qui ne voulait pas dire grand chose chose. Jeune et con ? S'il comptait tout ce qu'il avait fait, cassé, abimé, les gens qu'il avait blessé, les fois où il avait été viré dans un bar, trop bourré pour encore tenir debout, les jupes qu'il avait troussé, l'argent qu'il avait pu détourner, les mandats d'arrêt... il devait avouer qu'il avait dépasser depuis longtemps le stade jeune et con. Il était devenu un maître dans l'art des conneries dans toutes leurs splendeurs. Mais en général, il évitait quand même de se faire virer des endroits où il tenait à passer la soirée.

" Je peux me montrer très con quand les choses ne vont pas dans le sens que je souhaite."

Il avait failli rajouter comme n'importe qui mais rien n'était moins vrai au Japon, ou chacun acceptait de circonscrire ses désirs devant le bien être du groupe et de la communauté. Le Japon éradiquait la notion d'individualité devant celle d'uniformité d'une manière qui faisait frémir, voir révoltait, l'américain.

Le roux tira une nouvelle bouffée de sa clope, appréciant le plaisir simple de la nicotine dans ses poumons après quelques heures passées dans une atmosphère saturée de parfum et de phéromones. Si le club et les danseuses avaient été des plus agréables, ça restait le genre d'endroit qu'il ne fréquenterait qu'occasionnellement. Tout ce genre d'artifices finissait par l'agacer prodigieusement. O, il maintenait l'illusion sans difficulté, mais ce n'était pas son endroit de prédilection. Trop propre, malgré les impressions contraires, trop cadré, sage et lisse, avec une simple illusion de dévergondage. Comme son petit frère, dont l'impression de mauvais garçon ne dépassait jamais une tenue un peu négligée et un sourire de voyou – impression réaliste dans une société ordonnée, mais qui tendait à faire ricaner Cathan dans ses moments les moins charitables, à savoir les rares moments où le Japon dans son ensemble l'agaçait. Heureusement qu'il avait suffisamment la tête sur les épaules pour ne pas chercher les comportements trop destructeurs, et qu'il se connaissait assez pour reconnaître les signes d'ennuis.

" Tu te sens encore d'attaque pour aller escorter la princesse à la sortie de sa loge ?"

Autant éviter de se laisser sombrer dans une humeur songeuse, ou de laisser la colère de Gabriel retomber dans la morosité qu'il arborait habituellement. Une somptueuse danseuse indienne les attendait non loin de là, même si elle ne le savait pas encore, et l'idée d'avoir de quoi embêter leur froide colocataire le titillait assez pour qu'il ai envie de connaître ses réactions, comme un gosse pressé de trouver l'endroit où sont planqués les cadeaux de noël pour le pur plaisir de savoir ce que c'est.

Silencieux, Gabriel observa avec attention le brun face à lui. La manière dont il l’avait empoigné juste avant n’était pas anodine. Mais inutile de lui faire remarquer maintenant. L’information était rangée dans un coin pour plus tard. Il tira sur sa clope avec énervement, sans parvenir à se brûler les poumons comme il l’aurait voulu. Sa colère était toujours présente, tapie sous l’eau qui ondulait juste légèrement, signe des mouvements cachés. Il aurait fallu de peu pour le relancer. Et scheiße, ce que sa jambe pouvait lui faire mal… Quelle idée aussi il avait eut de réagir ainsi à cet idiot de touriste éméché.

La réponse de Cathan était amusante. Il en aurait presque désiré provoquer une situation correspondant aux critères énoncés pour voir le résultat. Mais pas ce soir. Rejoindre la jeune femme à la sortie de sa loge était quand même bien plus amusant et détendant. Et il avait besoin de se faire câliner. Ou engueuler, au choix.

Des japonais éméchés passèrent non loin d’eux, faisant un écart pour les éviter, eux les 2 gaijins à l’allure louche qui fumaient, accoudé contre une rambarde sur le bord de la route. Certainement les prenaient ils pour des voyou ? La méfiance des japonais était parfois désespérante.

Cathan ne resta pas silencieux très longtemps, n’aimant pas l’immobilisme forcé. Il l’avait rarement vu fumer une clope entière sans changer d’emplacement, même sur le balcon ou il allait d’un bout à l’autre au moins 2 fois le temps d’une cigarette, contrairement à lui qui, les mains occupées à lire un journal ou taille un bonsai, demeurait assis sans bouger. Même sans son soucis actuel, il aurait été ainsi d’ailleurs.

« Pour tout dire, j‘espère même un bisous magique pour me consoler »

Rétorqua le blond avec un sourire moqueur, se redressant en serrant les dents pour ne pas laisser paraître la gêne que lui apportait sa jambe. Néanmoins, il laissa à Cathan un espace suffisant pour lui signifier d’avancer et qu’il le suivrait. Il ne voulait pas qu’il le voit boiter.

Pas dupe mais gracieux, Cathan passa sagement devant Gabriel pour ne pas contempler sa boiterie, claudication néanmoins audible quand ils s'engagèrent dans une petite rue plus éloignée de la route passante, sur laquelle donnait la seconde sortie du nightclub. S'il n'avait pas cherché l'endroit, il aurait été dur de le repérer : à part plusieurs serrures de sécurité, rien n'indiquait que la porte était plus importante que les autres. Seule son repérage de la configuration du bâtiment – oui, ça avait du bon d'être capable de se repérer sans difficulté dans un espace euclidien – et les serrures démontraient que l'endroit était bien celui qu'ils cherchaient. Plus qu'à attendre maintenant...

Cat fit quelques pas pour observer la fin de l'allée avant de revenir vers Gabriel. L'endroit n'avait rien de glauque. Une simple petite rue, qui donnait de l'autre côté sur une autre avenue passante d'après ce qu'il avait pu voir, où ne trainait ni SDF ni rôdeurs prêts à détrousser les gens. Ce dont on pouvait s'attendre de la sortie secondaire d'un club de standing – un endroit discret d'où les danseuses pouvaient partir tranquillement, accompagnées ou non – et où personne ne risquait de se faire agresser. Amusé plus que rassuré – faites confiance aux japonais pour rendre aseptisé même les sorties arrières – le roux s'alluma une autre cigarette, en proposant machinalement une à l'allemand.

" La princesse ne devrait pas tarder pour te donner ton calin de réconfort. Ou de félicitation pour s'être battu dans son fief. "

Pour les remercier de leur présence, du bouquet, et de s'être battu. O oui, Radha avait surement du énormément apprécier la soirée et devait avoir hâte de les revoir, il n'en doutait pas le moins du monde. Après un autre petit tour, Cathan prit appui sur le mur d'un côté de la porte, se demandant avec curiosité si des vigiles viendraient faire un tour dans le coin avant ou avec l'indienne. Il était plus que probable que la sécurité des artistes soit assurée un minimum.
Sauf qu'il pensait encore en américain d'une grande ville qui n'était jamais en sécurité. Le Japon... à moins de tomber sur un endroit contrôlé par un Yakuza, personne ne viendrait déranger une artiste à la sortie de sa loge, comportement qui jouait en leur faveur . Qui pourrait croire que les deux étrangers – probablement éméchés – viendraient se promener dans le coin ?

Il avait beau avoir vérifié le lieu, il ne pouvait s’empêcher de laisser son regard fouiller un peu partout autour de lui. Bien que propre et calme, sans les odeurs d'urine ou de détritus souvent associées à ce genre d'allée perdue, il avait du mal à ne pas faire le lien avec les endroits qu'il avait traversé, où il était resté en planque ou avait interpelé des criminels... dur de ne pas être tendu et en éveil, prêt à réagir au moindre bruit plus ou moins suspect. Raison de plus pour garder la clope entre ses mains pour dissimuler au moins un minimum sa réactivité.

Comment savoir ? Comment être sûre ? Elle n'aurait pu répondre à aucune de ces deux questions. Comment savoir s'ils parleraient et à qui ? Comment être certaine qu'ils tiendraient leur langue ? Entre le journaliste et le professeur de mathématiques qui faisait moins enseignant que caméléon, difficile de savoir. Si bien que les deux questions se heurtèrent l'une à l'autre dan son esprit tout le temps où elle faisait son spectacle, ses yeux irrémédiablement attirés à la table où ils n'étaient plus.

Le soulagement la submergea un bref instant, mais s'attarder, sans marquer ses pensées. Même s'ils n'étaient plus là, elle les verrait chez eux. Et en tournant sur la barre, le sourire toujours aux lèvres puisqu'il fallait bien travailler, elle finit par les apercevoir plus loin à se faire mettre à la porte dans les formes. L'attroupement à la sortie des WC et l'état – ce qu'elle en voyait du moins – d'un touriste éméché suffirent à lui donner une idée de ce qui s'était passé.

Immédiatement, elle sentit la colère monter en elle, maîtrisée juste assez pour terminer son show sans accroc néanmoins. Il fallut atteindre qu'elle regagne pour qu'elle se laisse aller à la montrer, le regard noir et les lèvres si finement pincées qu'elles ne formaient plus qu'une ligne presque blanchâtre. Le bouquet de fleurs déposé à sa place dans les loges manqua de finir dans le gosier du premier venu, mais c'eût été inutile, de toute façon. Les seuls qui méritaient de l'avaler pétale par pétale étaient sans doute dehors ou rentrer à l'appartement et en tout cas pas là où elle se trouvait.

Radha s'empara du bouquet, le posa en lieu et place du côté de l'une des autres danseuses – le petit mot en moins qu'elle prit le temps de déchirer soigneusement pour le jeter ensuite. Or de question qu'elle le garde et le ramène, son origine risquait d'interroger leur dernier colocataire et elle avait encore le vague espoir de le tenir loin de cette partie de sa vie.

Ses pensées toutes entières tournées vers les conséquences de sa découverte – sans qu'elle décolère un seul instant – elle se changea rapidement et se démaquilla, recoiffant ses cheveux aussi vite que leur longueur le lui permettait pour faire une sortie bien plus discrète. Bien entendu, quiconque l'ayant regardée l'aurait reconnu, mais au moins sa tenue ne criait plus « gaijin » comme auparavant. Non qu'il y en aurait eu besoin, de toute façon, puisque les deux hommes l'attendaient à la sortie.

« Vous... »

La porte claque sans qu'elle fit le moindre effort pour la retenir.

« Ne remettez plus les pieds ici ! »

Elle s'avança de quelques pas pour s'éloigner légèrement des deux hommes, mettant une distance plus qu'appréciable entre elle et eux. Si la jeune femme n'avait pas déjà réfléchi à ce qu'elle comptait leur dire, probablement en aurait-elle perdu ses mots, s'embrouillant entre tamoul et japonais. Là, son accent définitivement plus marqué qu'à l'accoutumée et la fraîcheur quasi polaire de son ton indiquaient sa colère. Et son regard meurtrier, présage d'acte qu'elle ne commettrait pas même si elle en avait envie, s'attarda sur chacun d'eux lorsqu'elle reprit.

« Puis-je savoir à quoi vous pensiez en vous battant ?! On ne vous apprend pas le savoir-vivre en Occident ? »

Lorsque la porte s'ouvrit dans un grincement, laissant passer une tignasse noire et un visage colérique, il ne fut guère surpris. Il ne s'attendait pas non plus à la voir ravie de leur passage ! Surtout si elle avait remarqué l'altercation, dont il doutait qu'elle soit passée inaperçu, même pour une danseuse sur scène. Mais en fait, à quoi s'était il attendu ? A rien de bien particulier, et c'était ça tout l'intérêt de la chose : La curiosité envers ce qu'il ne pouvait pas deviner ou imaginer.

La porte claqua, ponctuant le mot de Radha, et Gabriel leva un main dans un salut d'idiot, tout sourire. Seul l'hématome sur sa joue dépareillait de son allure d'occidental sympathique.

Le blond afficha un air blessé à l'engueulade. Bey, ils n'avaient même pas fait exprès de venir dans SA boite. Si elle tenait tant à ce que cela reste secret, qu'elle choisisse quelque chose de moins voyant, ou porte un masque lors de ses représentations. Elle n'avait pas pris toutes les précautions, la faute lui incombait donc. Et elle le savait : voilà pourquoi elle était si en colère.

« En occident quand un homme se bat pour une femme, elle est ravie. »

Répondit il d'un ton paisible et légèrement narquois. Elle n'avait pas besoin de connaître la vérité derrière les actes, juste d'interpréter ce qu'elle avait vue : Il lui offrait une interprétation des plus flatteuses, d'avoir levé la main pour défendre sa vertu, n'est ce pas ?

La jeune femme leur tournait le dos, qui était d'ailleurs raide comme la justice. Pas très bon pour une danseuse après le show, elle aurait plutôt dut se détendre non ? Cathan serait certainement ravie de lui proposer ce genre de service d'ailleurs. Ou alors leur colocataire au goût de soleil ?

Le sourire détendu du blond fut le premier à répondre à la hargne de Radha, suivit de près par le sourire de chat de l'américain. Comme son colocataire européen, Cathan ne put que noter sa manière vengeresse de mettre l'accent sur ce qui lui avait posé soucis, et non sur le léger détail de l'avoir vu se dénuder en scène. Il supposait qu'elle n'était pas prête de mettre l'accent dessus devant eux, pauvres mâles lubriques qui venaient se rincer l'oeil devant des danseuses innocentes. Mouais, de son point de vue, elles étaient les artistes, lui était l'esthète qui venait apprécier leur déhanché. Rien de plus, rien de moins.

" Très joli spectacle princesse. Je n'aurais jamais cru que vous cachiez un côté aussi... enflammé. On peut vous raccompagner ? "

La question était surtout rhétorique. Ils allaient au même endroit, et le chat n'était pas encore pret à lacher la proie qu'il venait de se dégotter. Non pour la faire chanter ou lui proposer quoi que ce soit d'indécent – merci bien il était loin d'en être à ce point pour avoir une femme – mais surtout parce que c'était amusant. Jusque là, il n'avait pas embêté cette femme fière et froide parce qu'elle ne donnait pas l'impression d'être abordable, une misandre dans toute sa splendeur qui ne regardait les hommes que d'un oeil méprisant. L'avoir vu danser lui faisait voir les choses sous un autre angle, et surtout, lui donnait un autre angle d'attaque. A ses yeux à elle, lui aussi devenait autre chose qu'un simple meuble gênant : il était une personne à part entière, et encore plus gênant. Le résultat risquait d'être amusant, et l'ambiance de l'appartement 2, déjà houleuse, allait finir carrément survoltée.

Il ne regrettait pas son ancien appartement, même si la colocation avec son frère et le placide Jiro avait été des plus agréables. Celle-ci réveillait son côté joueur plus que jamais, en outre parce qu'entre Luca et Gabriel, il était plus facile de se sentir défié que par Jiro ou Akutsu. Frère ou pas, il lui donnait envie de lui ébouriffer les cheveux, pas de se redéfinir son côté mâle alpha.

La porte se rouvrit juste derrière Radha, laissant paraître un homme d'une carrure certaine dans un costume noir parfaitement repassé. Tout dans son attitude raide, comme une armoire, annonçait le vigile dans sa ronde. Son regard se posa tour à tour sur la danseuse puis sur les deux gaijins au sourire bien trop prononcé pour être honnêtes.

" Vous avez un soucis Nalini-san ?"

Le regard de Cathan se posa sur Radha, joueur. Si elle répondait par l'affirmative, la fin de soirée risquait de se montrer très intéressante. Oserait-elle les faire virer pour s'offrir un retour plus tranquille jusqu'à chez elle ? L'envie de leur faire refaire le portrait ne devait pas lui manquer, mais il savait l'indienne résolument pacifiste – il n'y avait qu'à voir son regard sombre et ses rares commentaires quand Gabriel et lui se retrouvaient à écouter des documentaires sur l'armée ou à parler armes.

Qu'ils étaient exaspérants !

En entendant la porte s'ouvrir derrière elle, suivie du pas caractéristique du vigile, l'Indienne s'était retournée partiellement vers lui. Un instant, elle fut tentée de lui dire qu'elle avait besoin de son aide, que les deux gaijins marchaient sur ses plates-bandes et qu'elle voulait retrouver sa tranquillité. Pourtant, elle savait trop bien que ça ne servirait à rien. Ils partiraient, oui, mais seulement pour mieux l'attendre à l'appartement. De fait, la jeune femme se contenta de secouer la tête négativement.

« Ça ira, ne vous inquiétez pas. »

Radha préféra s'abstenir de préciser qu'elle les connaissait. Sans doute était-ce évident avec sa réponse, mais insister sur ce point après qu'ils aient été proprement mis à la porte du club ne ferait que lui nuire. Néanmoins, la brunette leur rendit toute son attention – l'homme les laissait non sans méfiance, elle était presque sûre qu'il serait vigilant jusqu'à leur départ.

Son regard détailla chacun des deux étrangers présents face à elle. Ils n'avaient rien à faire là et leur association à tous les trois était bizarre. Les deux semblaient pourtant grandement satisfaits d'avoir découvert cet aspect d'elle. Avec hauteur, la brune se demanda s'ils la pensaient véritablement frigide, jusqu'à présent. Pensaient-ils donc qu'elle n'était rien de plus que la jolie Indienne froide et hautaine qu'ils avaient l'habitude de voir ? Elle-même ne se faisait guère d'illusions sur eux. Quoi qu'ils montrent, ils en cachaient autant sinon plus.

« Rentrons. »

Sans attendre une quelconque réponse, la strip-teaseuse les contourna et commença ça arpenter le chemin du retour. L'ordre n'en était même pas un, au plus une réponse à la question posée plus tôt par l'Américain. Derrière elle, elle devinait que les deux autres s'amusaient de ses réactions. Elle en avait l'habitude et leur laissait généralement ce plaisir sans même tenter de les en empêcher. A quoi bon ? S'ils se plaisaient à croire que, d'une manière ou d'une autre, ils géraient et contrôlaient chaque situation, elle n'allait pas les contredire. Elle n'avait guère de temps à perdre pour des enfantillages de cet ordre, même si le blond, avant l'arrivée de leur troisième colocataire, était bien plus supportable.

S’il l’avait pensé frigide jusque la ? Il ne l’avait surtout pas spécialement pensé jusque la. Un élément du décor, une personne envers qui il s’exprimait avec politesse, mais sans se préoccuper outre mesure de son statut de femme, quand bien même les tenues indiennes arborées dans l’appartement la rendaient plus attirante. Peut-être même plus que la tenue du show. Gabriel préférait les jolis paquets cadeau.

Sans un mot de réponse à leurs réflexions, et renonçant apparemment à l’idée de se débarrasser d’eux, l’indienne leur intima froidement de rentrer, ce à quoi il se plia de bonne grâce, sans se départir de son sourire, jetant de temps à autre un regard complice à Cathan. Même si elle rentrait aussitôt dans sa chambre une fois arrivé à l’école, ils avaient tout le temps de lui faire entendre moult réflexions d’ici la…