Il rentre dans l'appartement sans s'attendre à cette ambiance un peu bizarre qu'il ne reconnaît pas. La chatte blanche vient se frotter contre lui le temps d'une caresse puis retourne à ses occupations alors qu'il salue ses deux colocataires avec enthousiasme. Akutsu comprend bien qu'il a du se passer quelque chose, mais le malaise est persistant depuis un certain temps. Il envisage brièvement l'hypothèse que ça puisse être une histoire entre eux, sans trop y croire; De toute façon, il ne veut pas savoir.

Rapidement les deux autres hommes sont prêts et ils partent comme prévu en ville, en direction d'un bar où ils comptent bien passer la soirée. Il s'allume une cigarette sur le trajet, placé de façon à ce que Jiro ne se prenne pas la fumée lorsqu'ils avancent. Le jeune roux babille plus qu'il ne parle, évite soigneusement le sujet des cours qu'il laisse à un peu plus tard, quand l'alcool aura déjà franchi le cap de son gosier.

Enfin ils parviennent à l'établissement où ils voulaient aller et il écrase son mégot dans un cendrier. Ses lèvres libèrent une dernière fois les volutes grisées avant qu'il ne pénètre à l'intérieur de lu bâtiment, saluant poliment le barman comme les clients. Il ne fait pas encore trop de bruit, bien plus discret hors de ce qu'il considère être chez lui - ou « son territoire » s'il fallait l'étendre aux salles de classes – qu'il ne l'est là où il se sent à sa place.

Un fin sourire étire ses lèvres quand il voit Cathan se placer dans le bar. Vision sur la porte d'entrée, discrétion et dos au mur. Il sait que l'autre roux de leur petite bande est paranoïaque – dur de ne pas avoir compris – mais ne cessera jamais de s'en amuser. Lui s'assoit dos au vide à l'intérieur du bar mais s'en moque. Avec le professeur de maths face à lui, il sait que quoi qu'il se passe, il s'en rendra compte.

« Bon alors, vous voulez boire quoi tous les deux ? »

Son regard quitte l'Américain pour s'attarder sur le prof d'espagnol. C'est leur première sortie à tous les trois. Cette sortie qu'ils avaient prévu dès le jour où il était arrivé, à peu près un mois plus tôt. Depuis des cours il en a fait quelques uns et il ne le regrette pas. Parfois il en parle avec Jiro. Un peu moins avec Cathan, sauf quand il veut vraiment le taquiner. Son manque d'affection pour ses élèves et son métier n'égale que son intérêt pour cette science obscure que sont les mathématiques. S'en moquer est toujours drôle.

« Je crois que je vais prendre une bière. » reprend-il après quelques instants de silence, tranchant sans qu'il n'y paraisse entre ses deux choix de base.

La réaction de Cathan l'avait laissé sans voix, bien trop surpris par cette marque affective dont le roux n'était pas coutumier - comme quoi certaines situations exceptionnelles poussaient bien les gens à des actes inhabituels. C'est écarlate que Jiro regagna sa chambre pour finir de se préparer, avant de retourner attendre Akutsu au salon.
Ils partirent rapidement après son arrivée, optant pour une sortie à pieds qui permettait aux deux accros du tabac de satisfaire leur addiction avant de se retrouver cloîtrés dans un espace non-fumeur. En cette douce soirée de mai, ce n'était pas plus mal, et ça évitait de devoir laisser la voiture en ville pour le retour. La discussion en chemin fut des plus banales, chacun tentant de faire fi du léger malaise ambiant avec un succès somme toute assez relatif.

Le regard de Jiro dériva plusieurs fois sur ses compagnons qui s'appliquaient tous deux à ce que la fumée de leurs cigarettes ne l'atteigne pas. C'était amusant tous ces petits détails qui n'avaient pourtant rien à voir avec leur lien de sang. Akutsu avait les cheveux teints en roux et était allé étudier aux Etats-Unis. Cathan était venu jusqu'au Japon pour enseigner. Ils exerçaient le même métier, dans le même établissement, et vivaient dans le même appartement. Tous deux étaient accros à la caféine et au tabac, adoraient les soirées bières/pizzas devant les matchs de base-ball, et avaient la même désinvolture vis-à-vis de l'entretien domestique tout en respectant ce que lui faisait. Il y avait aussi ces petites mimiques identiques, et leur façon de parler parfois.
Akutsu Moe et Cathan O'Leary ... frères ... Dire qu'un mois plus tôt ils ne se connaissaient même pas ... Les kamis devaient bien s'amuser de la situation.

C'est avec une certaine appréhension que Jiro les suivit à l'intérieur du bar. A bien y réfléchir, n'aurait-il pas mieux fait de rester à l'appartement ? Quoique, si les choses ne se passaient pas bien, au moins serait-il là pour faire tampon ... Même si cette possibilité ne lui plaisait guère, il devait avouer que ça lui faisait du bien de se concentrer sur ça plutôt que sur son propre problème.

" Ce sera une tequila sunrise pour moi. "

Tout en attendant d'être servi, Jiro jeta un regard circulaire dans la salle. La foule était hétéroclite et aucun visage connu - il aurait fallu qu'il sorte plus souvent pour ça. Cependant, alors qu'il cherchait un prétexte pour s'éclipser un moment, son regard croisa celui d'un homme, à l'autre bout du bar. Ils étaient dans un établissement ordinaire, pourtant le petit sourire qu'il lui adressa ne prêtait pas vraiment à confusion. Quelques regards supplémentaires pour s'assurer qu'il n'y avait pas d'erreur et Jiro lui rendit son sourire. Prenant son verre, il s'excusa auprès de ses amis.

" Je vous abandonne quelques minutes. Une connaissance à saluer. "

C'est d'un pas qui se voulait assuré que Jiro rejoignit l'homme. Ce n'était pas dans ses habitudes. Il n'était pas aussi "facile" d'ordinaire. Mais il avait besoin d'un prétexte pour s'éloigner ... et aussi, il devait l'avouer, de chasser certaines pensées de son esprit. Pour une fois que ce n'était pas Cathan qui lui servait d'exutoire ...

Difficile de maintenir uen conversation légère alors qu'il avait l'esprit préoccupé à ce qu'il allait pouvoir dire à Akutsu. Le tact ne faisait pas vraiment parti de son comportement générique. Etre directif, agressif, sarcastique ou carrément mentir, oui, sans aucune difficulté. Les insinuations et les sous-entendus, il maîtrisait aussi. Tout ce qui demandait un peu de doigté et de finesse en communication... autant dire qu'il n'avait jamais été chargé en ressources humaines ou en communication. Pour les différents jobs qu'il avait fait, cela n'avait pas été un soucis, quitte à le faire passer une fois ou deux pour une brute sans finesse, ce qui ne lassait jamais de le faire marrer. En tant que prof... certes, le manque de pédagogie se ressentait parfois, mais il doutait que ses élèves aient été plus brillants s'il avait fait preuve de plus de patience.
Restait la situation présente, magnifique vaudeville dans lequel il avait gagné un des rôles principaux dans une superbe loterie génétique. Il ne se tenterait pas à calculer les probas d'une rencontre aussi peu plausible, mais... autant dire que rien ne l'avait préparé à ça.

" Un bourbon. Un double."

De son coin de bar, Cathan suivit du regard la silhouette de Jiro qui s'éloignait vers sa "connaissance". Parier qu'il ne le connaissait ni d'Eve ni d'Adam n'était même pas un défi. Il commençait à arriver à traduire aisément le comportement de son cadet, et vu leur conversation dans l'appartement, le japonais s'était juste dépéché de lui laisser le champs libre. Un sourire narquois étira ses lèvres alors que son regard le quittait pour en revenir au barman qui achevait de remplir son verre avec le liquide ambré.

" Vous pouvez laisser la bouteille. "

La moitié du verre disparut dans la première gorgée, laissant en bouche un agréable arrière gout âpre et violent alors que ses papilles gustatives tentaient de se remettre de cette mise-en-bouche un peu brutale. Finalement, ce n'était peut-être pas une soirée pour y aller en douceur. Son regard se posa sur Akutsu. Son... petit frère ? Dont la couleur de cheveux était artificiellement proche de la sienne. Pour le reste des points communs physiques, il fallait chercher. Ils s'entendaient déjà plutôt bien pour deux collègues, d'une manière familière et tranquille qui lui rappelait les relations qu'il avait pu avoir avec ses potes d'université. La composante génétique en plus venait rajouter un petit rouage en plus dans une équation qui marchait déjà bien par elle-seule. Et contrairement aux maths, il ne pouvait pas résoudre celle là pour savoir où il allait arriver. Du moins pas seul.

Il joua machinalement avec son verre avant de prendre la parole, appréciant le brouhahaha léger du bar pour masquer ses mots sorti d'un périmètre restreint qui les incluait.

" Jiro me disait que tu ne t'entendais pas tellement avec ta famille ?"

Pas terrible comme phrase d'accroche pour lancer une conversation, mais il n'allait pas non plus passer la soirée à broder autour du sujet : il n'était pas non plus en train d'annoncer à Aku un diagnostic de maladie incurable. Il prenait juste le temps de prendre le chemin qui l'intéressait, de préférence un qui se mariait bien avec le bourbon.

L'ambiance déjà mitigée s'était totalement tassée lorsqu'ils étaient entrés dans le bar. Akutsu laissa la surprise se peindre sur ses traits quand Jiro alla rejoindre une connaissance. Il les observa un moment et ne les trouva pourtant pas véritablement familier, mais reconnut beaucoup plus facilement l'ébauche d'un flirt entre eux. La soirée était pourtant prévue depuis un moment, il trouva plutôt surprenant que le brun leur fasse faux bond précisément ce soir là, et son étonnement alla croissant lorsqu'il entendit Cathan passer sa commande. Tournant la tête vers lui – sans réaliser qu'il avait été presque trop scrutateur auparavant – il le fixa en haussant les sourcils.

Houston, nous avons un problème ! La phrase mourut dans la gorgée de bière qu'il avala, se contraignant au silence. Pas de question. Il ne voulait vraiment pas savoir et si Cathan voulait lui parler, il le ferait. Le manège ne manqua pas de lui faire penser à ces adolescentes qui délaissaient l'une d'entre elles pour la pousser à aborder le garçon qui lui plaisait. Avec un rien de crainte à cette idée, il riva son regard sur le roux. Par pitié, tout sauf ça !

"Jiro me disait que tu ne t'entendais pas tellement avec ta famille ?"

Okay. Pas « tout ». La famille était presque plus tabou que les histoires de cœur entre collègues (elles, elles étaient surtout source de problèmes). Son regard se durcit sensiblement alors qu'il sentit ses muscles se contracter, crispé qu'il était. Il n'aimait pas beaucoup parler de ça et du reste n'en faisait pas un secret. Ses tentatives rarement subtiles de changement de sujet quand on abordait la question ne devait laisser de doute à personne. Non il ne s'entendait pas avec, mais pire, il aimait mieux qu'on ne réalise pas de qui il était le fils.

« Pas vraiment non... »

Il s'empara de son verre et but une longue rasade de bière, comme pour couper court à la conversation. Il ne voulait pas parler de son paternel, pas plus de ses relations avec le reste de la famille, au sens étroit comme au sens large. Règle numéro 1 des bonnes relations : ne pas aborder les sujets qui fâchent. Mais Cathan n'était pas ce genre de personne ni à vouloir profiter des avantages d'un nom, ni à interroger quelqu'un sur ce genre de chose sans raison...

« T'as vraiment besoin de la bouteille entière ? » tenta-t-il malgré tout dans un piètre essai de parler d'autre chose. « Entre Jiro qui se fait la malle pour aller draguer et toi qui envisages de boire avec un air aussi sérieux, je vais finir par penser qu'il se passe un truc grave. »

Il se força à rire un peu, sans trop avoir le cœur à ça. Lui qui pourtant rigolait de tout tout le temps... Akutsu soupira et se passa une main sur la nuque, reposant son verre sur la table. Il inspira, puis souffla doucement pour se détendre avant de river son regard dans celui du matheux, réalisant lui-même qu'éviter la conversation ne mènerait nulle part.

« Enfin abrégeons. Depuis le temps qu'il y a ce foutu malaise... Qu'est-ce qui se passe ? Et me dis pas que mon vieux t'a payé pour me faire rentrer ou je jure de trouver un moyen pour te faire bouffer cette bouteille. »

Échec critique. Son calme semblait se faire la malle.

Les émotions se succédaient sur le visage d'Akutsu, aussi lisible que des lignes de code dans un programme informatique. Méfiance, agacement, un rien de colère... le jeune homme était tout sauf à son aise. Que devinait-il au travers du comportement de Jiro ou du sien pour la soirée ? Sans oublier ces dernières semaines où il avait été distant.
Ok, tant pis pour la douceur, a priori, ce n'était pas le truc d'Akutsu non plus. La question lui laissait le champs libre pour ses explications, et tant pis pour toutes ces phrases un peu plus soigneusement formulées auxquelles il avait pensé en chemin. De toute façon, enrobée ou non, la vérité restait une sympathique histoire de coucherie et de batard. Quelques siècles plus tôt, cela aurait pu être un scandale inimaginable. Remarque, Jiro n'avait-il pas dit que cela pouvait causer des tords à sa famille japonaise ?

Cathan ne dissimula guère son sourire narquois dans son verre de bourbou, se contentant de l'y noyer un peu le temps de finir son verre. Cul sec en aussi peu de temps, c'était quand même un peu violent, mais il en avait effectivement besoin quoi qu'en pense le prof d'anglais.
C'était... bizarre pour quelqu'un qui avait toujours eu des nerfs d'acier. La plupart de ce qu'il avait entrepris, même si ça avait manqué de le tuer, ne touchait qu'à sa vie professionel. S'approcher de son petit jardin personnel, voir sentimental, le faisait se sentir étrangement vulnérable. Agaçant.
Son verre émit un petit bruit mat en retournant sur le comptoir avec plus de force que nécessaire.

" Ok, abrégeons. Le seul soucis avec ton vieux c'est qu'il figure aussi sur mon extrait d'acte de naissance. La seule chose qu'il ai jamais fait pour moi par ailleurs. "

Il était naturellement repassé à l'américain pour s'exprimer. Pour le ton familier, parce qu'il était plus à l'aise avec et tout simplement parce qu'il y avait moins de risques d'être compris dans ce bar rempli quasiment par des japonais. Il y avait aussi cette certaine... familiarité qu'il avait créé avec Akutsu au tout début, alors qu'ils ne se parlaient quasiment qu'en anglais, ou en passant du japonais à l'anglais aussi facilement qu'ils se fauchaient la balle au basket. Et puis quelque part, le japonais semblait trop dignifié pour ce genre d'annonce.
Connerie. Le père adultère dans tout ça, c'était bien un japonais tout ce qu'il y avait de parfaitement traditionnel.

Les yeux rivés sur le visage de son demi-frère, Cathan attrapa tranquillement la bouteille et versa un autre verre de bourbon bien rempli qu'il poussa vers le jeune homme.

Il... Quoi ? Mais pourquoi ? Qu'est-ce que... Les mots se formaient dans sa tête sans jamais former de phrases et il n'avait dans l'esprit qu'un vaste bourbier dont il épargna l'écoute à son colocataire. Quand finalement il parvint à se remettre un peu de l'annonce, ce fut pour lâcher un incrédule :

« What the fuck ?! »

Mais qu'était-ce donc que ce bordel ? Depuis quand... Oh si ! Il le savait. Depuis longtemps. Il avait un demi-frère dont la simple existence était un tabou familial – décidément il les accumulait ce soir. Un motif de froid entre ses deux parents dès qu'un mot sur une aventure extra-conjugale était lâché. Il devait l'explication sommaire qu'il avait eu sur le sujet à son frère aîné. A son... Enfin, il ne savait même pas vraiment lequel était le plus vieux. Ikkaku peut-être.

Le bruit d'un verre qui frottait contre le bois lui fit baisser les yeux. Il s'empara immédiatement du bourbon pour le finir d'une traite, comprenant enfin tout l'intérêt de la bouteille. Et Jiro le savait ? Il le fixa. S'il s'était tiré, oui, sûrement. Ou alors Cathan s'était contenté de lui dire qu'il devait parler à Akutsu, mais pourquoi être venu jusqu'au bar alors ? De l'alcool, ils en avaient aussi chez eux. Son regard se baissa sur le verre désormais vide et il se resservit, tentant de remettre un rien d'ordre pour ses pensées.

« Depuis quand tu sais... ? »

Que quoi ? Que son père était son père ? En donnant le sens qu'on voulait à cette phrase sibylline qu'il trouva idiote même s'il ne fit qu'y songer. Il pinça les lèvres, remontant son regard pour croiser celui du barman – lequel s'éloigna discrètement – et celui de Cathan ensuite. Il reprit la parole en tâchant de parler à mi-voix, malgré l'agacement qui pointait.

« J'ai rien dit. S'il est sur ton acte de naissance, tu le savais forcément depuis très longtemps. Mais putain, t'as compris quand je me suis présenté, non ? Des Moe, c'est pas ce qu'il y a de plus dans ce pays ! T'aurais pas pu en parler avant ? »

La colère était définitivement plus facile à gérer, surtout lorsqu'il était pris de cours. Qu'elle était la foutue probabilité qu'ils se croisent ? Si Cathan n'avait pas été là avant lui, il aurait pu penser qu'il l'avait fait exprès, mais c'était bien lui, Akutsu, qui l'avait rejoint dans cette école. Dans ce foutu appartement. Pourtant il ne pouvait pas en vouloir à Cathan. Ni de n'avoir rien dit – rien qu'à sa réaction actuelle, il lui donnait une bonne raison – ni même d'exister. Il se fichait bien du déshonneur de son si honorable père, savait depuis un moment qu'il avait un demi-frère et avait la surprise de réaliser que c'était en prime un mec qu'il avait appris à apprécier. Il y avait sans doute pire.

Ça ne l'empêcha pas de recommencer à siffler son bourbon.

Cathan leva légèrement la main en direction du barman pendant qu'Akutsu drainait son verre comme un escapé du désert qui se voyait présenter un verre d'eau pour la première fois depuis des jours. Habitué, l'homme arriva avec un autre verre qu'il déposa devant lui devait de repartir servir d'autres clients un peu plus loin, gardant toutefois un oeil sur ces deux roux qui dénotaient dans la salle et qui semblaient bien parti pour se mettre minable. La méfiance était clairement lisible dans son comportement et Cathan ne put s'empécher de lui adresser un sourire amusé. Pas d'inquiétude, une bagarre et la mise à sac d'un bar n'était pas au programme de la soirée.

D'un geste tranquille, Cat se resservit un verre, laissant Akutsu s'énerver seul sur des détails. Depuis le peu de temps qu'il le connaissait, c'était la première fois qu'il le voyait vraiment en colère, ou autrement que de bonne humeur et enthousiaste. Il ne pouvait pas vraiment lui en vouloir. Il avait eu des semaines pour s'habituer à l'idée. Il s'y était même doucement accoutumé pendant cette courte période de flottement où il n'avait pas encore fait les recherches, et où il avait juste eu un doute. Akutsu se voyait balancer l'information à la gueule après quelques semaines de régime glacé. Ok, il pouvait comprendre.

A partir du moment où il ne tentait pas de passer sa colère sur lui. Sans se départir de son sourire sardonique, l'aîné des deux roux pencha légèrement la tête.

" Bien sûr. J'imagine que j'ai des tas de raisons d'avoir envie de me mettre en contact avec la famille du connard qui a engrossé ma mère et s'est ensuite dépéché de rentrer chez lui."

La moitié du verre disparut à nouveau. A ce rythme-là, la bouteille n'allait pas faire long feu, et il faudrait compter sur Jiro pour arriver à les faire retourner au lycée, mais il n'était pas d'humeur à rester sobre. Le regard perdu dans la couleur ambrée du liquide de son verre, l'américain finit par hausser les épaules. Avouer son malaise devant une situation n'était pas dans ses habitudes, mais retrouver des demi-frères perdus ne l'était pas non plus. Il pouvait se permettre quelques exceptions.

" J'avais besoin de me faire à l'idée avant de t'en parler. "

Il aurait aussi pu parler du fait que c'était particulièrement mal vu au Japon, mais ils savaient l'un comme l'autre qu'ils s'en foutaient tous les deux totalement. Entre américain et japonais libéral, ils avaient des points de vue similaires sur ce genre de "petits" détails.
Autre chose qu'il laissa sous silence : le fait que ce soit Jiro qui avait fini par le décider à lui en parler. Parti comme il était, Akutsu aurait fini vexé comme un pou de savoir que leur troisième colocataire avait été mis au courant de leur lien de parenté avant lui.

Un grognement pensif répondu sarcasme de son... frère alors qu'il terminait son verre, préférant ne pas répondre à ça. L'insulte envers son père – leur père – le fit moyennement tiquer, mais il ne se sentit pas de le défendre. Son avis sur lui n'était pas toujours plus flatteur bien qu'il ne soit pas lié à la même chose. Les arguments de Cathan finirent néanmoins par le calmer un peu, mais il préféra se resservir plutôt qu'y répondre immédiatement.

Le liquide ambré ondulait dans le verre alors qu'il jouait à le faire tourbillonner, ses pensées avalées par le mouvement répétitif. Il finit par se passer une main sur la nuque et but une gorgée, avant de pousser un long soupir résigné. Il n'y avait somme toute pas grand chose à dire de tout ça et il n'avait pas envie de se prendre la tête avec les conneries de son géniteur. Surtout quand elles prenaient forme humaine et vivaient avec lui.

« C'est pire qu'un mauvais drama... » lâcha-t-il avec une pointe d'humour. « En plus je reste le petit dernier quoi qu'il arrive. Désespérant. »

De la fratrie, finalement, il resterait le plus jeune. Heureusement son frère aîné avait déjà deux petits bouts adorables qu'il aurait bien aimé pouvoir enfin rencontrer. Nés lorsqu'il était parti aux États-Unis pour le premier, et peu avant son retour pour le second, il n'avait jamais eu l'occasion de voir ses deux neveux, si ce n'était en photo. Ikkaku lui avait au moins envoyé les faire-part de naissance. Quant à Hanabi... Un grand sourire naquit sur ses lèvres alors qu'il reprit la parole, tout à trac :

« Tu es oncle au fait. Demi-oncle plutôt. Mon... Ikkaku a eu des fils, et ma sœur attend un môme aussi. »

Il but une gorgée de bourbon et reporta son attention sur Cathan dont il voulait voir la réaction à cette annonce. Peut-être qu'un jour il accepterait de voir Hanabi ? Sa sœur était, à son instar, assez libéral et moins soucieuse que ses parents ou son frère aîné des traditions japonaises. Plus mesurée que lui néanmoins, il était à peu près certain qu'elle s'entendrait avec le roux. Mais ils n'en étaient pas encore là, et même s'il avait l'impression d'assimiler l'idée - l'alcool aidait – il savait qu'il aurait un peu de mal à s'y faire.

Pour le coup, l'avis de Cathan ne pouvait que rejoindre l'avis d'Akutsu. Sauf que dans une série de fiction, il y aurait probablement eu en plus une scène de retrouvaille entre le père et le fils perdu, scène qui risquait fort de ne jamais exister dans la version réelle. En tous cas, il ferait tout ce qui serait nécessaire pour l'éviter. Mais la situation restait peu probable. Si l'homme n'avait jamais fait le moindre effort pour entrer en contact avec lui quand il était enfant, pourquoi le ferait-il face à un adulte ? Vingt ans plus tôt, cette idée l'avait tourmenté longuement. Maintenant, il était juste blasé et après tout ce qu'il avait pu voir, jugeait qu'il avait eu beaucoup de chance concernant sa famille. Ou plus exactement sa mère.

Cathan était en train de boire quand Akutsu lui annonça la "bonne" nouvelle, l'envoyant dans une quinte de toux alors que le bourbon prenait la mauvaise route. Il lui fallut une bonne minute pour calmer sa toux et reprendre une respiration normale, reprenant une rasade dans l'alcool quand il fut sur que sa gorge était prête à l'accepter. Il n'était pas encore assez ivre pour accepter la nouvelle avec joie.

" Une minute. Laisse-moi m'habituer au fait que j'ai un baby brother avant de passer à quelque chose de plus sérieux... genre des bébés tout court."

Bébé qu'il avait surement peu de chance de rencontrer au demeurant. Il n'était pas dupe. Si Akutsu acceptait facilement la situation – entre vie américaine et colocation depuis quelques temps aidant à la situation – il n'était pas sur qu'il en serait de même pour les autres. De plus, il n'était pas sur d'avoir envie de les voir. Sa famille japonaise n'avait jamais été en haut de sa liste des priorités, et n'y avait migré que par le plus grand des hasards, avec pour unique raison le faux-roux devant lui qui avait eu le bonheur de choisir le même lycée que lui dans tout le Japon.

Cat reposa avec délicatesse son verre sur le comptoir, jugeant qu'il avait assez bu pour encaisser la plupart des nouvelles de ce genre qu'Akutsu risquait de lui annoncer. Non qu'il ai fini de boire pour la soirée, mais il prenait une petite pause pour laisser une chance à son organisme de s'habituer un minimum à tout ce qu'il avait déjà incurgiter.

" D'autre chose que je devrai savoir sorti du nombre de bébés ? Un squelette dans un placard ? Enfin un autre que moi ? "

La dernière touche avait été ajoutée avec un semblant de sourire et la bonne humeur qui le caractérisait plus habituellement. Une fois qu'on s'habituait à ce contexte étrange, la situation n'était pas désagréable. Il aimait bien Akutsu, n'avait jamais eu de petit frère... au final, il y avait pire comme secret tragique à déterrer, non ?

La quinte de toux de son colocataire le fit tant rire qu'il eut du mal à s'arrêter, sa lèvre inférieur coincée entre ses dents alors qu'il tentait de ne pas trop faire de bruit. Peine perdue. Les quelques verres d'alcool déjà passés dans son gosier faisaient leur effet et son hilarité n'allait pas en s'arrangeant. Il ne s'était juste pas attendu à ce que son annonce fasse un tel effet au roux, qui visiblement n'avait pas envisagé l'option « autre frère et sœur » ni celle « neveux et nièces potentiels ».

« Ah non. Non je crois pas. Plus de squelettes. »

Enfin il ne lui semblait pas. Il se demande un instant si l'autre savait un peu qui était vraiment leur père et surtout la place de la famille Moe dans l'économie nationale. Ou politiquement, bien que leur contribution se fasse plutôt discrète. Akutsu jugea plus prudent de laisser ce délicat sujet aux oubliettes pour la soirée et reprit plutôt avec bonne humeur, non sans avoir terminé son verre auparavant.

« Ou alors cette fois je suis pas au courant. Peut-être que mon honorable paternel – enfin le nôtre – a encore été voir ailleurs depuis. Enfin... »

Akutsu fit une petite moue en regardant le fond de son verre bien trop vide. Non, il imaginait mal son vieux recommencer cette ânerie-là avec les conséquences qu'avait eu sa première escapade dans le lit d'une autre. Il n'aurait tout simplement pas voulu risquer son ménage avec un nouvel enfant à reconnaître.

« J'en doute quand même. » Il reprit la bouteille et se versa un fond avant de la reposer doucement mais maladroitement sur le comptoir. « N'empêche, ça aurait pu plus mal tomber. Tu fais des mystères pour plein de trucs, mais t'es sympa comme mec. J'aurais eu un Ikkaku bis en grand-frère supplémentaire, ç'aurait été déjà moins drôle. »

Il ponctua cette allusion à son grand-frère en buvant une gorgée de bourbon.

« T'as d'autres frères et sœurs toi ? A part nous ? »

Cathan n'eut pas la politesse de retenir le reniflement de dédain qu'il émit quand Akutsu parla de leur père. Trop d'alcool, ou tout simplement, trop de mépris envers cet homme. Il préférait ne plus en entendre parler. Récupérer un petit frère – et un petit peu plus apparemment – était largement suffisant à son gout. Nul besoin d'en récupérer toute une floppée à travers le monde.
Son rictus se transforma en sourire carrément amusé quand son petit frère – il allait devoir s'habituer à l'appellation - lui fit remarquer sa manie à faire des mystères. Il ne put résister à l'envie de tendre le bras et de lui ébourrifer ses cheveux comme à un gosse.

" Ben voyons. Tout ça parce que j'ai pas envie de cracher en place publique toute ma biographie à quelque que je connais depuis moins de 6 mois, alors qu'on est dans un lycée où les gosses n'ont qu'une envie, c'est de trouver tous les ragots possible sur leurs profs. Tu parles d'un mystère. Ca fait pas longtemps que t'es prof toi... "

A son tour, Cathan se resservit, s'amusant à noter le niveau de la bouteille qui avait bien descendu. A deux, c'était plutôt pas mal, surtout en si peu de temps. Il prit le temps de boire lentement son verre, appréciant le gout de l'alcool fort. Il avait quelque peu dépassé le stade de la dégustation, mais mieux valait commencer à un moment.
Du coin de l'oeil, il nota l'entrée d'un duo un peu bruyant et agité, le genre de personnes dérangeantes qui posent le plus de soucis. A la différence qu'ils eurent le bon goût de s'installer loin d'eux, du côté de Jiro, leur épargnant leur discussion bruyante. L'américain pu à nouveau s'intéresser à son cadet qui continuait son babillage léger. D'un autre côté, vu comme il parlait, pas étonnant qu'Akutsu le trouve mystérieux.

" Il est atroce à ce point ton frère ? "

Oups, il aurait peut être du dire "notre". Mais autant la présence physique d'Aku rendait leur lien bien réel, autant d'hypothétique frère et soeur éloignés... ils retaient la famille du jeune homme pas encore la sienne. Probablement jamais vraiment la sienne, à part pour quelques chromosomes partagés.

" Je suis fils unique. Enfin le fils unique de ma mère plus précisément. Un gosse a du lui suffire. "

C'était... bizarre de parler de sa mère, et de l'idée potentielle qu'elle aurait pu refaire sa vie et lui donner une floppée de frères et soeurs. Un reste de complexe d'Oedipe rendait cette idée complètement abominable. D'un autre côté... elle était bien assez grande pour mener sa vie comme elle le souhaitait.

Ca n'avait pas été bien compliqué au final. L'homme avait pris les devants, prenant tout de suite la parole pour se présenter, alors qu'il arrivait tout juste à sa hauteur. Avait-il senti que Jiro n'était pas à l'aise ou coutumier de ce genre de démarche ? Peut-être n'avait-il fait qu'agir comme à son habitude ? La raison n'avait que peu d'importance en fait. Il avait réussi à le mettre à l'aise en quelques mots, et c'était l'essentiel. Un sourire doux sur les lèvres, Jiro entama donc une discussion classique de deux inconnus faisant connaissance avec en arrière pensée la notion de "et plus si affinités".

De là où il était, il pouvait jeter des coups d'œil furtifs aux deux roux, s'assurant ainsi que les choses se passaient au mieux. Malgré la bouteille qui se vidait à une vitesse vertigineuse, il n'y avait aucun signe alarmant dans leur comportement. Tant mieux. Ils s'entendaient plutôt bien avant que cette histoire ne surgisse. Jiro en aurait été peiné si tout s'était brisé par la faute d'un tiers, en l'occurrence celle du père d'Akutsu ... enfin, "leur" père. Il soupira, rassuré, et se focalisa sur son interlocuteur, puisque ses deux collègues n'avait visiblement plus besoin qu'il joue les baby-sitter.

L'homme était plutôt séduisant, sûr de lui - il fallait plutôt l'être pour draguer un inconnu dans un bar non gay - et sa conversation n'était pas désagréable. Il n'était pas tout à fait son type mais suffisamment pour un flirt, voir un peu plus le temps d'une soirée. Maintenant qu'il n'avait plus les soucis de Cathan et Akutsu pour chasser un jeune kendoka de son esprit, il était plutôt content de cette rencontre.
Le brun ne chercha pas à éviter les doigts qui effleurèrent les siens à plusieurs reprises lorsqu'ils prenaient leurs verres respectifs, pas plus que la main qui se posa discrètement sur sa cuisse un peu plus tard. L'homme était aventureux ... visiblement beaucoup trop pour leurs bruyants voisins de comptoir ...

Tout se déroula un peu trop vite pour que Jiro ne comprenne vraiment ce qu'il se passait. Il avait juste eu le temps d'entendre l'insulte fuser avant de se retrouver par terre, poussé violemment depuis son tabouret. Relevant la tête, il vit son compagnon de soirée s'interposer entre lui et les deux ivrognes. C'était courageux mais il n'avait visiblement pas de quoi assumer derrière : le poing qu'il reçut en plein visage le projeta contre le comptoir.
Pourquoi avait-il fallu que ces deux là s'installent justement à côté d'eux ?

Machinalement, l'attention de Cathan était restée à moitié fixée sur le bruyant duo qui avait fait son entrée, ses anciens réflexes flirtant à la surface à cause de la quantité d'alcool qu'il avait incurgitait, suffisante pour baisser ses inihibitions. Chez certains, la levée des inihibitions signifiaient qu'ils parlaient plus aisément, ou se frottaient aux sans complexe, chez Cathan, cela voulait surtout dire qu'il se comportait beaucoup plus comme un agent fédéral sur de ses droits. Ou comme un sale con d'américain en terre conquise, mais bizarrement, les deux comportements se rejoignaient beaucoup.
Si bien que quand le chaos éclata, sous forme d'une insulte homophobe suivit d'un coup à l'égard de Jiro, Cat s'était levé, près à défendre les fesses de son colocataire – même si ce n'était guère ses fesses, mais plus son visage qui était en péril à cet instant -

" Merde, on peut jamais être tranquille..."

Au jugé, vu leur tête et leurs manières, ce n'était pas un duo de voyous, mais juste deux personnes encore plus éméchées que lui qui s'en prenaient à un couple de gays pour prouver leur virilité. Cat ne se perdit pas en formalité. Contrairement aux gens autour, dont la plupart avait reculé, trop surpris pour pouvoir intervenir – ou pour vouloir le faire – le roux fonça dans le tas, interceptant le plus aggressif des deux. Le premier à avoir lancé les hostilités, et que l'autre regardait comme un bon toutou dans l'attente de la confirmation qu'il avait bien fait. Le genre de connards pitoyables qui lui donnait envie de taper sur quelque chose.
Difficile d'expliquer précisément ce qu'il faisait. Avec le cerveau embrumé par l'alcool, Cathan avait laissé les habitudes et l'entrainement reprendre le dessus. Un coup dans les jambes pour mettre au sol, avant de lui coincer le bras dans une clé musclée, à deux doigts de démettre l'épaule de l'emmerdeur. Avec 15 cm et presque 15 kg de plus que la taille standard japonaise, il partait avec un sérieux avantage dans ce genre de bagarre.

Un bref instant, sa main chercha sur son côté, où aurait pu se trouver une hypothétique carte officielle, ou un holster, avant de revenir appuyer sur la tête de l'homme, la logique revenant, implacable.
Son regard se leva et chercha celui de l'autre homme, le mettant au défi d'essayer de venir libérer son collègue ou tout simplement de l'agresser. Du coin de l'oeil, il pouvait voir Akutsu, à peu prêt droit sur jambes, qui s'était rapproché, prêt à intervenir si la situation dégénérait plus. Ca éviterait peut-être que la scène ne tourne à la catastrophe totale et que le barman se sente obligé d'appeler la police, s'il ne l'avait déjà fait.

" On va tout de suite se calmer les enfants..."

A priori, ils avaient été chauds pour casser du pd, pas pour se faire casser la gueule, ou dans le cas présent, se faire démonter l'épaule. Histoire de faire bonne mesure, le roux ajouta un peu de poids à sa prise, inspirant un gémissement piteux à sa victime.
O oui, c'était fun.

Le bruit de la chute l'avait fait sursauté – et se redresser en même temps. A côté de lui, Cathan avait fait preuve de davantage de rapidité que lui et se retrouvait sur ses deux jambes alors que lui n'avait pu que tourner la tête pour connaître l'origine de ce vacarme. L'alcool formant un joli cocon douillet, il tarda un peu avant de réaliser pleinement que Jiro était au sol et son « ami » également. Akutsu sauta promptement de son siège, son regard suivant comme malgré lui les mouvements de l'autre roux.

On apprenait vraiment à faire ça en fac de maths ? S'il avait su, lui aussi ce serait lancé dans cette barbarie sans nom qu'étaient les calculs et raisonnements mathématiques. C'était vraiment cool comme méthodes !

Il chasse promptement ces pensées parasites de son esprit en secouant la tête rapidement, au point d'en avoir un peu la tête qui tourne, puis se dirigea vers Jiro pour l'aider à se remettre sur ses pieds, gardant un œil méfiant sur l'acolyte de l'homme maîtrisé par Cathan (non vraiment, son frère était classe là).

« Ça va aller ? »

Le faux-roux partit aider la connaissance du japonais en même temps qu'il les interrogea – préférant ne pas s'adresser plus à l'un qu'à l'autre. Son regard capta néanmoins le geste un peu curieux que Cathan eut un moment, comme s'il cherchait une arme ou des menottes sur sa hanche. Un instant il songea qu'il regardait un peu trop de films américains – ce qui pour un Américain était encore compréhensible – et la réflexion le fit sourire légèrement.

Cela ne plut à l'évidence pas au second agresseur qui, jugeant plus prudent de ne pas trop s'approcher du roux – le vrai roux – qui avait calmé son ami, alla cracher sa hargne auprès du plus jeune. Celui-ci accueillit l'insulte d'un coup de poing bien placé, réflexe et reste défensif d'une adolescence passée à se battre pour se faire entendre quand les mots n'y suffisaient plus. Être le fils de l'un des hommes les plus riches du pays n'épargnait pas d'un tempérament chaud, surtout quand on avait été un petit con qui frappait aussi parce qu'il faisait enrager ses parents en revenant avec un coquard.

Et puis il aimait ça et son sourire de gosse satisfait – en total désaccord avec le regard noir qu'il adressait à sa victime – ne laissait guère planer de doute sur le sujet. L'autre jugea, à son plus grand déplaisir, plus prudent de se faire tout petit et se tassa contre la table à demi-renversée qui l'avait accueilli. Sans le lâcher du regard, il reprit d'un ton enjoué, l'esprit un peu moins embrumé.

« Cathan, il va falloir que tu m'apprennes à faire ton truc là. C'est vachement efficace ! »

Toujours au sol, Jiro vit avec inquiétude le plus virulent de ses agresseurs se tourner de nouveau vers lui après avoir frappé son compagnon de soirée. Cependant, il eut à peine le temps d'esquisser un mouvement de recul, qu'une tignasse rousse entra dans son champ de vision, exécutant une série de mouvements d'une rapidité et d'une efficacité à toute épreuve. Cathan venait de maîtriser l'homme comme s'il eut s'agit d'un exercice de routine. Pour un peu, Jiro aurait presque trouvé logique de le voir sortir une paire de menottes pour attacher l'ivrogne.

Sonné tout autant qu'impressionné, il se sentait incapable de se remettre sur ses jambes après tout ça. La main d'Akutsu le fit sursauter avant qu'il ne réalise de qui il s'agissait. Il l'accepta pour se relever, tout en hochant la tête en signe d'assentiment. Au final, lui n'avait rien de plus grave qu'un fessier endolori d'avoir atterri un peu trop brutalement sur le sol. Jiro cherchait encore à rassembler ses esprits lorsqu'il vit passer le second agresseur, projeté contre une table par le poing d'Akutsu.

La suite ...
Dans la confusion ambiante, Jiro ne s'aperçut pas immédiatement que l'homme avec lequel il avait flirté dans la soirée s'était discrètement éclipsé. Sans doute les deux rouquins ne l'avaient-ils pas vraiment rassuré. Il fallait avouer qu'avec deux gardes du corps pareils, le brun donnait l'impression d'être bien protégé ... certainement trop au goût de l'autre.
En tout cas, beaucoup trop au goût du barman. Si les deux agresseurs furent éjectés manu militari, tous trois furent poliment remerciés et priés de ne plus remettre les pieds dans l'établissement. Cela revenait au même, il n'y avait que la forme qui changeait.

Une fois dehors, et après avoir remercié ses deux collègues, Jiro leur proposa de finir tranquillement la soirée à l'appartement. Proposition qui fut unanimement acceptée, preuve s'il en fallait, que les deux roux avaient réglé leur petit souci "familial".

Le retour fut enjoué, ainsi que la soirée. Lorsqu'ils décidèrent d'y mettre un terme, Jiro suivit Cathan dans sa chambre. Après tout, un sauveur devait être remercié dans les formes ...