Sandales, bermuda, tee-shirt, casquette et sac à dos en bandoulière, Detsuda était de nouveau partie pour arpenter les paysages entourant la Gingko. Cette fois-ci, c'était sur l'univers urbain que se portait son intérêt. Il devait se trouver un nouveau téléphone portable car, comme à sa fâcheuse habitude, il avait finit par égarer le dernier. Il n'était pas vraiment attaché à ce genre de choses. Les écrans ne le fascinaient pas tant que ses amis et il ne passait pas tant d'heures à les regarder. Enfin sauf en matière de journalisme, là, il devenait un véritable addict. D'ailleurs, c'était en partie parce qu'il avait entendu parlé de nouveau téléphone qu'on pouvait connecter aux news de nombreux journaux mondiaux qu'il se sentait d'humeur à en racheter un. Après avoir pris le bus jusqu'au centre commercial de Tama Greenwalk, il se retrouva sur le trottoir ou une foule continue passait et repassait devant lui. Loin d'être un habitué de ce genre de lieu, ses yeux noisettes s'égarèrent un instant sur le spectacle qui l'entourait. Derrière lui, il pouvait entendre le trafic ininterrompu des nombreuses voitures qui venaient passer par le centre de la ville. Sur les trottoirs se mêlaient des hommes et des femmes d'affaires pressés ainsi que des familles et des groupes de jeunes venus profiter des boutiques alentours. Ces dernières bardés de devantures luminescentes et souvent occupés par un crieur de rue venait assourdir de son et de lumière les lieux déjà fort actif.

" On dirait presque un souk en plus stressant. "

Se décidant à se risquer dans une exploration au grès du regard et de ses envies, il fut attiré par une grande enseigne placardée sur le haut d'une devanture d'un petit magasin donnant directement sur le trottoir, les étalages de ce dernier débordant sur la voie passante contenaient des tas de gadgets, de petites figurines pour portables et autres choses pas chers que les gens affectionnaient porter pour customiser leurs vêtements. C'était quelque chose de très célèbre dans la culture japonaise mais Yuhei n'était pas forcément coutumier et il ne pouvait s'empêcher de regarder tous ces trucs un peu frivoles avec curiosité.

" Mais à quoi ça peut bien servir d'avoir une grenouille souriante qui pendouille le long de son portable. "

En parlant de téléphone, il avait presque oublié la première raison de sa venue au centre commercial. Le jeune garçon devait trouver une boutique de téléphonie mobile mais il n'avait encore rien vu de tel. La densité de la foule et l'étendue du Tama Greenwalk le fit renoncer à l'idée de parcourir les lieux au hasard de ses pérégrinations. Non pas qu'il n'avait pas le sens de l'orientation. Disons qu'il était juste très curieux et qu'il aurait tôt fait de s'arrêter à chaque magasin. En bref, la journée n'en finirait pas. Il devait trouver quelqu'un pour le guider. S'armant de son sourire le plus affable, il balaya les alentours de ses yeux noisettes à la recherche de quelqu'un de sensible à sa requête. Son sourire s'agrandit quand son regard se posa sur une petite silhouette enfantine. Il était rare de voir une enfant non accompagnée au Japon. Mais là, c'était le cas. Elle paraissait captivée par quelques gadgets du magasin. Le jeune garçon s'approcha alors d'elle.

- Bonjour, Imouto-chan, est-ce que je peux te demander ton aide? Je connais pas vraiment pas le coin et je voudrais évité de me perdre.

Si Yuhei ne saisissait pas l'importance d'avoir une grenouille qui pendouillait à son portable, c'était peut-être tout simplement parce qu'il n'était pas une fille et ne pouvait donc pas saisir toute la beauté de la chose.... Bon d'accord, pour Nagisa, c'était juste parce qu'elle trouvait ça mignon à croquer et que l'ancienne grenouille qui pendouillait à son portable avait rendue l'âme. Vous êtes surpris ? Il ne faut pas voyons, Nagisa reste tout de même une fille, de 16 ans, qui aime ce qui est mignon et également un peu futile.

Enfin, pour le moment elle était penchée au dessus de différentes de ces figurines tout en débattant intérieurement sur le choix de cette dernière. Il y avait l'ours rieur, le Tanuki Kawai, la grenouille souriante bien sûr, et bien d'autres qui rendaient son choix beaucoup plus difficile qu'elle ne l'aurait cru. Pour l'occasion, elle s'était vêtue d'un t-shirt noir à manches courtes et d'une petite jupe de la même couleur en tissu qui lui arrive un peu en dessous des fesses. Elle n'avait pas eu le désir de s'habiller sexy, sûrement pas, mais elle avait pris ce qui lui semblait le plus pratique. Pour la coquetterie, elle s'était autorisée à porter des petites boucles d'oreilles en forme de dauphins, de toute façon cachée derrière ses cheveux.

Elle était donc en train de regarder lesdites figurines, ne pouvant guère se payer autre-chose de toute manière vu qu'elle n'avait pris que le stricte minimum d'argent et sentit soudain une présence beaucoup trop proche dans son dos. La panique foudroyante s'empara d'elle et elle était prête à se retourner pour se défendre becs et ongles mais ladite panique retomba dans la seconde pour être remplacée par une colère sourde. Comment l'avait-il appelé ? Avait-elle bien entendu ? Imouto-chan ?

Précisons le au passage puisqu'on est là, mais si il y avait bien une chose qui faisait oublier toute notion de peur à Nagisa en présence d'inconnu, c'était le fait qu'on la prenne pour une enfant. Elle se retourna lentement pour faire face à l'impoli, prenant bien le soin de dessiner une colère sourde sur son visage et répondit du ton le plus narquois du monde.

« J'aimerais bien vous aidez, mais malheureusement je ne suis plus une enfant. Néanmoins, je suis sûre que si vous cherchez bien, vous en trouverez qui pourront vous aider, des enfants... »

Puis elle prit le temps de l'observer. Il était plus grand qu'elle, mais ce n'était pas dur puisque tout le monde était plus grand qu'elle (parfois même certains enfants). Il avait l'air gracieux, et elle ne pu s'empêcher de le penser malgré sa colère. Il lui semblait l'avoir déjà vu dans les murs de l'académie, mais elle n'était pas tout à fait sûre. Il n'était pas dans sa classe, de ça elle était sûre. Sa colère retomba petit à petit, cette dernière laissant la place à le peur qui la tenaillait à chaque fois qu'un inconnu ne respectait pas les distances limites de sécurité qu'elle s'était imposée entre elle et le reste du monde.

En ce moment, Yuhei était beaucoup trop proche d'elle, et elle se rendit compte qu'elle lui avait parlé de manière terriblement impolie, et qu'elle était à 100% en tort, du moins pour elle. Rien de très neuf dans tout ça, elle se retrouvait tel qu'elle l'avait toujours été.

Elle fit quelques pas de coté, principalement pour mettre un peu de distance entre elle et Yuhei, et s'inclina à quarante-cinq degrés juste avant de dire.

« Excusez ma réaction un peu violente. Je... J'ai 16 ans, et je n'aime pas trop qu'on me traite comme une enfant, je serais ravie de pouvoir vous aider. »

Et voilà que la peur avait refait pleinement surface à peine avait-elle dit ça. Elle se disait que, peut-être, il aurait une réaction de colère, ou qu'il pourrait peut-être devenir violent... Oui Nagisa était paranoïaque, et le resterait sans doute encore pour un bon moment...

" Boulette..."

Fut la première pensée que Detsuda eut après s'être fait momentanément rabroué. De toute évidence, il s'était trompé et la réaction de la jeune fille était tout à fait compréhensible. Le jeune garçon n'était pas un grand colérique et n'avait pas la tendance saugrenue de ne pas reconnaitre ses erreurs quand il était en cause. Cette jeune fille disait avoir seize ans et même si son physique avait trompé Yuhei, il ne voyait pas bien ce que son interlocutrice gagnerait à lui mentir. Avec un sourire gêné, il se gratta la nuque d'un air profondément embarrassé.

- Non, non. Redresses-toi, voyons. C'est moi qui ait fait erreur.

S'empressa-t-il de dire. Reposant ses bras le long de son corps, il emprunta une attitude toute japonaise en s'inclinant élégamment par deux fois avant de se redresser avec un sourire discret et un regard noisette désolé. De toute évidence, le jeune garçon était vraiment prêt à faire amende honorable pour sa méprise et utilisait volontiers son éducation dans cette idée.

- Je te demande pardon. Je suis parfois maladroit.

A nouveau, Detsuda devait faire face à ses allures et ses habitudes un peu vive dus à son éducation en territoire étranger. Cela créait souvent le trouble chez les gens qui ne le connaissaient. D'un gaijin, on s'attendait souvent à ce genre de choses. Mais le jeune garçon avait physiquement tout d'un japonais. De plus, Yuhei avait ressentit la légère crainte qui avait étreint son interlocutrice. Soucieux de ne pas l'inquiéter davantage, il se racla doucement la gorge en portant son poing à sa bouche, il prit un port plus droit et un air plus éduqué. Son sourire se fit plus discret et plus poli alors que son regard couvait le visage de la jeune fille avec moins d'impertinence.

- Reprenons de zéro, si tu le veux bien. Je m'appelle Detsuda Yuhei. J'ai 17 ans et je suis pensionnaire à la Gingko Gakuen. Et toi?

Malgré tous ses efforts, Il ne pouvait facilement faire disparaitre son air exotique. Le ton de sa voix était resté tout aussi chaleureux et chantant qu'à son habitude. Son sourire charmant, presque charmeur, n'avait rien de nippon. Son regard s’enflammait bien facilement et vivement. Un vague air de fierté qui l'habitait souvent revenait déjà siéger sur son visage.

Nagisa... ne comprenait pas, du tout. Non pas que le fait que le jeune homme lui annonce que c'était lui qui avait fait une erreur lui semblait bizarre, après tout il était réellement en tort, c'était son comportement.

Lorsqu'elle s'était redressée, elle avait pu le voir dans toute sa splendeur. C'était un japonais, aucun doute... Quoi que... ? C'était en fait à ce moment là que le cerveau de la jeune femme commença à afficher quelques erreurs systèmes. Il était japonais dans le physique, de ça elle était sûre, mais quelques petites fautes de goûts dans son comportement le faisait passer pour un étranger. Elle se demanda un instant si il ne s'amusait pas avec elle, à avoir des réactions aussi contradictoire.

Elle y réfléchit un instant, son cerveau trouvant encore d'autres contradictions dans la foulée, puis décida qu'il s'agissait là de son comportement normal. Partant de cette appréciation, elle eut tôt fait de décider comment réagir en face de lui. C'était un japonais qui se comportait comme un étranger, elle allait donc se comporter comme une japonaise guidant un étranger même si ça lui ferait très bizarre.

Elle secoua la tête l'air de dire « ce n'est pas grave » lorsqu'il lui demanda pardon. Elle écouta ensuite sa présentation en s'étonnant qu'il soit de la même académie qu'elle.

*De tout les gens présents, combien de chances avais-je de tomber précisément sur quelqu'un de Ginkgo Gakuen ?*

Elle ne savait pas vraiment mais trouvait la coïncidence amusante. L'inconnu était original, mais pas forcément aussi effrayant qu'elle pouvait l'imaginer. En fait, elle le trouvait même fortement intéressant. Un japonais se comportant comme un étranger, c'était quelque-chose qu'on ne trouvait pas à tout les coins de rue. Elle le regarda dans les yeux pour se présenter, d'une voix encore malgré tout légèrement tremblante.

« Je m'appelle Nagisa Fujioka, et je réside également à la Ginkgo Gakuen. Je serais ravie de te guider ici, même si je ne connais pas beaucoup plus le lieu que toi... Donc je ne serais peut-être pas très utile. »

Elle observa le magasin de long en large et repéra enfin ce qu'elle cherchait, le montrant du doigt.

« Il y a un plan là bas... Si... si tu veux je peux t'accompagner. »

[HRP : Désolé, je sais que tu t'en fiches si c'est court ou pas, mais je m'en excuse quand même, donc désolé]

L'individu était intéressant. Nagisa avait beau être d'une timidité maladive et paranoïaque, elle savait aussi se montrer curieuse... C'était d'ailleurs cette même curiosité qui lui avait fait avoir son accident avec un hachoir, mais passons. Même si elle ne pouvait pas s'empêcher d'en avoir encore un peu peur, timidité oblige, la curiosité prévalait largement.

Spontané... C'était peut-être le mot qui convenait le mieux au dénommé Yuhei, pensait-elle. Elle n'en était pas tout à fait sûre toutefois, peut-être n'était-il ainsi qu'avec les gens qu'il rencontrait pour la première fois ? En tout cas, ça ne dérangeait pas la jeune femme. Contrairement à la plupart des japonais qui pensaient que tout le monde devait rentrer dans le moule de la société, l'adolescente acceptait très bien la différence... Y compris les énormes différences. Elle n'avait de mémoire jamais dénigré quelqu'un à cause de son excentricité ou de son originalité et n'allait pas commencer aujourd'hui. Elle se disait aussi qu'elle détonnait fortement face à son vis-à-vis. Lui plein de vie, ouvert et spontané et elle... renfermée, timide et peureuse.

Il lui expliqua qu'il avait perdu son portable, ce à quoi elle répondit par un simple :

« Je vois. »

Ne trouvant rien d'autre à dire. Elle était plus en train de se demander ce qu'il pouvait bien lui trouver d'intéresser à elle, petite adolescente inintéressante. Enfin, inintéressante n'était peut-être pas le bon mot mais c'était ainsi qu'elle se voyait, et c'était sans doute une des raisons qui faisait que dans la vie elle était seule.

Elle ne voyait pas non plus le jeune homme comme un ami potentiel pour le moment. Même si elle acceptait très bien la différence, le coup du japonais se comportant comme un étranger provoquait un peu trop d'erreur système dans son cerveau pour le moment. Elle voulait surtout se laisser le temps d'assimiler l'information et d'ailleurs, elle commençait à entrevoir un début de solution. Il pouvait très bien être japonais, mais avoir été élevé à l'étranger... C'était plausible, absolument pas certain mais plausible. Ou alors, peut-être ne faisait-il que s'amuser pour observer ses réactions ?

Elle fut tirée brusquement de ses réflexions au moment ou il lui reparla, lui annonçant tout en bloc qu'il souhaitait se racheter un portable, tout en agrémentant sur le fait qu'elle pourrait l'aider à choisir. Elle trouvait cela amusant, car elle n'était que très moyenne en technologie, en tout cas pour tout ce qui concernait les ordinateurs et les télévisions dernière génération ou faire une simple recherche de chaînes n'était plus suffisant pour regarder ses programmes préférés. Mais en ce qui concernait les téléphones portables, elle n'était pas imbattable mais était calée en la matière puisqu'elle était tombée littéralement tombée amoureuse du sien lorsque ses parents avaient eu la (mauvaise) idée de lui en offrir un pour son quatorzième anniversaire.

Il ne lui avait vraiment pas fallu longtemps pour connaître toutes les fonctionnalités de l'appareil et, depuis, elle en avait déjà changé six fois, voulant toujours le dernier à la mode... A peine plus avancé que le précédent certes, mais elle aimait être à jour de ce coté là. Se retrouvant sur un terrain plus que connu d'elle-même, elle fit un petit sourire timide.

« Je m'y connais... un peu. Je serais ravie de t'aider. »

Un peu ? Le mot était faible. Évidemment elle n'était pas assez douée pour hériter d'un surnom tel que « magicienne du portable » (principalement car il n'y avait personne pour lui en donner un) ou que sais-je encore, mais son « un peu » était de la modestie quelque-peu déplacée. Elle regarda le plan une dernière fois et constata que les boutiques de téléphonies mobiles se trouvaient au deuxième étage.

« Suis-moi, fit-elle avec un geste de la main. Il va falloir prendre l'escalator mais nous y serons vite. »

Sa voix ne tremblait plus, principalement car Yuhei gardait une certaine distance entre elle et lui, mais aussi car elle était impatiente de rentrer dans la boutique. Bien qu'elle n'ait pas les moyens d'en acheter un nouveau, elle pourrait toujours s'extasier devant les derniers modèles.

Bien qu'elle n'avait plus vraiment peur, elle ne savait pas comment engager la conversation avec son interlocuteur, et c'est en silence qu'elle se mit à marcher vers ledit escalator.

Ça l'amusait beaucoup. Il ne savait pas vraiment pourquoi mais la simplicité que dégageait Fujioka lui plaisait énormément. Voilà pourquoi, sans doute, il la suivit encore une fois sans poser de questions. Le fait d'être guidé par la jeune fille avait quelque chose de très agréable. Parce qu'elle offrait une sorte de ... Comment dire... Enfin, Detsuda n'avait pas l'impression, comme souvent, de déballer tel un éléphant dans un magasin de porcelaine. Elle n'était pas embarrassée, elle ne cherchait pas à parler pour remplir les vides, elle n'en faisait pas trop ou pas assez. Bref, c'était cool et Yuhei aimait ça. Il rencontrait très rarement des Japonais doués de ce léger recul qui leurs donnaient ainsi une meilleure perspective quand aux choses étrangères. Ils quittèrent donc le trottoir bondé pour passer les portes coulissantes du grand Mall. A l'intérieur, le bâtiment se développait dans une architecture tout à fait classique au regard de ces grands lieux de consommation avec de grandes allées éclairés, des vitres béantes sur l'extérieur, des murs et piliers blancs et une activité importante. Le jeune homme n'affectionnait pas particulièrement l'endroit. Il trouvait ça, à la fois trop grand et trop vide. Habitué à l'ambiance étouffée et surpeuplés des Souk, la chose lui donnait l'impression d'être tout simplement trop propres et trop aseptisée. De plus, rien ne dégageait ici, une quelconque ambiance un tant soit peu chaleureuse. Il lui faudrait trouver un autre endroit pour inviter la jeune fille après sa course. S'approchant de l'escalator, avec un brin de malice, il lui laissa l'opportunité de monter une marche devant lui, de sorte que la déclinaison les mena tout deux à être désormais à la même taille. Un sourire léger gagna ses lèvres alors que son regard se faisait rieur. Le jeune garçon aimait bien institué ce genre de décalage.

- J'ai eu de la chance de tomber sur toi. J'y connais pas grand chose et j'avais peur de me retrouver avec le dernier truc à la mode, pleins de gadgets inutiles mais super cher et qui, en fin de compte, a à peine deux heures d'autonomies et captent seulement dans les grandes villes.

Detsuda cacha surtout habilement le fait qu'il y avait déjà bien longtemps qu'il n'avait rien acheté d'important au Japon. Il avait apprit le marchandage arabe, une longue école d'apprentissage ou il fallait vraiment se montrer malin et tacticien pour défendre son moindre sous et partir avec les respects du vendeur ainsi qu'une réelle promotion. Sur l'archipel nipponne, il n'avait aucune idée de la manière dont les choses se passaient. Du moins, c'était très abstrait. Du coup, la présence de Nagisa était vraiment une chance pour lui.

Quittant les yeux de son interlocutrice, il balaya le centre commercial du regard à mesure qu'ils prenaient tous deux de la hauteur. C'était toujours une étrange sensation de s'élever sur ces machins là pour passer d'un étage à l'autre sans aucun effort. A la réflexion, Detsuda n'en avait que très rarement utilisé, les escaliers lui apparaissant toujours comme des défis tentant. Mais bon, il croyait savoir que les filles étaient rarement attachées à ce genre de choses et il voyait mal faire la course avec Nagisa dans les escaliers.

- D'ailleurs, il ressemble à quoi, le tiens? Je pourrais peut-être prendre le même? Si tu l'aimes.

Ses iris noisettes revinrent sur la jeune fille alors que les deux personnes reprenaient leurs hauteurs respectives et que la montée de l'escalator touchait à sa fin. Sautillant prestement pour franchir l'arrêt, ils se retrouvèrent tout deux au niveau supérieur, ici se trouvait des boutiques plus spécialisés que les grandes surfaces du rez de chaussées. L'ambiance était un peu plus calme sans pour autant être aussi feutrés que les boutiques de luxes qui siégeaient encore au dernier étage.

Le père et la mère de Nagisa lui avait toujours enseigné la tolérance. Sa mère avait appris la tolérance par son père qui, lui, avait beaucoup voyagé dans sa jeunesse et rencontré suffisamment d'étrangers pour se défaire de l'idée que le japonais moyen était le maître du monde et qu'il fallait respecter son prochain, même si ce dernier était un Gaijin.

Elle avait trop souvent observé des étrangers simplement demander leur chemin à des japonais pur souche et avait été dégoutée de voir ces derniers passer comme si ils n'entendaient rien. Dans ces moments là, Nagisa aurait bien aimé aller aider lesdits étrangers mais elle n'avait jamais osé s'en approcher, car là on réentrait dans le domaine de la timidité maladive.

Tout ce blabla pour dire simplement que, même si Yuhei avait l'air d'être un japonais avec un comportement d'étranger, elle le prenait tel qu'il venait. Elle n'allait pas lui balancer en pleine poire des remarques sur son comportement, de un car elle n'aurait jamais osé et de deux car cela lui aurait semblé vraiment mal placé.

L'idée du garçon par rapport à l'escalator lui plu. Elle ne su pas pourquoi mais se retrouver à la même hauteur que lui lui donnait un sentiment d'égalité qu'elle n'avait jusque là encore jamais ressenti. Elle ne savait pas si c'était dû à sa timidé, à sa paranoïa ou si elle avait raison mais elle avait toujours eu l'impression que les gens avaient tendance à la regarder de haut. Évidemment, on pouvait aussi dire que le fait qu'elle tente toujours de s'effacer face à tout le monde donnait obligatoirement aux autres un sentiment de supériorité vis à vis de la jeune femme, même si ce dernier était dû à Nagisa et de ce fait totalement involontaire de leurs parts.

Elle prit la peine de noter son sourire et y répondit instinctivement tant ce dernier était communicatif. D'ailleurs, maintenant qu'elle y réfléchissait, sa peur était partie, malgré le fait qu'elle soit aussi proche du garçon en face d'elle, elle se demandait bien pourquoi. Elle y réfléchit un instant sans trouver la solution, mais c'était peut-être car ce dernier faisait tout pour la mettre en confiance.

*Dire que j'ai commencé par être méchante avec lui, et il me parle déjà comme si j'étais une amie.*

Le terme d'amie était peut-être un peu fort. Disons plutôt une connaissance, mais ce n'était pas grave, cela plaisait quand même à la jeune femme. Puisqu'elle ne contrôlait généralement pas ses réactions instinctives, elle se mit aussi à se demander quelle serait sa propre réaction si Yuhei décida d'un coup de la toucher, ou même de l'effleurer. Est-ce qu'elle fuirait ou resterait sur place en continuant à sourire ? Elle n'en savait rien elle même... Elle se rendait compte de ses fuites généralement après avoir couru, son cerveau déconnectant temporairement la partie consciente afin de prendre les pleins pouvoir pour s'éloigner du danger.

Yuhei lui reparla une fois de plus, bavardant plus qu'autre-chose, et elle répondit d'une voix tout à fait naturelle, ce qui contrastait fortement avec son bégaiement et ses rougissements de tout à l'heure.

« Je ne m'y connais pas tant que ça, mais j'espère pouvoir t'aider à choisir un modèle qui comble tes attentes. »

Le marchandage ne passait pas au japon. On payait le prix indiqué et on risquait surtout de s'attirer des regards complètement éberlué et incompréhensif de la part des vendeurs si l'on essayait tout de même de discuter du prix.

Il lui demanda si il pouvait voir le sien, et elle secoua la tête en riant légèrement, totalement transformée par rapport aux premières minutes ou elle l'avait rencontré. Yuhei avait de la chance, il faisait en ce moment connaissance avec la Nagisa qui n'avait pas peur, qui était naturelle... Une jeune fille pleine de vie qui rêvait à l'amour et qui n'aspirait qu'à se faire des amis. La Nagisa que très peu de monde avait l'occasion de côtoyer.

« Je ne préférerais pas... C'est un téléphone de fille et je te vois mal en avoir un pareil. »

Elle descendit de l'escalator et repéra la boutique de téléphonies à quelques mètres plus loin, une chance. Il y avait moins de monde mais elle détestait néanmoins passer au milieu des foules et toucher tout ces gens qui lui étaient totalement inconnu, ce qui l'amenait souvent à courir en plein milieu, ne s'excusant qu'à peine auprès des individus qu'elle bousculait, ne se contentant que de courir toujours plus vite pour atteindre un point moins bondé. Une chance donc car il n'y avait que quelques personnes très éparpillée et elle pouvait garder une distance limite de sécurité entre eux et elle.

Ce n'était pas très logique vu le peu de distance qu'elle conservait entre elle et Yuhei mais bon... Nagisa n'avait jamais été quelqu'un de logique, et je crois l'avoir déjà dis. Le fait était que le jeune homme était un inconnu, mais un inconnu sympathique, ce qui faisait toute la différence et lui permettait de franchir quelques peu les barrières de sécurité invisible qu'elle avait érigé tout autour d'elle.

Ils arrivèrent finalement dans la boutique et Nagisa eut l'impression d'être au paradis. Elle en oublia carrément de guider Yuhei au travers de ce dernier et se dirigea directement vers les derniers modèles les plus en vogues, ces derniers étant protégé derrière une vitrine destiné à les protéger du vol. Elle savait très bien qu'elle ne pouvait pas se permettre une telle folie, surtout vu le prix des appareils, mais ça ne l’empêchait pas d'être hypnotisé par ces derniers. Elle se rappela soudainement qu'elle était accompagnée et se tourna vers Yuhei, s'inclinant profondément.

« Je... Je suis désolée, j'ai vu les derniers modèles et je... »

Je t'ai oublié. C'était ce qu'elle voulait dire mais elle ne termina volontairement pas sa phrase, préférant se redresser pour aller se placer à coté de son vis-à-vis, faisant un grand geste de la main pour montrer la boutique.

« Voici le temple de la téléphonie mobile... De quoi as-tu besoin ? Dis moi je t'aiderais. »

Nagisa avait totalement changé de comportement... en très peu de temps et s'étonnait elle-même de cette prouesse.

« Un téléphone solide et qui marche bien... ? »

C'était une description très vague et même Nagisa s'en rendait compte. De nos jours, tout les téléphones étaient solides et fonctionnait bien donc n'importe lequel aurait fait l'affaire. Nagisa se mit soudainement à douter de son utilité à guider le jeune homme à travers la boutique. Même l'appareil le moins cher du magasin devait être solide et bien fonctionner, sauf qu'il avait moins de fonctionnalités. Elle s'apprêta à le dire mais Yuhei la prit de vitesse en proposant de faire le tour du magasin, ce à quoi elle répondit par un hochement de tête approbateur.

« Peut-être y trouveras-tu ton bonheur ? »

Après quelques minutes à tourner sans réel but et à regarder à travers les vitrines, son interlocuteur finit par lui expliquer ce qu'il recherchait vraiment. Plus qu'un téléphone, c'était plutôt un appareil pour la navigation internet et les photos qu'il recherchait, si elle avait bien compris. Elle l'écouta attentivement puis désigna l'un des téléphones exposé derrière une vitrine. Ce dernier, tactile, permettait notamment de se connecter aux nouvelles en temps réelles et possédait un appareil photo d'une qualité supérieure. Même si ce dernier gadget n'était pas forcément utile pour le jeune homme (étant au club de journalisme il avait forcément un bon appareil photo), elle s'était dit que ça pouvait toujours être utile au cas ou il l'oublierait. Ce dernier permettait également d'écrire ses propres articles afin de pouvoir, plus tard, les transférer sur un ordinateur ou les imprimer. Il avait bien sûr la fonction réception et envoi d'appel, propre à tout téléphone. Il y en avait des plus sophistiqués mais c'était celui là qui, résolument et d'après ses indications, lui conviendrait le mieux. Elle lui avait expliqué tout cela en même temps qu'elle avait désigné l'appareil sans vraiment regarder le prix, qu'elle pensait être assez cher pour lui faire se dresser les cheveux sur la tête d'effroi et accessoirement faire sortir un papillon de son porte-monnaie. Néanmoins, si il avait des exigences pareilles, il avait probablement les moyens d'y mettre une grosse somme d'argent.

Elle fut interrompue dans ses réflexions par une phrase en apparence anodine de son comparse. En apparence seulement, car cette dernière lui fit immédiatement prendre une jolie teinte rosée au niveau des joues. Ce n'était pas la phrase qui l'avais faites rougir, mais plutôt l'expression du visage de Yuhei qui indiquait plus ou moins clairement qu'il était en train de l'imaginer habillée en prêtresse... chose qu'elle avait imaginé également.

« Je... Dis, tu n'es pas en train de t'imaginer que... »

Elle était un peu perdue. En fait, depuis tout à l'heure, elle se demandait surtout si le jeune homme ne l'avait pas draguée légèrement, ne serait-ce qu'un peu. Comme elle n'y connaissait rien en matière d'amour, elle n'aurait su le dire, mais c'était l'impression qui subsistait dans son esprit.

*C'est impossible non ? Je suis... Enfin, je suis ce que je suis, donc c'est impossible... non ?*

Elle n'en était pas sûre du tout et cette pensée fugace n'était là que pour la contredire. Ce qu'elle était ? Apparemment le jeune homme n'avait pas l'air de la blâmer pour ce qu'elle était et semblait au contraire l'apprécier pour cela. C'était peut-être d'ailleurs pour ça qu'elle n'avait plus peur. Mise en confiance était le mot qui convenait le mieux... Néanmoins, regarder Yuhei qui l'imaginait en prêtresse la gênait terriblement, ce qui ne manquait pas de se voir sur son visage, et elle changea de sujet précipitamment.

« En... En tout cas, c'est ce téléphone là qu'il te faut ! »

Elle l'avait désignée du doigt et s'était rendu compte qu'elle montrait la mauvaise vitrine, là ou trônait les portables réservé aux filles, recouvert de rose bonbon et de paillettes, et se sentit encore plus confuse en s'approchant cette fois de la bonne vitrine.

« Je voulais dire celui là... »

Tout en baissant les yeux pour regarder ses pieds... Elle ne savait pas trop ce qu'il se passait et se sentait terriblement gênée, mais pas pour les raisons habituelles. Si elle avait été gênée à cause de sa phobie sociale, elle aurait pu le gérer beaucoup plus aisément mais là... Non elle ne savait pas, donc la seule option qu'il lui restait était de rougir en regardant ses pieds, ce qu'elle faisait très bien.

Yuhei sentit son cœur s'emballer. Ce dernier avait une réelle facilité pour cela. Mais là, l'émotion était intense. Le jeune garçon connaissait à peine Fujioka. Il venait de la rencontrer. Pourtant, à l'instant ou il ressentit le regard de la jeune fille dans le sien entrain de deviner ses pensées, une sensation de doux et enivrant vertige le saisit. Il vit le grain de sa peau se rougir et sentit les battements dans sa poitrine s'intensifier jusqu'à parvenir à ses tempes. Les paroles à peine esquissée qu'elle éleva de sa voix si gênée entrèrent en résonance et le firent ressentir un délicieux frisson. Un sourire naquit sur ses lèvres lorsqu'il vit la jeune fille lutter contre le trouble et garder un cap que lui-même gardait à peine en tête. Il la suivit auprès de la bonne vitrine, un instant, son regard suivit celui de la jeune fille, rivée sur ses chaussures mais n'y trouvant rien d'intéressant, il revint à son visage.

- En tout cas, je te trouverais super jolie si tu étais habillée comme ça, un jour.

Avoua-t-il à sa manière. C'est à dire, spontanée, sincère et légère, son sourire fier et charmeur gagnant ses lèvres. Son cœur satisfait d'avoir exprimé là son profond sentiment venait animer la douce lueur de son regard. Il fit l'effort de détacher à regret, ses iris noisettes du visage de Nagisa pour observer l'appareil qu'elle lui avait très justement indiqué. De toute évidence, c'était là, le bon choix et Detsuda le ressentait intuitivement.

- Oui... Je pense que je prendrais celui là. Il sera très bien.

Autre effet de culture, le jeune garçon n'était pas habitué à tout acheter dès le premier instant. Il était un peu de cette vieille école qui se laissait quelques jours pour réfléchir avant un achat important. Il n'avait donc pas vraiment en tête de prendre son portable aujourd'hui. Prenant un pas de distance entre lui et la jeune fille, il s'inclina respectueusement d'une manière très japonaise, les bras bien le long du corps, même si son sourire et son regard ne se départaient pas de ce soupçon d'exotisme qu'il portait en lui.

- Je serais heureux de pouvoir t'inviter pour te remercier de ton aide, Fujioka-san.

Après tout, n'étais-ce pas cela qui le motivait depuis presque l'instant ou il l'avait rencontré et qu'elle lui avait offert son assistance ? Et même si les apparences étaient peut-être celle d'un simple retour galant des choses. Il était évident pour Yuhei qu'il ne désirait pas immédiatement déjà quitter Nagisa. Surtout après ce qu'il venait de ressentir. Encore à l'instant ou il se relevait après s'être incliner, il pouvait entendre son cœur battre légèrement dans sa poitrine. Le seul souvenir de l'attitude de Fujioka, quelques secondes plus tôt, suffisait à le toucher et l'émouvoir. Il n'était pas du genre à se poser des questions? Principalement parce qu'ils se disaient que c'était en commençant à se les poser qu'il perdrait vraiment le fil de se qu'il ressentait, donc de ce qui importait vraiment. Voilà pourquoi il continuait d'agir selon une constante, celle de ses désirs.

Quelque-chose avait germé en elle, quelque-chose qu'elle n'identifiait pas du tout et dont elle ne connaissait pas la nature. Quelque-chose sur lequel elle s'efforçait de mettre un nom, mais qui refusait de le donner quelque soit le nombre de fois ou elle lui demandait. Quelque-chose... comme de l'amour... ? Un début peut-être.

Pour prendre une jolie image, on pouvait dire que la graine d'une toute petite fleur, cachée sous 2 ou 3 mètres de terre, venait d'éclore à la surface, ne montrant une tige qu'à peine visible pour le moment mais qui ne demandait qu'à s'épanouir, tout dépendait de sa propriétaire. Est-ce que la jeune femme allait venir l'arroser chaque jour ou simplement la laisser dépérir sans même y prêter attention ?

En tout cas, cette petite fleur l'intéressait en ce moment, et elle avait envie de jouer un peu à la jardinière. Elle décida d'en prendre soin... pour le moment, sans comprendre vraiment tout ce que cela pouvait impliquer mais gardant dans l'idée que la laisser mourir lui semblait beaucoup trop malsain. C'était amusant si on prenait en compte que, pour le moment, elle ne se rendait pas du tout compte de ce que représentait la petite fleur et qu'elle en avait pris soin par instinct.

Arrêtons là les métaphores quelques instants et revenons à l'instant présent. Nagisa était troublée et avait cessé de regarder ses pieds pour s'attarder sur le physique et le visage de son interlocuteur. De son point de vue de fille, c'était un beau garçon... Et à peine avait-elle pensé ça qu'elle se mit à rougir de plus belle. Heureusement, elle le fit pile après qu'il ait dit qu'elle devait être super jolie habillée en prêtresse (ce qui fit aussi qu'elle rougit aussi pour ça, se demandant ou elle pouvait puiser tout le sang nécessaire pour colorer ses joues à ce point), cachant ainsi ses pensées sans même le vouloir.

« Je... Je ne suis pas jolie tu sais... »

Apparemment, il n'y fit pas attention ou fit semblant de l'ignorer, elle n'en savait rien. Sa mère lui répétait souvent quand elle était petite que prouver des évidences était aussi utile que de mettre des coups d'épée dans l'eau, et elle aurait bien aimé savoir si Yuhei avait le même mode de pensée. Il parla encore un peu du portable mais cela lui passa complètement au dessus de la tête, tant elle était occupée à le détailler, et afficha un regard perdu dans le sens ou elle ne comprenait pas du tout pourquoi il devenait aussi respectueux tout d'un coup. Une lueur de compréhension passa dans son regard lorsqu'il lui expliqua oralement les raisons de son geste.

« M...m.m.m...m'inviter ? Mais où ? »

Elle était même totalement perdue la pauvre. Par inviter, n'importe qui aurait deviné qu'il s'agissait probablement d'aller dans un café ou même un petit restaurant tranquille, si c'était pour commander des boissons bien sûr, mais Nagisa était peut-être un peu trop à coté de la plaque en ce moment. Par contre, elle n'était pas assez à coté de la plaque pour ne pas se demander pourquoi Yuhei faisait tout ça pour elle, et elle lui demanda.

« Dis... Pourquoi tu fais tout ça pour q.q...qqq..q.q.q.q..quelqu'un comme moi ? »

Le quelqu'un comme moi était utilisée de manière péjorative, et cela s'entendait très bien au ton de sa voix. La jeune femme n'avait jamais eu une très haute estime d'elle-même mais là, elle se rabaissait plus bas que terre. Pourquoi aurait-elle mérité autant d'attention de quelqu'un d'aussi charmant que Yuhei... ?

Demander à Detsuda pourquoi il agissait ainsi et pas autrement, c'était poser une question qu'il ne se posait jamais lui-même. Il n'avait jamais été fort pour l'introspection. Du moins n'entamait-il se genre de choses que dans les cas graves ou ses sentiments se heurtaient à d'autres influences plus étrangères. Du coup, quand Fujioka s'en inquiéta, le jeune garçon n'avait aucune réponse toute prête dans son escarcelle. Ses paupières battirent légèrement quelques fois alors que ses lèvres s’entrouvrirent. Il était pris au dépourvue.

- Et bien... Euh... J'en ai envie.

C'était la seule chose qu'il parvint à dire, avec toute la sincérité qui le caractérisait. Une réponse d'une simplicité extrême qui venait mettre en lumière toute la facilité du comportement du jeune garçon. Contrairement à de nombreuses personnes, Yuhei faisait partit de ces gens simples pour qui il n'y avait nul besoin de mystérieuses motivations raisonnées et intellectuelles pour accomplir un acte. Il était un peu comme dans un navire ou il n'aurait eu que le courant de ses sentiments comme seul guide et son plaisir comme seul destination. La question de Nagisa en provoquait un chapelet d'autres dans l'esprit du jeune garçon. Mais comme souvent, il fit la sourde oreille à ces dernières et elles ne parvinrent pas à venir troubler son attitude. Il n'était pas question de douter de sa démarche.

- Ouais, c'est ça. C'est parce que j'ai envie qu'on passe encore un moment ensemble.

Il eut un sourire rayonnant à ses propres mots. Principalement parce qu'il adorait ressentir ce sentiment de fierté et cette impression de chaleur intense quand il était sincère envers lui-même et qu'il saisissait vraiment ce qui motivait son cœur. Son regard noisette, assuré de part ce sentiment d'être en accord avec ses désirs gagna cette énergie tranquille qui miroitait tel une légère lueur dansante dans ses iris.

- Parce que je me sens bien à tes cotés, Fujioka-san.

Parti sur sa lancée, il cru bon d'ajouter encore quelques mots. Tout compte fait, il était heureux que la jeune fille pose cette question. Cela lui avait permit de s'exprimer pleinement. De plus en plus satisfait, il se fendit d'un énième sourire enjoué, son regard couvant toujours le visage de son interlocutrice qu'il trouvait de plus en plus mignonne a mesure que le temps passait. Les émotions qu'il ressentait en la voyant et en entendant le son de sa voix gênée faisait écho en lui et ne faisait que l'émouvoir à son tour. Et l'émotion, elle-même, motivait ses témoignages d'affections. De fait, la machine ne paraissait pas prête de s'arrêter.

- Du coup, tu es d'accord ? Ça te dit ?

Encouragé par cette situation, il se permit de reposer la question. Et même si son ton de voix résonnait toujours avec légèreté et engouement. Il se ressentait toute la douce et délicieuse impatience qui le gagnait à l'idée de prolonger sa rencontre avec Fujioka autour d'une boisson ou d'une glace. A vrai dire, peu lui importait, pourvu qu'il puisse encore partager et mieux connaitre la personne qui se trouvait en face de lui.

Il en avait... envie. Elle ne comprenait pas exactement comment quelqu'un pouvait avoir envie d'être comme il l'était avec elle. Normalement, les gens essayaient surtout de se débarrasser d'elle le plus vite possible lorsqu'elle arrivait à leur parler, surtout quand ils se rendaient compte que tout ce qu'elle savait faire était de murmurer des phrases incompréhensible en bégayant et rougissant.

Avec Yuhei, elle bégayait et rougissait depuis un petit moment mais pas pour les mêmes raisons. Yuhei ne lui faisait plus peur depuis un petit moment, mais il l'intimidait. Elle ne savait pas du tout comment réagir avec lui depuis tout à l'heure, et s'enfuir aurait été plutôt déplacé, même elle s'en rendait compte. Si elle avait voulut fuir, elle l'aurait fait depuis le tout début, et d'ailleurs elle se demandait si cela n'aurait pas été la meilleure option finalement. Car bon, être embarrassée et rougissante, ça allait un moment mais à la longue, ça devenait dur à gérer. Surtout lorsqu'on l'on faisait face à une toute nouvelle forme de timidité, beaucoup moins gérable que celle qui pointait habituellement le bout de son nez.

Comme si il voulait qu'elle soit sûre de ses paroles, il le répéta encore une fois et elle hocha doucement la tête, ne sachant pas exactement quoi répondre et ayant peur de paraître ridicule en apportant une réponse stupide. Il y avait certaines fois ou l'on avait pas besoin de parler et le jeune homme tenait aisément la conversation pour deux. Elle se sentait un peu idiote à ne rien dire depuis tout à l'heure, bougeant simplement la tête en guise de réponse, mais une fois de plus cela n'avait pas l'air de le déranger.

Le fait qu'il était un véritable mystère pour elle se confirma une fois de plus lorsqu'elle le vit sourire après sa phrase. Il y avait quelque-chose dans ses yeux... de chaleureux. Elle n'aurait pas su dire quoi, mais elle se demandait surtout principalement ce que voulait dire ce mélange d'émotions toutes plus contradictoires les unes que les autres qui tournoyaient en elle.

La phrase suivante fut celle qui la perdit complètement. P... Parce qu'il se sentait bien avec elle ? Il... Non mais là, même Nagisa était au courant que l'on se disait ce genre de choses principalement lorsque l'on était amoureux !

*Je... Mais qu'est-ce qu'il veux ? Qu'est-ce que je suis censée faire ?*

C'était tout de même incroyable qu'un garçon rencontré il y avait une petite quinzaine de minutes puisse réussir à la troubler à ce point. Elle aurait aimé sincèrement en ce moment revenir en arrière pour pouvoir éviter Yuhei, et ainsi pouvoir également éviter d'avoir affaire à tout un tas d'émotions inconnues qu'elle prenait avec des pincettes sans savoir quoi en faire. Il ne lui laissa même pas le temps de s'en remettre qu'il continua encore en lui demandant si elle était d'accord.

*Mais... Mais j'en sais rien si je suis d'accord moi !*

Elle décida finalement de se faire violence. Elle calma tout ce qui tournait en elle de la même manière que l'aurait fait un scientifique pour une expérience en la mettant de coté pour l'étudier plus tard. Car oui, elle avait bel et bien l'intention d'étudier tout ça plus tard, mais pour l'instant elle souhaitait surtout profiter de l'instant présent sans trop se prendre la tête. De ce fait, une fois qu'elle eut mit tout ça de coté, son rougissement se calma, quoi qu'il en subsistait toujours quelques traces indélébiles sur ses joues, et elle se pencha vers le jeune homme, les mains dans le dos, avec un sourire rieur.

« Et ou voudrais-tu m'emmener ? »

Cela faisait contraste avec la jeune fille qui bégayait quelques secondes auparavant, mais si l'on cherchait bien, on pouvait voir que la teinte rosée de ses joues ne s'était que très légèrement estompée et que son grain de peau naturel ne risquait pas d'être visible avant un petit moment. Nagisa avait décidé, probablement pour la première fois de sa vie, d'essayer de se comporter comme une fille normale...

Ce qu'elle ne savait pas, c'est que même une fille normale aurait eu du mal à interpréter les paroles précédentes de Yuhei... Et c'est sans doute le fait qu'elle ne le sache pas qui lui permettait d'agir ainsi. Maintenant, elle attendait juste une réponse, s'étant redressée mais conservant un léger sourire de circonstance.

Super! Elle acceptait! Génial, il allait pouvoir lui offrir une glace. Allez savoir pourquoi, il y tenait. C'était devenu une idée fixe. Néanmoins, elle posait une bonne question. Non pas que le jeune garçon n'y avait pas pensé mais il n'était pas vraiment du genre à s'arrêter sur une destination précise, préférant laisser les opportunités croiser son chemin. Il trouvait les choses meilleures quand elles avaient le goût de la surprise. Néanmoins, Detsuda était un brave garçon et il prenait toujours un soin particulier à répondre de manière satisfaisante aux questions qu'on lui posait, surtout si cette question était posée par une charmante jeune fille dont il goutait le sourire avec gourmandise.

- Je n'y ai pas trop pensé mais je connais un café-glace qui se trouve sur le canal, à coté du centre commercial, l'Aisukohi. Avec le beau temps, ca serait sûrement agréable d'y aller déguster quelques choses de frais auprès de l'eau.

Le jeune garçon n'y avait pas été personnellement. Mais ses camarades lui avaient dit que c'était un lieu à la fois gourmand et charmant, plutôt idéal pour emmener une fille. Il paraissait même que certains couples de la Gingko s'y retrouvait. Et même si Yuhei n'était pas vraiment le genre de garçon à porter attention à ce genre de propos, (Il avait un grand intérêt pour les glaces.) il devait avouer que l'information lui était alors très utile. Le lieu dont parlait le jeune garçon jouxtait le centre commercial ou ils se trouvaient. Il suffirait de descendre puis de quitter le bâtiment par les portes donnant sur le canal puis ils y trouveraient un petit café en contrebas de la berge, reposant en grande partie sur l'eau grâce à un pont flottant ou était disposée des tables rondes entourée de chaises dans un élégant style européen, tous cela d'un blanc immaculée. A la saison estival, quelques parasols étaient disposés pour couvrir les clients des rayons du soleil qui venaient miroiter en éclats innombrables à la surface du canal. Sur le sol se trouvait logiquement une petite installation de bois, une sorte de cabane bien entretue dans les tons blancs et bleus, ou était préparé diverses boissons, cafés parfois sophistiqués et glaces aux multiples parfums. Se trouvant non loin de Tama Greenwalk, il profitait tout de même d'un certain calme, procuré par les taillis qui l'entourait d'une ambiance plus intime.

- A moins que tu es un lieu qui te plairait davantage. Je suis ouvert à toute proposition.

N'hésita pas t-il a dire dans le soucis de laisser un maximum de choix et de libertés à la jeune fille. Il ne désirait que passer un bon moment avec elle. Peu lui importait le lieu ou ce qu'ils y feraient. Du moins, n'y réfléchissait-il pas du tout à l'instant. Rassuré par l'expression rieuse et l'air moins troublé de Nagisa, il se détendait. Un sourire enjoué sur le visage, son regard pétillant d'excitation couvant celui de son interlocutrice, il paraissait près à la suivre ou elle le désirait.

Se faire violence était devenu une idée fixe. Même si cela ne se voyait pas de l'extérieur, Nagisa luttait ardemment contre elle même depuis quelques minutes pour ne pas retomber dans son état précédent, à savoir celui ou elle bégayait et rougissait en regardant ses pieds. Le combat fut gagné, pour le moment, et malgré le fait que ses joues gardaient une teinte rosée (la maigre victoire de son opposant) elle conservait le même sourire.

Tout en hochant la tête avec conviction, elle ne trouva pas l'opportunité de répondre tout de suite car il continua sa phrase en précisant qu'il était ouvert à toute proposition. Cette fois, elle secoua la tête en fermant légèrement les yeux, répondant d'un ton enjoué.

« Non non, le lieu que tu proposes à l'air très bien, et vu que tu as l'air de préférer réfléchir pour ton achat de téléphone portable, pourquoi ne pas y aller tout de suite ? »

Nagisa semblait confiante, Nagisa semblait sûre d'elle... et intérieurement, elle était en train de mourir de peur. Pourquoi au fait faisait-elle tout ces efforts pour paraître sociable et enjouée alors que son instinct lui dictait de fuir pour être à nouveau seule ? Il y avait deux raisons à cela. La première était que Nagisa s'était promise, en entrant à Ginkgo Gakuen, de se faire des amis et de modifier son caractère de froussarde timide, et ce n'était pas en écoutant son instinct de survie surdéveloppé qu'elle y arriverait. En deuxième position, il y avait toujours cette histoire de fleur à cultiver qu'elle n'avait pas encore bien saisie. Mais le combat avançait bien, elle parvenait de plus en plus à enterrer au plus profond d'elle-même sa peur et son instinct de fuite tandis que le sourire et l'engouement dont elle faisait preuve devenait plus naturel.

Afin de donner un sens à ses paroles, elle sortit de la boutique, attendant que Yuhei lui emboite le pas, et se laissa guider par ce dernier jusqu'au lieu qu'il avait cité, ne sachant pas elle même ou il se trouvait. Elle n'avait pas trop de mal à le suivre à vrai dire et se concentrait toujours sur son combat intérieur, ce qui fit qu'elle ne prononça pas un mot durant tout le trajet. Même si Yuhei lui avait parlé durant ce laps de temps, elle ne l'aurait probablement pas remarqué. Son expression était crispée et l'on pouvait deviner aisément qu'elle était en train d'appréhender le moment qu'elle devait passer avec le jeune homme. Non pas que cela ne lui faisait pas plaisir mais... Autant le guider dans un magasin de téléphonie lui semblait facile, puisqu'elle baignait dans un domaine qu'elle connaissait, mais savoir comment se comporter lors d'une invitation à manger une glace était plus compliqué.

Sa seule référence étant les animes qu'elle avait pu voir à la télé, et se doutant elle même que cette dernière n'était pas des plus fiable, elle craignait le pire ou, si vous préférez, de faire une « gaffe » que personne d'autre n'aurait faites.

Néanmoins, ses appréhensions furent balayée, du moins temporairement, au moment ou elle arriva au lieu-dit. Pas tout à fait japonais, elle trouvait le contexte charmant et... comment dirait-elle ? Elle trouvait qu'il collait vraiment bien à Yuhei. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il choisisse un café typiquement japonais, commençant plus ou moins bien à appréhender l'individu, et elle était contente de voir qu'elle ne s'était pas trompée. Néanmoins, si on lui avait dit qu'un tel lieu existait tout près du centre commercial, elle ne pensait pas qu'elle l'aurait cru.

« C'est... C'est ici ? »

Il y avait une pointe de doute tout à fait justifié dans sa voix. Si le lieu était aussi exotique, il y avait également de fortes chances que les prix soient également plus élevé que dans un établissement japonais. Enfin, ça c'était un préjugé à la Nagisa et, bien qu'elle soit tolérante vis à vis de l'exotisme et des différences, elle ne pouvait s’empêcher d'avoir des pensées typiquement nippones, n'ayant pas connu d'autres cadres de vie sur lesquels elle aurait pu s'appuyer.

Elle laissa cela de coté au moment ou une réflexion aussi soudaine qu'impromptue s'installa dans sa tête. Si elle était japonaise et que son mode de pensée était celui d'une japonaise typique, en toute logique, la réflexion qui lui vint en tête n'avait rien de japonais... ni d'européen, ni même d'arabe ou d'irlandais. C'était une pensée... Nagisienne.

*Est-ce que c'est un rendez-vous... ?*

Par pensée Nagisienne, il fallait entendre là une pensée idiote bien sûr. Sachant que le jeune homme et la jeune femme venaient de se rencontrer, il n'y avait pas grande-chance que cette invitation à manger des glaces n'ait une quelconque ressemblance avec l'idée que l'on se faisait d'un rendez-vous au pays du soleil levant.

Ça, c'était ce qu'aurait pensé une personne normale... Nagisa ne l'était pas, la balance était donc équilibrée. Ils se trouvaient devant l'établissement et l'adolescente était en extase devant l'originalité du lieu, en oubliant presque, mais seulement presque, qu'elle était accompagné d'un pensionnaire de Ginkgo Gakuen rencontré il y avait un peu plus de 15 minutes. Ce qui était étonnant lorsque l'on savait qu'elle était à la base simplement venue acheter un accessoire pour son portable... qu'elle n'avait au final même pas acheté, maintenant qu'elle y pensait.

Avant de rentrer dans le bâtiment (par bâtiment je pense au café de style européen bien sûr), elle attendait une réponse de Yuhei. Il aurait été bête de s'y diriger alors que ce dernier aurait continué tout droit pour se diriger vers un autre lieu de son choix. Il n'en aurait résulté que gêne et embarras de la part des deux partis.

A quelques centimètres de Fujioka, il y avait un autre esprit. Mais ce dernier aurait pu se retrouver à l'autre bout de la Terre, tellement il était loin des préoccupations du premier. Il était fascinant de voir à quel point, deux êtres physiquement très proche pouvait être à des années lumières l'un de l'autre. Pourtant, dans cette distance, il n'y avait pas de vide. Tous simplement parce que leurs pensées étaient tournées l'un vers l'autre. Detsuda avait remarqué l'air quelque peu introspectif de celle qui marchait à ses cotés. Impossible de savoir à quoi elle était entrain de réfléchir avec autant d'ardeur mais ce n'était pas vraiment là l'inquiétude du jeune garçon.

" Si elle veut m'en parler, elle le fera. "

Se disait-il très justement, prenant soin de prendre un air disposé à l'écoute. S'il était toujours prêt à répondre aux questions de ses congénères, Yuhei n'était pas d'une nature intrusive. De plus, Nagisa ne paraissait pas écrasé par ses réflexions et sa tête était un peu ailleurs, il ne craignait pas qu'elle soit entrain de broyer du noir ou de ce faire souffrir. C'est du moins, ce qu'il percevait, intuitivement. Empathique? Il l'était forcément. Quand on était plus en accord avec soi-même, on était bien moins sourd au monde extérieur. Paradoxal ? Pas vraiment quand on y pense, car quel meilleur moyen de se fermer au monde que de se fermer à soi. Enfin, du coup, il gouta silencieusement à cette impression étrange qu'il ressentait depuis qu'ils avaient tout deux quitter la boutique. D'un simple service rendu entre deux personnes, ils étaient passés à un rendez-vous l'un avec l'autre. Et si Yuhei ne prenait pas forcément conscience de toute la portée que pouvait revêtir la chose, son cœur battait joyeusement dans sa poitrine alors que ses pas faisaient échos à ceux de Nagisa. Son regard noisette, quand à lui, s'il devait forcément s’enquérir du chemin à suivre, ne pouvait s'empêcher de glisser sur le visage et la silhouette de la jeune fille. Detsuda la trouvait fascinante. La petitesse et la fragilité apparente de Fujioka provoquait en lui une émotion toute masculine. La douceur du trait qui paraissait avoir été emprunté pour dessiné son visage, s'étirant doucement de l'enfance, lui paraissait surnaturel. Un jour, en Arabie, il avait entendu un homme dire à son père qu'on ne se rendait compte véritablement de quelqu'un que quand ce dernier marchait à vos cotés. Le jeune garçon commençait à comprendre ce que le vieux nomades avaient voulus dire.

- En effet, c'est ici. Allons-y.

Avec un sourire encourageant, il l'invita du geste à la suivre puis il descendit les marches vers la berge du canal. Sur cette dernière, ils furent accueillis par le sourire d'une jeune serveuse qui les disposèrent à une petite table pour deux sur le pont flottant. Le peu de clients présents permettait, par chance, de profiter d'un calme relatif alors qu'une péniche venait passer non loin d'eux à une vitesse lente et régulière. Très vite, l'ambiance s'installa autour d'eux et ils furent comme coupés de l'activité du centre. Ne se saisissant du menu qu'après avoir accordé un long regard pétillant autour de lui, il reporta son attention sur Fujioka.

- C'est vraiment cool comme endroit, en fait. Tu ne trouves pas ? Ça fait très canal parisien.

Nagisa avait suivit, et Nagisa sentait ses appréhensions la quitter à mesure qu'elle goûtait au calme du lieu. Non franchement, elle était contente d'être arrivée ici en compagnie de Yuhei. Si elle ne l'avait pas rencontré, elle aurait sans doute acheter son accessoire puis serait rentrée sans autre forme de procès. Elle qui n'aimait habituellement pas les imprévues, préférant les journées avec un emploi du temps calculé à la seconde près, elle était heureuse que celui-ci, précisément, soit arrivé.

Elle observa la péniche, momentanément fascinée par la longueur de cette dernière, puis reposa son regard sur le reste du lieu. C'était très calme, et elle trouvait cela un peu étrange. Au vu de la saison, et surtout de la proximité avec le centre commercial, elle s'était attendue à trouver bien plus de monde et donc bien plus d'occasion d'être sur ses gardes (on ne savait jamais quand quelqu'un allait vous toucher par erreur dans les lieux bondés.). Du coup, la relative absence de la foule autour d'elle et de Yuhei la rassura, et c'est détendue qu'elle s'assit sur l'une des chaises que lui proposa la serveuse.

Elle ne prit pas le temps d'observer le paysage alentour, se concentrant beaucoup plus sur son interlocuteur qui, à ses yeux, était mille fois plus intéressants qu'un décor qu'elle pourrait revenir voir autant qu'elle le voulait. Elle cessa son observation de ce dernier une fois qu'il eut posé son regard sur le menu, et prit elle même le sien, en quête déjà de quelque-chose à boire pour commencer... La glace viendrait peut-être, mais elle avait surtout tendance à penser que moins elle ferait dépenser le jeune homme, mieux elle se sentirait. Elle était en train de se demander ce qui serait le mieux entre un coca et un thé froid lorsqu'elle entendit une voix qui s'adressait visiblement à elle, avant de se rendre compte qu'il s'agissait de Yuhei. Elle n'avait saisit que la moitié de la phrase, toute perdue qu'elle était à choisir, mais en avait plus ou moins saisit le sens. Elle ne prit néanmoins pas la peine de répondre, ayant peur de paraître ridicule par son ignorance.

Du coup, cela lui avait rappelé quelque-chose, et elle se décida à poser la question, jugeant peut-être qu'elle était devenue, sinon assez « intime », un peu plus proche pour se permettre ce genre de questions. Néanmoins, elle ne pu empêcher le rouge qui colorait auparavant ses joues de revenir à la charge, tant ce qu'elle s'apprêtait à lui demander lui semblait indiscret.

« Dis... Tu peux ne pas répondre, et je ne t'en voudrais pas si c'est le cas mais, tu es japonais ? »

Elle se rendit compte de l'illogisme de sa phrase à peine l'eut-elle prononcé et ne lui laissa même pas le temps de réfléchir tant elle se corrigea vite.

« Tu es un mystère pour moi... Je ne sais pas si tu es japonais, ou étranger, ou les deux à la fois, et ça me trouble... »

Detsuda se mit à cligner des paupières précipitamment, marquant par là son étonnement. Un sourire gagna ses lèvres alors que la surprise laissait place à un sentiment paradoxal. Le jeune garçon n'appréciait pas vraiment qu'on doute de ses origines nippones. Il en était fier et désirait ardemment en être digne. Malheureusement, il commençait à être coutumier du fait. Seul les gaijins pouvaient se laisser avoir et penser qu'aucune autre influence n'était venu inspiré le caractère du jeune garçon. Les japonais purs souches découvraient tôt ou tard le poteau rose, Fujioka en faisait parti. Ce n'était pas qu'il voulait cacher son passé mais, il savait que les habitants de l'archipel n'aimait guère les comportements originales. Du coup, il se forçait à la plus correcte des discrétions.

- Je suis Japonais. Mes deux parents le sont. J'ai simplement vécu très longtemps loin de l'archipel. Cela fait que j'ai parfois des manières un peu étrange.

Il abaissa humblement la tête avant de la relever, dans une attitude des plus nippones.

- Je te demande pardon si ces dernières t'ont troublées.

Il laissa son regard noisette plongé dans celui de la jeune fille. L'expression de son visage se faisant, sans qu'il ne s'en rende vraiment compte, le siège de cette ambivalence que représentait son être. A la fois un physique japonais des plus classiques, alliés à des expressions faciales qui rayonnaient du soleil ardant du Proche-Orient. De fait, les deux influences se mariaient avec une relative harmonie qui mêlait le charme exotique à la rassurante image du nippon moyen, garant d'une société attachée à son originalité. Yuhei portait un nouveau regard sur Nagisa. Il devait avouer qu'il avait été surpris par sa perspicacité. Jusqu'à maintenant, il avait fallu bien plus de temps avant que la question des origines de Detsuda soit soulevé par ce qu'il le fréquentait. La jeune fille paraissait donc particulièrement sensible et empathique. Cela renforçait l'attachement que le jeune garçon éprouvait de plus en plus pour elle. Sans être dupe, il se doutait aussi qu'il était sans doute, tout autant le coupable de cette découverte rapide. Il s'était laissé aller bien plus vite qu'à l'accoutumé avec elle. Signe, peut-être, qu'intuitivement, il se sentait bien auprès d'elle.

- En fait, je cherche plutôt à rendre ça le plus discret possible, la plupart du temps, pour ne pas gêner les gens.

Il porta sa main à sa nuque et eut un léger rire. Il était à la fois gêné d'avoir été si rapidement découvert et en même temps soulagé de pouvoir l'avouer. Sur cette phrase, la serveuse s'approcha pour prendre leurs commandes. Detsuda esquissa alors un sourire enjoué et doux.

- Prends ce qui te ferait le plus plaisir, d'accord ?

Pour sa part, il n'hésiterait pas et prendrait une belle glace à la vanille avec un café liégeois.

Nagisa avait peut être effectivement fait preuve d'une lucidité sans pareil vis à vis des origines du jeune homme, ou peut-être pas. Ce qui était certain en tout cas, c'était que lorsque l'on passait sa vie à observer les gens de loin, on finissait par connaître leurs réactions plus ou moins par cœur sans trop de mal. Si elle avait deviné si vite, c'était sans doute parce que Yuhei n'entrait dans aucun des canons habituels en matière de comportement. Si il lui plaisait, c'était sans doute pour cette raison précise mais de ça, elle ne savait rien.

Lorsqu'il lui répondit (alors qu'il n'était de loin pas obligé de le faire rappelons-le tout de même) elle ne pu qu'afficher un petit sourire qui signifiait principalement « je m'en doutais un peu. ». Par contre, lorsqu'il lui présenta ses excuses, elle ne s'y attendait pas du tout et secoua doucement la tête.

« Ne t'excuse pas d'être ce que tu es voyons ! »

Elle passait vraiment par différents stades de confiance et de peur tous plus farfelus les uns que les autres. Pourtant, même pour elle qui était habituée à changer de perception sur ce qui l'entourait comme de chemises, c'était un fait inhabituel. Juste avant, elle était encore toute timide et rougissante et maintenant, elle se trouvait à nouveau en pleine confiance. C'était amusant si on considérait le fait que, à ce moment là, elle ne se comprenait pas elle même alors il ne fallait pas compter sur son interlocuteur pour réussir ce tour de force si elle même n'y arrivait pas.

« Tu ne me gênes pas du tout ! La différence est une force, la cultiver notre foi. »

Elle se mit une main sur la bouche par réflex. Elle avait cité avant même de se rendre compte l'une des petites phrases que lui répétait souvent son paternel afin de l'inciter à la tolérance... Preuve que la chose avait bien marché puisqu'elle venait de le ressortir alors qu'elle n'y avait même pas pensé. Elle eut un petit rire et s'expliqua brièvement.

« Je... Désolé. C'était l'une des expressions que mon père aimait bien à répéter. C'est peut-être un peu trop ancré en moi. Excuse-moi. »

Si il fallait reconnaître une chose de la part des japonais en général, du moins de ceux qui avaient reçu une éducation correct, c'était leur capacité à s'incliner et à s'excuser pour tout et n'importe quoi. Son père, pour encore revenir à lui, ayant beaucoup voyagé dans sa jeunesse avait été capable de se doter de ce recul et de cette vue extérieur sur la société nippone que la plupart des natifs n'ayant jamais voyagé n'avait pas. Et c'était lui, si fier de son pays pourtant, qui n'arrêtait pas de sortir des blagues sur les japonais, ce qui avait souvent tendance à agacer prodigieusement sa mère qui, elle, n'était jamais sortie du pays.
Il y en avait eu une, de blague, en particulier que Nagisa avait mis quelques-temps à comprendre (en particulier parce que son père les racontait très mal) mais qui correspondait parfaitement à la situation présente. Elle ne la raconta pas mais y repensa avec un petit sourire en coin. Qu'est-ce que donne deux japonaises qui se croisent dans un couloir étroit ? Réponse : Deux japonaises assommée.
Elle avait mis longtemps à comprendre que c'était le fait de les voir toutes les deux s'incliner en s'excusant en même temps qui provoquait la collision de leur crâne respectif et, lorsqu'elle l'avait finalement comprise (tout de même deux semaines après l'avoir entendue) elle avait éclaté de rire toute seule comme une idiote dans sa chambre, en étouffant ses rires dans une peluche de lapin rose pour éviter qu'on ne la prenne pour une folle à la maison.

Enfin bref, toute cette petite disgression pour dire que, le fait qu'ils s'excusent les deux à très peu de temps d'intervalle lui avait rappelé cette partie de sa vie et provoquait chez elle une légère vague de nostalgie quand à son ancienne vie à la maison, avant d'entrer à Ginkgo Gakuen.

Elle fut tirée de ses douces pensées par Yuhei qui lui annonçait qu'elle pourrait prendre ce qui lui ferait plaisir. Elle ne comprit pas tout de suite et vit la serveuse qui l'observait avec un sourire, attendant sa commande. Elle n'y réfléchit pas plus de deux secondes et annonça qu'elle désirait une glace au chocolat, simplement. C'était ce qui lui semblait le moins cher et, toute perdue qu'elle était dans ses pensées et distraite comme elle était, elle n'avait pas bien saisi ce qu'avait commandé Yuhei. Il y avait le mot liégeois dedans, mais pas sûr.

La serveuse repartit et ils se retrouvèrent à nouveau en face à face. Bon les glaces ne mettraient pas long à arriver mais...

*Est-ce que ça vaux le coup... ?*

Elle décida finalement que oui et fouilla dans sa poche pour en ressortir un petit carnet de note ainsi qu'un crayon papier qui avait visiblement vu du pays. Elle rougit de plus belle en reparlant et s'en voulu pour cela, de ne pas réussir à garder son calme alors que rien dans la situation présente ne l'encourageait à stresser.

« Est-ce que je peux... te dessiner ? C'est une demande un peu étrange mais j'ai l'habitude de faire ça pour me souvenir des gens... que j'aime bien... »

La fin n'avait été guère plus d'un murmure, témoignant de sa gêne apparente à le dire à haute voix mais elle espérait sincèrement une réponse positive. Elle aurait vraiment aimé avoir son grand carnet format A4, mais elle se contenterait de son petit carnet de note qui permettait déjà de faire des croquis tout à fait honorables, mais pas aussi détaillé qu'elle l'aurait voulu... Elle s'en contenterait, déjà fallait-il qu'il dise oui...

Detsuda haussa un instant les sourcils avant de battre doucement des paupières, un sourire chaleureux se dessinant sur ses lèvres. Qu'il était réconfortant d'entendre ces mots. Elle l'aimait bien. Il était vraiment heureux. Son cœur s'était mit à battre de plus belle dans sa poitrine. Il pouvait sentir la chaleur sur son visage, signe que le rouge gagnait sa peau.

- Moi aussi, je t'aime bien, Fujioka-chan.

Toujours aussi spontanée, il n'avait bien sûr pas dérogé à son caractère et avait répondu sans détour à ce témoignage d'affection. Il la couvait de son regard noisette pétillant d'une douce lueur joyeuse. A bien des égards, il était de plus en plus impressionné face au courage dont la jeune fille paraissait faire preuve pour être en accord avec elle-même. Cela ne faisait que renforcer ses sentiments envers cette dernière. Voila aussi pourquoi, sans bien s'en rendre compte, il s'était adressé à elle avec une certaine marque de familiarité.

- Mais non, je ne veux pas que tu me dessines. Ça serait trop simple.

Surprenante réponse pourtant, mais le jeune garçon avait rapidement raisonné après la révélation de son interlocutrice. Yuhei, d'un esprit particulièrement critique et acerbe s'étaient rendu compte que les images ou les idoles étaient souvent des excuses pour expliquer des absences. Après tout, combien de photos, des grands parents isolés et délaissés recevaient-ils de petits enfants qui ne venaient jamais les voir. Voilà pourquoi le jeune garçon avait décidé de refuser la demande de Nagisa.

- Bien mieux qu'en les dessinant, c'est en partageant la vie aux cotés de ceux qu'on aime qu'on se souvient d'eux et qu'on se sent de plus en plus proche d'eux. C'est du moins ce que je crois. Plus on partage et plus on a de souvenirs, plus il est simple de se souvenir. Logique, non? Donc, si tu veux te souvenir de moi, il faudra que tu viennes me voir aussi souvent que tu en ressentiras le besoin. De même, si je ne veux pas que tu m'oublis, je devrais prendre soin d'être à tes cotés dans ta vie. Ça marche dans les deux sens, bien sûr.

Detsuda se fendit à nouveau de son sourire charmeur et exotique, tout en passant sa main derrière sa nuque pour la caresser.

- Et puis, je dois t'avouer que ça me gêne un peu qu'on me dessine. Je ne me sens pas particulièrement artistique. Il y a des gens aux visages bien plus évocateurs que moi dont il est intéressant de saisir les expressions.

Il en savait quelque chose. Les photographes et les caméramans avaient souvent toute son admiration. Il pouvait se souvenir de quelques clichés bouleversants qui avaient saisis l'espace d'un instant, l'expression d'un sentiment fugitif sur le visage d'un individu. Les photos journalistiques pouvaient vraiment être parfois d'une beauté bouleversante, d'une réalité quasi-palpable. En fait, bien plus que simple reporter, Yuhei aspirait un jour à réaliser ce genre de clichés.

Elle le vit rougir... C'était la première fois depuis qu'ils s'étaient rencontrés non ? Elle, elle avait rougit un bon milliers de fois depuis le début, mais lui non ou alors elle n'y avait pas fait attention. En tout cas maintenant, elle y faisait attention et trouvait que cette teinte rosée sur les joues du jeune homme lui donnait un air particulièrement charmant. Néanmoins, elle n'eut pas le temps de s'y attarder car elle se sentit rougir à son tour, et de manière beaucoup plus évidente, lorsque Yuhei lui annonça qu'il l'aimait bien. Elle était heureuse, ça il n'y avait aucun doute.

« Je suis contente... »

C'était tout ce qu'elle trouvait à dire, et la réflexion était inutile vu que la teinte de ses joues ainsi que son sourire avaient déjà donné cette indication avant même qu'elle n'ouvre la bouche. D'un point de vue extérieur, tout cela ressemblait quand même beaucoup à une déclaration d'amour déguisée de manière malhabile en amitié. Nagisa ne s'en rendait pas compte, et c'était peut-être bien mieux pour elle.

Elle sentit une lame lui transpercer le cœur lorsque le jeune homme lui donna la réponse par rapport au dessin. Il ne voulait pas. Mais pourquoi ? Elle voulait lui poser cette question, elle le désirait vraiment, mais se rappela qu'elle s'était mise un point d'honneur à ne pas aller à l'encontre de l'avis de ses sujets. Bon, c'était vrai, la plupart du temps elle dessinait les gens sans même qu'ils ne se rendent comptes, de loin, et gardait les dessins pour elle. Témoignant de sa névrose et de son traumatisme enfantin avec un hachoir, elle gardait ses derniers pour elle, dans une petite boite prévue pour ces derniers, et passait beaucoup de temps à les regarder. Les dessins des gens qu'elle faisait remplaçait ses amis dans la vie réelle. Elle savait que ce n'était pas une bonne manière de penser, que les gens normaux lui auraient dit de se faire soigner, mais elle ne voulait pas, car elle ne pensait pas qu'un quelconque médecin puisse l'aider. Pour se débarrasser de ça, il fallait qu'elle agrandisse son cercle de connaissances et d'amis afin qu'elle ne ressente plus le besoin de dessiner les gens pour s'en faire des amis virtuels.

Yuhei se remit à parler, encore une fois, et elle se félicita de ne pas avoir protesté. Elle l'écouta attentivement, hochant la tête la ou il y avait besoin d'un hochement de tête... Attendez ? Aussi souvent qu'elle en ressentirait le besoin... ? Mais c'était terriblement embarrassant !

« Je... comprends ton point de vue et je suis d'accord mais je ne sais pas vraiment venir rendre visite aux gens. J'ai quelques petits problèmes de sociabilisation et je considère déjà que le fait d'être ici, avec toi, en train d'attendre nos glaces est un miracle que je n'aurais jamais osé espérer se produire même dans mes rêves les plus fous. »

Elle réalisa soudainement l'impact de ses paroles. Malgré le fait qu'elle ait dit pour les problèmes de sociabilisation, d'ailleurs Yuhei était vraiment le premier à qui elle l'avait dit alors qu'elle s'était jurée de garder le secret, elle se rendit compte que la suite de ses paroles sonnaient un peu comme « je t'admire depuis toujours et je considère ça comme un privilège... » Ce n'était pas du tout le cas bien sûr. Elle avait rencontré Yuhei aujourd'hui et n'en avait même jamais entendu parler jusqu'à aujourd'hui. Et bien qu'elle ne pouvait pas nier que le jeune homme faisait chez elle un effet tout particulier qu'elle ne savait pas vraiment expliquer. Lorsqu'il parla de visages plus évocateurs, elle ne pu s'empêcher cette fois de protester vivement.

« Tu as le visage le plus intéressant parmi toutes les personnes que j'ai pu dessiné jusqu'à aujourd'hui. Il y a cette espèce de... je ne sais quoi qui fait que j'ai du mal à détacher mon regard du t... »

Elle se coupa brusquement et détourna les yeux pour regarder soudainement l'étendue d'eau qui semblait être devenue tout à coup d'un intérêt sans bornes. Elle fut plus ou moins sauvée par le gong lorsque la serveuse arriva avec les glaces qu'ils avaient commandés. Ils la remercièrent et Nagisa planta sa cuillère dans cette dernière sans grande conviction avant d'en manger un petit bout. Elle trouvait la personne en face d'elle nettement plus intéressante.

« C'est comment... les autres pays ? Mon père m'en a beaucoup parlé, mais je n'ai jamais eu l'occasion de visiter... Je suis restée au japon toute ma vie. Si je peux te le demander, ou habitais-tu avant ? »

C'était des questions peut-être un peu indiscrète... Et elle avait l'impression d'être la seule à vouloir connaître un peu le passé de son nouvel ami. Enfin amis ? Ils étaient amis ? Elle n'en savait rien et s'en fichait. Ce qu'elle savait par contre, c'est qu'elle aurait aimé que cet instant dure le plus longtemps possible...

Le courage était habituellement quelque-chose qui manquait cruellement à Nagisa. Ce même courage lui avait manqué à tel point que, parfois, elle se demandait pourquoi, si il y avait un Dieu, ce dernier s'était fatigué à lui donner la vie quand il voyait le piètre résultat que ça avait donné. Sa création passait son temps à fuir et à éviter les contacts et cela lui avait même valu, mais c'était terminé à présent, de recevoir quelques menaces dans son casier. Nous ne les détaillerons pas ici, mais elles étaient assez méchantes pour l'inquiéter sérieusement et la faire pleurer. Ils avaient finit par se lasser et la laisser tranquille en voyant qu'elle ne faisait rien, mais c'était une fois de plus une preuve que tout ce qui ne rentrait pas dans le moule de la normalité était extrêmement mal vu par la société en général. Nagisa avec sa phobie sociale, sa paranoïa et sa légère névrose vis à vis du monde qui l'entourait n'entrait pas très bien dans ce moule, en fait, elle était même carrément à coté. Elle s'était demandé plusieurs fois si les gens qui l'avait harcelée par le biais de ses billets n'étaient pas simplement jaloux de sa différence et avait vite chassée l'idée, alors que c'était pourtant la plus plausible.

D'ailleurs, pourquoi tout cela lui revenait-il à présent ? C'était des mauvais souvenirs qui dataient du début de son année scolaire... les mauvaises rumeurs qui s'étaient répandue sur elle. Des mauvais souvenirs et elle ne savait pas pourquoi elle se les remémorait en présence de Yuhei alors qu'il n'avait absolument rien à voir avec ces gens intolérants...
Ah oui... Le courage. Nagisa trouvait qu'elle faisait preuve de courage en posant autant de questions mais elle savait aussi très bien que si elle avait eu affaire à un japonais pur souche, elle n'aurait pas osée être aussi franche et direct. Yuhei, de par ses origines étrangères, ressemblait un peu à son père avec qui l'on pouvait discuter d'à peu près n'importe quoi sans qu'il ne s'en offusque, et elle en eut confirmation lorsqu'il répondit en citant ses précédents lieux de vie.

« Syrie, Liban, Israël, Turquie et Égypte. J'en ai juste entendu parler... »

Et inutile de dire que la représentation qu'elle s'en faisait était à des années lumières de ce qu'était lesdits pays en vrai, mais elle se garda bien de le dire, se rendant compte au fond d'elle même que son imagination lui en donnait des images erronées. Nous ne les détaillerons pas ici, mais il était surtout question de chameaux qui fumaient des pipes à eaux, donc autant dire que ça allait très loin dans l'irréalisme.

Elle écouta attentivement la suite en hochant la tête par moment, approuvant sans même s'en rendre compte. Une fois qu'il eut finit, elle eu clairement l'impression qu'il se trompait sur son compte. Parler avec son cœur ? Il avait déjà de la chance de lui parler sans qu'elle ne s'enfuie à toute jambe jusqu'à l'autre bout de la terre. Le seul élément qui avait rendu les choses différentes cette fois, c'était la curiosité. Nagisa avait été curieuse de savoir pourquoi Yuhei se comportait comme un étranger alors qu'il avait l'air japonais, et cela avait largement prévalu sur sa peur des gens. C'était cette même curiosité qui l'avait rendue partiellement invalide d'une main, et depuis elle s'en méfiait comme de la peste (de sa curiosité, pas de sa main voyons) en essayant de faire en sorte qu'elle se manifeste le moins possible, voir en l'étouffant totalement. Avec le jeune homme, elle avait oublié les recommandations d'usage qu'elle s'était fixée et lui avait laissé libre court, ce qui s'était révélé plutôt bénéfique, mais il était temps de donner une explication à Yuhei afin que les choses soient bien clairs entre eux mais elle attendit qu'il ait finit de parler, jusqu'à ce qu'il demande son numéro de téléphone. Avant de sortir son propre portable, elle prit une grande inspiration et prit enfin la parole, d'une voix calme... quoi que légèrement tremblante. Ce qu'elle allait dire, elle ne l'avait avoué qu'à une personne dans l'école jusqu'à présent, et Yuhei serait le deuxième.

« Je ne suis pas tout le temps comme ça. Ne me voit pas comme une personne arrogante, mais je peux dire moi même que tu as beaucoup de chances de me parler ainsi... Tu as sûrement dû remarquer que, au tout début, je me tenais à environ 2 ou 3 mètres de toi. C'est ce que j'appelle ma distance limite de sécurité... Si tu l'avais dépassée, je me serais sans doute enfuie plus loin, ou j'aurais reculé pour la conserver. Je ne sais pas comment ça se fait que j'ai réussi à réduire cette distance limite, je n'en sais rien, mais ça ne me dérange pas. J'ai des problèmes Detsuda-kun... »

Elle avait ajouté le suffixe affectif sans même s'en rendre compte, en réponse au « chan » de Yuhei et continua sa phrase sans même le remarquer.

« ... et j'essaye de m'en soigner. Des ps... personnes m'ont dit que je souffrais de...d... »

Ah, ça devenait plus dur, mais puisque Yuhei lui avait ouvert son coeur, elle devait bien lui dire la vérité, et puis peut-être saurait-il mieux comment agir à la fin.

« De Phobie sociale.... et je serais aussi paranoïaque, et névrosée. Ça m'a valu beaucoup de brimades à mon arrivée ici et tu es le premier à qui j'en parle. C'est aussi pour ça que je n'ai pas d'amis, et que je dessine les gens, souvent de loin, pour conserver un souvenir d'eux car je sais très bien que je n'oserais pas aller leur parler. Ça m'a fait un peu mal au début quand tu as refusé que je te dessine mais j'ai compris tes raisons, et je serais ravie d'échanger mon numéro avec toi, si tu en as toujours envie après tout ce que je t'ai dis. »

C'était la première fois qu'elle parlait de ses problèmes à quelqu'un, et c'était cela que l'on pouvait appeler du courage. Après tout, elle venait de rencontrer Yuhei, et il n'y avait aucune garantie qu'il n'aille pas raconter cela plus loin... Néanmoins, même le jeune homme avait dû se rendre compte au ton de sa voix qu'elle faisait tout pour sortir de ses problèmes.
Elle sortit son portable et donna son numéro au jeune homme, attendant le sien.