Un petit papier froissé dans la main, Hugh remontait lentement le couloir à la recherche du club de manga. Dans ce changement d’école, ils avaient tout à recommencer, y compris leurs activités de club, et cette fois, avec un club dédié déjà en place, Hugh doutait pouvoir réitérer sa petite entourloupe. C’était donc à contre cœur qu’il s’était décidé à se renseigner sur le club déjà en place, pour pouvoir déclarer en toute impunité que cela ne l’intéressait pas. Et puis, si ça se trouvait, peut-être aurait il une bonne surprise ? Comme un club à moitié vide…

Il remua légèrement la tête. Il aviserait. Au pire, et bien, il dessinerait dans sa chambre. L’avantage de leurs lits multi fonction, c’était qu’ils offraient à chacun un domaine bien délimité et caché au regard. Un carton à dessin sur les genoux, sans être de tout confort, lui permettrait de dessiner sans gêner les autres. Mais c’était oublier que quelque part, il aimait aussi être seul. La vie en communauté n’était pas faite pour ça, il fallait le croire.

Alors qu’il regardait avec attention les numéros des portes, une musique douce et basse lui parvint aux oreilles. Hugh cessa de marcher, écoutant avec attention cette musique qui éveillait un sentiment particulier chez lui. Lorsqu’il reconnu le son caractéristique d’un saxophone, il frémît, l’image de Brian s’imprimant sur ses rétines. Vieille histoire, trop vieille histoire. Il n’avait pas envie d’y penser.

Il refit 3 pas avant de s’immobiliser de nouveau, parcouru d’un frisson à l’écoute de cette musique qui glissait par la porte entrebâillée juste devant lui. Le club de musique ? Poussé par la curiosité, ainsi que par l’étrange sensation que s’il ne jetait pas un œil, il n’arriverait pas à poursuivre sa route, il posa sa main sur la porte coulissante, dans l’idée de la pousser légèrement et jeter un œil. La porte était plus souple qu’il ne l’aurait imaginé, et coulissa de moitié sans un bruit, lui révélant l’intégralité de la salle, qui était une salle de classe comme les autres.

Le dos tourné à la porte, assis sur une table, un jeune homme brun jouait du saxophone. Apparemment concentré, il ne sembla pas réaliser la présence de Hugh, qui quand à lui, restait figé, un sentiment étrange s’infiltrant en lui.

Brian avait pris l'habitude de squatter la salle du club de musique pour jouer du saxophone quand sa chambre n'était pas vide. Les membres du club l'avaient accepté à bras ouverts même s'il n'était pas un membre officiel du club – n'étant pas un lycée, c'était impossible – et en échange, il s'était arrangé pour voir avec son manager pour leur offrir une petite ristourne quand il passait au magasin. La salle avait la bonne fortune d'avoir une bonne acoustique et une bonne insonorisation – a priori pour ne pas déranger les gens dans les salles de cours aux alentours – si bien qu'avec le foyer, c'était l'un des lieux qu'il fréquentait le plus.

En ce milieu d'après-midi, Brian était en train de profiter de la salle avant qu'elle ne soit envahie par ses membres habituels, une mélodie bien connue glissant avec aisance de son instrument. Les yeux clos, il se laissait envouter par cette musique qu'il connaissait assez bien pour jouer presque d'instant, sans avoir besoin de regarder aucune partition. Une mélodie douce et entêtante qu'il avait appris deux ans plus tôt, et qui était resté un de ces airs préférés malgré toute la mélancolie qu'elle représentait.

L'acoustique changea soudain, doublée du bruit léger de tissus qui frottent, signalant l'entrée de quelqu'un et le sortant de sa transe. Le jeune homme finit sa mesure avant toute chose, ayant en horreur de laisser la musique non finie. C'était comme l'abandonner en l'air avant qu'elle ne soit complète : un crime auditif. Brian reposa son instrument sur ses genoux, le caressant machinalement du bout des doigts. Il était amusant de constater qu'on pouvait caresser un instrument avec autant de tendresse ou de ferveur que le corps d'une autre personne.

" J'avais mal fermé la porte ? Désolé..."

Le jeune homme se redressa et se retourna enfin pour regarder l'entrant, s'attendant à un des membres d'un des clubs qui occupaient les pièces voisines, peut-être du club de go, réputés pour leur irascibilité. Son sourire paisible était déjà en place pour calmer le jeu si c'était bien le cas. Après tout, la musique n'est-elle pas sensée adoucir les mœurs ? Sourire qui disparut rapidement de son visage alors qu'il prenait la mesure de son interlocuteur. Un petit jeune homme blond qui ne semblait pas vraiment assorti au décor, et qui n'était absolument pas sorti du club de go. D'un de ses rêves à la limite, mais pas du lycée.

Sauf que dans ses rêves, Hugh n'aurait jamais porté l'uniforme de Gingko Gakuen, bien que le carton à dessins serrés sous son bras soit parfaitement assorti à son caractère. L'image était bien trop réelle pour être fantasmée. Une forte ressemblance qui avait même eu le bon goût d'avoir l'air aussi choqué que lui de le voir. C'était bien la dernière personne qu'il pensait voir ici. Non, qu'il pensait revoir tout court. Difficile de penser à Hugh autrement que dans le cocon de son appartement à Manhattan, là où sa mère pouvait veiller bec et ongles sur lui. Alors pourquoi...
Le brun finit par reprendre la parole, espérant encore secrètement un retournement de situation, une ressemblance marquante... n'importe quoi pour dissiper ce malaise. Pourtant, il ne put contrôler le premier mot qui s'échappa de ses lèvres.

" Hugh ? "

Le musicien termina son air avant de se retourner vers lui. Et à cet instant, le temps se figea. Hugh écarquilla lentement les yeux, une expression de pure stupeur se peignant sur ses traits. Impossible. Simplement impossible. Il rêvait ou avait une hallucination. Pourtant la sueur froide qui lui coulait dans le dos, il ne la rêvait pas. Face à lui, ce visage si connu et tant de fois ressassé affichait une expression semblable à la sienne, avant qu’un simple mot ne franchisse ses lèvres, brisant cette parenthèse figée dans le temps.

L’énoncé de son nom le fit revenir à la réalité avec stupeur, alors que tout son corps, dans un seul élan, criait « non ». Les mains tremblantes et le cœur affolé, Il chercha à desserrer ses dents, à réagir, mais il s’en trouvait soudainement incapable. Son regard accrocha le regard du brun face à lui, ce qui ne fit qu’augmenter à sa panique et à son angoisse incontrôlée.

Dans un tremblement violent, ses mains manquèrent de lâcher son carton à dessin. L’envie de fuir et la terreur que lui inspiraient la situation se retrouvèrent confronté à la douleur qu’il avait vécu lors de sa disparition, lorsque le jeune homme l’avait tout bonnement abandonné, seul.

Comme s’il n’était tout à coup plus maître de ses actions, Hugh eut l’impression d’assister à la scène de l’extérieur. Il se vit lâcher son carton à dessin, avancer d’un pas vif, et envoyer son poing directement dans la joue douce du jeune homme. Il n’était pas Eiji. Son coup ne le renversa pas au sol en emportant la table. Mais la douleur qui irradia dans son bras, et le bruit que son agression déclencha, étaient des témoins fidèles de la douleur qui irradiait soudainement dans son cœur. Il ne parvenait pas à savoir si c’était ses sentiments ou son corps qui souffrait le plus en cet instant.

Il n’aurait jamais pensé frapper quelqu’un de nouveau, et encore moins lui. Il n’aurait jamais imaginé le revoir, il n’aurait jamais pensé… Que ça ferait si mal. Qu’il aurait envie, malgré lui, de se blottir dans ses bras.

« Je n’aurai jamais voulu te revoir ! »

Les mots avaient été craché, à moitié sanglot, dans un américain clair. Les joues rouges et les yeux brillants, Hugh serra les dents, reprenant sans respiration.

« Qu’est-ce que tu fais la ?! »

Le désespoir perçait dans sa voix, alors qu’il reprenait conscience de ses actes et de la situation. Le sang tapait trop fort à ses tempes, bourdonnant dans ses oreilles, et s’il n’y avait eut cette table à laquelle s’agripper, il aurait chancelé.

Brian ne vit pas le coup venir. Il vit bien Hugh traverser la salle comme une furie, mais l'idée que le blond puisse le frapper avait été à des années lumières de son esprit. C'était tellement éloigné de son comportement... du moins de ce qu'avait été son comportement habituel. Il connaissait ce Hugh un peu fragile, trop vite essoufflé, prompt à s'emballer pour le dessin ou un manga, étranger à tout effort physique. Celui qui s'énervait rarement et souriait trop vite pour le cacher. Pas le jeune homme qui fonça dessus pour lui coller son poing sur le visage, le laissant choqué et surpris, sa main montant à son visage pour toucher sa lèvre éclatée sans trop y croire. Bien vite, la douleur aigüe de la plaie lui signala la cruelle réalité. Il venait bien de se faire frapper par Hugh.

Hugh Brown, ex-petit copain, dont l'histoire s'était finie lamentablement après un long silence. Et cet idiot se jetait sur lui pour le frapper comme s'il lui avait refilé des morpions ? Brian se mordit l'intérieur de la joue pour ne pas répliquer de suite, essayant de trouver un calme qui pour une fois lui faisait défaut. L'envie de prendre les pans de ce blaser bien repassé et de secouer, o oui, secouer jusqu'à lui remettre la cervelle en place, semblait vouloir avoir le dessus.
Niet.

" Tu te fous de moi ? "

Sa voix était passée de suave à sifflante, des mots arrachés dans sa machoire crispée dans cet anglais qu'ils avaient toujours partagé. Le japonais semblait impropre à cet instant, même s'il avait pris l'habitude de le parler 24h sur 24, même avec des élèves non japonais. Mais avec Hugh... l'anglais était toujours restée la langue maîtresse, celle des après-midi qui s'étiraient paresseusement sur leurs dessins ou leurs caresses. Il aurait peut-être du parler en japonais finalement, la langue ne contenant aucun souvenir difficile à digérer.

" Tu te fous de moi ? C'est toi qui a cessé de me donner des nouvelles d'un coup, ou de répondre à mes mails ou sur msn. C'est très gentil le "je n'aurai jamais voulu te revoir", mais j'aurai préféré l'entendre au moment où tu as décidé de couper les ponts ! "

Il n'avait pas haussé le ton, crachant à voix basse ces mois de regrets et de vexation. Brian fixa un instant Hugh avant de baisser son regard sur cette main crispée qui s'accrochait de toutes les forces à la table à ses côtés. Il aurait cru... que le jeune homme serait moins choqué par cette rencontre. Moins touché. Après tout, n'était-ce pas lui qui avait...
Mais pourquoi l'avait-il frappé alors ? Une goutte de sang s'écrasa sur la table, rompant sa stupeur quand il se rendit compte que c'était sa lèvre qui saignait. L'américain fouilla dans sa poche, trouvant un mouchoir en papier qu'il colla à la va-vite sur sa lèvre.

Maintenant qu'il avait parlé et qu'il s'était quelque peu calmé, Brian se rendait compte de l'inadéquation de la situation. Ou alors, un élément lui échappait, sans qu'il arrive à comprendre lequel. Hugh le regardait comme un enfoiré, et le regard qu'il posait sur le blond n'était guère plus tendre. Alors... pourquoi ?

Le regard que lui renvoya aussitôt Brian fit regretter son geste à Hugh. Qu’est-ce qui lui avait pris, c’était Brian ! Brian qu’il avait espéré, attendu, pleuré ! Brian qui l’avait abandonné, il ne fallait pas l’oublier. Quelles que soient les raisons pour lesquelles il était la aujourd’hui, à l’époque, juste après l’opération, la ou il avait eut terriblement besoin de lui… Lui, il avait disparu, apparemment lassé de devoir rester enfermé dans cette chambre avec lui. Il pouvait le concevoir. C’était peut-être ça le pire. Mais l’heure n’était pas aux remords. Sa main libre se replia sur sa cicatrice invisible sous sa chemise, protection inutile.

Le beau visage de Brian s’était tordu pour lui assener une réponse sifflante. Comme un chat grondant, le sang perlant sur sa lèvre, il répliqua, ses propos laissant Hugh estomaqué. Lui qui ne lui avait plus donné de nouvelles ? Le regret disparu de ses pensées. Néanmoins, il ne chercha pas à le frapper plus. Il n’en avait aucune raison. Il avait suffisamment mal comme ça.

« … Tu m’as abandonné…. »

Le regard clair de Hugh s’était planté dans le sien. Les paroles énoncée par Brian dansaient à l’arrière de sa tête, semant un trouble étrange. Lui, il aurait coupé les ponts ? La réalité était pourtant si claire de son coté : L’opération, et la disparition totale de sa vie de brian.

« Au moment ou j’avais le plus besoin de toi, tu m’a abandonné, et je t’ai attendu, et tu n’a… »

Sa voix se cassa sur les dernières paroles, le blond incapable d’aller plus loin alors que les larmes coulaient le long de ses jours, le bref accès ayant de colère l’ayant comme vidé de ses forces. Il avait l’impression qu’il ne parviendrait pas à tenir debout autrement que par la tension de la situation. Il cacha son visage dans sa main crispée, baissant la tête pour ne pas rester face à son ex.

« Putain, pourquoi t’es la… »

Pas vraiment une question, plutôt une supplique d’une situation qu’il ne comprenait pas. Soudainement, il avait peur. Peur de ce que le comportement de brian laissait présager, peur d’une autre réalité, qui s’associait à l’angoisse de voir toutes ses fondations s’écrouler. Les faits étaient clairs et unilateraux pour lui, mais soudainement, l’intrusion de Brian transformait son univers.

C’était déjà comme ça, à l’époque. Cette constatation amère n’arrangea rien a l’angoisse du jeune homme qui ne parvenait pas à s’arrêter de trembler.

Pourquoi les choses n'étaient-elles pas aussi claires qu'il l'avait toujours pensé ? De ce qu'il avait pu retenir de ses aventures successives qui avaient suivies sa déconvenue avec Hugh, il y avait deux catégories de personnes dans les ruptures amoureuses : les plaqués et ceux qui plaquent. Après la débandade avec Hugh, il avait toujours veillé à faire parti de la seconde catégorie, quitte à refuser de s'investir vraiment dans une relation. Il était jeune, il avait tout le temps pour s'amuser.
Mais avant cette façon de penser, il y avait eu un évènement déclencheur.
A cet instant précis, le soucis était que Hugh semblait persuadé que c'était lui qui l'avait laissé en plan, abandonné alors qu'il avait besoin de lui.

Le jeune homme se passa nerveusement la main dans les cheveux, essayant de se servir de sa tant-vantée intelligence pour mettre les choses à plat. Il se mit à parler doucement, pour rassurer Hugh, pour se rassurer, et surtout parce que c'était la manière qu'il préférait pour résoudre les problèmes : exposer les arguments à l'oral, avec ou sans retour, juste pour pouvoir se situer lui-même.
Sa voix avait retrouvé son ton habituellement suave, dépourvu de cette froideur agressive liée à la colère. Comme Hugh, elle était retombée pour ne laisser qu'un espèce de choc émotionnel épuisant.

" Hugh... j'ai essayé de t'appeler quand je n'ai plus eu de nouvelles. Plusieurs fois. Je suis tombé sur messagerie, ou sur ta mère. J'ai fini par laisser tomber au bout de deux mois, j'ai supposé... que tu ne voulais plus entendre parler de moi."

Il tamponna plusieurs fois sa lèvre avant de baisser son regard sur le papier blanc imbibé d'une fleur de sang, comme fasciné. Outre le fait qu'il avait l'impression d'avoir mâchonné du papier de verre, les choses semblaient de plus en plus logiques. Brian redressa la tête, cherchant les yeux bleus de Hugh et ne trouvant que la naissance de ses cheveux blonds, secouaient par les sanglots qui serraient sa poitrine. Cettte image ressemblait tellement plus au jeune qu'il connaissait qu'à l'inconnu qui venait de l'agresser.

" J'ai eu plusieurs fois ta mère au téléphone... Hugh, elle ne te l'a jamais dit ? "

Ca y est, les choses se mettaient en place, avec un arrière-goût doux-amer. Le souvenir des regards de la mère de Hugh envers lui, un peu frustrée, qu'il avait mis sur le compte d'une mère sur-protectrice qui s'inquiétait de l'influence d'un autre garçon sur son bébé fragile. Sa voix un peu trop sèche au téléphone quand elle lui disait qu'il n'était pas disponible. Après coup, il avait supposé que la demande venait de Hugh. Maintenant... ses certitudes tremblaient sur leur base. Ca avait été facile de se croire la victime. Plusieurs fois, il avait imaginé ce qu'ils auraient pu se dire en se croisant à nouveau, surtout les premiers mois qui avaient suivi la rupture. Entre réconciliation et rupture totale, il avait pensé à tout, avant de laisser les souvenirs devenir de simples souvenirs, moins riches en émotions.

Brian poussa un long soupir, détournant son regard pour fixer la fenêtre entrouverte qui laisser la lumière chaude de ce début juin. Et maintenant ? Qu'il ait raison ou non, on ne remettait pas dans le seau l'eau renversée.

" J'ai pris une année sabbatique : Je prends des cours du soir, et je bosse dans un magasin en ville aussi."

Une par une, les paroles de Brian rajoutèrent du sel sur une plaie bien plus à vif qu’il ne l’aurait crut avant de le croiser ainsi, par une hasard si étrange qu’il devait au moins être lié au destin. Cette voix, chaude et rassurante, faisait écho à celle qu’il avait, 2 ans plus tôt, lorsqu’ils discutaient, tous 2 dans sa chambre, les caresses jamais bien loin. Et tapie derrière cette voix, une réalité qui se tisait avec une lenteur sadique pour apparaître devant ses yeux, fermement décidée à faire du mal. Il ne l’avait pas abandonné. C’était sa mère qui lui avait coupé l’accès.

Pourquoi était-ce si simple à penser et si dur à assimiler ? Si brian ne l’avait pas abandonné… Il n’était plus à lui non plus. Le temps avait passé, les choses changées, et cette révélation n’apportait que de la douleur. Hugh sentit les larmes couler le long de ses alors qu’il retenait ses sanglots au fond de sa gorge, n’ayant pas envie de fondre en larmes face à lui. Sans grand succès. Il n’entendit qu’à moitié la dernière phrase de Brian qui lui répondit finalement quand à la raison de sa présence ici.

Hugh inspira lentement, cherchant à retrouver son souffle. Il aurait put lui expliquer ce qui s’était passé de son coté. L’opération, la solitude. Et lorsqu’il avait été envoyé au japon, et tout le reste, mais soudainement, c’était juste une profonde lassitude douloureuse qui l’envahissait. Il s’essuya les yeux d’un revers de main rageur, et releva la tête vers le jeune homme, un sourire douloureux étirant ses lèvres tandis qu’il reconstituait à grand peine son masque habituel.

« Pardonne moi de t’avoir frappé. »

Il se détourna, la démarche incertaine, dans l’idée de récupérer son carton et de s’éloigner dans un couloir adjacent ou il pourrait alors se laisser glisser à terre pour laisser son cœur reprendre un rythme normal. A 2 doigts du malaise, les lèvres crispées dans une ligne fine, il posa la main sur le montant de la porte, s’y appuyant pour récupérer son bien.

Hugh s'excusa avant de lui tourner le dos, semblant apparemment bien décidé à ressortir de sa vie aussi brutalement qu'il y était revenu. C'était probablement le plus simple. Il n'y avait plus rien à ramasser de leur histoire ancienne, bien trop démolie par la rancoeur qu'ils avaient accumulés tous les deux. Le hasard les avait fait se revoir, mais rien ne les obligeait à faire plus. Sur les quelques centaines d'élèves du lycée, il était peu probable qu'il croise fréquemment le jeune homme alors qu'il ne suivait pas les cours classiques des lycéens. Il aurait pu voir ça comme l'occasion de fermer définitivement une histoire ancienne, et de enfin passer à autre chose.
Et pourtant, voir vaciller le blondinet contre la porte, la main crispée sur la chambranle, lui fit faire un bond en avant et passer son bras autour de la taille, le ramenant avec autant de force que de douceur à l'intérieur de la salle où il le poussa sur une chaise. Le corps de Hugh avait été étrangement compliant sous son bras, souple et chaud.
Maladif.

Un écho s'imprima dans sa mémoire, le souvenir angoissant d'un des trop nombreux malaise du jeune homme, où il sentait son coeur s'emballer sous sa main, rater un coup, puis un autre, comme une vieille voiture hoquetante qui essayait de démarrer. Le coeur d'un vieillard fragile blafard à la peau translucide à la lumière du crépuscule de sa vie, pas celui d'une garçon qui aurait du pouvoir sortir courir.
La vie était aussi tendre qu'une prostituée des bas quartiers.

" Chhhhh, c'est pas une raison pour faire un malaise. "

Délaissant un instant Hugh, il entreprit d'ouvrir en grand la fenêtre, laissant un courant d'air frais salvateur venir rafraichir la salle et secouer les mèches souples de Brian. Avec un coup d'oeil sur Hugh, pour vérifier que celui-ci ne se décidait pas à fuir à nouveau pendant qu'il avait le dos tourné, il attrapa la petite bouteille d'eau abandonnée dans la sacoche de son saxo et vint la poser sur la table devant Hugh. Voix suave, contenance tranquille, Brian réagissait à l'instant comme il avait toujours réagi avec Hugh, comme il avait toujours réagi pour n'importe quelle crise : sans s'énerver.
Les choses étaient différentes. Avant, il l'aurait serré contre lui, lui chuchotant des mots doux pour l'aider à retrouver son calme. Il n'était pas assez idiot pour croire que cela marcherait encore, ni même s'il avait lui-même envie de le faire.

Le carton à dessin au sol vint secondairement trouver sa place sur une chaise adjacente, alors qu'il s'asseyait sur une chaise à l'envers, avant-bras croisés sur le dossier de sa chaise, le regard fixé sur Hugh, curieux, attendant qu'il reprenne des couleurs. Si en un regard il avait pu voir ce qui avait changé dans son ex, et ce qui était resté du petit jeune homme avec qui il avait passé tant de temps en huis-clos... Il n'était pas dupe : c'était une autre personne qu'il rencontrait maintenant, sous la tignasse blonde bien connue. Etait-ce négatif de vouloir discuter un peu avec lui ?

" Je n'aurais jamais cru te voir un jour dans un uniforme japonais."

Il ne s’était pas attendu à ça. Il avait secrètement espéré et redouté un appel, qu’il lui bloque la porte, ou toute autre chose, mais pas qu’il le saisisse de tel manière. Son corps répondit au souvenir de son contact et se laissa faire, docile. La poigne de Brian, si caractéristique, plus veloutée que dans son souvenir. Brian, qui avait été son soutien pendant si longtemps. Hugh se laissa faire, sa respiration arrivé en bout de cycle, comme dans l’attente d’une nouvelle inspiration, qui n’eut lieu que par saccades, une fois assis sur une chaise. Comment était il retourné la ? Le bras de brian, son torse contre lui, et son odeur indéfinissable, semblaient déjà avoir été un songe.

Hugh considéra d’un œil sombre la bouteille d’eau posé devant lui. Brian n’avait pas changé, il avait juste mûrît. Cette assurance qu’il avait déjà à l’époque, et qui l’avait attiré, s’étaient développés et affermit. Il lui faisait toujours autant d’effet. Il n’avait pas l’impression d’être face à Brian, mais plutôt à une sorte de projection, sans le passif de ces 2 dernières années. Etrange sensation. Mais sa prise avait bien été réelle. Hugh porta la main à la bouteille, buvant une petite gorgée avant de poser sa main fraîche sur son visage. La sol était instable, et il songea vaguement que Brian avait bien réagit en le faisant s’asseoir. C’est qu’il le connaissait bien. Un sourire torve étira ses lèvres à cette petite pensée.

Après avoir récupéré son carton à dessin, Brian était revenu vers lui, curieux et à l’aise, comme si la situation était on ne peut plus normale. Hugh respira lentement, posant 2 doigts sur son poignets pour compter ses battements. Ils revenaient à la normale, lentement. Les yeux fermés, il profita d’un courant d’air qui vint frôler sa nuque humide.

La remarque le fit sourire, un sourire franc et dénué de moquerie. Il se redressa un peu, passant la main dans ses cheveux pour les rabattre en arrière.

« Moi non plus. »

Il appuya sa joue sur son poing replié, accoudé à la table juste à coté de lui, observant le brun en silence. Son regard s’attarda sur sa lèvre humide, sentant malgré lui un étrange sentiment venir se lover en lui.

« Ma mère… »

Il s’arrêta à ce mot, une déferlante de sentiments l’envahissant de nouveau. C’était sa mère qui avait empêché Brian de le contacter ? C’était à cause d’elle que les choses avaient tournées ainsi ? Il ne parvenait à y croire et pourtant, c’était tellement logique, mais aussi tellement dur…Il déglutit, reprenant.

« Ma mère s’est finalement décidé à me faire sortir. Je crois que c’est son psy qui l’a poussé à prendre cette décision. »

Son sourire était complice. Brian le connaît tellement bien. Il le connaissait certainement mieux que quiconque. Adopté par son univers, son environnement, il avait été une part de lui. Ce serait tellement facile d’oublier tout ce qui avait été et…

Kantaro.

L’image froide du jeune homme s’impose à lui, ainsi qu’un sentiment de culpabilité diffus. Ils sortaient ensemble, ils commençaient quelque chose ensemble, il allait vers lui et… Même si Brian ressurgissait du passé, ce n’était pas une raison pour renier les derniers mois qu’il avait vécus. Les premiers mois qu’il avait vécus par lui même.

« … Et toi ? Que fais-tu ici ? Je veux dire, tu n’habitude plus avec tes parents ? »

Brian avait un an de plus que lui. Certainement était il plus investit dans ses études, déjà tendu vers un avenir. Brian n’avait jamais eut peur de demain. Son comportement actuel le montrait bien.

Brian poussa un léger soupir. Il n'avait pas envie d'entendre parler de la mère de Hugh, pas tant que la rancœur était aussi présente à propos de ce qui s'était passé. Elle qui avait toujours été omniprésente dans la vie du blond, le surveillant à chaque instant en silence, avait maintenant réussi à prendre un peu de distance avec lui, le laissant enfin ouvrir ses ailes. Maintenant qu'il n'était plus autour de lui. Il se demandait s'il pouvait voir un lien entre ces deux choses, ou s'il voyait bien trop loin. Surement. Elle avait du oublier jusqu'à son existence une fois qu'il avait disparu de la circulation, ne pensant qu'au bien-être de son fils unique.
Le jeune homme s'offrit un mince sourire en observant Hugh. Le jeune homme reprenait quelques couleurs. Même sa voix devenait plus ferme au fur et à mesure qu'il parlait. N'était-elle pas un peu plus basse ? Un peu plus assurée aussi, maintenant que le stress de la rencontre avait diminué. Certes, il voyait bien tous les détails qui restaient de ce Hugh plus fragile qu'il connaissait mais... Brian repoussa un peu ces sentiments pour répondre à la question.

" Mon père est actuellement basé au Japon. Plutôt que de commencer une école sup aux USA cette année, j'ai choisi d'en profiter pour venir ici aussi, mais j'ai négocié pour avoir plus d'autonomie. Du coup je bosse et je prends des cours du soir. Un peu foireux comme année sabbatique, ok, mais ça fait du bien de ne plus avoir la tête dans le guidon et de penser à un peu autre chose que les études. "

Qu'il reprendrait de toute façon bien assez vite, comme le garçon sérieux qu'il était, posé et assuré quand à son avenir. Prendre du retard sur un cursus classique n'était pas gênant, pas quand on pouvait présenter sur un CV trois langues courantes et des expériences à l'étranger. Rester cloisonné à suivre des études aux USA aurait été la chose stupide à faire de son point de vue.
Le jeune homme ferma les yeux un instant, se décalant pour écoper d'un rayon de soleil qui venait de la fenêtre, acceptant avec plaisir le rayon chaud contre sa peau. L'été allait être chaud, très chaud au Japon. Et si la climatisation le rendrait supportable dans la plupart des intérieurs, la température resterait étouffante dehors. Pourtant, c'était avec un réel plaisir qu'il se chauffait sous les rayons chauds à la moindre occasion, comme un chat prenant le soleil. La dimension hédoniste de ce comportement ne lui échappait pas mais... à chacun ses petits plaisirs.
Peut-être devrait-il songer à aller jouer du saxo dans le parc au soleil, pour achever de combiner ses préférences.

" Et toi ? Tu n'aurais pas du finir le lycée l'année dernière ? "

Il connaissait à peu près le cursus bizarre de Hugh, qui avait pour la plus grande partie de sa vie suivi des cours par correspondance. Il l'avait aidé plusieurs fois, entre deux séances de dessin, lui expliquant un problème de maths ou autre. La langue avait été différence à ce moment.
Ce n'était pas la question qu'il avait voulu poser. Mais celle là, il la gardait pour un peu plus tard, quand la conversation serait devenue tellement normale que ni l'un ni l'autre ne pourrait plus le supporter. Avec un intérêt vicieux, il voulait savoir ce qui s'était réellement passé quand la mère de Hugh l'avait expulsé du monde de son fils. Nul doute que cela avait à voir avec l'insuffisance cardiaque du garçon mais... une certaine curiosité le poussait à vouloir savoir les détails précis.

Lorsque Brian repris la parole, les éléments se réunirent logiquement dans la tête de Hugh. Ah oui, il l’avait oublié… Son père était militaire, et de ce fait, ils changeaient fréquemment de domicile. Décontracté, Brian lui expliquait la situation et ses désirs d’indépendance. Même s’ils se trouvaient au même endroit, encore une fois, une monde les séparait. Un silence succéda à ses paroles, que Hugh ne chercha pas à rompre, habitué qu’il y était. Malgré le temps et leur passif, il avait été une époque ou ils avaient sut communiquer entre eux sans user de la parole. Et cela revenait avec une terrifiante facilité.

La question le gêna un peu, et il pris une nouvelle gorgée pour se donner contenance, tout en assimilant l’idée que le jeune homme était donc élève ici lui aussi, même si d’une autre manière. L’une de ces élèves plus âgés et plus sérieux qui venaient au cours du soir. Ces élèves la étaient auréolés d’une certaine classe qui convenait parfaitement à Brian. Ceci dit, Brian s’adaptait partout, trouvant toujours sa place.

« … J’ai redoublé, j’ai eut un peu de mal à m’accoutumer au cursus normal. »

Passer d’une vie de cours particuliers à une vie en classe changeait bien des choses, effectivement. Y’avait il que ça ? Il ne savait pas trop si c’était lui qui s’était relâché ou les événements qui l’avaient perturbé. Et en fait, quelque part, il s’en fichait un peu. Il n’avait aucune idée de ce qu’il souhaitait faire à l’avenir. Il ne se projetait pas dans l’avenir, en fait. Trop loin, beaucoup trop loin. Il évitait d’y penser en temps normal. La question de Brian soulevait sans gêne aucune un coin du voile qui obscurcirait l’avenir, l’obligeant à y jeter un œil.

« … Je ne pense pas trop à l’avenir. A quoi bon ? »

Les derniers mots avaient été soufflés un ton plus bas et assortit d’un haussement d’épaule un peu désabusé. Il se frotta la nuque, laissant porter son regard à l’extérieur.

« … Je me sens mieux, ça va. »

Déclara t’il finalement, amorçant un repli stratégique. Mais cette fois ci, sortit d’une situation de tension… Il n’avait plus envie de partir, en vérité. Il en revint vers Brian, un petit regard furtif et gêné. Il l’avait frappé. Il avait du mal à le croire. Son corps avait agit avant son esprit. Et maintenant ? Il n’arrivait pas encore à réaliser que c’était la réalité. Que Brian ne l’avait en fait pas abandonné. Cela changeait tout et rien à la fois. Il voyait les faits d’un autre œil, mais la séparation et les 2 années étaient pourtant bien la, inchangée. Il avait été bien naïf de croire qu’une révélation de ce genre changerait sa vie.

Le silence était maintenant plus confortable qu'accusateur, une pause dans une conversation qui se construisait, rappelant immanquablement ces conversations construites autour d'un rien, quelques phrases entremêlées dans un silence tendre et complice. Malgré toute la distance qui avait pu s'accumuler entre eux, quelques restes s'étiraient. Base pour une nouvelle relation ou simples relents avant que le désintérêt ne s'avoue complètement, d'un côté ou de l'autre, si ce n'était des deux ? Il n'y avait pas 36 façons de le savoir.

Le regard du brun se posa un instant sur Hugh après ses quelques mots désabusés, avant que le jeune homme ne change de sujet bien trop vite, laissant juste en suspens des mots qui eux aussi rappelaient des souvenirs : cette certitude plus ou moins avouée du jeune homme de ne pas atteindre l'age adulte. Hugh n'était pas complètement émo, juste particulièrement pessimiste et craintif à cause de sa maladie. Avec de bonnes raisons. Brian se souvenait de quelques occasions où il avait vraiment eu peur pour son ami, d'un teint livide et de lèvres bleutés qui avaient longtemps hantés ses cauchemars.

Lentement, l'aîné des deux garçons attrapa la sacoche de son saxophone et la posa sur une table, avant de commencer à passer rapidement un coup de chiffon sur l'instrument en lui-même pour le ranger dans les meilleurs conditions possibles. Le geste familier, milles fois répété, était idéal pour le détendre et le mettre dans les meilleurs dispositions d'esprit. Bien vite, l'instrument fut reposé dans son cocon de feutre noir, le couvercle refermé sur lui jusqu'à sa prochaine sortie, les mains de son possesseur appuyées dessus, comme peu désireux de vraiment clore l'instant. Quand il n'y eu plus d'autres choses sur laquelle fixer son attention, le jeune homme posa ses yeux verts sur le blond, sérieux.

" Hugh... je sais qu'on ne peux pas revenir sur le passé, et je ne compte pas le faire. Par contre... j'aimerai savoir si je peux devenir ami avec toi, maintenant, tel que nous sommes tous les deux. Sans être superstitieux, se revoir est un coup de bol monstrueux alors... j'aimerai tirer ça à profit. Ça te dit ? "

Son visage s'était détendu pendant qu'il parlait, son habituel sourire suave venant décorer son visage et soutenir ses arguments. Brian ne gagnait jamais quoi que ce soit en se battant, mais toujours en argumentant. Il y avait toujours un bon ou un mauvais angle pour présenter les choses, il fallait juste savoir choisir le bon et l'exposer avec assez de sincérité, réelle ou simuler. Dans ce cas, les choses étaient d'autant plus simple qu'il était réellement sincère, et déterminé. Il attendit un instant avant de compléter sa pensée sur un ton beaucoup plus léger, le rire au bord des lèvres.

" Et puis ça sera plus simple de se parler que de tenter de fuire à chaque fois qu'on se croise, non ? "

Bien qu’ayant amorcé la séparation, il n’arrivait pas à aller plus loin, tout comme Brian qui s’était mis à ranger son instrument pour se donner contenance sans trouver quoi que ce soit à rajouter. Hugh l’observa, attentif. Il aurait aimé l’entendre encore jouer.

Il se leva en silence, éprouvant la sûreté de ses pas. Son corps avait encaissé le choc émotionnel et était partit pour continuer, encore une fois. Il se demandait parfois si la force avec laquelle certaines émotions l’affectaient étaient uniquement due à sa maladie et à son cœur dont le moindre soubresaut pouvait prendre des proportions démesurées, ou si c’était lui qui était un peu trop sensible par rapport à toutes ces choses la. Il était incapable de le dire.

Le brun en revint finalement vers lui, égrenant quelques mots qui le mirent mal à l’aise. Brian était tellement… Mature. Une maturité qui poussait à se sentir un peu idiot et à le suivre sans concession pour ne pas en rajouter. Même sa manière de détendre l’atmosphère à la fin sonnait plus mature et plus adulte, plus responsable dans cette situation. Dire qu’habituellement, c’était lui qui se sentait décalé et plus vieux que son age lors de ses rapport avec les autres…

« Il n’y a pas de hasard »

Cita t’il avec un petit sourire en coin. Somme toutes, Brian avait tout de même raison sur le dernier point, même si ils pouvaient aussi éviter de se croiser en toute facilité. L’endroit était suffisamment grand, leurs emplois du temps différents, alors… Mais ils pouvaient aussi se fréquenter un peu. Au fond de lui, il se rendait compte qu’il en avait envie. Que cette rencontre… n’était pas innocente.

« C’est tellement étrange… Enfin. Je ne suis pas sure d’intégrer leur club de manga, mais toi, tu vient régulièrement au club de musique alors ? »

Autant une question qu’une invitation pour savoir à quels horaires il risquait de le croiser désormais.

Brian laissa échapper quelques éclats de rire, peu convaincu par la notion de destin ou tout autre croyance. Entre un père athée au possible et une mère tout à fait agnostique, il avait été élevé dans un pragmatisme absolu qui le laissait toujours totalement sceptique face aux croyances, religions et autres kamis. Sans oublier un rien de supériorité face à ces croyances d'un autre âge aussi : comment pouvait-on être assez bête pour croire à un être surpuissant qui veillait sur les gens à l'ère des nanotechnologies ?
A son arrivée ici, il avait visité le temple par curiosité, mais n'y avait guère trouvé d'intérêt hormis une architecture assez jolie, si ce n'était un peu rustique. Son intérêt s'était vite éteint pour des choses de plus d'importance qu'un temps avec ses jolis statues, et le jeune homme n'y était pas retourné.

Le jeune homme secoua légèrement la tête à la question, fixant sur Hugh un regard interrogatif. Le club de manga convenait parfaitement au jeune homme, que ce soit pour son style de dessin ou sa passion à mettre dans des petites cases les histoires qui se formaient dans sa tête. Il avait longtemps cru qu'il vivait par procuration à travers ses personnages, mais apparemment, même au Japon, dans un environnement normal, il n'avait pas arrêté. Hugh avait toujours été plus passionné par le dessin que lui.

" Pourquoi ? Le club de manga semble plutôt bien te convenir pourtant ! Pour moi, c'est un peu plus compliqué, je ne suis pas élève donc... je ne fais pas vraiment parti du club de musique, mais ils me permettent d'utiliser la salle pour venir jouer quand je veux. Le soucis c'est que j'ai des horaires changeant avec mon travail... "

Brian offrit un sourire désolé à Hugh, levant la main à son visage pour écarter de sa joue une mèche brune dérangée par le vent qui venait le chatouiller. La discussion était tellement normale... presque surréelle après leur premier contact électrique. Comme si quelqu'un avait pris le temps de découper toutes les épines de cette rencontre pour n'en laisser qu'une saveur douce et agréable. Plus tard, en penserait-il la même chose ? Son sourire se fit plus tendre alors qu'il considérait Hugh, pensif. Il n'y avait rien de plus à faire... pour le moment. Ils avaient tous les deux besoin d'un peu de temps pour digérer cette rencontre.

Enfin... non, il y avait encore quelque chose à faire maintenant, pour être sur que Hugh ne fuyait pas quand il en aurait l'opportunité. Le jeune homme n'avait pas entièrement confiance dans les capacités de Hugh à supporter les évènements autrement que par le déni ou la fuite, à moins qu'il n'ai entièrement changé depuis ces deux ans d'éloignement.
Brian fouilla dans sa poche, sortant de sa poche son portable et tapant rapidement dessus.

" Je peux prendre ton numéro de portable ?

Hugh détourna le regard, gêné, face à celui de Brian qu’il sentait plus doux à son égard, tout comme à la question, qui faisait écho à un certains passif. Son regard revint se poser sur la lèvre un peu enflée du jeune homme, lui rappelant sa réaction première. Sa colère n’avait pas duré bien longtemps. Brian avait réussit à l’embobiner et le calmer si facilement… Comme il l’avait toujours fait. Cela faisait parti des choses qu’il avait toujours aimé chez lui. Il était toujours maitre de la situation.

« … Je préfère être seul, pour dessiner. »

Et même entre dessinateurs et accro du manga, les garçons de son âge étaient certainement plus portés vers le shonen que vers les yaoi. Même parmi les otaku, ils y avait des paria.

La question le mit mal à l’aise, cette demande pragmatique remettant la situation dans un contexte de réalité. Ce n’était pas une parenthèse venue de nul part, c’était la réalité. Brian avait remis un pied dans sa vie et semblait en vouloir plus. Jusqu’ou ? Il n’était même pas sur de ses propres ressentit, alors ceux du brun… Il baissa les yeux, cherchant une issue de secours.

« Je… Je ne l’ai pas sur moi, et je ne connais pas mon numéro par cœur. »

Il espérait juste que son portable ne choisisse pas ce moment la pour sonner et le dénoncer. Soudainement, il ressentait plus que jamais l’envie de partir se terrer dans un coin… Tout en voulant rester ici. Il se sentait comme un animal désobéissant qui n’arrivais pas à faire la part des choses entre ce qu’il voulait et ce à quoi on l’avait dressé.

Il se leva avec lenteur, dans l’optique de quitter les lieux cette fois-ci.

Quelque part, la réponse n'était même pas surprenante, mais il aurait fallu être stupide pour croire que Brian allait s'arréter là et laisser Hugh partir avec sa bénédiction. Il n'avait pas envie d'écrémer tout le lycée pour retrouver le petit blond, ou de devoir faire du charme à une des secrétaires pour lui soutirer la classe et la chambre du dit jeune homme. Le brun fouilla rapidement dans sa sacoche, en retirant un bout de papier à partitions et le mini bout de crayon sauvegardé d'un magazin de meuble qui lui servait à anoter ses partitions ou à prendre des notes quand il avait envie de jouer quelque chose de lui même. Non qu'il soit compositeur – il n'avait pas assez de feeling pour ça – mais il lui était arrivé de devoir créer quelque chose pour des amis, comme un jingle ou l'accompagnement d'une vidéo. Brian retourna le papier et griffona rapidement son propre numéro de portable avant de plier le papier en deux.

Avec un sourire, il se rapprocha de Hugh, frolant le jeune homme en deux pas, et se pencha sur lui pour glisser le papier plié dans la poche de sa veste, un sourire amusé aux lèvres.

" Ne le perds pas, hum ? "

Il n'avait pu s'empécher de susurrer ces mots à l'oreille du jeune homme alors qu'il avait été proche de lui, se positionnant dans une insolente distance familière. Les vieilles habitudes étaient tellement facile à reprendre... Il en perdait sa retenue, se faisait joueur et malicieux, tentateur en diable. Il y avait eu tellement de chose entre eux... qu'en rester à une apparence japonaise de retenue et de politesse était impossible à faire. Même si les choses ne dépassaient jamais ce stade, il ne pouvait oublier l'intimité qu'ils avaient vécus.

La bulle se rompit quand il recula jusqu'à son sac, refermant la poche zippée avant de le charger sur son dos avec une aisance née de l'habitude malgré le poids conséquent de l'instrument. Il avait prévu de rester jouer plus longtemps, mais l'idée de rester jouer seul dans cette pièce après le passage de Hugh... c'était comme lui demander de rester jouer après le passage d'un typhon. Il avait besoin de prendre du recul, de réfléchir un peu, de préférence loin de cette pièce qui s'était teinte au couleur d'un petit blond métissé américain et japonais. Agir serait plus en concordance avec l'agitation de son esprit. D'abord passer dans la salle de bain pour nettoyer son visage et appliquer un peu d'eau froide sur sa lèvre – même s'il avait bien peur de ressembler à une prostituée mal maquillée pour les quelques jours à venir – puis aller faire un tour loin du lycée, quitte à finir au magasin et à proposer un coup de main dans l'arrière salle pour s'occuper l'esprit. Pragmatique, son patron n'était jamais homme à refuser la main d'oeuvre.

Il marcha vers la porte et croisa le blond avec un dernier sourire.

" Je travaille au Whispering Song au TamaGreenwalk au fait. A bientôt. "

Brian continua dans le couloir sans se retourner, jouant avec le sentiment de satisfaction qui se nichait dans son coeur à cet instant. Encore timide et fracile, conscient qu'il pourrait vite se prendre une douche froide mais... son année au Japon prenait encore un peu plus de saveur.