Dommage – enfin, pas tant que ça – son adversaire était assez doué et endurant pour réussir à parler entre deux dribbles. Et assez tétu et curieux pour continuer à le faire, probablement jusqu'à ce que Cathan lui signifie clairement qu'il en avait marre. Extrémité à laquelle il préférait ne pas arriver. Il n'y avait rien de mieux pour rendre quelqu'un curieux que de refuser de parler de but en blanc. Lui mettre un panier sous le nez réussit à le faire taire environ 3 minutes, le temps qu'il s'éloigne et aille chercher le ballon. Pas très efficace, et surtout le genre de détail qu'il n'était pas tout à fait capable de refaire à la demande.

" Non. La Louisiane ne m'a jamais tellement attiré. Le côté romantique du vaudou et des marais, très peu pour moi. Je suis pas mal resté dans l'Ouest au final. Et toi, t'as pu voir autre chose que New York ? "

Là sur le coup... il était resté sur la côté Ouest tout le temps de ses études. Par la suite, il avait pas mal tracé dans tous les USA avant de revenir sur L.A. Mais, proportionnellement, il était resté la majorité de sa vie dans le même coin, comme la plupart des américains qui ne sortaient pas de leur état en dehors des vacances. Quand la taille d'un état équivaut plus ou moins à celle de certains pays étrangers, pas de quoi s'en étonner.
Réagissant rapidement après la remise en jeu du ballon, il réussit à intercepter l'avancée du jeune japonais, non sans envoyer la balle hors des lignes au passage, le contrôle de la balle restant encore quelque peu délicat pour l'américain. Qu'importe. Sur le coup, le côté défouloir l'emportait haut la main sur la beauté d'un match clean et dans les règles.

" C'est sur que les distances sont pas les mêmes qu'au Japon. Je ne suis pas trop sorti des grandes villes, mais j'ai encore à voir un endroit grand et totalement désertique ici. "

A part les deux semaines de vacances où il avait vadrouille avec Jiro, il n'avait pas tellement voyagé dans le pays sort de Hamura et ses alentours proches. Et il aimait bien la ville. Avec ses 3 millions d'habitants, elle n'était pas tellement plus petite que Los Angeles, le faisant se sentir parfaitement à son aise dans la foule serrée. Certes, il y avait des détails qui ne trompaient pas : jamais il n'avait toisé au dessus de la foule de la sorte aux USA, et les japonais étaient presque aussi calmes et disciplinés qu'une ville amish, lui donnant parfois l'impression d'être dans une série un peu cheap à la saveur guimauve. Mais passé ces petits détails, il s'y sentait plutôt bien, bien mieux que dans n'importe quel trou paumé américain. Et il ne voulait même pas imaginer ce que donnait la notion de trou paumé japonais : un grand vide ?
Et vu l'accueil des japonais envers les gaijins, mieux valaient qu'il n'y pointe pas le bout de ses lèches rousses pour autre chose que pour du tourisme. Pas qu'ils risqueraient de se montrer désagréable mais... De toute façon, il n'était pas là pour finir sa vie au Japon, du moins il l'espérait.
Quelques années pour tout tasser... et il verrait bien comme les choses se présenteraient.

Il revint à la réalité pour bloquer le passage du jeune homme qui se révélait aussi rapide qu'un chiot trop plein d'énergie quand il s'agissait de lui passer entre les pattes.

« Y a l'océan ! » souligne-t-il avec un sourire amusé.

Cathan se tient devant lui et l'empêche de passer, gardant ce qu'il faut de distance entre eux. Akutsu feinte en silence, ou tente, du moins, pour ne parvenir finalement qu'à se retrouver bloqué un peu plus loin. Il aurait aimé tenté un panier, mais la différence de carrure rend la manœuvre impossible. Avec le vague espoir de déconcentrer son adversaire, il se remet à parler.

« Je connais réellement que New York, pour répondre à ta question. Le plus loin où j'ai du mettre les pieds, c'est probablement Baltimore, le temps d'un week-end, mais... »

Il se tait en tentant une action, contourne son adversaire te lança le ballon qui rentre tout seul. Satisfait, il se tourne à nouveau vers le roux pour reprendre où il s'était arrêté.

« Mais je pense pas qu'on puisse connaître une ville en deux jours, alors au final, la seule que j'ai vraiment vu, c'est New York. »

Il s'étire quand son collègue part chercher le ballon et profite de l'instant pour regarder autour d'eux. Quelques élèves se sont à nouveau regroupés pour les regarder, mais les groupes éparses ne restent pas longtemps aux abords du terrain. En repensant à ce dont ils parlaient plus tôt, il se demande qui parmi eux sont des sportifs. Et lesquels, peut-être, ont un niveau assez bon pour faire de la compétition. Quand le professeur de maths revient vers lui pour qu'ils reprennent, il en profite pour lui poser la question qui lui était venu à l'esprit un instant plus tôt.

« Il y a des compétitions avec d'autres lycées et collèges de la ville ? Des rencontres sportives notamment. »

A s'écouter, il aurait du faire prof de sport. C'est avec cette pensée en tête qu'il reprend le duel, tout en commençant à sentir les effets de la fatigue. Ça fait un moment qu'il n'a pas dormi et le décalage horaire ne l'aide pas vraiment. Puisqu'il commence le lendemain, il n'a cependant pas beaucoup de temps pour s'y faire, et décide de rester éveiller toute la journée, quitte à aller se coucher très tôt le soir. Mais, pour l'heure, il se concentre surtout sur le ballon et sur son adversaire, qui, lui est à l'évidence en pleine forme. Et tenace.

Récupérer le ballon, le remettre en jeu, des vieux réflexes qui revenaient de plus loin qu'il ne pensait. Des compétitions ? Ce n'était pas comme s'il passait son temps à s'intéresser aux activités extra-scolaires de ses élèves. Jiro aurait été bien mieux placé pour répondre à cette question. Cathan tenta une avancée en force qui marcha mieux qu'il ne l'avait prédit, et surtout bien mieux qu'en début de match. De toute évidence, les mouvements un peu plus lents de son adversaires commençaient à trahir une certaine fatigue. A sa décharge, ils étaient venus ici directement après son arrivée à appartement, sans aucune pause pour lui. A ce moment, il devait avoir plus de café que d'hémoglobine dans le sang.

" Pas que je sache. Mais ça va peut-être changer cette année. Il y a une nouvelle organisation avec les clubs, donc le reste va probablement suivre. "

Dernier panier enfilé avec élégance – il avait fait des progrès – avant qu'il ne garde le ballon en main au lieu de le rendre à son adversaire. Comme précédemment, des étudiants étaient à nouveau au bord du terrain, certains amusés et contemplateurs devant leurs profs – au pluriel même s'ils ne pouvaient guère le deviner – voir un peu agacés de ne pouvoir se servir du terrain. L'heure avait avancée, entrainant avec elle le réveil des gosses.
Le prof de maths s'avança à pas tranquilles vers son cadet qui reprenait son souffle. Au moins avait-il la satisfaction un peu mesquine – fierté masculine quand tu nous tiens – de ne pas se sentir dépassé par un plus jeune que lui.

" On en reste là ? Tu as peut-être envie de finir de ranger tes affaires. Et j'ai des devoirs à finir de noter, même si mes élèves devraient te remercier de m'avoir fait faire une pause. "

La ballon récupéré sa place dans la réserve, et les deux hommes rendirent enfin le terrain aux élèves, à la grande joie de ceux-ci. Cette histoire, Cathan était sur d'en réentendre parler dès son prochain cours, d'une manière ou d'une autre. Si ça pouvait aider les mômes à le voir autrement que comme une figure d'autorité contre laquelle se braquer forcément... Peu de chances quand même. Il n'avait pas la discipline qui avait le blason le plus flatteur face aux ados. Et pourtant... de la pure logique, il trouvait ça quand même plus facile que de disserter sur des thèmes alambiqués en philo ou lire des œuvres rasoirs en littérature. Question de point de vue sans aucun doute.

Alors qu'ils retournaient à leur appartement en discutant de choses et d'autres concernant le lycée, Cathan ne pouvait s'empêcher de réfléchir à Moe, et tout ce que sa famille impliquait potentiellement. Il avait hate de faire ses recherches et d'être fixé. Ce qu'il en ferait, ensuite, serait une tout autre chose.